17/12/2010
Le prix du silence
Sur les 17 millions de salariés du secteur privé, environ 800 000 font l'objet d'un licenciement au cours d'une année. Soit un taux légèrement inférieur à 5%. Si l'on excepte les licenciements collectifs pour motif économique (soit une minorité puisque l'intégralité des licenciements économiques ne représente qu'un tiers du total, l'essentiel étant constitué de licenciements pour motifs personnels), tous les autres donnent lieu à un entretien préalable entre l'employeur et le salarié. Se pose alors la question de la conduite à tenir lors d'un tel entretien. La réponse est simple : le silence toujours, le questionnement parfois.
Max Ernst - Les yeux du silence
La finalité de l'entretien obligatoire au licenciement est double : informer le salarié de manière directe sur son licenciement, mais la lettre de convocation n'exclut pas toujours l'effet de surprise, et d'autre part permettre au salarié de présenter ses arguments et éventuellement de faire changer l'entreprise de décision. Sauf que dans la très grande majorité des cas, lorsque l'entreprise a convoqué un salarié à un entretien préalable, elle sait déjà qu'elle va le licencier. A quoi sert alors de se défendre ? à rien si ce n'est fournir à l'entreprise l'occasion de tester ses arguments de licenciement et d'anticiper sur un éventuel contentieux en tenant compte dans la lettre de licenciement des objections du salarié. Parfois, on constate que l'entreprise a modifié le motif invoqué, qui est différent dans la lettre de licenciement de celui invoqué lors de l'entretien. Le risque ? un mois de salaire maximum, à titre de procédure irrégulière, alors que le risque pour un licenciement injustifié est de 6 mois de salaire minimum lorsque le salarié a deux ans d'ancienneté.
On ne saurait trop conseiller à un salarié donc de ne pas faire de l'entretien un moment autre que technique et de réserver sa verve et ses arguments pour le contentieux à venir, si telle est son intention. Par contre, quelques questions obligeant l'entreprise à préciser les circonstances, faits, motifs et qui seraient notés par le conseiller du salarié permettraient éventuellement d'apporter des éléments de fait, au-delà de ceux invoqués dans la lettre de licenciement, susceptibles de nourrir le contentieux.
On l'aura compris, dans la majorité des cas, se défendre lors d'un entretien préalable est contreproductif, sauf si le salarié estime, et souhaite, que l'entreprise peut changer d'avis. Le cas n'est pas le plus fréquent, ce qui fait le prix du silence.
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16/12/2010
Le boeuf, le nageur et l'opéra
La deuxième anecdote rapportée par Jean-François Billeter concerne un cuisinier qui explique comment il appris à découper un boeuf : "Quand j'ai commencé à pratiquer mon métier, je voyais tout le boeuf devant moi. Trois ans plus tard, je n'en voyais que des parties. Aujourd'hui, je le trouve par l'esprit, sans plus le voir de mes yeux. Mes sens n'interviennent plus, mon esprit agit comme il l'entend et suit lui-même les linéaments du boeuf". Voici donc trois phases dans l'apprentissage : la confrontation directe avec un problème dont on ne sait comment l'aborder, puis la connaissance analytique qui permet l'action raisonnée et enfin l'incorporation totale du geste qui fait que l'objet à disparu, que les parties n'existent plus et que l'acte de découper le boeuf prend une dimension nouvelle, bien au-delà de la matérialité de la découpe.
La troisième anecdote est le récit d'une rencontre. Celle de Confucius avec un homme qu'il croit voir se noyer dans de dangereux tourbillons d'un fleuve bouillonnant. Mais qui s'aperçoit qu'en fait l'homme nage là où personne ne se risquerait, puis sort tranquillement de l'eau pour se sécher. Confucius l'aborde :
- Quelle est votre méthode pour nager ainsi ?
- Je n'en ai pas. Je suis parti du donné, j'ai développé un naturel et j'ai atteint la nécessité ;
- Que voulez-vous dire ?
- Je suis né dans ces collines et je m'y suis senti chez moi : voilà le donné. J'ai grandi dans l'eau et je m'y suis peu à peu senti à l'aise : voilà le naturel. J'ignore pourquoi j'agis comme je le fais : voilà la nécessité". Partir de ce qui est, travailler le naturel, agir de manière nécessaire, c'est-à-dire de manière spontanée car les gestes s'imposent de façon immédiate et naturelle. Au bout de la nécessité, la liberté. Voilà pourquoi Matisse, lorsqu'il abandonne l'intention au geste qui imagine le dessin devient un peintre musicien dont on peut écouter les tableaux.
Matisse - Dessin à la plume - 1936
Loin de la vision doloriste du travail, voici donc un cuisinier et un nageur qui progressent dans l'exercice de leur métier par l'incorporation toujours plus grande du geste juste qui ne sera trouvé que lorsque l'action peut s'exercer sans aucune intention. L'apprentissage de la liberté dans l'activité au profit de l'oeuvre créée, mais également du plaisir de celui qui l'accomplit. Ecoutons le cuisinier après qu'il ait terminé la découpe : "Mon couteau à la main, je me redresse, je regarde autour de moi, amusé et satisfait, et après avoir nettoyé la lame, je le remets dans le fourreau". Voici un artisan qui est devenu le boeuf qu'il découpe et qui s'amuse de cette virtuosité légère qu'il a acquise. Etonnante Chine ? mais non. Voici Mozart : "Ma tête et mes mains sont tellement prises par le troisième acte qu'il n'y aurait rien de miraculeux si je devenais moi-même le troisième acte" et Rimbaud : "Je devins un opéra fabuleux".
Voici donc une bonne base de travail pour réformer véritablement la formation et l'emploi des jeunes. Rendez-vous au mois de mars pour voir le résultat du travail accompli par les partenaires sociaux et par l'Etat. On souhaite qu'ils puissent se redresser, regarder amusés et satisfaits autour d'eux et ranger leurs stylos après avoir conclu d'innovants accords qu'ils auront plaisir, et nous avec, à mettre en oeuvre.
