27/03/2013
Arroseur arrosé
Licencié pour faute grave, pour cause de harcèlement de ses collaborateurs, un manager conteste son licenciement au motif qu'il était lui-même harcelé. La Cour de cassation reconnaît le double harcèlement et en tire une double conclusion : le licenciement du harceleur est justifié, les faits de harcèlement des collaborateurs étant établis, mais étant lui même harcelé il ne peut être considéré comme ayant commis une faute grave. Il bénéficiera donc d'une indemnité de licenciement et de préavis. Si le salarié se trouve protégé par la faute initiale de l'employeur, il n'en est pas moins mouillé par son comportement, ce qui arrive lorsque la vague est plus haute que la protection.
Cette version moderne de la première comédie cinématographique, le film l'arroseur arrosé de Louis Lumière, est malheureusement moins comique. Mais elle nous livre deux enseignements. La première est que l'entreprise qui envisage de reprocher une faute à un salarié doit toujours balayer devant sa porte et se demander si elle-même est au dessus de tout soupçon. La seconde est qu'un salarié, même subordonné, demeure responsable de ses actes, surtout lorsqu'ils constituent des délits, le harcèlement faisant l'objet de sanctions pénales. Les juges évitent ainsi de justifier le harcèlement en cascade tout en démontrant qu'il n'est pas impossible d'être à la fois coupable et victime.
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16/08/2012
Le bar est ouvert !
Il faut bien avouer que fixer la date de réouverture un 16 août laisse percer l'intention de reprise en douceur. Mais quelques vieux souvenirs sportifs me rappellent que c'est moins l'effort qui est difficile que les changements de rythmes brutaux. Et la journée du 15 août est sans aucun doute la plus lente de l'année parisienne, celle où les canards et les bateaux sur l'eau vont plus vite que les humains.
Aussi, en cette journée de transition, est adopté le principe de ne pas revenir trop vite au commentaire de l'actualité. Il sera donc juste indiqué que la seule loi votée à l'unanimité dans le courant de l'été est celle portant sur la pénalisation du harcèlement sexuel. Loi demandée par les associations et les victimes et donc sans doute nécessaire. Toutefois, on peut se demander si la voie civile, à la fois plus rapide et plus simple, n'aurait pas été préférable et si ce n'est pas rendre un mauvais service aux plaignants que de s'engager dans une procédure accusatoire toujours périlleuse alors que le civil permet une administration plus simple de la preuve. Même si l'on oublie pas la dimension symbolique de la sanction pénale, il n'est pas certain qu'une société ait le bon réflexe en pénalisant systématiquement tous les comportements fautifs en oubliant les autres voies de réparation.
Et me voilà presque au rythme des canards et des bateaux.
11:17 Publié dans DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : harcèlement, harcèlement sexuel, droit du travail, été, vacances, travail, bateaux, canards, jardins, droit
27/06/2012
Vision globale
Les juges de la Cour d'appel avaient pourtant pris soin d'argumenter sur chacun des documents fournis par la salariée et sur chacune des contestations des décisions prises par l'employeur. Un travail analytique méthodique, pas à pas, de fourmi besogneuse et consciencieuse. Et cette analyse rigoureuse les a conduit à considérer qu'aucun des éléments fournis par la salariée ne permettait de caractériser un harcèlement moral. Déboutée donc. A tort selon la Cour de cassation qui invalide la méthode et le jugement. Un harcèlement global ne doit pas s'apprécier en évaluant la valeur probante de chaque pièce fournie par le demandeur mais par une analyse globale prenant en compte de manière simultanée l'ensemble des éléments produits. Exit l'approche analytique, vive l'art de la synthèse. Foin des loupes pour la vision rapprochée détaillée, vive la vision panoramique.
La Cour de Cassation, dans sa décision du 6 juin 2012 énonce que les juges doivent considérer si l'ensemble des pièces fournies par un salarié, pris dans leur globalité, ne font pas présumer un harcèlement, en conséquence de quoi l'employeur doit prouver la légitimité des décisions qu'il a prises et que son comportement est étranger à tout harcèlement. C'est donc l'employeur qui doit s'expliquer pas à pas et non le salarié.
