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10/05/2010

Horreur, je suis un DJ !

Je me souviens qu'à la création du Répertoire Opérationnel des Métiers (ROME), on m'avait expliqué que cela servirait notamment à identifier des compétences transverses, utilisables pour des métiers différents, a priori éloignés et auxquels on ne pense pas. J'avais fait l'expérience, et mesuré la portée du concept, en expliquant à des documentalistes que leurs compétences transverses étaient celles d'un logisticien : gestion de références et de flux. Elles, les documentalistes sont plutôt des femmes, ont failli me lyncher. Le travail de documentaliste est noble : on travaille sur des contenus, on organise le savoir, on ouvre l'accès à la culture. On est pas un magasinier ! Peut être, mais en compétences transverses si.

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Martial Raysse - Made in Japan - 1964 (d'après Ingres)

Je n'ai aucun goût pour la musique électronique (initié par Kraftwerk, je me suis arrêté à Soft Cell), je n'aime pas les boîtes de nuit, le bruit m'est pollution, je préfère les états de conscience modifiés que l'abrutissement par l'alcool ou la pharmacie et j'apprécie mieux les aigus légers que les basses lourdes. Pourtant, comme Martial Raysse s'appuie sur Ingres et construit à partir de chefs d'oeuvre qui ne sont pas les siens, je m'appuie sur les oeuvres d'autrui, je cite, j'analyse, j'interprète, je recrée, je déforme, je reproduis et surtout je rapproche des oeuvres et des idées sans rapport apparent entre elles, et je m'approprie le tout. Soit exactement le travail d'un DJ qui sample, et même si je ne me suis jamais pris, Dieu merci, pour David Guetta, voilà une perturbante révélation. Et vous, vous faites quoi avec vos compétences transverses ?

07/05/2010

Changer d'ère

Les conjonctions et concordances sont rarement des hasards. Faut-il être surpris de voir le même jour, le 5 mai 2010,  la Cour d'Appel de Paris, prenant appui notamment sur une décision de la Halde, reconnaître qu'il existe à la BNP Paribas des inégalités de rémunération structurelles entre les hommes et les femmes et la CGT assigner en justice tous ses partenaires de la négociation collective de la branche Syntec/CICF pour refus d'engager des négociations en vue d'étendre aux ETAM les avantages spécifiques reconnus par la convention collective aux cadres ? la portée de ces contentieux dépasse largement les cas d'espèce, tant il serait possible d'appliquer à nombre d'entreprises les constats fait à propos de la BNP ou de la branche du conseil. Quasiment toutes les grandes organisations et les branches professionnelles à vrai dire. C'est pourquoi la décision de la Cour d'appel ainsi que celle à venir du TGI semblent n'être que les premières : il va falloir s'habituer au changement d'époque en ces domaines.

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Jan Van Eyck - Les époux Arnolfini - 1434

Peut être le mystérieux tableau de Jan Van Eyck peut-il nous y aider ? il semblerait en effet que plutôt que les époux Arnolfini, titre officiel du tableau, le peintre se soit mis en scène lui-même avec son épouse enceinte, tout dans le tableau annonçant l'arrivée de l'enfant, jusqu'à l'inscription qui figure au-dessus du miroir convexe : Johannes de Eyck fuit hic (Jan Van Eyck était là, bien au chaud sous la robe arrondie : le fils de Van Eyck naîtra effectivement en 1434 et sera prénommé Johannes). L'arrivée d'une nouvelle ère dans laquelle la maternité n'aurait plus exactement la même place ni le même impact sur la situation des femmes au travail, ou seul le travail et non le statut déterminerait la situation de chacun ? On perçoit les bouleversements qui s'annoncent et la portée proprement révolutionnaire de la mise en oeuvre véritable du principe d'égalité. A la suite de la Cour de justice des communautés européennes qui impose aux entreprises de neutraliser totalement le congé maternité au regard des droits et de la carrière des salariées, voici donc une décision qui sanctionne une entreprise qui prend en compte dix ans d'interruption d'activité pour cause de mise au monde de 5 enfants (on se reportera ci-dessous à la décision de la HALDE sur cette affaire). Souvenons nous que Laurence Parisot, présidente du MEDEF et seule candidate à sa succession, a écrit un livre intitulé "Besoin d'air". Peut être le prochain pourra-t-il s'appeler "Changer d'ère".


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Miro - Maternité

06/05/2010

Pas de reclassement en roumanie

Le Sénat vient d'adopter mardi 4 mai, après l'Assemblée nationale le 30 juin 2009, un texte sur le reclassement des salariés licenciés pour motif économique qui prévoit un questionnement systématique du salarié sur sa volonté d'accepter ou non des offres d'emploi à l'étranger, avant toute proposition. Cette loi a pour objet officiel d'éviter aux entreprises qui font des licenciements économiques d'être condamnées par le juge si elles ne proposent pas des emplois dans tous les pays où elles sont implantés, serait-ce à un salaire dérisoire comparé au salaire français, et d'être condamnées par les medias si elles formulent des proposition du type : on vous propose un emploi équivalent dans un nouveau pays au tarif de 135 euros par mois. Dorénavant, le salarié ne pourra se voir proposer de telles offres que s'il a indiqué à l'entreprise le type d'offres qu'il acceptait de recevoir et sous quelles réserve. Et les juristes de se délecter de l'interprétation que l'employeur devra faire de réserves du type : j'accepte tout emploi moins pénible que le mien, ou bien j'accepte tout emploi dans un pays ensoleillé, ou bien j'accepte tout emploi qui me garantit un pouvoir d'achat équivalent compte tenu du niveau de vie dans le pays. Bref, en voulant simplifier, comme souvent, on a sans doute ajouté de la complexité au reclassement sans traiter le problème de fond : l'entreprise peut toujours librement transférer des activités en roumanie, mais elle doit demander aux salariés s'ils acceptent de recevoir des offres pour aller continuer leur job en roumanie. Peut être pourraient-ils y croiser Victor Brauner, peintre roumain.

