28/10/2010
Quand les RH font peur
Le mail de la DRH est plutôt attentionné. Adressé à tous les salariés de plus de 45 ans, il leur propose un entretien professionnel pour faire un point sur leur carrière et leurs compétences et les informer de leurs possibilités d'orientation et/ou de formation. Il est précisé qu'il s' inscrit dans le cadre de l'accord sur l'emploi des seniors. Il est proposé au salarié de choisir entre un entretien réalisé par le service RH ou avec un consultant externe, le contenu étant le même dans tous les cas. Il aurait pu être précisé que cet entretien n'était que la mise en oeuvre de l'obligation légale posée par la loi du 24 novembre 2009 de réaliser avec tous les salariés de 45 ans et plus un entretien de seconde partie de carrière. Bref, une obligation que l'entreprise s'apprête à mettre en place en bon élève. Sans avoir anticipé la panique que le mail déclencha chez certains collaborateurs. Pourquoi moi ? pourquoi un point sur ma carrière ? pourquoi parler de mes compétences ? que me veut la DRH ? on veut me virer ? et les managers d'éteindre le feu innocemment allumé par les ressources humaines. Quand vous rêvez de votre DRH (mais si, mais si...), c'est un rêve ou un cauchemar ?
Johann Heinrich Fussli - Le cauchemar - 1871
La réaction des salariés n'est pas particulièrement à mettre sur le compte du climat d'entreprise. La société va bien, elle est en croissance, il n'y a jamais eu de réduction d'effectifs, et le turn-over n'est pas une objectif en soi. Plutôt jeune, elle a de manière récente fait une plus large place à des profils de seniors avec un niveau d'expérience et d'expertise élevé. Très peu de raisons internes donc d'avoir peur. Il faut sans doute y voir une crainte plus large, plus diffuse, liée à des années de politiques RH en direction des seniors, dont on ne s'occupait que pour s'en séparer, et peut être aussi d'image des bilans de compétences ou entretiens de carrières, jamais si développés que pour accompagner les départs. Bref, ce que la DRH n'avait pas anticipé c'est que proposer un bilan aux seniors à l'aune des pratiques passées ce n'est pas une bonne nouvelle. Et que pour une telle nouveauté, le canal du mail était peut être insuffisant.
Le second enseignement de l'histoire est qu'il ne faut jamais présumer le bonheur d'autrui et surtout pas en fonction du notre. A défaut, on retombe dans la RH magique, celle qui pétrie de bonnes intentions déclenche des réactions de défiance ou de rejet chez les salariés. Quel métier !
00:05 Publié dans HISTOIRES DE CONSULTANT | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : drh, ressources humaines, entretien professionnel, cauchemar, mail, communication, management, seniors, plan emploi senior
27/10/2010
Savoir d'expérience
« Moi je sais de quoi je parle, j’ai l’expérience ». Les sources de la légitimité personnelle sont nombreuses : dans notre pays la légitimité par le diplôme, ou plus encore par l’école fréquentée, est un peu envahissante. Il n’en reste pas moins qu’elle ne cède pas totalement à la légitimité par l’expérience. Bien plus ancienne, elle possède son icône : Saint-Thomas qui y met les doigts pour constater que le Christ mort est bien ressuscité.
Le Caravage - L'incrédulité de Saint-Thomas - 1602
Ainsi, seule la vérification « de visu » (« de manu » en l’occurrence pour Saint-Thomas), permettrait d’établir la vérité. L’expérience directe comme seule source valide du savoir. Cette légitimité admise est pourtant discutable car elle fait fi de la transmission et des limites de l’expérience directe, sans parler des autres manières d’accéder au savoir.
De la transmission il convient d’ailleurs de se moquer : n’est-il pas ridicule l’homme qui a vu l’homme, qui a vu l’homme, qui a vu l’ours, et qui n’a pas eu peur. Coupé de l’expérience sensible immédiate, le savoir s’étiole. L’idée de l’ours n’est pas plus l’ours que la représentation de la pipe par Magritte ne se fume.