Ce n'est pas la première fois que la Cour suprême considère que la charge de la preuve pèse sur les deux parties mais pas de manière idtentique. Au salarié de fournir suffisamment d'éléments pour que l'on puisse présumer un comportement fautif et à l'employeur de s'expliquer sur ce comportement.
Ce rappel n'aurait pas du être nécessaire pour les juges du fond qui auraient pu se souvenir que l'opération juridique de base, la qualification des faits, suppose d'avoir une approche globale d'une situation pour déterminer s'il est possible ou non de la faire entrer dans une des catégories prévues par le droit. Que la méthode juridique constitue une sorte de mise en boîte de la réalité et que cette opération se réalise par une vision globale est un des charmes de la matière, pour qui a le goût des paradoxes.
00:58 Publié dans DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : harcèlement, droit, droit du travail, méthode, jurisprudence, venise, panoramique, photo, vision
23/05/2012
Il n'y a pas de silence de la loi
Avec la décision inattendue, sauf peut être par ceux qui l'avaient demandé, du Conseil Constitutionnel d'abroger l'article du Code Pénal consacré au harcèlement sexuel, on a vu refleurir à foison les commentaires scandant qu'il y avait dorénavant un vide juridique, gouffre sans fond dans lequel seraient plongées les victimes de harcèlement. Répétons-le donc encore une fois : s'il y a une loi du silence, notamment en affaire de harcèlement, il n'y a jamais de silence de la loi. Autrement dit, toute situation ou tout comportement peut recevoir une qualification juridique. Si les vieillards chuchotent leur abject chantage à l'oreille de Suzanne dont ils convoitent le corps (puisqu'en ces matières mieux vaut éviter les périphrases et l'on suggèrera au législateur futur d'en terminer avec le terme "faveurs" s'il redéfinit le harcèlement) et s'ils assortissent leur parole d'une demande de silence à celle qu'ils veulent contraindre, constatons que la loi n'a jamais été silencieuse : elle a d'abord condamné Suzanne puis, une fois les faux témoignages d'adultère établis par l'intervention du prophète Daniel, reconnu son innocence. Mais jamais de vide il n'y eut et il n'y aura.
Artemisia Gentileschi - Suzanne et les vieillards
Notons tout d'abord que la décision du Conseil Constitutionnel ne concerne que le Code pénal et que les dispositions des articles L. 1153-1 et suivants du Code du travail demeurent applicables. Pas d'impact de fait pour les comportements au sein des entreprises privées. Par ailleurs, le droit pénal lui-même recèle d'autres qualifications à commencer par le harcèlement moral, dont les éléments seront parfois réunis, mais aussi l'aggression sexuelle ou la tentative, l'abus de faiblesse ou dans le secteur public l'abus de pouvoir. Bref, si le retrait du harcèlement sexuel du code pénal met en cause les actions intentées sur cette base, par contre il ne délivre pas, comme on a pu l'entendre ou le lire, un permis de harceler et ne créé pas un vide juridique comme le titrait hier encore Libération qui n'hésitait pas à reprendre à plusieurs reprises une formule manifestement destinée à marquer les esprits, au prix de l'approximation pour ne pas dire de l'erreur. La journaliste sera condamnée à se rendre avant le 14 juillet au Musée Maillol pour voir l'expositions Artemisia et réviser ainsi ses classiques.
12:37 Publié dans DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : harcèlement, harcèlement sexuel, artemisia, libération, libé, vide juridique, code pénal, travail
13/12/2010
Le harcèlement ne fait pas de fumée
Les clients s'en grillent une petite, puis une autre. Le patron laisse faire : l'ambiance et le confort de la clientèle n'ont pas de prix, pas même celui de la santé des salariés. Un barman s'en émeut et quitte l'entreprise avant de saisir le Conseil des prud'hommes, demandant la requalification de sa démission en rupture aux torts de l'employeur pour l'avoir exposé au risque de tabagisme passif. L'employeur se défend : un peu de fumée ne peut faire de mal, l'atteinte à la santé est inexistante et d'ailleurs les analyses fournies par le salarié ne montrent qu'un faible taux de nicotine dans le sang. Tout cela n'est donc que prétexte de la part d'un barman indélicat qui saisit grossièrement une occasion de taper juridiquement dans la caisse en partant. Le raisonnement du juge est souvent tortueux à l'instar des volutes de fumées : pour la Cour d'appel, en l'absence d'impact constaté sur la santé du salarié, le hold-up judiciaire n'aura pas lieu. Erreur affirme la Cour de cassation. La seule exposition au risque constitue une faute suffisante pour que le salarié rompe son contrat de travail et demande des dommages et intérêts, qu'il aura d'ailleurs la liberté de convertir en cartouches de cigarettes. Bashung l'avait prédit : vos luttes partent en fumée !
