24/01/2016
E comme...EMPATHIE
Ça ne fait jamais plaisir d'apprendre que les gens qui sont d'accord
avec vous sont complètement siphonnés (Philip K. Dick)
Dans les romans de Philip K. Dick, le blade runner distingue les humains des androïdes par leur capacité d'empathie. La capacité à comprendre les émotions ou états mentaux d'autrui, sans pour autant les partager, serait donc un des propres de l'homme. Rien d'étonnant, si l'on se souvient que le terme d'empathie a initialement été utilisé en esthétique pour définir la relation que l'on entretient avec une oeuvre d'art, pour accéder à son sens.
Pour ma part, j'ai toujours considéré, qu'en peinture comme en littérature, il était impossible d'accéder à la volonté de l'auteur, à supposer d'ailleurs que lui-même ait conscience d'une telle volonté. Achim d’Arnim posait la question de manière directe : « Ce que nous créons est-ce à nous ? ». Qui peut traduire sans trahir l’œuvre en son dernier état ? Jugez pourtant des efforts d'empathie pour apprécier cette peinture de Gerhardt Richter, lors de son exposition à Beaubourg.
Pas besoin d'audioguide
L'empathie a quitté le monde de l'art pour intégrer celui du commerce et du management. Pas un référentiel de compétences de vendeur ou de manager dans lequel ne figure le fameux "Etre empathique", juste après l’encore plus récurrent « Avoir du charisme ». Mais ici, comprendre les émotions ou comportements d'autrui ne vise qu'à mieux identifier les leviers de manipulation management. Si j’en crois mes éminents collègues qui agissent dans le champ du management, la différence entre celui-ci et la manipulation ne tiendrait d’ailleurs pas aux techniques, souvent comparables, mais au système de valeurs de celui qui les utilise.
Ce qui nous permet de vérifier une fois de plus que ce n’est guère la compétence qui donne du sens à l’action, mais l'usage que l'on en fait.
23:38 Publié dans DICTIONNAIRE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tableau, peinture, dictionnaire, livre, photo, formation, éducation, art, compétence, travail
23/11/2013
Des failles
C’est une peinture qui vous parle du 21ème siècle. Pas une peinture contemporaine, une peinture qui vous raconte l’histoire de son époque à travers l’histoire. Sur fond de couleurs fadasses, d’éclairage aux néons sans goût, de lignes aussi diffuses que les flous idéologiques du temps, se déroule une scène de série télé. Parce que sur l’écran rectangulaire de la toile télévisée, la banalité du sordide au quotidien ne nous est pas simplement montrée, elle est mise sous nos yeux sans recul, sans pensée, sans émotion mais avec la ferme intention de l’effroi. Froid comme les couleurs, froid comme l’inanité du commentaire, froid comme l’absurdité de la vie tragique. C’est ce flot d’images sans intérêt du début du siècle qui vient se cristalliser sous la lumière blafarde du tableau.
Marie Rauzy - Il ne faut pas faire la guerre - 2013
Qui n’en peut plus et s’ouvre en son milieu. De cette faille de l’espace et du temps surgit le minotaure. Enfant des jeux de l’amour et du pouvoir, tragique et dérisoire, il se pare des atours publicitaires pour se fondre dans le décor. Mais son œil le trahit. C’est l’œil de l’âne du Gilles de Watteau. C’est l’œil des soldats qui sont revenus des tranchées du siècle dernier. C’est l’œil des millions d’animaux qui entrent dans les abattoirs. C’est l’œil de la conscience qui ne peut plus parler, suffoquée. C’est l’œil d’épouvante du Minotaure qui comprend que même au sein du labyrinthe, les hommes ne le laisseront pas en paix. C’est pourquoi, au-dessus de cet œil sont plantées les ailes des chauves-souris baudelairiennes qui, comme l’Espérance, s’en vont battre contre les murs humides du cachot dans lequel nous enferme le siècle, 21ème du nom. Il y a longtemps que la vie s’est réfugiée dans les failles, c’est là que la peinture vous donne rendez-vous.
23:27 Publié dans CHRONIQUE DE WEEK-END, TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : marie, rauzy, peinture, tableau, minotaure, guerre, télévision, image
04/04/2013
Laissez vous haler
Les tableaux de Max Ernst sont souvent sujets à interprétations multiples, quoi de plus naturel pour un homme qui l'était naturellement. C'est peut être pour cela que les organisateurs ont choisi de faire figurer cette toile sur l'affiche de l'exposition qui lui est consacrée à Vienne.
Max Ernst - Au premier mot limpide - 1923
Au départ cette peinture était une fresque dans la maison d'Eaubonne que Ernst partageait avec Eluard et sa femme Gala, dont il était l'amant. Faut-il voir dans la main féminine qui guide la mante religieuse la cause de la turgescence des grands artichauts qui se montrent au dessus du mur ? une simple illustration du triolisme et de son fragile équilibre ? ou une oeuvre à l'érotisme plus mystérieux, elle figurait sur le mur de la chambre à coucher d'Eluard et de Gala, dont la clé est dans les secrets du trio ?
Une fois encore, le hasard nécessaire fournit sa réponse : la pluie tisse les fils qui feront danser ces doigts qui sont en réalité des jambes. Celui qui tient le fil, n'est peut-être pas celle que l'on croit. Comme toujours, il faut aller voir derrière les apparences. Allez, faites comme Max, laissez vous haler.