Magritte - La trahison des images - 1929
Pourtant, la transmission loin d’être une déperdition du savoir peut contribuer à son enrichissement dès lors que l’enseignant n’abreuve pas l’enseigné mais construit un dialogue avec lui. Et à partir de ce cadre, il est possible de s’ouvrir à d’autres formes de savoir (la lecture, l’enquête, la recherche, l’échange, la réflexion, la méditation y compris la méditation poétique qui sont autant de sources de connaissance). C’est pour cette raison que les rugbymen font du tableau noir et des séances vidéos : parce que l’expérience du match est insuffisante à elle seule pour parfaire leur savoir. Merci à eux de nous apprendre que l'expérience est indispensable mais insuffisante. Et qu'un grand entraîneur n'a pas forcément été un grand joueur.
Matta - O tableau noir - 1991
La seconde limite est dans le credo de nos sens. Ce que nous voyons, ce que nous percevons, ce que nous entendons, ce que nous touchons, ce que nous goutons passe à l’inévitable tamis de notre personnalité : tel palais éduqué au goût n’aura pas la même sensation que celui qui ne prend guère le temps d’apprécier les aliments rapidement engloutis. Et l’on comprend que l’expérience directe condamne au relativisme à l’infini et qu’il faut dépasser la perception individuelle pour parvenir à une quelconque vérité. En d’autres termes, la vérité de chacun est le meilleur ennemi non seulement de l’établissement de quelques certitudes mais également de la production du savoir. La connaissance, en effet, ne peut croître et se développer que si chacun accepte d’amener son expérience personnelle dans le débat pour mieux apprendre à la dépasser. Jésus l’avait d’ailleurs compris qui répondit à Saint-Thomas l’incrédule : “Parce que tu m’as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru !” ».
00:40 Publié dans PEDAGOGIES, TABLEAU NOIR | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : matta, savoir, expérience, éducation, pédagogie, formation, caravage, peinture, art, magritte, jésus
26/10/2010
Un monde inhabité
La Foire international d'art contemporain (FIAC) de Paris s'est tenue pendant quatre jours au Grand-Palais et divers autres lieux parisiens. Il y avait cette année six foires off, dont ChicArtFair qui se tenait dans les superbes locaux de la cité du design et de la mode, en bords de Seine. L'occasion de belles découvertes, dont celle de José Manuel Ballester, artiste madrilène qui vide les toiles de maître de ses habitants.
Sandro Botticelli - Histoire de Nastagio degli Onesti - 1487
José Manuel Ballester - Bosquet italien III - 2008
La scène pourrait préfigurer la chanson de Charlélie Couture : "Y'avait une fête ici". Elle fait apparaître en personnage principal le paysage qui n'était qu'un décor dans le tableau original. Elle montre peut être aussi le travail du peintre qui, comme Ingres, peignait le fonds ou le faisait réaliser par ses élèves avant de poser délicatement chaque personnage à sa place.
Fra Angelico - Annonciation - 1430 - Ballester - Lieu pour une annonciation - 2007
Difficile de dire que la toile est inhabitée. Le lieu pour une annonciation préfigure la scène qui s'y déroulera. Ainsi est on bien persuadé qu'il est des lieux dans lesquels la magie ne peut qu'opérer. Qui s'installe sous ces arches sera nécessairement touché par la grâce.
Bosch - Le jardin des délices - 1490 - Ballester - Le jardin inhabité 2008
Le jardin inhabité est plus inquiétant. La nature de Bosch privée de ses habitants ne comporte plus guère de délices. On dirait une machine qui tourne à vide et qui ne produit que peu de plaisirs. Elle ressemble à ce monde déshumanisé que certains n'envisagent que comme un grand lego économique dans lequel l'homme n'a sa place qu'en tant que producteur/consommateur. Le jardin des délices ce n'est pas l'après-fête, c'est l'après fermeture d'activité, c'est la friche industrielle qui restera en l'état de longues années. En supprimant les habitants du paradisiaque jardin, Ballester prend le contrepied de Sartre, l'enfer ce n'est pas les autres, c'est quand les autres ne sont plus là, parce qu'il y a de fortes chances pour que l'on n'y soit pas non plus.
10:10 Publié dans TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fiac, chicartfair, bosch, botticelli, fra angelico, peinture, art, ballester, jardin, économie, politique
25/10/2010
Triste triomphe
Depuis environ une vingtaine d'années, la Cour de cassation a entrepris de redonner toute sa place au contrat de travail. Pour ce faire, elle n'a eu de cesse de consacrer la volonté du salarié face à celle de l'employeur, en élargissant le champ du contrat de travail et en restreignant celui des conditions de travail, selon la distinction posée en 1996 pour marquer les limites du pouvoir de direction.