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Victor Brauner - Sans titre - 1946

On notera que nos parlementaires si prompts à fixer des règles en matière de nationalité, ne se posent pas la question de savoir si le salarié pourra effectivement, ou non, travailler dans le pays visé. Ni celle de savoir comment s'effectueront les propositions en cas de liquidation judiciaire. Bref, une loi de plus faite pour simplifier la vie des entreprises et qui pourait bien la leur compliquer.

Ajoutons enfin que les parlementaires ont décidément des représentations bien ancrées : ils valident la règle selon laquelle le reclassement du salarié doit s'effectuer sur un emploi correspondant à celui occupé ou  équivalent et assorti d'une rémunération équivalente. Si ce reclassement n'est pas possible, le salarié pourra se voir proposer un poste de catégorie inférieure. Mais il n'est pas envisagé que le reclassement puisse s'effectuer sur un emploi de catégorie supérieure. Comme si le surclassement n'existait pas et comme si tout salarié était incapable de faire un autre job que le sien, sauf un job de même niveau ou de niveau inférieur. Il faudrait parfois que nos parlementaires aillent observer la vie au-delà des palais de la République. Peut être même qu'ils aillent en roumanie. Ainsi pourraient-il faire des textes basés non sur des préjugés mais sur des réalités. A propose de réalité, le dernier mot à Brauner pour finir par totalement regretter la roumanie.

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La charmeuse de Serpent - Brauner
(d'après le douanier Rousseau)

05/05/2010

Il n'y a pas de catastrophe naturelle

Les inondations, les cyclones, le volcan islandais, la neige au mois de mai, les vagues de 6 mètres en méditerranée, les tremblements de terre en Haïti et au Chili, les medias relaient inlassablement ce qu'il est d'usage de nommer, sans plus se poser de question, des catastrophes naturelles. L'appellation est doublement impropre. Tout d'abord parce que tout évènement n'est une catastrophe qu'en ce qu'il touche l'homme. La chute d'une météorite dans l'atlantique ou dans le désert de Gobi et la même sur New-York n'auront pas le même sens. Du point de vue de la nature, le phénomène est pourtant identique. Ensuite parce que l'expression persiste à dissocier la nature de l'homme, renvoyant l'image des humains qui se battent contre la nature, puis la dominent, et finalement l'asservissent, comme s'ils prenaient une éternelle revanche sur le déluge.

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Roberto Matta - La terre est un homme

Que l'on cesse de penser les évènements naturels comme des catastrophes, que l'homme ne se place plus au dessus de la nature mais à l'intérieur de celle-ci à l'instar d'un caillou, d'une plante, du vent ou des nuages, et l'on peut parier que le nombre de "catastrophes" s'en trouvera réduit. Rappellons que Freud, qui subit les peu subtiles foudres d'Onfray ces temps-ci, mais le "vieux" en a vu d'autres, Freud donc identifiait les trois humiliations narcissiques subies par l'homme : il n'est pas le centre du monde (Copernic), il n'est pas le centre de la création (Darwin) et il ne maîtrise pas sa propre conscience (Freud lui-même). Et plutôt que de nous désespérer, cette triple nouvelle nous apporte en réalité une plus grande liberté en nous allégeant considérablement du poids de l'histoire universelle. Mais que la liberté passe par une diminution de l'ego, cela devrait être évident pour tous. Bien sur en voyageant dans quelques organisations, cette évidence ne saute pas aux yeux, et encore moins lorsque l'on écoute Claude Allègre. En fait, il y a des catastrophes humaines.

04/05/2010

Voir c'est croire

La formule est fréquente, je l'ai toujours trouvée indigente : "Je suis comme Saint-Thomas, je ne crois que ce que je vois". La phrase recèle deux fausses évidences et une vérité non assumée. La première fausse évidence est de limiter la réalité à  ce que l'on voit. La vue n'est qu'un de nos sens et pas toujours le plus fiable. Proust, qui avait la subtile connaissance des cinq sens, nous le montre en une phrase :

"Quand par les soirs d'été le ciel harmonieux gronde comme une bête fauve et que chacun boude l'orage, c'est au côté de Méséglise que je dois de rester seul en extase à respirer, à travers le bruit de la pluie qui tombe, l'odeur d'invisibles et persistants lilas."

Sont ici sollicités l'ouïe, l'odorat, le temps, le goût et l'esprit. Quoi de plus réel que ces invisibles lilas.

La seconde fausse évidence est de se fier à l'expérience personnelle plus qu'à toute autre. C'est pourtant celle avec laquelle nous avons le moins de distance, celle qui comporte le plus de risques de biais. Il est facile de constater qu'il est plus simple d'éduqer les enfants d'autrui que les siens. Accessoirement, c'est aussi ce regard extérieur et distancié qui justifie, outre son expertise, le recours à un consultant.

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Roland Penrose - L'île invisible (voir c'est croire) - 1937

La vérité non assumée, tient à la formule je ne "crois" que ce que je vois. Elle affirme donc que voir est une croyance. Et avec raison car si nous ne faisions que voir, nous ne pourrions jamais connaître mais seulement reconnaître. La vision d'une pyramide si je n'en ai jamais vu et si l'on ne m'explique ce qu'elle est ne m'apprendra rien, pas même qu'il s'agit d'une pyramide. Si je ne fais que voir, il s'agit donc bien de croire.
Et l'on pourrait alors prendre le contrepied de Saint-Thomas et considérer que pour connaître, il faut d'abord observer en tentant de se libérer de toute croyance, en se défiant de soi-même, en sollicitant autrui et en faisant travailler tous ses sens. En réalité, Saint-Thomas est un feignant.

