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29/06/2010

Village gaulois

L'article 1er de la loi du 27 décembre 1968 l'affirme sans ambage : "L'exercice du droit syndical est reconnu dans toutes les entreprises dans le respect des droits et libertés garantis par la Constitution de la République, en particulier de la liberté individuelle du travail". Pour tous ceux qui ont baigné dans les aventures d'Astérix, la formule ne peut que susciter l'interrogation : "Toute la Gaule est occupée...", "Toute ? non car un petit village Gaulois résiste encore et toujours à l'envahisseur". Le remake des Gaulois et César se rejouera à partir du 7 juillet à l'Assemblée nationale lors de l'examen de la loi relative au dialogue social dans les TPE. Le naturel, que l'on croyait disparu, est bien vite revenu : politiciens et représentants patronaux (pas tous heureusement) ont fait entendre leurs voix pour dire leur désaccord avec l'idée de faire entrer les syndicats dans les petites entreprises. Jean-François Copé l'a clairement affirmé : pour la première fois il ne votera pas un texte du Gouvernement. Le Village doit rester Gaulois et l'envahisseur syndical aux portes de l'entreprise.

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La négociation à l'époque du Village Gaulois
Deux générations n'y auront donc pas suffi. Syndicat est toujours synonyme d'ennemi et dialogue social de conflit. L'inévitable crispation qui résulte de l'absence de dialogue ne pourra d'ailleurs que renforcer et justifier cette approche conflictuelle. Mais, nous dit-on, il faut laisser les patrons de PME et leurs salariés vivrent tranquillement leurs relations cordiales qui ne pourront être que perturbées par les trublions syndicaux. Voilà un argument de poids. Laissons donc le Village Gaulois vivre sa vie et les bienheureux penser que tout finit toujours par un banquet.
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23/04/2010

Ni fait, ni à faire

Le moniteur de la colonie de vacances avait de bonnes intentions. Il m'avait fait découper des frites dans une grosse pomme de terre, puis il m'encourageait à tremper le bout de chaque frite dans une couleur et à peindre avec ces cubiques pinceaux alimentaires. Pour qui a grandit dans un restaurant, double hérésie : peindre avec des aliments et ne pas avoir le bon outil pour l'activité. Des pinceaux : je voulais des pinceaux. Ma demande suscita le doute chez le moniteur et ouvrit entre lui et moi un abîme d'incompréhension qui jamais ne se referma. Fallait-il être conventionnel, et carrément d'un autre temps pour demander des pinceaux pensait-il, fallait-il être abruti pour proposer de peindre avec des patates, m'indignais-je. Evidemment, il aurait pu me montrer ce que Matisse réalisait avec le pointillisme. Matisse est un excellent peintre pour éduquer les enfants. Mais peut être aurais-je trouvé que le pointillisme de Matisse ce n'était ni fait ni à faire.

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Matisse - Luxe, calme et volupté - 1904

Ce qui n'est ni fait, ni à faire, c'est le projet de loi du Gouvernement, présenté par Eric Woerth, sur le dialogue social dans les TPE. Ce texte, qui devait permettre l'exercice d'une représentation effective du personnel dans les entreprises de moins de 11 salariés, propose aux branches professionnelles de créer, si elles le souhaitent, des commissions paritaires de dialogue social au niveau régional, qui n'auront pas le pouvoir de conclure des accords collectifs mais seulement de veiller à l'application des accords et de favoriser le dialogue social (mais lequel ?) dans les TPE. A ce rythme, les salariés auront un véritable droit à une représentation collective au siècle prochain. Pourtant, les organisations patronales s'émeuvent. Dans des formules quasi-similaires la CGPME déclare que "les syndicats sont aujourd'hui absents des entreprises car ni les employeurs ni les salariés n'en éprouvent le besoin" et le MEDEF que "ni les dirigeants ni leurs salariés ne souhaitent la mise en place de nouvelles instances de dialogue social". Et l'on découvre un peu étonné que ce sont les organisations patronales qui expriment ce que souhaitent les salariés, alors que leurs représentants se sont prononcés majoritairement, dans le cadre d'un accord avec l'UPA, en sens inverse. Syndicats d'ailleurs mécontents du projet gouvernemental en ce que les commissions de dialogue social sont facultatives et qu'elles n'ont aucun pouvoir de négociation. A l'heure ou les enjeux d'aménagement du territoire, d'emploi au plan local, de mise en réseau des activités économiques, de constitution de pôles d'activités locaux sont cruciaux, lutter ainsi pied à pied contre la possibilité de construire du dialogue social au plan territorial est sinon irresponsable du moins assez éloigné de l'intérêt général. Mais celui qui exprime cet avis ne représentant ni les employeurs, ni les salariés et n'étant autorisé à parler au nom de personne, peut être a-t-il commis une chronique qui n'est ni faite, ni à faire. Vite, des patates et de la peinture !