00:05 Publié dans ACTUALITE DE LA FORMATION, PEDAGOGIES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : billeter, chine, confucius, emploi des jeunes, formation, alternance, apprentissage, pédagogie
15/12/2010
Pas de travail manuel, pas de transmission
Le début d'année verra s'ouvrir une négociation sur l'emploi des jeunes et les formations en alternance. Il sera question de professionnalisation, d'apprentissage, d'insertion, d'emploi et de quelques autres questions liées. Inévitablement, les confusions habituelles reparaîtront et l'on reparlera de revaloriser les métiers manuels, de formation pratique et théorique, de transmission aux plus jeunes, etc. Pour mettre un peu d'ordre dans ces réflexions, sollicitons Jean-François Billeter et ses "Leçons sur Tchouang-Tseu" dont on ne saurait que trop recommander la lecture (Editions Allia, 2002). Trois anecdotes sur l'enseignement sont rapportées. Dans la première un charron taille des roues malgré son âge. Il explique : "Quand je taille une roue et que j'attaque trop doucement, le coup ne mord pas. Quand j'attaque trop fort, il s'arrête dans le bois. Entre force et douceur, la main trouve et l'esprit répond. Il y a là un tour que je ne puis exprimer par des mots, de sorte que je n'ai pu le transmettre à mes fils, que mes fils n'ont pu le recevoir de moi et que je suis encore là à tailler des roues malgré mon grand âge". Henry Miller, vieux singe chinois, écoute avec attention la leçon au milieu de montagnes que sa main a tracé, nous livrant les dispositions de son esprit.
Henry Miller - Sans titre - 1940
Le charron livre deux enseignements. Le premier à destination des tenants du manuel et de l'intellectuel. Le tailleur de roue a la main qui cherche et l'esprit qui trouve. Allez lui expliquer que vous opposez la main et l'esprit et il vous regardera interloqué. Le second enseignement s'adresse à tous les formateurs, tuteurs et enseignants. L'apprentissage ne peut se transmettre par les mots, il ne peut non plus résulter uniquement de l'exemple. L'apprentissage suppose une acquisition personnelle, singulière, qui seule permet l'appropriation et qui ne s'effectue ni par les mots, ni par la démonstration. Elle suppose une conquête personnelle, des tatonnements, des erreurs, des victoires et au total la création d'un "geste" personnel. Le formateur ne transmet pas : il guide, il accompagne, il permet de tirer des leçons de l'activité, mais il laisse l'apprenti transformer son expérimentation en incorporation de l'activité.
Pas de travail manuel et pas de transmission linéaire, voilà deux bonnes bases pour la formation des jeunes.
Pour les deux autres anecdotes, rendez-vous demain. Belle journée à vous.
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14/12/2010
De l'inconvénient d'avoir plusieurs chambres
Eric Rohmer avait choisi de compléter le titre de l'un de ses films, "Les nuits de la pleine lune", par un très moral proverbe champenois : "Qui a deux femmes perd son âme, qui a deux maisons perd la raison". Est-ce le fait d'avoir plusieurs chambres qui a fait perdre à la Cour de cassation le fil du raisonnement ? on peut le craindre en prenant connaissance d'une décision rendue le 9 décembre dernier. La deuxième chambre civile condamne un représentant du personnel a rembourser à la sécurité sociale les indemnités journalières perçues pendant un arrêt maladie. Motif ? le salarié a continué à exercer son mandat, certes en dehors de ses heures obligatoires de présence à domicile, mais la Cour a jugé que les heures de délégation, assimilées à du temps de travail effectif, constituaient une activité non autorisée et donc incompatible avec l'arrêt maladie. Surprise lorsque l'on sait que la Cour de cassation, mais la chambre sociale, a toujours jugé que la suspension du contrat, y compris la maladie, ne suspend pas le mandat. Et que la Cour de cassation toujours, mais la chambre criminelle, a déjà condamné pour délit d'entrave un employeur qui n'a pas convoqué un membre du comité d'entreprise à une réunion au motif qu'il était en arrêt maladie. Voici donc des chambres qui ne communiquent guère, ou plutôt qui ne se sentent pas liées par ce qu'il se passe dans la chambre d'à côté. Les juges ont trop de savoir vivre.
Dorothea Tanning - La chambre d'amis
Plus exactement, chacun enfermé dans sa chambre juge à l'aune de son périmètre et se soucie peu de cohérence. A moins que le défaut de cohérence ne résulte plus naturellement de deux droits différents : le droit de la sécurité sociale et le droit du travail. En réalité, ce n'est pas la première fois qu'un tel conflit survient à propos de représentants du personnel qui exercent leur mandat pendant un arrêt maladie : le contentieux de droit du travail est favorable au salarié, pas celui de la sécurité sociale. Reprenons calmement :
1) L'arrêt maladie ne signifie pas que le salarié soit grabataire et doive s'abstenir de toute activité. Cela signifie simplement que l'état de santé est incompatible avec le travail, pas nécessairement avec tout travail. Une jambe cassée m'interdit de conduire un véhicule, pas de rédiger une chronique de droit du travail (je vais bien, merci, c'est un exemple).
2) Le mandat n'est pas lié au travail effectif. Il peut s'exercer pendant des temps de congés (congés payés, congé parental, etc.).
3) La question est plutôt celle du cumul d'indemnisation : peut-on cumuler des heures de délégation avec des indemnités journalières ? c'est ceci que censure la chambre civile et uniquement. Il ne faut donc pas conclure de la décision que les représentants du personnel ne peuvent exercer leur mandat pendant un arrêt maladie.
Que faire en pratique ? deux possibilités : ne pas rémunérer les heures de délégation au prétexte qu'elles ne peuvent être du temps de travail effectif étant incompatible avec l'arrêt maladie. Et le salarié conservera ses IJ. Le problème survient en cas d'accident du travail : c'était d'ailleurs le cas en l'espèce et la sécurité sociale refusa l'accident du travail. Deuxième solution : faire autoriser l'activité liée au mandat par le médecin traitant. Cela semble être la bonne solution. Dans une affaire jugé le 28 avril dernier, la chambre civile a rejeté le pourvoi (pour des raisons de forme certes) d'une caisse primaire contre la décision d'une Cour d'appel qui avait validé le fait qu'un salarié, à la fois musicien et enseignant, soit en arrêt de travail du fait d'une tendinite pour son activité de musicien mais poursuive ses activités d'enseignement dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique.