Mais la Cour de cassation a également opposé le contrat individuel au contrat collectif en multipliant les possibilités pour le salarié de refuser l'application d'un accord collectif dès lors que celui-ci touchait à son contrat de travail. Il n'est pas illogique que la volonté collective ne puisse systématiquement contraindre la volonté individuelle et que le contrat qui confère la qualité de salarié soit garanti dans son contenu. Mais jusqu'à présent les juges considéraient que certains éléments, dont l'organisation du travail, relevaient par principe de régimes collectifs et non individuels. Par une surprenante décision en date du 28 septembre 2010, la Cour de cassation affirme que l'instauration d'une modulation du temps de travail constitue une modification du contrat qui nécessite l'accord exprès du salarié. Voici donc l'individu royalement couronné qui ne peut se voir contraint par le contrat collectif, même régulièrement négocié et même dans un domaine par nature collectif.
Caravage - Bacchus - 1593
Cette promotion de l'individu n'est pas lubie des juges. Elle s'inscrit dans le mouvement plus large d'individualisation des relations de travail et de dilution du collectif. A ce titre, elle peut rappeler comment au 15ème siècle les peintres flamands ont introduit l'individu réel, et non plus l'individu symbole d'idées le dépassant, dans la peinture (sur ce thème, voir le très beau livre de Tzvetan Todorov "Eloge de l'individu"). Ce mouvement se poursuivra à la Renaissance, trouvant sans doute son apogée avec Le Caravage dont les dieux ont figure humaine. Et pourtant, cette chair incarnée est bien triste. L'individu saisi dans toute sa réalité physique et sa banalité quotidienne se trouve bien seul, coupé du collectif. Cette opposition est présente dans le tableau du Caravage où le corps très académique tranche avec le visage plus elliptique. Quatre siècles plus tard, le débat n'est toujours pas clos. La jurisprudence de la Cour de cassation, qui rend extrêment complexe et délicate désormais la négociation et l'application d'un accord d'annualisation du temps de travail, semble imposer la prééminence du contrat individuel sur le contrat collectif. Aussi paradoxal que cela paraisse, cette affirmation de la volonté individuelle porte en elle-même un affaiblissement du salarié en le conduisant malgré lui vers une contractualisation individuelle de l'ensemble de sa situation de travail qui le laisse en position isolée de négociation face à l'employeur. Quant à ce dernier, il se trouve contraint de conduire des dizaines de négociations individuelles pour pouvoir mettre en oeuvre une négociation collective. Au final, cet émiettement du champ du négociable ne satisfera personne. Triste triomphe pour le contrat.
07:30 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES, DROIT DU TRAVAIL, TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : modulation, annualisation, temps de travail, jurisprudence, cour de cassation, caravage, peinture, bacchus, todorov, droit
22/10/2010
Anarchie républicaine
La loi du 20 août 2008 est une météorite dont la chute va, comme celle de sa lointaine consoeur, provoquer la disparition des dinosaures, on veut parler des organisations syndicales qui ont vécu pendant des années à l'abri d'une représentativité de droit qu'elles n'avaient pas à justifier sur le terrain. Voulue par certaines organisations elles-mêmes, qui aspirent sans doute à devenir oiseau selon la noble évolution des derniers dinosaures, cette loi permet, entre autres, à toute organisation syndicale respectant les valeurs républicaines et existant depuis au moins deux ans de présenter des candidats aux élections dans toutes les entreprises relevant de son champ géographique et professionnel. Portes largement ouvertes donc aux organisations syndicales pour leur entrée dans l'entreprise à l'injustifiable exception des entreprises de moins de 11 salariés, et pour tenter d'obtenir lors des élections les 10 % des voix qui leur assureront la représentativité, désormais gagnée sur le terrain et non plus régaliennement octroyée.
Yves Tanguy - Extinction des lumières inutiles
La loi du 20 août a évidemment donné lieu à moulte contentieux, dont certains opposent des organisations concurrentes, car on a beau récuser la concurrence et la compétition force est de constater qu'il y a segmentation du marché syndical, construction d'offres et propagande, qui n'est jamais que la version politique de la publicité. Mais dans les deux affaires qui nous occupent, ce sont des directions qui s'opposaient à la désignation d'un Représentant de section syndicale (RSS) par Sud et par la CNT.