03/05/2010

Une oeuvre jamais terminée

Ingres dessinait pafaitement. Et décalquait beaucoup aussi. Comme l'écrivain lit et cite, le peintre décalque et copie. C'est ainsi qu'il se forme, c'est ainsi qu'il créé, c'est ainsi qu'il innove et invente. Car l'on ne créé jamais seul et loin du plagiat, la citation, la reprise, la copie, l'influence constituent des hommages à l'oeuvre électivement choisie. Le Musée Ingres de Montauban dispose d'un inestimable fond dans lequel on peut admirer les croquis préparatoires à l'un des plus grands chefs d'oeuvre de la peinture : Le bain turc.

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Ingres - Etudes préparatoires et Le bain turc - 1862

L'oeuvre est achevée alors qu'Ingres à 82 ans. Achevée ? non car la construction continue. Le bain turc passe en d'autres mains, celles de Picasso notamment qui toute sa vie le copiera.
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Picasso - 1968

Et si le Bain turc n'avait pas existé, Picasso aurait-il peint ce qui est également un des chefs d'oeuvre absolu de la peinture, à savoir Les demoiselles d'avignon ?

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Picasso - Les demoiselles d'Avignon - 1907

Ainsi Le bain turc est-il toujours fécond et produit ses effets au-delà de la toile elle-même et de son auteur. Notre échelle d'appréciation d'une oeuvre est parfois bien réduite par un double manque : le recul nécessaire à l'observation véritable et la mise en perspective dans le temps. C'est ainsi qu'il faut regarder le dispositif du DIF. Accepter qu'il s'agisse d'un dispositif en construction qui continuera d'évoluer, considérer qu'en matière sociale six ans c'est bien peu pour l'appropriation d'un tel dispositif qui tranche avec plus de trente ans de pratiques antérieures de formation et enfin, et peut être surtout pour les professionnels de la formation, admettre que la formation n'est pas le centre d'intérêt principal ni des entreprises, ni des salariés, ni des syndicats et que le fait d'être "de la profession" ne confère aucune qualité particulière pour le leur reprocher. Chacun est juge de ses priorités. Cela ne doit pas empêcher le débat sur à la fois les finalités et les modalités de mise en oeuvre d'un dispositif potentiellement révolutionnaire et factuellement progressiste. En guise de contribution à ce débat, une interview parue dans Entreprises et Carrières.


30/04/2010

Et la lutte continue

Il est de nobles combats. Que l'on est fier de mener et que l'on serait prêt à reprendre demain. Des combats qui nous grandissent, qui établissent notre capacité de résistance, notre refus de subir et notre volonté d'assumer les risques inhérents à la lutte menée. Des combats qui ont du sens et qui ouvrent des chemins. Des combats souhaitables mêmes, tant l'évitement de l'affrontement est parfois pire que la violence. Et le premier de ces combats est souvent à livrer avec soi-même, tel Jacob luttant avec l'ange.

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Delacroix - Lutte de Jacob avec l'ange

Et puis il est des combats plus douteux. Soit dans la manière dont ils sont conduits, soit simplement par leur finalité. Des combats stériles qui n'ont aucune issue positive et dont toutes les parties seront les victimes. Des combats d'arrière-garde, des combats de coqs, des combats d'ego et toutes autres sortes de conflits dont le seul mérite, comme les coups de marteau, réside dans leur fin. On peut parfois, comme Wolfgang Paalen, parer ces combats de mille couleurs sans changer leur nature.
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Wolfgang Paalen - Combat de princes saturniens (III)

Le combat, on n'ose dire la guérilla, que l'Etat mène aux partenaires sociaux quant à la gouvernance du système de formation professionnelle n'a que peu de vertus. La dernière illustration en date se trouve dans le projet de décret concernant les OPCA. On trouvera ci-dessous une analyse réalisée pour l'AEF avec Jean-Marie Luttringer qui explique pourquoi non seulement le combat est vain mais également regrettable du point de vue des bénéficiaires finaux de la formation. Et si vous souhaitez mettre à profit le week-end pour admirer un combat qui en vaille la peine, souvenez-vous que le tableau de Delacroix vous attend dans l'église Saint-Sulpice, à Paris.


29/04/2010

Abstinence et luxuriance

Lorsque Moïse monte sur le mont Sinaï, il laisse son frère Aaron et son peuple l'attendre en silence. Mais l'attente dure 40 jours. Pour ce peuple qui vient d'Egypte et qui se définit par le faire, par l'action, par la production, 40 jours de silence c'est trop long. Et l'on décide de faire la fête et de construire le veau d'or. Lorsque Moïse redescend du Sinaï, et découvre la bacchanale, il brise les tables de loi mais ne prononce pas une parole. Pourquoi ce silence ? Marguerite Duras disait : "Parce que lorsque l'on a vu Dieu, soit on se tait soit on hurle, mais on ne peut plus parler". Ce silence aura plus de poids que des imprécations. Il est des occasions dans lesquelles s'abstenir c'est faire.

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Chagall - Moïse devant le buisson ardent

En 2009, ont été votées plus de loi que jamais auparavant dans la 5ème République. Lois de circonstances, lois de faits divers, lois de réformes profondes, lois techniques, lois politiques, toutes figurent dans le lot. Les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat ont fait le constat que cette inflation nuisait à la qualité des textes et on mis en place, début avril, un groupe de travail qui doit faire des propositions pour améliorer la qualité de la loi.
Ce constat de perte de qualité est d'autant plus vrai que la loi est spéciale : dès lors que la loi s'intéresse à des cas particuliers, elle perd de son sens. Sa nature est d'être générale et l'effort du législateur doit porter sur la capacité de la loi à embrasser toutes les situations. En ce sens, une loi sur la TVA dans la restauration, une loi sur la burqa, une loi sur le drapeau français, etc. sont nécessairement insuffisantes : il revient à la loi de poser les principes généraux des activités qui relèvent de la TVA ou non, de la question de la liberté ou pas de se vêtir (aller nu dans la rue est un délit rappelons-le : voilà le législateur amené à se prononcer sur l'endroit où doit être placé le curseur entre s'habiller et se déshabiller), etc. Et parfois, il faut considérer que s'abstenir ce n'est pas rien faire, c'est reconnaître qu'il n'appartient pas nécessairement au législateur d'intervenir dans tous les détails de la vie. En matière juridique, l'abstinence peut avoir des vertus. Elle est moins recommandée en d'autres domaines, la peinture par exemple ou la luxuriance a ses charmes.
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Le Douanier Rousseau - Rêve