La rigueur de la Cour suprême n'est que la conséquence de l'obligation de sécurité de résultat, inlassablement affirmée et développée depuis 2002 et les arrêts fondateurs concernant l'amiante. La force de cette jurisprudence donne quelques idées à ses plus fins connaisseurs. Un avocat quitte un cabinet dans lequel un responsable harcèle un de ses collègues. Ce climat de harcèlement l'expose à un risque qui le conduit à démissionner et à réclamer indemnisation du préjudice subi. Après le tabagisme passif, voici donc présenté au juge le harcèlement passif, ou l'altération de la santé par l'exposition aux fumées d'un harcèlement non directement subi. La Cour de cassation fait la leçon de droit à l'avocat : si peut être reconnue dans l'entreprise une organisation du travail harcelante, cela ne signifie pas pour autant que tous les salariés s'en trouvent harcelés par principe. Il est nécessaire d'établir un harcèlement directement subi (Cass. soc., 20 octobre 2010).
Ainsi partirent en fumée les prétentions de l'avocat qui ne put même pas, pour soulager son dépit, s'en griller une au café du coin.
00:05 Publié dans DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : tabagisme, harcèlement, droit du travail, prise d'acte, rupture du contrat, démission, santé
29/09/2010
Vérité multiple
Le Conseil d'Etat a apporté sa pierre, le 23 juillet 2010, à la construction jurisprudentielle relative au harcèlement moral. Si la juridiction administrative a eu à se prononcer, c'est en raison de la qualité de membre du comité d'établissement de l'assistante sociale dont le licenciement était demandé pour des faits de harcèlement à l'encontre d'assistantes maternelles placées sous son autorité. Ce licenciement a été autorisé par le tribunal administratif mais censuré par la Cour administrative d'appel sur la base d'attestations nombreuses faisant état des qualités professionnelles de l'intéressée et de son souci constant de l'intérêt des enfants. Le Conseil d'Etat censure cette décision : on peut être un excellent professionnel et commettre par ailleurs des faits de harcèlement moral. En l'occurence, la question de la compétence de la salariée n'avait pas de rapport direct avec la question posée, à savoir s'il existait ou non des faits de harcèlement.
Ben Vautier - La vérité est multiple
Dans le Quatuor d'Alexandrie, Lawrence Durrell raconte une même histoire vue par 3 personnages différents qui nous permettent non pas de dire de manière un peu simpliste à chacun sa vérité, mais plutôt qu'il n'est pas contradictoire que la vérité puisse recevoir plusieurs visages. Ainsi, être un excellent professionnel ayant le souci de son activité et de sa finalité n'est pas une garantie absolue s'agissant des pratiques manageriales. On savait que l'individu n'était pas monovalent, on sait gré au juge de le rappeler à l'occasion.
26/04/2010
Le temps ne passe qu'une fois
Une amie enseignante me donna un jour cette étranger définition de l'histoire : "L'histoire c'est quand on ne peut plus rien changer". On peut toujours tenter de réécrire l'histoire, mais rien ne fera que ce qui a été n'ait pas été. On connait la formule épicurienne sur les tombes latines : F NF NS NC. Fui. Non fui. Non sumo. Non curo. Je n'ai pas été. J'ai été. Je ne suis plus. Je n'en ai cure. Un jour sans doute le rocher Percé à force d'effritements aura disparu. Rien ne pourra faire qu'il n'ait pas été.