01:44 Publié dans TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ernst, peinture, vienne, énigme, eluard, gala, poésie, littérature, tableau, voyage
07/10/2012
Ambivalence
Y aurait-il un art américain de l'ambivalence ? nous avions déjà eu l'occasion de relever l'ambiguïté d'un tableau de Burt Silvermann représentant une femme assise (voir ici). L'exposition consacrée à Edward Hooper au Grand Palais illustre de nouveau cette Amérique fascinante par ses contradictions et paradoxes. On peut, par exemple, prendre une autre femme assise de Hooper et entrer un peu dans le tableau. Comme souvent chez Hooper, les personnages lisent. Pied de nez à l'Europe littéraire et à cette Amérique réputée sans tradition ? désir d'évasion ? puissance de l'imagination dans un pays qui s'est auto-engendré ? il faudrait aller y voir de plus près, et notamment s'interroger sur ce que lisent ces figures solitaires. Ici, l'on sait par les notes d'Hooper qu'il s'agit d'un indicateur des chemins de fer.
Edward Hooper - Chambre d'hôtel - 1934
Les valises au pied du mur, la chambre d'hôtel, tout nous signale le transitoire. Cette femme est de passage. Le dos voûté, le corps sans tonicité semblent souligner une fatigue que la nuit ne réparera pas. La consultation des horaires de chemin de fer, et surtout le fait de voyager avec un tel ouvrage, laisse penser que le voyage est une errance. Le tableau pourrait illustrer cette chanson des gardes suisses que Céline plaça en exergue du Voyage au bout de la nuit :
Notre vie est un voyage
Dans l'hiver et dans la nuit
Nous cherchons notre passage
Dans le ciel où rien ne luit
Hooper serait-il le peintre du désenchantement ? le contrepoint du rêve américain et le rappel à la réalité, souvent moins glorieuse que l'épopée des pionniers, des self-made men et de la terre de tous les possibles ? oui mais pas seulement. Car tout voyage est un nouveau départ, tout départ est une volonté, et la solitude est une manière de se rencontrer soi-même qui peut être un préalable à la rencontre d'autrui. Cette femme, manifestement, n'est pas une voyageuse, ses chaussures n'y résisteraient pas. Et pourtant elle a entrepris ce voyage, ses valises sont ordonnées, et elle s'apprête à choisir sa nouvelle destination. Derrière l'apparence de la désespérance, surgissent les marques d'une volonté. Les marques de notre ambivalence.
12:19 Publié dans CHRONIQUE DE WEEK-END, TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : hooper, grand palais, art, peinture, tableau, céline, voyage, week-end
13/08/2010
Fin du travail
Elle a été annoncée par Jérémy Rifkin, qui ne pensait pas pour autant à la généralisation du chômage. Mais cette chronique n'ayant aucune ambition macro-économique, il s'agit simplement de se demander quand un travail est-il terminé. Comment s'y prend le peintre pour savoir que le tableau est achevé et qu'il ne faut plus que la brosse dépose encore de la peinture sur les couleurs qu'il a unies. Dans le documentaire qu'il a consacré à Picasso, Clouzot lui pose cette question et l'on peut voir le peintre modifier voire repeindre des chefs d'oeuvre jusqu'à parvenir à une oeuvre qu'il considère comme "finie" (Clouzot "Le mystère Picasso", disponible en DVD). Mais Picasso n'apporte pas vraiment de réponse. On comprend que le tableau est fini lorsqu'il "tient", lorsque son équilibre apparaît, ou lorsqu'il est conforme au projet initial du peintre, si tant est qu'il y en eût un. Pourquoi Julieth Mars Toussaint a-t-il suspendu son travail après avoir écrit sur le tableau "mauvais jour pour la peinture" ?
09:37 Publié dans DES IDEES COMME CA | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : julieth mars toussaint, ressources humaines, travail, rifkin, peinture, esthétique, picasso, clouzot, tableau
28/04/2010
Vérité du choix
Je n'ai jamais su recruter. Cela ne fait heureusement pas partie de mes activités, sauf pour les candidats à des Masters dans les métiers des ressources humaines. Pour ces derniers, j'oriente l'entretien autour d'un axe essentiel : quels sont les moments où l'individu à eu à faire des choix, comment s'y est-il pris pour décider et comment a-t-il justifié son choix ? traduction de l'idée qu'une des manières d'approcher la vérité d'une personne n'est ni de la réduire à des schémas psychologiques préétablis (comme le fait l'énéagramme par exemple), ni de traquer ses moindres goûts et comportements pour le définir exhaustivement (questionnaire aux 400 propositions à cocher en moins d'une heure pour que le candidat n'ait pas le loisir de réfléchir), ni de procéder à une psychanalyse plus ou moins masquée (test de Rorschach) et encore moins de procéder à des enquêtes auprès des anciens employeurs ou professeurs pour les étudiants, comme si l'ex était le mieux placé pour parler du sujet ! En réalité, le choix des tests nous en apprend davantage sur le recruteur que sur le recruté. Pourquoi privilégier les choix ? parce qu'il est des moments où toutes les questions se résolvent en une seule : faire ou ne pas faire, prendre le chemin de droite ou celui de gauche, dire oui ou non, accepter ou refuser, etc. L'idée également que quelques moments clés sont plus signifiants que mille situations qui peuvent ne l'être pas. Tout ne fait pas sens chez l'humain. Et pour terminer l'entretien, deux questions complémentaires : dans quel tableau vivriez-vous (qui devient parfois quelle image ou quel film si le tableau n'est pas dans l'univers du candidat) ? et face à quelle tableau, vivez-vous ?
00:05 Publié dans HISTOIRES DE CONSULTANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : recrutement, peinture, art, tableau, giorgione, énéagramme