 

28/04/2010

Vérité du choix

Je n'ai jamais su recruter. Cela ne fait heureusement pas partie de mes activités, sauf pour les candidats à des Masters dans les métiers des ressources humaines. Pour ces derniers, j'oriente l'entretien autour d'un axe essentiel : quels sont les moments où l'individu à eu à faire des choix, comment s'y est-il pris pour décider et comment a-t-il justifié son choix ?  traduction de l'idée qu'une des manières d'approcher la vérité d'une personne n'est ni de la réduire à des schémas psychologiques préétablis (comme le fait l'énéagramme par exemple), ni de traquer ses moindres goûts et comportements pour le définir exhaustivement (questionnaire aux 400 propositions à cocher en moins d'une heure pour que le candidat n'ait pas le loisir de réfléchir), ni de procéder à une psychanalyse plus ou moins masquée (test de Rorschach) et encore moins de procéder à des enquêtes auprès des anciens employeurs ou professeurs pour les étudiants, comme si l'ex était le mieux placé pour parler du sujet ! En réalité, le choix des tests nous en apprend davantage sur le recruteur que sur le recruté. Pourquoi privilégier les choix ? parce qu'il est des moments où toutes les questions se résolvent en une seule : faire ou ne pas faire, prendre le chemin de droite ou celui de gauche, dire oui ou non, accepter ou refuser, etc. L'idée également que quelques moments clés sont plus signifiants que mille situations qui peuvent ne l'être pas. Tout ne fait pas sens chez l'humain. Et pour terminer l'entretien, deux questions complémentaires : dans quel tableau vivriez-vous  (qui devient parfois quelle image ou quel film si le tableau n'est pas dans l'univers du candidat) ? et face à quelle tableau, vivez-vous ?

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Giorgione - La tempête - 1510

Le Bain Turc d'Ingres était une réponse tentante à la première question. Mais j'attendrai d'avoir l'âge du peintre lorsqu'il le commis pour faire cette réponse. La tempête s'impose. Découverte pour la première fois à Venise en 1985, elle relève du collage, tant les personnages sont absents l'un à l'autre, elle se refuse aux interprétations, elle vibre d'un érotisme que l'orage exacerbe, elle s'inscrit dans un paysage atemporel et elle ouvre la porte à mille possibles. S'établir dans un tel tableau, c'est la promesse d'avoir trois vies : corporelle, tant le panthéisme est incarné, esthétique par l'ordonnancement du hasard, Giorgione aimait l'improvisation,  et fantasmatique tant par la sensualité que par le fantastique qui se dégage de la scène.
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Alain Garrigue - Affirmation Caniculaire - 2004

Pour la seconde question, il suffit de lever la tête au-dessus de l'ordinateur sur lequel est écrit cette chronique pour s'immerger dans l'affirmation caniculaire. La première découverte du tableau m'avait à la fois fascinée et rebutée : la saturation de la toile racontait trop d'histoires à la fois, trop de choses à dire, trop plein, lits et barreaux carcéraux, scène fermée et au final une sourde angoisse et une représentation de la vie d'une grande dureté. Mais je n'ai jamais oublié ce tableau, pour finir par l'acquérir récemment. Et aujourd'hui il m'offre une scène de théâtre, un je qui n'est qu'un jeu, un décor sans angoisse, un clou qui tient bon et une patte immémoriale qui poursuit sa marche en avant.
Au terme de cette chronique, deux conclusions : la première est qu'il est heureux que mon activité de consultant me convienne car avec de tels arguments ma recherche d'emploi serait sans doute délicate, la seconde est que je ne sais vraiment pas recruter. Mais au fait, vous vivriez dans quel tableau (image) ? et vous vivez en face de quel tableau (image) ?

27/04/2010

Devenir

Le directeur du centre de formation m'avait annoncé son départ à la retraite et dit le plaisir qu'il avait eu à travailler avec moi. Phrases entendues, et parfois convenues, de ceux qui partent et se soucient soudain du souvenir. Mais ce n'est pas ainsi que j'ai reçu cette annonce. Elle m'a touchée. Je n'avais pourtant pas développé, comme cela arrive, une amitié ni même une intimité dans la relation qui justifie quoi que ce soit. Mais c'était ainsi, ce départ me touchait. J'ai offert à cet homme un ouvrage de Doisneau avec une lettre qui se concluait à peu près par ceci : "A l'instant de faire d'autres choix, il importe, comme toujours, d'avoir comme boussole la fidélité à l'enfant que l'on a été". Cette fidélité n'est pas immuabilité. Elle doit laisser de la place au devenir. Il s'agit simplement, quelles que soient les évolutions, mutations, transformations, de déceler si l'on a nourri le bon loup (les indiens disent que deux loups sont en nous et s'affrontent : le bien et le mal. Le dominant est celui que l'on nourrit). Tout formateur qui se sent un tant soit peu éducateur a ce souci du devenir de ceux avec qui il travaille. C'est pour cela qu'il fixe leurs yeux avec parfois un air étrange : pour apercevoir le loup, la louve, le rêve, que chacun porte en lui.