A Sud, il était reproché son socialisme autogestionnaire qui serait contraire à la liberté d'entreprendre et au droit de propriété. Le TGI a refusé de se replonger dans le 19ème siècle et de reprendre le débat avec Proud'hon et n'a pas estimé que Sud menaçait l'entreprise (TGI de longjumeau, SFR, 1er février 2010).
La seconde décision concerne la CNT, organisation syndicale anarchiste. Selon l'employeur les statuts de la CNT s'opposent aux valeurs républicaines car ils pronent l'abolition de l'Etat et le recours à l'action directe. Pas de raison de s'emballer pour la Cour de cassation, si c'est au pied du mur que l'on juge le maçon, c'est en haut du mur que l'on apprécie sa compétence. En l'absence d'actes traduisant ces vigoureuses déclarations, il n'y a pas matière à censure (Cass. soc., 13 octobre 2010). Le paradoxe est que les deux organisations syndicales se réjouiront de décisions qui constatent pour l'une que sa philosophie s'accorde à la liberté d'entreprise et au droit de propriété et pour l'autre qu'elle n'est anarchiste que dans les textes. Humour judiciaire involontaire ?
01:27 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES, DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : cnt, sud, loi 20 août 2008, représentativité, syndicats, anarchie, peinture, reiser, valeurs, république
21/10/2010
Rupture conventionnelle, pas de bluff !
La rupture conventionnelle du contrat de travail connaît un succès croissant depuis sa création en juin 2008. Nous serions désormais sur une base de 150 000 ruptures conventionnelles par an. Contrairement aux affirmations, pas toujours désintéressées, de certains avocats, la rupture conventionnelle constitue bien la modalité de rupture du contrat de travail qui offre la plus grande sécurité juridique c'est-à-dire qui prête le moins le flanc à la contestation. C'est donc elle qu'il faut privilégier si l'on préfère un bon accord à un mauvais procès. Encore faut-il réunir deux conditions pour la sécuriser : traiter l'intégralité des droits du salarié et l'informer complètement sur sa situation post-rupture.
MarieJnn - Rupture
Pour les droits du salarié, on prendra soin de passer en revue tous les droits en cours ou à venir et de déterminer leur mode de règlement : salaires dus, jours de RTT, jours de congés payés, utilisation ou non du DIF avant la rupture, commissions à venir, primes venant à échéance après la rupture (proratisation ou non), versements ultérieurs le cas échéant de l'intéressement et de la participation, clause de non concurrence, dispense ou pas de travail avant la fin du contrat, etc. Pour ce faire, il sera nécessaire d'établir un contrat listant tout ces points et de ne pas se contenter du formulaire de l'administration qui sert à l'enregistrement mais pas à fixer toutes les conditions de la rupture.
Pour l'information complète du salarié, il est nécessaire de l'informer sur ses droits dans le cadre de la rupture : traitement fiscal et social des sommes versées à l'occasion de la rupture, délai de carence pour l'assurance-chômage, montant des indemnités d'assurance-chômage, impact de la rupture sur d'autres droits du salarié (notamment en matière d'assurance sur les crédits immobiliers : selon que le contrat vise une indemnisation par l'assurance chômage ou une perte d 'emploi due à un licenciement, la garantie pourra jouer ou non).
Dès lors que toutes ces conditions sont respectées, et que l'on conduit donc une négociation globale et loyale, la rupture conventionnelle constituera bien le mode de rupture du contrat de travail le plus sécurisé...quant à la rupture. Car rien n'exclut qu'un salarié saisisse les prud'hommes pour demander le paiement d'heures supplémentaires ou la réparation d'un préjudice moral du fait d'un harcèlement. Mais un contrat qui interdirait au salarié tout recours concernant l'exécution et la rupture du contrat de travail, cela n'existe pas, et lorsque cela existe, c'est du bluff.
20/10/2010
La rémunération doit-elle être juste ?