10/07/2009

Une fausse bonne idée

Toutes les idées ne sont pas bonnes et il faut parfois y réfléchir à deux fois, surtout quand l'évidence semble s'imposer. Moins les questions se posent d'elles mêmes et plus il est nécessaire de les poser. Dans le cadre du projet de loi sur l'orientation et la formation professionnelle, il semble communément admis que les TPE et PME n'ont ni compétences ni pratiques en matière de formation et que leur seule ressource financière pour faire de la formation est l'obligation légale. Sur la base de ces deux constats erronés, le Gouvernement propose, alors que les partenaires sociaux ne le souhaitent pas, que toutes les entreprises de moins de cinquante salariés versent l'intégralité de leur obligation fiscale de financement de la formation à un OPCA. Fixer un nouveau seuil en matière de formation professionnelle n'est pas non plus une bonne idée, après la différenciation des obligations pour les entreprises de moins de 10 et de 20 salariés voici une différenciation pour les entreprises de moins de 50 salariés.

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La définition de seuils a souvent plus d'effets pervers que d'effets bénéfiques. Cela devrait se vérifier une fois encore si la loi est votée en l'état. En réalité, il est bien souvent préférable de travailler à ce que le droit commun soit suffisamment pertinent pour englober toutes les situations, que de créer des droits particuliers et segmentés qui rendent les textes illisibles et créent des inégalités souvent arbitraires. En ce début de période de vacances, on préfèrera la lecture du "Seuil du jardin" d'André Hardellet, à celle du projet de loi. Peut être la magie du livre d'Hardellet ira-t-elle jusqu'à redonner un peu de raison aux députés. Il faut en rêver pour que cela survienne.

En pièce jointe, la chronique réalisée avec Jean-Marie Luttringer pour l'AEF sur cette fausse bonne idée.

Mutualisation obligatoire une fausse bonne idée.pdf

08/07/2009

Un geste intelligent

Le sénateur Carle vient d'être nommé rapporteur du groupe de travail intercommissions du Sénat qui va examiner le projet de loi sur l'orientation et la formation professionnelle. Le sénateur Carle est un homme de bonne volonté. Il connait le domaine puisqu'il a présidé la commission sénatoriale qui a rendu l'an dernier un rapport sur la formation professionnelle continue. Il plaide pour  une réforme globale de la formation professionnelle, initiale et continue pour éviter d'avoir des dizaines de milliers de jeunes qui quittent le système éducatif sans qualification ou l'enseignement supérieur sans diplôme. Bravo. Le sénateur Carle souhaite rénover l'orientation professionnelle et revaloriser "l'intelligence du geste". Cette déclaration suscite immédiatement une envie : offrir au sénateur Carle ce tableau de Roland Penrose, pour la beauté du geste :

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Roland Penrose - Cri sur les toits - 1939