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1959 Josefine 1983

Cette histoire m'est revenue en feuillettant chez un bouquiniste  le livre de Fee (!) Schlapper intitulé "Portraits à travers le temps". Le principe en est simple : des photos dépouillées, en noir et blanc, à quelques années de distance. Juste pour voir. Pour traquer le devenir. Pour Josefine on appréciera que le regard inquiet et tombant soit devenu une belle volonté portée par un regard de grand large, un visage clair et lumineux, non plus apeurée mais épuré.
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1961 Dominik 1983

Pour Dominik, le temps n'a pas desserré le carcan des bras ni de la chemise. Du coup le sourire s'est estompé et la vivacité du regard est moins présente. La vie s'est alourdie. Peut être faudrait-il enlever lunettes et moustaches et laisser place au hasard. En confiance.
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1957 Renate 1983

L'ennui est formateur. Renate s'est ennuyée, heureusement pourrait-on dire. Et cet ennui est devenu une belle maturité, une lente sérénité qui n'exclut pas la rébellion de tous les enfants qui s'ennuient. Renate, les pieds sur terre, rêve à la louve. Et vous, à quoi rêvez-vous ?

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1964                                       2009

26/04/2010

Le temps ne passe qu'une fois

Une amie enseignante me donna un jour cette étranger définition de l'histoire : "L'histoire c'est quand on ne peut plus rien changer". On peut toujours tenter de réécrire l'histoire, mais rien ne fera que ce qui a été n'ait pas été. On connait la formule épicurienne sur les tombes latines : F NF NS NC. Fui. Non fui. Non sumo. Non curo. Je n'ai pas été. J'ai été. Je ne suis plus. Je n'en ai cure. Un jour sans doute le rocher Percé à force d'effritements aura disparu. Rien ne pourra faire qu'il n'ait pas été.

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Le rocher Percé - Photo Jean-Louis Lebreux

L'inexorable passage du temps vient de rattraper un employeur qui aura désormais un point d'appui pour réfléchir à l'histoire et au droit. Une salariée a été victime de harcèlement. L'employeur prend des mesures pour lui permettre de poursuivre son travail. Le harceleur démissionne. La salariée prend tout de même acte de la rupture de son contrat de travail et quitte l'entreprise en demandant des dommages et intérêts. Refusés par la Cour d'appel, l'employeur ayant mis fin à la situation. Accordés par la Cour de cassation : le harcèlement a eu lieu et s'il a pu avoir lieu c'est que l'entreprise a manqué à son obligation de prévention des risques. Après coup il est trop tard, rien ne peut faire que le harcèlement n'ait pas eu lieu, les mesures prises par l'employeur sont trop tardives (Cass. soc., 3 février 2010). Une raison de plus, s'il en fallait, pour agir ici et maintenant, avant que le rocher ne disparaisse.
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23/04/2010

Ni fait, ni à faire

Le moniteur de la colonie de vacances avait de bonnes intentions. Il m'avait fait découper des frites dans une grosse pomme de terre, puis il m'encourageait à tremper le bout de chaque frite dans une couleur et à peindre avec ces cubiques pinceaux alimentaires. Pour qui a grandit dans un restaurant, double hérésie : peindre avec des aliments et ne pas avoir le bon outil pour l'activité. Des pinceaux : je voulais des pinceaux. Ma demande suscita le doute chez le moniteur et ouvrit entre lui et moi un abîme d'incompréhension qui jamais ne se referma. Fallait-il être conventionnel, et carrément d'un autre temps pour demander des pinceaux pensait-il, fallait-il être abruti pour proposer de peindre avec des patates, m'indignais-je. Evidemment, il aurait pu me montrer ce que Matisse réalisait avec le pointillisme. Matisse est un excellent peintre pour éduquer les enfants. Mais peut être aurais-je trouvé que le pointillisme de Matisse ce n'était ni fait ni à faire.

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Matisse - Luxe, calme et volupté - 1904

Ce qui n'est ni fait, ni à faire, c'est le projet de loi du Gouvernement, présenté par Eric Woerth, sur le dialogue social dans les TPE. Ce texte, qui devait permettre l'exercice d'une représentation effective du personnel dans les entreprises de moins de 11 salariés, propose aux branches professionnelles de créer, si elles le souhaitent, des commissions paritaires de dialogue social au niveau régional, qui n'auront pas le pouvoir de conclure des accords collectifs mais seulement de veiller à l'application des accords et de favoriser le dialogue social (mais lequel ?) dans les TPE. A ce rythme, les salariés auront un véritable droit à une représentation collective au siècle prochain. Pourtant, les organisations patronales s'émeuvent. Dans des formules quasi-similaires la CGPME déclare que "les syndicats sont aujourd'hui absents des entreprises car ni les employeurs ni les salariés n'en éprouvent le besoin" et le MEDEF que "ni les dirigeants ni leurs salariés ne souhaitent la mise en place de nouvelles instances de dialogue social". Et l'on découvre un peu étonné que ce sont les organisations patronales qui expriment ce que souhaitent les salariés, alors que leurs représentants se sont prononcés majoritairement, dans le cadre d'un accord avec l'UPA, en sens inverse. Syndicats d'ailleurs mécontents du projet gouvernemental en ce que les commissions de dialogue social sont facultatives et qu'elles n'ont aucun pouvoir de négociation. A l'heure ou les enjeux d'aménagement du territoire, d'emploi au plan local, de mise en réseau des activités économiques, de constitution de pôles d'activités locaux sont cruciaux, lutter ainsi pied à pied contre la possibilité de construire du dialogue social au plan territorial est sinon irresponsable du moins assez éloigné de l'intérêt général. Mais celui qui exprime cet avis ne représentant ni les employeurs, ni les salariés et n'étant autorisé à parler au nom de personne, peut être a-t-il commis une chronique qui n'est ni faite, ni à faire. Vite, des patates et de la peinture !

22/04/2010

Baiser mortel ?