Rassurez-vous, la rentrée n'a pas déjà dissipé tous les effets bénéfiques de l'été et il ne s'agit pas ni de savoir si le salaire doit être conforme aux règles ni la paie correctement effectuée. Il s'agit de savoir si le système de rémunération d'une entreprise et la justice ont à faire ensemble. En d'autres termes, les salariés attendent-ils d'un système de rémunération qu'il soit juste ? et un système juste a-t-il plus d'effets sur la motivation, l'efficacité, l'implication, la fidélité qu'un système qui le serait moins ? à toutes ces questions il ne pourra être répondu dans cette courte chronique qui prétend tout de même livrer quelques éléments de réflexion.
Le cabinet Mercer a publié le 4 octobre dernier son enquête de rémunération France 2010 (voir Entreprise et Carrières n° 1019). On y apprend, notamment, que la part accordée aux augmentations individuelles -dont le taux median varie entre 1,5 % et 2 %- est désormais supérieure à celle des augmentations générales -taux médian entre 1,3 % et 1,5 %. Selon Bruno Rocquemont, responsable des enquêtes et rémunérations chez Mercer, cette primauté des augmentations individuelles s'inscrit dans la logique d'une gestion des talents et permet d'éviter les effets de saupoudrage. Sur ce dernier point, il faudrait élargir le regard : sous couvert d'individualisation, on connaît les managers qui "font tourner" et récompensent individuellement sur quelques années...l'intégralité ou quasiment de leur équipe faisant échec aux systèmes individualisés. Mais notre sujet était la justice.
Salvador Dali - Lame de Tarot - La justice
Transportons nous dans le monde judiciaire : vous êtes juré d'assise, le procès touche à sa fin, aucune preuve matérielle n'a été apportée de la culpabilité et vous n'avez face à vous que quelques éléments troublants mais pas de certitude. Est-ce que vous condamnez ou est-ce que vous acquittez ? en d'autres termes, pensez-vous qu'il vaut mieux prendre le risque d'un innocent en prison ou d'un coupable libre ? Si vous penchez pour la première hypothèse, l'étude de Mercer vous confortera : il vaut mieux ne pas augmenter tous les salariés selon leur travail mais uniquement quelques uns (l'individualisation supposant que certains ne soient pas augmentés), alors que si vous penchez pour la seconde hypothèse, vous préfèrerez augmenter plus largement pour ne sanctionner aucun des salariés ayant fourni des efforts, au risque de rémunérer certains qui en ont peu fourni. Quand à savoir si en prédéterminant une enveloppe limitée il est possible de n'augmenter que les salariés qui le méritent mais sans en oublier aucun, sur le papier c'est déjà difficile mais dans le cadre d'une prise de décision manageriale cela finirait par relever du hasard. Il vous reste aussi la possibilité de considérer que justice et rémunération n'ont rien à faire ensemble.
00:05 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES, DANS LA PRESSE | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : entreprise et carrières, rémunération, enquête, mercer, justice, dali, peinture, ressources humaines, égalité, équité, droit, salaire
19/10/2010
Pensée catégorielle
La chanson date de 1935. Ecrite par Jean Nohain, sur une musique de Mireille, elle était chantée par Maurice Chevalier. Une autre époque, je ne vous le fais pas dire. Mais faisons le test : est-ce que l'air vous revient à l'esprit lorsque vous lisez "Quant une marquise, rencontre une autre marquise, qu'est-ce qu'elles se disent ? des histoires de marquises". Si la ritournelle a marqué les esprits et traversé le siècle, c'est sans doute qu'elle faisait écho en nous. Rappelons que le refrain de la chanson est : "Chacun sur terre se fout, se fout, des petites affaires de son voisin du dessous ; Nos petites affaires, à nous, à nous, nos petites affaires c'est ce qui passe avant tout". L'idée que l'on agit jamais que dans son propre intérêt semble donc une vérité admise qui conduit parfois à s'étonner, voire à s'indigner, que certains puissent défendre d'autres intérêts que les leurs. Ainsi, ceux là même qui souvent vilipendent les revendications catégorielles s'étonnent aujourd'hui que les lycéens et étudiants participent aux manifestations contre la loi sur la retraite, eux qui ne seront concernés que dans 50 ans, au bas mot. Ceci revient, de fait, à n'admettre que les revendications corporatistes et à ne reconnaître comme légitime que les manifestations décidées par les syndics de la corporation. Difficile donc de critiquer à la fois les étudiants et les revendications catégorielles.