00:36 Publié dans DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : harcèlement, prise d'acte, rupture, démission, sécurité, obligation de résultat, employeur, percé, lebreux
30/03/2010
De l'individu dans son environnement
Le débat entre nature et culture n'est jamais clos, ni entre essentialisme et constructivisme, ni entre responsabilité individuelle et responsabilité collective, ou en d'autres termes, l'individu ou le système. La pensée, et les actes, classés politiquement à droite pointent plutôt l'individu seul responsable et tiennent l'environnement pour une excuse facile. La pensée, et les actes, classés politiquement à gauche mettent plus volontiers en avant un individu innocent dans une société coupable et s'interrogent sur la responsabilité individuelle au sein de déterminismes sociaux. Ces classiques débats ont été repris par les organisations syndicales et patronales sur le harcèlement et la violence au travail. Affaires d'individus ou de pratiques manageriales et de culture d'entreprise ? Quelques êtres pervers ou des organisations malsaines ? seule certitude : des salariés en souffrance un peu partout.
Le lapsus du jour de la responsable de projets : "Il faut que j'en parle à mon écrispe...". Est-ce mon interlocutrice, son équipe ou les deux qui sont crispées ?
00:46 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : harcèlement, violence, ani, travail, ressources humaines, politique, société, individu
27/01/2010
Psycho ou Socio
La photo pourrrait représenter deux amis qui goûtent au premier soleil du printemps et devisent de peu de mots, appréciant le temps, l'instant, les arbres, la beauté du moment et du lieu. Nous sommes à Rodez en 1946 et Antonin Artaud va quitter le lendemain l'hôpital psychiatrique dans lequel il a subi 58 séances d'électrochocs, qui ont tant secoué son corps qu'une séance lui brisa une vertèbre. Ces électrochocs lui ont été administrés par le Docteur Ferdières, assis à côté de lui, presque amical, un peu triste peut être de la séparation.
01:39 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : artaud, harcèlement, violence, travail, négociation
11/03/2009
La justice aux yeux bandés
La représentation allégorique de la justice est celle d’une femme aux yeux bandés tenant dans sa main droite un glaive et dans sa main gauche une balance. Nous en conclurons que le juge est une femme, ce qui est sociologiquement vrai aujourd’hui en France, qui tranche les litiges après avoir respecté le principe du contradictoire et qui n’est pas aveugle mais s’interdit en voilant sa vue de tenir compte de l’identité des parties pour s’en tenir aux faits qui lui sont rapportés. Que tu sois faible ou puissant, la femme aux yeux bandés ne te juge pas toi, elle juge tes actes…et par définition elle a toujours raison lorsqu’elle se prononce en dernier ressort. Tous ces principes sont illustrés dans une décision récente de la Cour de cassation en matière de harcèlement moral.
Dans cette affaire, était en cause le licenciement d’un DRH ayant un comportement violent dans le cadre de ses fonctions : hurlements pour parler à ses collaborateurs, propos déplacés ou peu respectueux (« vous vous êtes fait faire une liposuccion ? »), management par la terreur, etc. Pour la Cour d’appel, ces faits constituent un « contexte de très grande exigence professionnelle avec un chef à la personnalité rude », pour la Cour de cassation, il s’agit de harcèlement moral justifiant un licenciement pour faute grave dès lors que les faits sont établis (Cass. Soc., 10 février 2009). Même faits, qualification différente. La Cour de cassation avait annoncé il y a quelques mois qu’elle exercerait désormais un contrôle sur la qualification donnée aux faits pouvant être constitutifs de harcèlement (Cass. Soc., 24 septembre 2008). C’est désormais chose faite, ce qui permet d’apprécier que deux juges peuvent porter un regard différent sur une même affaire en toute légalité. L’histoire ne dit pas si la présidente de la Cour de cassation, dans sa formation qui a rendu l’arrêt du 10 février dernier, avait les yeux bandés.
09:48 Publié dans DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : justice, cour de cassation, harcèlement, drh, jurisprudence
28/05/2008
Les trois piliers du harcèlement
Trois éléments sont donc nécessaires pour que le harcèlement moral soit constitué : des agissements répétés (mise au placard, retrait de missions, etc.), une dégradation des conditions de travail (qui résulte de "l'effacement professionnel" organisé par l'auteur des faits) et un impact sur les droits, la dignité, la santé ou l'avenir professionnel (ici un constat d'une dégradation de l'état de santé).
Il convient de rappeler ces trois éléments afin que toute situation de conflit ou de difficulté ou simplement d'exercice de la fonction manageriale ne soit pas trop rapidement assimilée à du harcèlement, ce qui permettra d'autant mieux de sanctionner les situations qui correspondent parfaitement à la définition légale.
06:28 Publié dans DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : harcèlement, droit, placard