Le projet de décret relatif aux OPCA qui sera examiné le 23 avril par le CPNFPTLV traduit la persistante suspicion de l'Etat envers les OPCA. On ne veut pas parler des obligations de transparence qui figurent dans le décret : que les OPCA publient leurs règles de prise en charge, la liste des 20 organismes de formation qui reçoivent le plus de financements ou encore qu'ils publient leurs comptes, rien que de très normal et les partenaires sociaux auraient du avoir la bonne idée de faire tout cela avant que l'Etat ne le leur impose.

Plus discutable par contre est la COM : convention d'objectifs et de moyens conclue entre l'Etat et chaque OPCA pour trois ans. Dans tout contrat qui se respecte, les parties souscrivent des engagements réciproques. Or, ici il n'y a d'engagement que pour l'OPCA ! l'Etat lui se réserve de procéder à des mises en demeure dans la digne tradition de l'unilatéralisme administratif qui prescrit et ordonne. La République a décidément du mal à se départir de monarchiques attitudes et habitudes. Pour l'OPCA qui n'atteindrait pas les objectifs, le contrat devient ainsi l'instrument de sa perte. La signature de la COM pourrait donc ressembler au baiser mortel désignant le futur disparu.

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Picasso - Le baiser - Juan les Pins - 1925

La vision réductrice de l'administration transparait également dans l'approche des frais de gestion : sont considérés comme tels à la fois les frais de collecte, les frais de gestion des dossiers de financement et les services apportés aux entreprises sous forme de conseil ou de diagnostics de compétences. C'est faire masse de coûts qui n'ont pas grand chose à voir entre eux. Si les frais de collecte et de gestion doivent être plafonnés et considérés comme des frais de fonctionnement, les coûts d'information, de conseil et d'accompagnement sont des prestations en nature qui bénéficient aux entreprises au même titre que les financements de formation, qui sont eux des prestations en espèces. Il y a ainsi une supercherie précautionneusement entretenue à traiter de la même manière ce qui relève du fonctionnement et ce qui relève des prestations en nature.
Mais après tout, rien de bien surprenant de la part de l'Etat qui agit conformément à sa nature. Quant aux partenaires sociaux qui trouvent que la férule est sévère, ils ne tenaient qu'à eux de se libérer du joug étatique en négociant le passage à une obligation conventionnelle et non plus fiscale de financer la formation. Qui refuse l'autonomie est mal venu à se plaindre d'être soumis.

21/04/2010

La semaine de 70 heures

Ce n'est pas une histoire belge, mais l'organisme de formation se trouve en Belgique : il propose une immersion en anglais d'une durée de 70 heures par semaine, du dimanche après-midi au dimanche matin suivant. L'accueil se fait à 16 heures, il y a trois heures de cours de 17 à 20 heures puis 2 heures de repas "pédagogique" avec discussion. Tous les jours suivants,  aux 7 heures de formation s'ajoutent des activités en anglais à hauteur de 3 heures par jour : revue de presse, journaux télévisés de la BBC, et les remarquables documentaires animaliers (!), commentaires gastronomiques, etc. Et le dernier dimanche, de nouveau 3 heures de cours et ensuite 2 heures de repas pour terminer. Cette formation intensive est suivie dans le cadre du DIF : 35 heures sont prises sur le temps de travail et 35 heures en dehors du temps de travail. Le salarié perçoit l'allocation formation pour 35 heures, l'entreprise finance 70 heures de formation. C'est possible ? mais bien sur ! et encore on ne compte pas le temps de sommeil pendant lequel il est démontré qu'après des phases d'apprentissage intensives, les mêmes zones du cerveau continuent à s'activer la nuit. Le rêve éducatif, ce n'est pas une utopie.

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Picasso - Le rêve - 1932

Même s'il n'y a là rien d'extraordinaire, on peut se féliciter que le DIF, trop souvent brocardé, offre un cadre juridique suffisamment souple pour permettre la créativité et l'innovation. Est-ce raisonnable pédagogiquement ? la question est moins dans la formation elle-même que dans ses suites. Cette plongée profonde dans une langue étrangère n'a d'effets durables que si elle est suivie d'une poursuite des apprentissages notamment par une pratique régulière de la langue. Voilà donc une manière de rassurer ceux qui s'inquiètent pour l'utilisation des compteurs des salariés. Pédagogues, à vos fourneaux !

Ci-dessous, article publié par Le Figaro lundi dernier.

20/04/2010

Le mort ne risque rien

La mer risque de revenir ? on rase. Les poussières des entrailles de la terre furètent dans l'air ? on ferme. Et si la grippe H1N1 se répandait ? et si elle mutait ? vite, 1 vaccin par personne et obligation pour toutes les entreprises de France et de Navarre de mettre en place un plan de continuation d'activité, juste avant qu'elles ne se mettent en chômage partiel, sauf les laboratoires pharmaceutiques cela va de soi. Le principe de précaution a lui déjà muté en principe de risque zéro absolu. Comme on le sait, le seul moment où l'homme ne court plus aucun risque, c'est lorsqu'il est mort. A défaut, et par nature, il s'expose.

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Le souffle-énergie : le Qi

A propos d'exposition, vous avez jusqu'au 5 juillet pour prendre le temps de visiter les Galeries nationales du Grand-Palais qui présentent : "La voie du Tao, un autre chemin de l'être". On y apprend que la vie est énergie, que l'énergie est souffle, que lorsque ce souffle est lourd et dur il vient de la terre et des hommes, c'est à dire de ce qui disparaîtra, et que lorsqu'il est léger et subtil, il vient de l'air et du ciel. Ce qui subsistera. Vous pourrez aussi y découvrir que "Le renom suprême est le renom auquel on a pas travaillé. Le renom auquel on a travaillé vient après". Inaudible pour un homme, ou une femme, politique du début du XXIème siècle. Dépêchez vous avant qu'il ne s'en trouve pour estimer qu'il faut interrompre cette exposition car  fréquenter de telles pensées, ce n'est pas prudent. Preuve que c'est vivant.