Rembrandt - Le syndic des drapiers - 1662
On peut également constater qu'après chaque élection, il se trouve toujours une équipe de journalistes pour aller voir pourquoi dans un village rural on a voté pour le Front national alors qu'il n'y a pas d'immigrés dans la commune. Validant ainsi la double stupidité que l'on ne peut voter qu'en fonction de ce qui se passe sur le petit périmètre de son territoire et qu'il est normal de voter Front national en présence d'immigrés.
S'étonnera-t-on demain de trouver des hommes pour manifester en faveur du droit à l'avortement, des citoyens n'ayant jamais connu la prison pour l'amélioration des conditions de détention, des nationaux en faveur des migrants ? Est-il si choquant qu'un citoyen se sente concerné par tout ce qui fait la vie sociale, culturelle, économique en un mot la vie de la collectivité à laquelle il appartient ? il serait au contraire hautement souhaitable pour le pays que l'on voit des individus se mobiliser pour des causes qui vont au-delà de leurs intérêts personnels. La démocratie politique, et la démocratie sociale, sont censés être fondées sur le désintéressement, c'est-à-dire l'intérêt pour les affaires des autres plutôt que les siennes propres. Peut être serait-il bon d'en revenir à ce principe. Ainsi, l'on pourrait sans être marquis s'intéresser aux histoires de marquises, surtout lorsqu'il s'agit de Luisa Casati, la marquise de l'étrange.
Giovanni Boldini - La marquise Casati - 1809
La marquise Casati - Man Ray - 1922
00:36 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES, DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : retraite, manfestations, étudiants, syndicats, corporatisme, politique, man ray, casati, boldini, mauriche chevalier
18/10/2010
Pensée non linéaire
Benoît Mandelbrot est mort jeudi 14 octobre 2010. Il est officiellement, depuis 1974, le père des mathématiques fractales. De quoi s'agit-il ? de mathématiques non linéaires qui reposent sur le principe de l'homothétie ou auto-similarité. En d'autres termes, il s'agit d'identifier des objets dont chaque partie a la même forme que le tout. Et Mandelbrot découvre ces objets et leurs propriétés à la fois par la recherche mathématique, mais aussi par l'observation de la nature : les arbres, les fougères, les alvéoles des poumons, les vaisseaux sanguins, autant d'objets fractals. Esprit curieux, joyeux et ouvert, Mandelbort remarque une fractale dans une peinture japonaise du 19ème siècle, aujourd'hui oeuvre majeure de l'art oriental : la vague, d'Hokusai.
Hokusai - La Vague - 1831
La fractale apparaît dans l'écume de la vague, motif répété qui reproduit la vague elle-même. Mandelbrot affinera ses recherches pour parvenir à une représentation graphique de ses théories qui ne manque ni de puissance d'évocation ni de poésie.
Fractale de Mandelbrot
Les fractales, qui illustrent la théorie de la rugosité ou les mathématiques non linéaires, permettent de comprendre des situations ou des phénomènes naturels, qui ne sont pas appréhendés, ou mal, par les théories qui postulent la régularité des séries, moyennes ou évènements. Leur représentation graphique offre une nouvelle image de la nature, de la pensée et de la vie.
Ensemble de Julia
Mandelbrot aimait la vie, goulument et joyeusement. Il était salarié d'IBM à l'époque de la grande puissance de la firme. Il a réalisé ses découvertes parce qu'il a su sortir du raisonnement disciplinaire et s'est autorisé à faire des relations entre des domaines, des observations, des pensées qui n'ont, a priori, pas de lien entre eux. Il a ouvert largement de nouveaux horizons par un braconnage hors des sentiers battus et une aptitude à la rêverie poétique. Les représentations graphiques des fractales produisent des oeuvres d'art. Mandelbrot présidait tous les ans un concours de représentations graphiques des fractales. En 2009, il termina son discours par ces mots : "Rien n'est plus sérieux que le jeu. Jouons !". Bien éloigné de la vision doloriste de la vie et du travail, un beau programme pour un lundi.