Ce tableau a été réalisé par Roland Penrose pour la Royal Academy. Cette institution avait refusé une de ses oeuvres, car elle contenait des mots inconvenants. Penrose proposa cette gestuelle de mains qui fut acceptée. A y regarder de plus près, les membres de la Royal Academy auraient découvert qu'en langage des signes les mains disent "Shit". C'est ce geste que l'on a effectivement envie d'offrir au sénateur Carle. Déjà Raffarin avait parlé de l'intelligence de la main. Aujourd'hui on nous ressert l'intelligence du geste. Ces expressions traduisent un double mépris, qui va à l'encontre de ce que leurs auteurs, à qui nous faisons crédit et c'est bien là qu'est le problème, souhaitent promouvoir. Parler de l'intelligence du geste c'est considérer qu'elle ne peut être située ailleurs et que les métiers dits "manuels" se résument à des habiletés dépourvues de réflexion. L'intelligent du geste n'est donc pas un intelligent de l'esprit. Mépris des individus. Et c'est également considérer que certains métiers ne sont que des techniques applicatives qui relèvent du seul savoir-faire expérientiel et habituel. Mépris des métiers. En réalité, répétons le, les métiers manuels n'existent pas, à l'exception de celui de l'auteur de ce blog qui risque la tendinite à s'acharner à taper sur son clavier de manière répétitive pour faire la peau à des inepties qui ont la vie dure et dont on continue à considérer que cela relève du bon sens alors que cela n'a tout simplement pas de sens.

28/05/2009

Le silence des lois

Le Parlement vient d'annoncer que le projet de loi sur l'orientation et la formation professionnelle tout au long de la vie ne serait pas examiné au mois de juin comme prévu mais au mieux en juillet et sans doute fin septembre. La loi annoncée pour le début d'année 2009 est donc bien partie pour n'être adoptée qu'en fin d'année. La faute à l'encombrement du calendrier parlementaire nous dit-on. Il est vrai qu'à faire une loi après chaque fait divers, on génère chez les députés un épuisement professionnel qui le dispute à l'insatisfaction du travail bâclé. Nietzsche remarquait déjà que la quantité d'informations que l'on demande à l'étudiant d'ingurgiter ne lui laisse guère le temps de penser.

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Toyen - A l'instant du silence des lois - 1969

Et nous reviennent les écrits du Marquis de Sade, dans l'Histoire de Juliette : "Que l'on compare les siècles d'anarchie avec ceux où les lois ont été le plus en vigueur, dans tel gouvernement que l'on voudra : on se convaincra facilement que ce n'est que dans cet instant du silence des lois, qu'ont éclaté les grandes actions".  Moins de lois, moins longues, donc plus travaillées car la synthèse est un art, moins de bavardages, du silence, de la pensée et de l'action. D'ici là, la réforme attendra.

14/05/2009

L'AFPA à la pêche

Le législateur a parfois, mais si, de l'humour. Environ une fois par an. Après le choix du premier mai 2008 pour l'entrée en vigueur du nouveau code du travail, le projet de loi sur la formation professionnelle qui vient d'être présenté au Parlement retient la date du 1er avril 2010 pour le transfert des personnels de l'AFPA chargés de l'orientation professionnelle au sein de Pole Emploi. Nul doute que les salariés concernés, totalement opposés à la mesure et qui voient dans les premiers mois de fonctionnement de Pole Emploi des raisons supplémentaires de justifier leurs réticences, apprécieront à sa juste mesure le poisson annoncé.

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André Masson - Bataille de poissons - 1926

Que le choix de Pole Emploi soit pertinent est discutable. Que l'orientation professionnelle sorte de l'AFPA l'est beaucoup moins, notamment si l'on veut véritablement mettre à la disposition de toute personne un véritable service d'intérêt général en matière d'orientation professionnelle. La France en ce domaine, souffre d'un déficit chronique. L'orientation s'y trouve segmentée (orientation scolaire, orientation des demandeurs d'emploi, orientation des jeunes, orientation des candidats à une formation...) et trop souvent assurée par une institution qui est juge et partie. L'existence d'un véritable service d'orientation professionnelle suppose des organismes qui soient indépendants de l'offre de formation et de l'offre d'emploi. Mais surtout qui soient en capacité de proposer une véritable information sur les métiers, les filières de formation, les certifications, les conditions d'emploi et de recrutement et qui prennent en compte la réalité des situations personnelles. La fonction de Pole Emploi n'est pas exactement celle-ci et l'on mesure sans peine les contradictions entre la gestion de l'offre raisonnable d'emploi et la mise à disposition d'une véritable prestation d'orientation professionnelle. Plutôt que d'humour potache, c'est peut être de pertinence et d'innovation dont il serait bienvenu que le législateur fasse preuve.