Et nous voilà donc conduits par le jeu cumulé des chambres, à demander aux médecins le droit de poursuivre, ou pas, l'exercice d'un mandat de représentation du personnel. Et que pense-t-on de cette solution dans les chambres ?
13/12/2010
Le harcèlement ne fait pas de fumée
Les clients s'en grillent une petite, puis une autre. Le patron laisse faire : l'ambiance et le confort de la clientèle n'ont pas de prix, pas même celui de la santé des salariés. Un barman s'en émeut et quitte l'entreprise avant de saisir le Conseil des prud'hommes, demandant la requalification de sa démission en rupture aux torts de l'employeur pour l'avoir exposé au risque de tabagisme passif. L'employeur se défend : un peu de fumée ne peut faire de mal, l'atteinte à la santé est inexistante et d'ailleurs les analyses fournies par le salarié ne montrent qu'un faible taux de nicotine dans le sang. Tout cela n'est donc que prétexte de la part d'un barman indélicat qui saisit grossièrement une occasion de taper juridiquement dans la caisse en partant. Le raisonnement du juge est souvent tortueux à l'instar des volutes de fumées : pour la Cour d'appel, en l'absence d'impact constaté sur la santé du salarié, le hold-up judiciaire n'aura pas lieu. Erreur affirme la Cour de cassation. La seule exposition au risque constitue une faute suffisante pour que le salarié rompe son contrat de travail et demande des dommages et intérêts, qu'il aura d'ailleurs la liberté de convertir en cartouches de cigarettes. Bashung l'avait prédit : vos luttes partent en fumée !
La rigueur de la Cour suprême n'est que la conséquence de l'obligation de sécurité de résultat, inlassablement affirmée et développée depuis 2002 et les arrêts fondateurs concernant l'amiante. La force de cette jurisprudence donne quelques idées à ses plus fins connaisseurs. Un avocat quitte un cabinet dans lequel un responsable harcèle un de ses collègues. Ce climat de harcèlement l'expose à un risque qui le conduit à démissionner et à réclamer indemnisation du préjudice subi. Après le tabagisme passif, voici donc présenté au juge le harcèlement passif, ou l'altération de la santé par l'exposition aux fumées d'un harcèlement non directement subi. La Cour de cassation fait la leçon de droit à l'avocat : si peut être reconnue dans l'entreprise une organisation du travail harcelante, cela ne signifie pas pour autant que tous les salariés s'en trouvent harcelés par principe. Il est nécessaire d'établir un harcèlement directement subi (Cass. soc., 20 octobre 2010).
Ainsi partirent en fumée les prétentions de l'avocat qui ne put même pas, pour soulager son dépit, s'en griller une au café du coin.
00:05 Publié dans DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : tabagisme, harcèlement, droit du travail, prise d'acte, rupture du contrat, démission, santé
10/12/2010
Une belle oeuvre, inachevée
Picasso dut répondre à la question d'Henri-Georges Clouzot qui tournait en 1955 "Le mystère Picasso" : "Quand une oeuvre est-elle terminée ?". La réponse n'est pas dans les mots. Elle est sur la toile, elle est dans la perception évidente, soudaine, que tout se tient, que tout est en place et que c'est terminé. L'histoire de la peinture est riche de repentirs traqués par les rayons X de la modernité. Les toiles sous les toiles fascinent pour comprendre la construction du tableau. Elles ne nous apprennent pourtant rien sur l'instant de la fin du tableau. La question n'est pas ce qu'a fait le peintre avant, mais pourquoi il s'est arrêté à ce moment là, à cet endroit là. Henri-Georges Clouzot ne savait pas, en 1955, que quelques années plus tard il laisserait une oeuvre inachevée qui deviendrait une légende. Les 185 bobines jamais montées de l'Enfer sont un des mythes du cinéma, moins sulfureux par le titre que par la belle Romy.
Les partenaires sociaux n'ont pas tourné 185 bobines de film, mais ils ont signé plus d'une dizaine d'accords nationaux interprofessionnels de référence dans le domaine de la formation professionnelle. A l'occasion du 40ème anniversaire du premier d'entre eux, conclu en 1970, une chronique réalisée avec Jean-Marie Luttringer pour l'AEF fait le point sur les apports de la négociation collective à l'évolution et la transformation de la formation professionnelle. La matière formation passée au moule de la négociation par les artistes paritaires donne une oeuvre inachevée mais qui conserve pouvoir de séduction et promesses d'avenir. Seront-elles tenues ? la parole reste aux artistes.
A propos du 40e anniversaire de l'ANI de 70.pdf
Et pour ceux qui seraient plus sensibles aux charmes de Romy Schneider qu'à ceux du droit de la négociation collective appliquée à la formation, ce que nous ne saurions blamer, voici quelques extraits choisis des 185 bobines pour réchauffer un week-end d'automne aux couleurs hivernales.
17:04 Publié dans ACTUALITE DE LA FORMATION, DROIT DE LA FORMATION, FRAGMENTS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : romy schneider, l'enfer, clouzot, picasso, ani, formation, anniversaire, 40 ans, négociation, ressources humaines
09/12/2010
Oiseau rare
Les recruteurs font un métier difficile. Submergés de candidatures, poursuivis au téléphone, harcelés de mail, encombrés de commande contradictoires de la part de la DG, de la DRH et des managers, sommés de s’expliquer sur une candidature non retenue, insultés par les postulants écartés, mal vus par les candidats intégrés qui leur font longuement payer le pouvoir qu’ils ont un instant exercé sur eux, ou la question jugé insolente ou déplacée, peu considérés des managers qui veulent revoir tous les candidats, envoyés à l’abattage par la DRH qui exige que les 300 CV soient traités dans la journée, les 50 entretiens qui suivent planifiés dans la soirée et réalisés en deux jours, ils sont également sommés de trouver l’oiseau rare, autrement dit le mouton à cinq pattes.