19/04/2010

Justice, Vérité, Liberté

Enchâssées dans la façade de l'Abbaye de Westminster, les deux statues ne peuvent échapper au regard. Côte à côte, la Vérité et la Justice. La première a la chevelure flamboyante, le regard droit, le geste souple mais ferme. Elle est LA Vérité.  La seconde est plus humble, regard baissé plutôt que justice aveugle, gestes davantage retenus, cheveux tombant plutôt que s'affichant en défi. La justice connaît ses limites. Elle sait qu'il existe une vérité judiciaire mais qu'elle n'est pas la vérité. La vérité judiciaire est contingente, elle voudrait parfois paraître telle sa belle voisine, mais elle doit s'en tenir à rapprocher les faits du droit et à qualifier au regard des lois qu'on lui fournit. Bien sur la tentation est parfois trop forte et l'oeuvre prétorienne trop nécessaire pour qu'il soit possible de lui résister. Mais tout ceci n'est qu'exception et le juge ne peut se départir, au quotidien, de son rôle de serviteur de la loi.

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Abbaye de Westminster - Truth and Justice

Mais la loi elle-même ne peut prétendre à LA Vérité et il arrive que le juge soit amené à la contester. Je n'imaginai pas prendre un risque particulier en photographiant l'Abbaye de Westminster. Le Terrorisme Act, article 44, permet pourtant à un policeman de considérer tout photographe comme un terroriste potentiel en mission de reconnaissance hostile. Des affiches invitent même les passants à dénoncer toute personne photographiant de manière suspecte. La Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH, 12 janvier 2010, Gillan et Quinton c/Royaume-Uni) a condamné la pratique du Stop and Search, surnom de la procédure d'interpellation de l'article 44. Le journaliste de la BBC Jeff Overs a pourtant été interpellé récemment alors qu'il photographiait la Cathédrale Saint-Paul.
Voilà comment la lutte contre le terrorisme justifie 4 200 000 caméras qui en Grande-Bretagne suivent vos déplacements ainsi que des lois liberticides. Au pays de l'Habeas Corpus, le plus grave est sans doute que cela ne soulève que peu de protestations et encore moins de révolte. Lorsque la capacité de révolte disparaît, lorsque la peur fait perdre de vue la liberté, alors comme disait Primo Levi, le premier pas est fait sur la longue route qui conduit au Läger.

15/04/2010

Liberté syndicale, liberté des salariés

Par une décision du 14 avril 2010 la Cour de cassation vient de donner tort à la CFTC et au Tribunal d'instance de Brest selon lesquels la loi du 20 août 2008 sur la représentativité syndicale était contraire au droit européen et aux conventions de l'OIT. Le tribunal de Brest avait considéré qu'en imposant aux organisations syndicales de désigner leurs délégués syndicaux uniquement parmi les salariés ayant recueilli 10 % des voix aux élections professionnelles, il était porté atteinte à la liberté syndicale. La CFTC arguait du surcroît que le fait de permettre aux syndicats catégoriels de mesurer leur représentativité uniquement dans le ou les collèges visés par leurs statuts rompait l'égalité entre organisations. La Cour de cassation ne répond pas directement sur ce point mais le principe qu'elle met en avant est suffisant : le droit des organisations syndicales n'est qu'un dérivé du droit des salariés à être représenté. Le salariat précède le syndicat et le justifie et non l'inverse. Contrairement à l'image d'épinal, et de Delacroix, la liberté ne guide pas le peuple, c'est parce qu'il y a peuple qu'il peut y avoir liberté.

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Delacroix - La liberté guidant le peuple

Logiquement, la Cour de cassation estime donc que le fait d'exiger que les représentants syndicaux procèdent pour partie de l'élection revient à créer un lien direct entre les salariés et leurs représentants. En d'autres termes, la démocratie prime sur la "désignocratie". Voici une manière de rappeler aux représentants syndicaux qu'ils représentent les salariés avant de représenter leur organisation. Comme l'on dit au rugby, un retour aux fondamentaux.

14/04/2010

Halte au bluff ! (Bis)

Dans ce monde de la complexité, il arrive que la simplicité ne soit pas crédible. Assumant le simplisme du béotien que je suis en matière économique, je procède à quelques calculs après avoir pris connaissance des opportunes alertes du Comité d'Orientation sur les Retraites (COR) qui nous alarme d'un déficit probable de plus de 100 milliards d'euros par an du régime des retraites à l'horizon de 2050. Sur 40 ans, le besoin moyen de financement est de 50 milliards par an, soit 2 000 milliards au total. Le chiffre est considérable, et on s'étonne juste qu'il ne nous ait pas été donné en francs ou centimes de francs pour paraître plus effrayant encore.

Peu familier des grands chiffres, j'ai cherché des points de comparaison : le PIB de la France est de 2 635 milliards d'euros en 2009. Avec revalorisation, il pourrait passer à 5 000 milliards en 2050. Soit une moyenne de 3 500 milliards pendant 40 ans et un total de 140 000 milliards d'euros. Le besoin de financement représenterait donc 1,5 % de la richesse produite sur 40 ans. Il suffirait donc de passer la TVA à 21 % ?

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Mang - Les retraités

Continuons les recherches. La masse salariale du secteur privé c'est 500 milliards d'euros par an, soit 20 000 milliards sur 40 ans sans revalorisation et 30 000 milliards avec revalorisation. Soit 6,66 % de cotisations en plus pour assurer le financement des retraites. Première question  : la masse salariale étant, par définition, inférieure à la valeur ajoutée, sur quoi vaut-il mieux prélever le financement des retraites ? deuxième question : 6,6 % sur la masse salariale est-ce vraiment insurmontable  ?

Derniers chiffres : les profits des seules entreprises du CAC 40 représentaient 50 milliards d'euros en 2009 et 98 milliards d'euros en 2008. En moyenne, ces résultats permettent à eux seuls une couverture totale du besoin de financement des retraites. Qui parlait d'une distribution des profits en trois tiers : 1/3 actionnaires, 1/3 salariés, 1/3 investissement ? Cette proportion s'établissait en 2008 à 75 % pour les actionnaires, 16 % pour les salariés et 9 % pour l'investissement.