06/05/2009

Proust au Parlement !

Une bande cagoulée et armée pénètre dans un collège : on fera une loi contre la cagoule, les bandes armées et les participants non armés aux bandes armées. Des étudiants bloquent des universités : on fera une loi contre le blocage des universités par les étudiants. Ainsi va la production Parlementaire dans notre pays : à chaque évènement sa loi, signe de l'étroitesse des temps. Pour redonner du coeur à l'ouvrage à nos députés, un petit détour par Proust : "Pourtant les plus vieux auraient pu se dire qu'au cours de leur vie ils avaient vu, au fur et à mesure que les années les en éloignaient, la distance infranchissable entre ce qu'ils jugeaient un chef d'oeuvre d'Ingres et ce qu'ils croyaient devoir rester à jamais une horreur (par exemple l'Olympia de Manet) diminuer jusqu'à ce que les deux toiles eussent l'air jumelles.

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Ingres - La Grande Odalisque - 1814
Mais on ne profite d'aucune leçon parce qu'on ne sait pas descendre jusqu'au général et qu'on se figure toujours se trouver en présence d'une expérience qui n'a pas de précédents dans le passé". Proust, Du côté de Guermantes.
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Manet - Olympia - 1863
La formule peut étonner : descendre jusqu'au général. Notre enseignement sait descendre du général au particulier et nos députés de la loi générale au cas particulier. Mais descendre du particulier jusqu'au général, partir de la situation pour en déduire le concept, voilà qui est moins naturel. Observer puis réfléchir n'est pourtant pas une méthode compliquée, c'est ce que fit Proust pour écrire A la recherche du temps perdu. Et avoir l'humilité de penser que le cas particulier a déjà existé, sous d'autres formes peut être, mais sans aucun doute, ce n'est pas seulement expérimenter l'éternel retour de Nietzsche, c'est constater que la connaissance historique est nécessaire pour donner du sens à l'expérience. Remise en perspective et conceptualisation : nous sommes bien plus près que l'on peut le penser des bandes cagoulées et des blocages d'université. Vite, Proust au Parlement !

20/03/2009

Bulle papale et démocratie

Dans une théocratie, la bulle papale, relai direct de sa parole et de la parole divine, tient lieu de loi. De la puissance politique à l'acte juridique, il n'y a donc qu'un pas, ou plutôt qu'une main couchant par écrit la pensée souveraine d'un seul. Dans une démocratie, l'élaboration de la règle relève d'un processus plus complexe qui caractérise l'Etat de droit. Lorsque celui-ci s'appuie à la fois sur une démocratie sociale, qui organise une régulation sociale par des acteurs privés, et une démocratie politique, qui organise une réglementation produite par des acteurs publics, il peut en résulter des délais de mise en oeuvre et des compromis sur le fond, parce que l'élaboration de la règle est collective, dont d'aucuns pourraient penser qu'ils sont gage de lenteur et d'inefficacité et donc source de tous les conservatismes.

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Francis Bacon - Portrait du Pape Innocent X - 1953

Tel est pourtant le prix à payer pour l'Etat de droit. A l'occasion de la prochaine publication du projet de loi élaboré dans le cadre de la réforme de la formation professionnelle et de l'ANI du 7 janvier 2009, la chronique réalisée avec Jean-Marie Luttringer pour l'AEF, rappelle que la transposition d'un accord collectif, unanime qui plus est, ne peut se faire à n'importe quelle condition et que la croyance selon laquelle la loi n'est que l'outil de la volonté du gouvernant est au mieux une mystique au pire une négation de l'Etat de droit. Le livre III des Essais de Montaigne, rédigé entre 1580 et 1588, dénonçait déjà la fascination des Français pour la loi en ces termes : « Nous avons en France plus de lois que le reste du monde ensemble, et plus qu’il n’en faudrait à régler tous les mondes d’Epicure... Les plus désirables, ce sont les plus rares, simples et générales ». Puisse le législateur conserver le sens de l'histoire et du droit, piliers de notre démocratie.