Une telle situation appelant la solidarité et la virile fraternité, quoi que bien des recruteurs soient des recruteuses, voici une modeste contribution à la recherche du candidat idéal.
Maxence Scherf – Chat migrateur
Avouez que le profil est séduisant : malin comme un chat, vif comme l’oiseau, rapide comme le poisson, une tête et des ailes d’ange, une aptitude à la mobilité, un regard franc et direct, ses capacités ne font guère de doute. Et pourtant, l’animal fut recalé sur photo sans même être convoqué à l’entretien. Le motif ? pas l’ombre du début d’une patte et encore moins de cinq. Je ne suis pas un mouton cria le chat migrateur. Rien à faire. Décidément, véritablement indécrottables les recruteurs.
00:15 Publié dans TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : recrutement, ressources humaines, candidature, cv, chat
08/12/2010
20 ans plus tard, les mêmes...
En ce temps-là, je débutais mon activité de consultant et réalisais pour le CARIF Midi-Pyrénées des sessions de formation, dont certaines à destination des Conseillers des Centres d'Information et d'Orientation de l'Education nationale. Le CARIF avait en effet passé une convention avec le Rectorat pour la formation de ses personnels qui accueillaient de plus en plus fréquemment des adultes et qui devaient donc maîtriser les dispositifs de formation professionnelle continue. La séance fut houleuse. Très remontés, les participants contestaient le principe même d'un tel accueil, indiquaient qu'ils avaient assez à faire avec les jeunes et que ce n'était pas leur métier (certains s'exclamant même : vous vous rendez compte de tout ce qu'il nous faudrait apprendre ? et oui, c'est même pour ça que nous sommes là...). Bref, une expérience qui fait gagner du temps dans l'apprentissage de la gestion des groupes. Il me semblait pourtant que pour aider les élèves et étudiants à s'orienter, si l'on voulait faire autre chose que de l'information éducative et agir véritablement dans le champ de l'orientation professionnelle, il était nécessaire de se confronter également au public adulte, au monde du travail et d'en maîtriser un tant soit peu les arcanes. Voyez comment Dédale, faute d'avoir la carte du labyrinthe utilise des subterfuges qui conduisent à la mort d'Icare.
André Masson - Dedale et le Labyrinthe
Ce mercredi 8 décembre 2010 est une journée nationale d'action pour les Conseillers des CIO. Leur revendication ? s'opposer au projet de création d'un lieu unique d'orientation où seraient accueillis jeunes et adultes. Refus donc de passer d'un conseiller d'éducation à un conseiller de la formation tout au long de la vie. Officiellement, est mise en avant la crainte de n'avoir plus de temps pour les jeunes. Officiellement aussi, puisqu'on peut le lire dans un tract de FO, les conseillers s'émeuvent de devoir adapter leurs horaires aux usagers et de travailler en dehors des rythmes scolaires. Bref des arguments de fond. Quant à une réflexion sur le fait de savoir si sortir du seul monde éducatif n'est pas une condition impérative pour pouvoir faire véritablement de l'orientation, y compris et peut être surtout avec les jeunes, la question n'est pas posée. Autrement dit, en 20 ans le débat n'a pas avancé d'un pouce pour les conseillers d'orientation. Affirmons donc que l'on est mieux placé pour orienter les jeunes quand on oriente également les adultes et lorsqu'on a une ouverture permanente sur le monde du travail qui permet de faire des aller-retour entre éducation et activité. Mais ce débat n'aura pas lieu, les conseillers étant trop occupés, les uns à chercher le fil d'Ariane, les autres à chercher les ailes qui leur permettront de sortir du labyrinthe dans lequel ils errent depuis plus de 20 ans.
01:55 Publié dans ACTUALITE DE LA FORMATION, DROIT DE LA FORMATION, HISTOIRES DE CONSULTANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : orientation, cop, cio, éducation, conseillers d'orientation, orientation professionnelle, copsy
07/12/2010
Une pause dans le dialogue social
Si le dialogue social a des vertus, certains jours il est bon de s'octroyer une pause. En profiter pour laisser son oreille vagabonder et capter les bruits de la rue. Et l'on peut parfois surprendre d'autres dialogues :
- Tu vas comment en ce moment ?
- Moyen, comme les humains ont des jambes pour voyager, j'ai des roues mais je passe la journée enchaînée à un piquet qui n'a guère de conversation...
- Il n'y a pas de justice. Tu sais ce que disait Caton l'Ancien ? "Ceux qui volent des individus passent leur vie au cachot couverts de chaînes, ceux qui volent l'Etat sont vêtus d'or et de pourpre"...
- Pas faux, pour autant j'aimerai bien voler la clé du cadenas parce que j'ai essayé la formule de Gandhi : "A l'instant où les esclaves décident qu'ils ne sont plus esclaves leurs chaînes tombent" mais sans succès...
- Tu te souviens de Louis Pauwels ? non ? pas grave. Mais référence pour référence il disait que s'il suffisait de s'asseoir dans la position du lotus pour atteindre l'illumination, toutes les grenouilles seraient des Bouddhas...
- Et qui te dis qu'elles ne le sont pas ?
- T'as pas tort...
- Et toi, la forme ?
- Pas terrible, par les temps qui courent, pas simple d'être une roue voilée...
- Ne perdons pas espoir, tu sais ce que disait Cervantes ? la roue de la fortune tourne plus vite que celle des moulins.
00:07 Publié dans DES IDEES COMME CA, FRAGMENTS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : dialogue, ressources humaines, formation, gandhi, caton, pauwels, bouddha
06/12/2010
Du rythme !
Au début du XXème siècle, Blaise Cendrars donnait du rythme à la poésie : en lui faisant prendre le transsibérien et en créant, avec la complicité de Sonia Delaunay, le premier livre simultané, autrement dit le premier livre artistique par sa typographie et son iconographie. Et ce n'est pas tout : relié d'un seul tenant, le livre se déplie et se déploie, se mettant lui-même en mouvement. La prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France rompt avec la poésie romantique et classique des décennies précédentes. Elle propulse dans la modernité, à coup de chevaux vapeurs et de sifflets de locomotives, une manière nouvelle de faire de la poésie. En rythme.