Et l'on voudrait nous faire croire que la seule solution pour le financement des retraites c'est l'allongement de la durée du travail. Halte au bluff !

13/04/2010

Halte au bluff !

La prolifération de l'information s'accompagne du risque de la perte de qualité des messages transmis. Deux exemples en ce début de semaine. Sur France-Info une interview de Christina Gieser sur le DIF. Rappel du cadre légal qui nous présente un DIF très formel puis les infos chocs : l'employeur ne peut refuser le DIF que deux fois, la portabilité permet au salarié de transférer ses heures chez un ancien employeur, en cas de licenciement le droit est perdu s'il y a faute grave. Soit trois erreurs sur la nature du DIF, de la portabilité et de la loi du 24 novembre 2009.

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Alain Garrigues - Grain à moudre sur incohérences diverses - 2001

Dans un autre domaine, Isabelle Raoul-Duval, avocate, nous explique pourquoi la transaction est préférable à la rupture conventionnelle . Son article paru dans les Cahiers du DRH du mois d'avril 2010 nous fournit cinq raisons :  une plus grande sécurité juridique, l’exhaustivité, de la transaction, la discrétion, l’opposabilité immédiate, l’homologation judiciaire. Sur le premier argument, constatons simplement qu'il y a peu de contentieux sur les ruptures conventionnelles...et beaucoup sur les transactions qui veulent éviter le contentieux. Sur l'exhaustivité, l'argument est stupéfiant : l'imprimé CERFA de rupture conventionnelle ne laisserait pas la place de traiter toutes les questions. Notre avocate n'a pas imaginé que pourrait être établie une convention de rupture et que le CERFA n'était qu'un formulaire administratif aux fins d'homologation. Sur la discrétion, dans les deux cas il s'agit d'un contrat bilatéral sans publicité. Sur l'opposabilité immédiate et l'homologation judiciaire il suffit de faire une convention en respectant les délais et elle devient quasi-inattaquable. Mais là est peut être le problème : un formalisme simple et à la portée des parties, peu ou pas de contentieux, bref si la transaction est meilleure c'est sans nul doute pour les avocats. Pour les parties concernées, et non intéressées, on continuera à conseiller la rupture conventionnelle de préférence à la transaction.
Et plus que jamais, prenez la peine de vérifiez les informations, y compris celles qui vous sont livrées sur ce blog.


Ci-dessus l'interview sur le DIF diffusé par France-Info et le commentaire d'Alain Garrigues :
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Alain Garrigue - Divine Rigolade - 2009

12/04/2010

Une exposition de son temps

Jusqu'au 1er Août 2010, le Musée Jacquemart présente l'exposition "Du Greco à Dali", 50 toiles d'artistes espagnols issues de la collection Perez Simon. Avouons que la visite n'a pas produit le plaisir attendu, certains travers de l'époque étant par trop présents. En premier lieu, le choix éditorial des commissaires est d'une pure artificialité. Là où Perez Simon a rassemblé des oeuvres différentes, uniques, singulières, contradictoires parfois, les responsables de l'exposition ont souhaité, à travers une présentation thématique (la peinture sacrée, la peinture de l'enfance, la peinture érotique...) donner un sens qui en réalité n'en a guère. Comme tous les peintres les espagnols ont peint des motifs religieux, naturalistes, érotiques, des portraits, des scènes de genre, des représentations sociales, etc. Voilà qui ne nous renseigne ni sur les oeuvres ni sur leurs auteurs et encore moins sur l'Espagne dont rend pourtant compte la magnifique cordouane de Julio Romero de Torres.

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Julio Romero de Torres
La seconde source d'agacement se trouve dans l'insistance des agents du musée pour vous coller un audioguide à l'oreille. Argument suprême si vous déclinez : "Mais c'est gratuit...". Comme si le gratuit était nécessaire et ne pouvait vous encombrer. Comme si le désir de possession était tel que toute gratuité ne peut se refuser, comme pour les journaux "gratuits". Mais ce qui dans cette affaire est insupportable est qu'un musée s'efforce de vous empêcher de voir en vous forçant à écouter. La voix qui guide votre regard et votre esprit ne vous laisse en effet aucune liberté devant le tableau. Elle vous dit ce qu'il faut en penser. Elle vous remet devant le Musée TV avec à la fois l'image et le son. De ce fait, on ne s'étonne guère du nombre des Dali dans l'exposition, celui qu'André Breton surnommait Avida Dollars en un ravageur anagramme, car il figure totalement la peinture du spectaculaire qui ne recherche que l'effet et la superficialité du reflet. Guy Debord écrivait que dans le spectacle généralisé, le vrai devient un moment du faux. Chez Dali le faussaire on cherchera en vain le vrai qui éclate chez Picasso.
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Dali                                                   Picasso

On regrettera donc qu'en dépit de l'intitulé de l'exposition "Du Greco à Dali" nous soient proposés beaucoup de Dali et bien peu de Greco, si ce n'est une petite peinture du Christ pour laquelle on donnerait non seulement tout Dali mais également la mystique peinture par Murillo de l'immaculée conception qui renvoie les plaisirs de l'amour au pêché originel. La mystique véritable peut se passer de ces fariboles. Ici encore, la comparaison est éloquente.
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Le Greco                                                  Murillo


Si l'on veut véritablement s'intéresser aux femmes et à la poésie, préférons Miro également présent à Jacquemart.
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Miro - Femmes devant la lune - 1944

Résumons : du faux spectaculaire, du son pour brouiller l'image, une vaine recherche de cohérence thématique qui en affirmant sens et valeur nous en fait perdre le fil et nous égare. Voici donc une exposition bien de son temps. Ce qui n'exclut nullement les pépites.