Blaise Cendrars - Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France
Livre simultané illustré par Sonia Delaunay
Les acteurs sociaux feraient bien, au choix, de lire Blaise Cendrars ou de prendre le transsibérien pour retrouver du rythme. Que l'on en juge :
- La préparation opérationnelle à l'emploi (POE) est une des grandes innovations de la loi du 24 novembre 2009. Elle prévoit une utilisation massive des ressources du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) pour les formations de demandeurs d'emploi liées à des embauches. Le texte n'appelle aucun décret d'application. Juste une convention entre le FPSPP et Pole Emploi pour une mise en oeuvre opérationnelle. Plus d'un an après l'entrée en vigueur de la loi, la convention n'est toujours pas conclue et la POE ne fonctionne pas. Pas grave, les chômeurs ne râlent pas.
- La même loi prévoyait, conformément à l'ANI du 7 janvier 2009, qu'une négociation fixerait les conditions de mise en oeuvre du bilan d'étape professionnelle. Près de deux ans après la signature de l'ANI, aucun calendrier n'est fixé pour négocier la mise en oeuvre du bilan d'étape professionnel. Pas grave, personne n'a compris à quoi il servait entre l'entretien professionnel et le bilan de compétences.
- Les partenaires sociaux ont ouvert plusieurs chantiers dont deux qui portent sur leurs relations mêmes : le financement du paritarisme et la réforme des institutions représentatives du personnel. Ces deux thèmes n'apparaissent pas, à ce jour, dans les sujets qui pourraient être inscrits à l'agenda social 2011. Pas grave, l'Etat trouvera là un argument supplémentaire pour reprendre la main sur les terrains désertés par les partenaires sociaux qui protesteront, mais un peu tard.
Tout se passe comme si d'urgence il n'y avait point, comme si le rythme était celui de la vie des petites boutiques et des petites affaires. Le rythme de ceux qui décident n'est décidément pas celui de ceux qui auraient besoin qu'ils agissent vite et bien, c'est à dire deux fois bien.
05/12/2010
Intermède
Au temps noir et blanc de l'ORTF, il y avait le petit train de l'interlude. Par week-end neigeux, les trains ne circulent plus et l'intermède seul est de sortie.
"S'introduire comme un rêve dans l'esprit d'une jeune fille"
Marcel Proust
La jeune fille rêve qu'elle dort
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03/12/2010
Femmes de...
C’est une histoire d’avant Monica Lewinski. Elle met en scène Hillary Clinton, retournant dans son village natal et s’arrêtant à une station service. Le pompiste, boyfriend des jeunes années, lui dit : « Tu te rends compte, si tu étais restée avec moi, on serait tous les deux dans cette station ! ». Et Hillary de répondre : « Si tu étais resté avec moi, tu serais Président des Etats-Unis ». Femme de ou Mari de ? l’actualité met sous les projecteurs, ou plutôt exactement retire de sous les projecteurs, les femmes de. Après Anne Sainclair et Béatrice Schonberg, Audrey Pulvar est interdite d’antenne, au moins pour les émissions politiques. Scandale ? machisme ? éthique ? conflit d’intérêt ? contentons nous ici de relever ce que dit le droit du travail en pareil cas.
Mais avant, souvenons nous que Willem De Kooning est le mari d’Elaine de Kooning.
Elaine De Kooning - Sunday Afternoon - 1957
Le principe est simple : la situation de famille ne peut être prise en compte pour prendre des décisions à l’encontre d’un salarié. Cette règle figure à la fois dans l’article L. 1132-1 relatif aux discriminations et dans l’article L. 1142-1 relatif à l’égalité professionnelle hommes-femmes.
A tout principe son exception. L’article L. 1133-1 prévoit que des différences de traitement qui répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante sont possibles dès lors que l’objectif est légitime et l’exigence proportionnée. Résultant de la loi du 27 mai 2008, cette large ouverture à la dérogation, puisque visant potentiellement les 15 motifs de discrimination listés par le Code du travail, pose de redoutables problèmes d'interprétation, le législateur n'ayant donné aucune indication sur ce que pouvait recouvrer la notion d'exigence professionnelle essentielle (EPE pour les juristes avertis ignares en nucléaire). Est-ce une exigence essentielle de la profession de journaliste de ne pas avoir comme compagne, ou compagnon, une femme ou un homme politique ? on mesure la voie douteuse dans laquelle nous engage la réponse à cette question : l’incompatibilité concerne-t-elle la relation suivie ou l’escapade d’un soir ? la relation amicale et la passion furieusement sexuelle doivent être traités pareillement ? prendre un verre sans objectif professionnel d’interview est-il un acte déontologiquement répréhensible ? et l’on s’aperçoit que la notion d’exigence professionnelle essentielle est bien délicate à définir, sauf à rouvrir une police des mœurs et généraliser, mais peut être est-ce déjà le cas, les écoutes téléphoniques et autres traçages internautiens.
Qu’en penserait Max Ernst, vous savez le mari de Dorothea Tanning ?
Dorothea Tanning - Chambre 202
Décision hasardeuse et codification peu heureuse, voilà qui laisse la place à bien des débats. A propos de laisser la place, l’émission d’Audrey Pulvar sur I-Télé a été remplacée par une émission dont le titre est « L’info sans interdit ». Et ce n’est pas une blague.
02/12/2010
Les sociomanes de la Génération Y
La sociologie est fondamentale pour comprendre le fonctionnement des organisations, les jeux de pouvoir, les cultures, les évolutions d’une société, au sens large. Mais peut-elle saisir l’individu ? Dans un ouvrage paru en 2009 intitulé « Les sociologies de l’individu », François de Singly et Danilo Martuccelli invitent à prendre en compte l’inscription de l’individu dans plusieurs réalités sociales et à considérer l’irréductible singularité individuelle pour ne pas procéder à des généralisations trop hâtives, y compris lorsqu’elles procèdent d’enquêtes de terrain.
De cette exigence méthodologique, certains font peu de cas, notamment ceux qui ont construit un petit fond de commerce sur la génération Y. Cette génération regrouperait les 24-34 ans, soit en France près de 8 millions de personnes. Qui partageraient comme caractéristiques communes d’être : nés avec une souris, sans peluches, dans la main droite, un écran d’ordinateur en guise de portique à jouet, une zapette dans la main gauche, une frénésie de changement, une quête éperdue de sens, une inscription dans le court terme, un besoin de reconnaissance et d’épanouissement personnel, etc. Si vous voulez la suite prenez n’importe quel horoscope ou lisez l’interview de Frank Bournois dans Entreprise et Carrières n° 1026 et vous découvrirez enfin comment manager ces hordes de barbares technologiques qui n’ont pas les codes des organisations mais ont tous soif d’apprendre (sic).
Philippe de Champaigne - Crucifixion
A ce degré de généralité, les soucis méthodologiques sont bien loin. Pourtant si l’on y regarde d’un peu plus près, avec quelques travaux sérieux dont ceux de Bernard Lahire, on s’aperçoit que l’on peut être inculte en matière de nouvelles technologies et manipuler sans problème un portable, une PS3 ou sa page Facebook, que jamais la fragmentation sociale n’a été aussi importante, que toute classe d’âge est constituée d’appartenances sociales diversifiées, que jamais les trajectoires individuelles n’ont été autant diversifiés et que si le changement est si rapide que le rapportent les tenants de la génération Y, alors il est absurde de considérer qu’un même phénomène générationnel impacte de la manière identique des générations nées avec dix ans d’écart.
Bref, tout ceci flaire la supercherie. Et s’il s’agit simplement d’obtenir un succès médiatique ou de librairie, conseillons aux sociomanes de nous refaire le coup du Da Vinci Code et de proclamer avec sérieux et sans sourire, ils en sont capables, que Jésus était le fondateur de la Génération Y, et que cette vérité est non seulement dépourvue de tout ambigüité mais qu'en plus elle peut se constater de visu. C'est pas une preuve ça ?
01/12/2010
Des dialogues vertueux
Ecrire c'est d'abord lire, peindre c'est d'abord regarder. Comme les écrivains empruntent à ceux qu'ils ont aimé lire, les peintres dialoguent dans leur peinture avec leurs prédécesseurs. Et, précision que je sens nécessaire bien qu'elle ne devrait pas l'être, il n'y a strictement aucune antinomie entre ces emprunts et la réalisation d'une oeuvre toute personnelle. Car l'oeuvre va dire la manière de voir, de traduire et de comprendre, au sens le plus global. En ce sens, tout dialogue est singulier.
Martial Raysse - J.D.A Ingres
On peut considérer que le dialogue social est vertueux et que la confrontation est un aiguillon de la créativité, même si chacun ne se situe pas sur le même terrain, comme le peintre et le photographe.
Tom Hunter - Vermeer
La négociation d'entreprise sur la formation professionnelle s'est peu développée depuis 40 ans. Les causes en sont multiples : faiblesse globale de la négociation collective dans les entreprises françaises (moins de 20 % des entreprises de plus de dix salariés signent un accord collectif chaque année), défiance des négociateurs de branche, compétence des négociateurs d'entreprise, intérêt pour le sujet, etc. La chronique réalisée avec Jean-Marie Luttringer pour l'AEF explore les conditions d'une relance de la négociation d'entreprise sur la formation professionnelle. Elle expose notamment le parallèle entre le DIF, moyen négocié d'accès à la formation, et la négociation collective et la place qu'occupe la formation dans les négociations obligatoires. Et pourquoi l'on peut espérer un dialogue un peu plus fourni et fructueux dans les années à venir.
00:59 Publié dans ACTUALITE DE LA FORMATION, DROIT DE LA FORMATION | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : formation, negociation, martial raysse, ingres, peinture, dialogue social, vermeer
30/11/2010
Formation de la mémoire, mémoire de la formation
Les titres avec inversion, autrement dit les chiasmes, fleurent bon les années 70. L'occasion de se replonger dans un article de René Pucheu, paru en Octobre 1974 dans la revue Esprit. Pucheu, décédé en 2008, était un catholique de gauche proche d'Emmanuel Mounier et du personnalisme. C'était surtout un humaniste véritable, c'est à dire dans les actes et les mots qu'il dissociait très peu. Trois ans après la loi de 1971, Pucheu écrit un article qui ouvre un numéro spécial de la revue Esprit consacré à la formation professionnelle. De quoi parle-t-il ? du fait que l'éducation permanente vient de bien plus loin que de Mai 68 et des accords de Grenelle.
Joan Miro - Mai 68
Il parle également de l'enthousiasme patronal pour qui la formation est un outil de la performance économique, et de l'enthousiasme syndical pour qui la formation est un outil de libération et un pas de plus vers, selon les syndicats, la société socialiste ou l'autogestion. Il évoque également ceux qui opposent à tort culture et formation professionnelle, ceux qui posent déjà la question de la place du savoir être ou du positionnement du formateur, il constate que le procès des marchands de soupe a déjà commencé, plus idéologique que fondé, il relaie le fait qu'en trois ans à peine le droit de la formation est devenu un maquis dans lequel seuls quelques spécialistes savent s'orienter, etc. Bref, tous les débats actuels sont quasiment déjà posés, dans des termes qui n'ont pas été vraiment renouvelés si l'on excepte une certaine "marxisation" du vocabulaire, très pregnante à l'époque et oubliée depuis. A propos d'oubli, on est surpris que deux générations plus tard, les termes du débat restent les mêmes. Comme si nulle mémoire n'était à l'oeuvre pour permettre de les dépasser.
Félix Labisse - De mémoire
Deux phénomènes se sont sans doute conjugués pour expliquer ce surplace. Le premier tient à ceux qui auraient pu transmettre les débats et les faire avancer : leur pensée c'est souvent figée dans une hagiographie nostalgique de leur jeunesse perdue mais brandie comme un drapeau qui n'a guère séduit les générations suivantes. Ils ont contribué à faire de pertinentes questions un radotement égotiste. Le second tient à ceux qui auraient pu recevoir. Désireux de reconnaissance personnelle, nés à une période où le meurtre du père n'était plus un tabou mais un rituel, ils ont perdu la mémoire et l'histoire avec. Résultat, nous nous retrouvons 40 ans plus tard avec les mêmes questions et toujours pas de réponses aux questions fondamentales posées par René Pucheu : la formation pour qui ? par qui ? de quoi ? comment ? et pourquoi ?
Une manière comme une autre de rappeler que pour débattre de ces questions, l'histoire et le droit sont toujours les bienvenues.
00:06 Publié dans ACTUALITE DE LA FORMATION, DROIT DE LA FORMATION | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pucheu, formation, mai 68, esprit, mémoire, labisse, miro
29/11/2010
Le donné et le construit
Que la formation réponde aux besoins des entreprises. Tel est le credo de nombre de responsables politiques, éducatifs ou de notre système de formation professionnelle. Si l'on prend ce point de départ, les besoins sont une donnée à laquelle les individus, dispositifs, systèmes, institutions doivent s'adapter.
Même si cela était vrai, la notion de besoin serait largement discutable : s’agit-il uniquement de pourvoir les offres d’emploi ? lesquelles ? peut-on les prévoir ? s’agit-il des besoins à deux ans, trois ans, dix ans ? quelle est la durée de l’investissement réalisé ? quelle est la nature de ces emplois ? en préparant à certains emplois est-ce que l'on prépare véritablement l'avenir ? etc.
Magritte et The Vache
Mais ces questions sont vaines car les besoins ne sont pas un donné mais un construit. Une entreprise a des besoins qui fluctuent en fonction de ses rythmes et cycles de vie, de son environnement, de ses projets, des histoires des salariés qu’elle emploie, etc. Elle vit en perpétuelle interaction interne ou externe. Et dans ces interactions, le niveau de qualification de la main d’œuvre joue un rôle. En d’autres termes, si le système éducatif produit le double d’ingénieur cela aura un impact sur la stratégie et l’organisation des entreprises qui intègreront ce facteur d’une main d’œuvre disponible.
Partir des besoins des entreprises c’est comme partir du poste de travail pour la gestion des compétences. C’est oublier que les organisations sont d’abord faites par les hommes et les femmes qui les dirigent et qui y travaillent et que si l’on modifie le profil de ces dirigeants et travailleurs, on modifier l’entreprise…et ses besoins.
Nos dirigeants devraient se souvenir que ce n’est pas l’homme qui fait la fonction ni la fonction qui fait l’homme mais que les deux sont en interaction. Bref, il devrait redécouvrir l’analyse systémique en lieu et place de la linéarité.
Ceci dit, pour la poule et l’œuf, on a toujours pas de réponse.
11:14 Publié dans ACTUALITE DE LA FORMATION, ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : besoin de formation, formation, éducation, entreprise, ressources humaines, magritte, the vache, poule, oeuf
26/11/2010
La courte échelle
Le principe de l’évaluation n’est pas discutable, en matière d’éducation comme dans beaucoup d’autres. Ou sinon, autant dire que nous n’accordons aucun sens à nos actions et que l’irresponsabilité est notre horizon indépassable.
C’est donc moins sur le principe de l’évaluation, débat stérile, que sur ses modalités que l’on doit s’interroger.
Il est d’usage de dire que les conditions de l’évaluation sont situées en amont de l’action et pas en aval. Ce qui oblige à travailler sur le sens justement : quelle fin poursuivons nous, quels sont les objectifs, dans quel ordre de priorité, quel résultat doit découler de l’action, etc. Il sera aisé ensuite de définir à quoi nous verrons si l’action a réussi ou non.
P. Cassagnes - Courte échelle
Le débat sur la notation à l’école gagnerait à être simplifié, ou tout simplement mieux posé. La question n’est pas de savoir s’il est nécessaire de noter ou pas. Il est indispensable évidemment d’évaluer le travail et le niveau des élèves. La question est de savoir ce que nous souhaitons obtenir comme résultat et si l’outil utilisé est adapté. S’il s’agit de maîtriser des savoirs fondamentaux, alors évaluons des niveaux de maîtrise. S’il s’agit d’évaluer des compétences (conçues comme des capacités à conduire des actions réfléchies), évaluons le degré de maîtrise de la compétence à partir de 4 ou 5 niveaux. Ce qui permettra au passage de pouvoir valider entièrement le résultat et non d’avoir une note maximale inatteignable qui maintient l’enfant dans une position d’infériorité et de manque. Ce qui était une manière de maintenir la position dominante du maître doit aujourd’hui disparaître.
En d’autres termes, à quoi cela sert-il d’utiliser un système de notation sur 10, et encore plus sur 20 ? cela fait penser aux systèmes de classification : lorsque l’on veut différencier les salariés, on rajoute des barreaux à l’échelle. Et là le roi est nu : plus l’échelle est longue et plus sa finalité première n’est pas l’évaluation fine (la fable de l’évaluation juste, au demi-point près n’est pas crédible) mais le classement des personnes. Si l’on veut véritablement accompagner un développement de compétences, une échelle courte suffit, et dieu sait si les enfants, la courte échelle ça les connaît.
01:16 Publié dans ACTUALITE DE LA FORMATION, PEDAGOGIES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : evaluation, notation, compétence, école, éducation, pédagogie
25/11/2010
Mythes et pratiques
Il n'aura pas fallu très longtemps pour que le mythe soit confronté aux pratiques qui le renvoient à sa condition de chimère. Et ce n'est pas une surprise. Qui peut, sans mauvaise foi, être surpris par la décision de Renault de proposer à des salariés un départ anticipé à 58 ans ? cela fait près de 40 ans que les départs anticipés tiennent lieu de politique de l'emploi et font l'objet d'un consensus total des employeurs, des organisations syndicales et de l'Etat. Initiée dans les charbonnages, cette politique s'épanouira dans la sidérurgie avant de gagner progressivement tous les secteurs d'activité, avec les encouragements de l'Etat qui financera longtemps avec le FNE les préretraites totales ou partielles. On se souvient d'IBM organisant des retraites à 52 ans à la fin des années 90, du Giat industrie plaçant la barre à 55 ans et plus récemment, alors qu'officiellement l'Etat ne soutenait plus les préretraites, de Nicolas Sarkozy Ministre de l'Economie et des Finances intervenir en 2004 en tant que médiateur auprès du Groupe Nestlé pour valider le plan de préretraites à 55 ans de l'établissement de Vergèze (source Perrier). Derrière le mythe du travailler plus, se profile l'ombre séductrice du départ anticipé : qui résisterait à une cessation d'activité avec maintien de 80 % du salaire en moyenne ?
Toyen - Le mythe de la lumière
Ces pratiques généralisées ont ancrées deux idées durablement : la première est que 60 ans est un horizon maximum, à rebours de tous les discours, et la seconde qu'il est normal de se séparer des quinqas. Même lorsque les financements de l'Etat seront supprimées, les pratiques ne changeront guère. Les grandes entreprises s'autofinancent et les petites bricolent à coup de rupture négociée, faux licenciement, inaptitude négociée avec le médecin du travail...tout ceci aboutissant à une préretraite financée en partie par l'UNEDIC, qui n'est pas dupe mais prend en charge dans un large consensus des partenaires sociaux.
Le mythe en l'occurence est de penser que l'on peut changer quarante ans de pratiques par la loi. C'est évidemment impossible et c'est cela qui exigeait pour la loi sur les retraites une concertation longue et impliquant tous les acteurs. A recourir à la marche forcée et à la contrainte, on n'obtient des résultats formels et du contournement, comme on peut le voir en matière d'emploi des seniors. Après Vilvorde et le fameux "l'Etat ne peut pas tout" de Jospin, voici les préretraites et la surprise de l'Etat et du MEDEF. Surprise, vraiment ?
07:05 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : preretraites, renault, sarkozy, jospin, medef, unedic, emploi, retraite
24/11/2010
Oui, mais elle est toulousaine
France Moulin est cette avocate qui a été condamnée dans le cadre de l'application de la loi Perben qui interdit la révélation d'information à des personnes susceptibles d'être mises en examen. Objet de polémiques, cette loi a été modifiée depuis. Mais le combat de l'avocate s'est porté sur un autre terrain, celui de la garantie des droits fondamentaux. Contestant le rôle joué par le Procureur de la République dans cette affaire, elle vient de faire juger par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) de Strasbourg que le Procureur, du fait de son lien hiérarchique avec l'exécutif, n'était pas une autorité judiciaire. La décision embarasse le Gouvernement, qui doit aujourd'hui soit retirer de multiples compétences aux Procureurs, soit couper le cordon ombilical entre le pouvoir et la justice. Et oui, les toulousaines aiment l'indépendance.
Miss Van
La déclaration des droits de l'homme proclame en son article 16 que qui n'a pas de séparation des pouvoirs n'a pas de constitution. Pour Montesquieu, accueillons ici l'appui bordelais à la lutte permanente contre le pouvoir central, la séparation des pouvoirs était le gage de la liberté : sans séparation des pouvoirs, point de liberté.
La France connaît depuis l'élection du Président de la République au suffrage universel, et plus encore depuis le quinquennat qui met la majorité parlementaire dans la main du Président, une séparation relative des pouvoirs entre l'exécutif et le législatif. Et les nominations judiciaires par le Président de la République maintiennent le lien entre l'exécutif et le judiciaire. Du reste, l'on sait que les parlementaires sont des godillots et les juges des petits pois (sont l'expression de l'actuel Président). Il serait nécessaire de s'en émouvoir, notamment en dénonçant le paradoxe de ceux qui brocardent l'assistanat tout en nous demandant de nous en remettre à un seul. S'il ne veut pas d'assistanat, que le pouvoir se replie et que la liberté se diffuse. A croire que la liberté et la démocratie sont acquises, on finit par s'endormir, heureusement qu'il y a des toulousaines pour nous réveiller !
Miss Van
Pour qui souhaite plus de détails, l'analyse de l'arrêt de la CEDH par le CREDOF
11:22 Publié dans DES IDEES COMME CA | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : france moulin, cedh, séparation des pouvoirs, miss van, graffiti, toulouse, sarkozy, justice, pouvoir
23/11/2010
Point d'archimède
J'ai toujours été impressionné par l'image d'un enfant faisant voltiger un homme corpulent, par le seul effet d'un bras de levier. La découverte du point d'archimède a été une révélation a plusieurs égards.
En premier lieu, le point d'archimède vérifie que si la réflexion ne doit pas entraver l'action, le temps pris pour comprendre et analyser un problème n'est jamais du temps perdu. La qualité de l'action dépend souvent de la qualité du diagnostic.
En deuxième lieu, il ouvre des horizons et rend possible ce qui semblait ne pas l'être. Ce qui paraît naturellement impossible, qu'un bambin renverse un homme adulte, le devient dès lors qu'il agit de manière adéquate.
En troisième lieu, le point d'archimède démontre que la sophistication de l'outil n'est pas une condition de son efficacité. Voilà de quoi soulever le monde pour peu que le point d'appui soit judicieusement choisi.
Et la quatrième leçon que je tirais du point d'archimède est une remise en question des hiérarchies dites naturelles. Pourquoi l'adulte aurait-il raison de l'enfant ? dans certaines situations, la balance penche du côté inattendu. Fi des statuts, des fonctions et des intentions, c'est au moment de la mise en action que l'on voit qui a choisi le bon côté et le meilleur levier pour agir.
Certes l'action en ressources humaines n'est pas mécanique, mais ce n'est pas une raison pour se priver de faire des bons diagnostics, de rendre possible ce qui semblait inatteignable et le tout en utilisant des outils simples. Mais alors, gare à l'ordre établi ! et c'est pourquoi l'on ne répéta pas trop qu'il suffisait d'un bon levier.
10:14 Publié dans PEDAGOGIES, TABLEAU NOIR | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : point d'archimède, ressources humaines, diagnostic, levier, pédagogie, formation