00:45 Publié dans DES IDEES COMME CA, TABLEAU NOIR | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : mandelbrot, mathématique, ibm, fractale, jeu, hokusai, peinture, art
15/10/2010
Quand la CGC voit double
Le Conseil Constitutionnel a tranché le 7 octobre dernier : les dispositions du Code du travail adoptées spécialement pour la CGC ne sont pas inconstitutionnelles. De quoi s'agit-il ? depuis la loi du 20 août 2008, les organisations syndicales ne sont représentatives dans l'entreprise que si elles obtiennent au moins 10 % des suffrages exprimés lors du premier tour des élections du comité d'entreprise. Cette réforme, qui a pour objectif de légitimer les syndicats par le vote et d'assurer ainsi leur capacité à conclure des accords engageant les salariés, a été contestée par les syndicats "minoritaires" qui voient leur représentativité menacée. Normalement, les 10 % s'apprécient au niveau de l'entreprise. Sauf pour la CGC, d'où le recours, qui du fait de sa nature catégorielle, voit sa représentativité appréciée uniquement dans le ou les collèges (deuxième et/ou troisième) dans lesquels elle peut présenter des candidats. Dérogation inacceptable pour FO qui est à l'origine du recours. Pour le Conseil constitutionnel, la disposition ne fait pas problème et ne créé pas une inégalité car elle concerne un syndicat catégoriel et ne mesure une représentativité qui ne vaut que pour les salariés appartenant aux collèges concernés. Cette précision n'exclut toutefois pas que le calcul de représentativité pour la CGC soit double.
B.M.C - Taureau mort et son double
En effet, la CGC peut demander un calcul de représentativité uniquement dans le collège cadre ou bien dans le collège cadre et le collège techniciens agents de maîtrise, qui sont les collèges dans lesquels elle peut statutairement présenter des candidats. Dans ce cas, si elle atteint 10 % elle est représentative mais uniquement pour les salariés appartenant à ce ou ces collèges. Elle ne peut donc pas conclure d'accord couvrant tous les salariés de l'entreprise. Par contre, si elle obtient, serait-ce à partir des résultats dans un seul collège, plus de 10 % au niveau de l'entreprise, malgré son caractère catégoriel elle peut prétendre représenter l'ensemble des salariés puisque la loi ne fixe aucun minima par collège dans ce cas. Avantage du syndicat catégoriel qui peut jouer soit uniquement sur sa catégorie, soit au niveau de toute l'entreprise si son poids catégoriel est suffisant. Seule restriction : la CGC ne peut présenter de candidats dans le premier collège sans perdre cet avantage de la double représentativité. En effet, si elle présente des candidats dans tous les collèges, elle n'est plus par définition une organisation catégorielle.
Et voilà comment une organisation à qui certains promettaient disparition avec la réforme de 2008 se trouve au contraire dans une situation plus confortable que d'autres organisations, notamment celle qui lui contestait ce droit à une double représentativité. Dans l'arène de la représentativité, tous les taureaux ne sont donc pas égaux. Reste à souhaiter de belles corridas !
01:45 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES, DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : taureau, tauromachie, cgc, syndicat, élection, comité d'entreprise, droit du travail, représentativité, b.m.c
14/10/2010
Le malin et le couillon
Nombre de salariés sont déçus par les résultats du bilan de compétences qu'ils ont suivi. Travail essentiellement personnel et peu professionnel, psychologisation excessive du travail réalisé, absence d'analyse fine des compétences, renvoi à un travail personnel pour aller plus loin, méconnaissance des emplois et/ou secteurs vers lesquels on oriente, sentiment d'avoir un bilan horoscopique c'est à dire formulé en des termes si généraux que, comme dans l'horoscope, tout est vrai et faux à la fois, etc. Inévitablement, les salariés déçus se plaignent des prestataires. Au dernier plaignant rencontré j'ai demandé comment il avait choisi l'organisme : "L'entreprise m'a donné une liste, et j'ai retenu celui qui était le plus près de chez moi". Certes, le bilan se déroule par étapes et le côté pratique n'est pas à négliger. Mais à être si peu exigeant sur l'achat, il ne faut pas totalement s'étonner de ne pas se retrouver dans le résultat. Selon l'adage du Sud-Ouest : "Tant qu'il y aura un couillon pour acheter, il y aura un malin pour vendre". Autrement dit, la qualité est d'abord le problème de l'acheteur avant d'être celui du fournisseur.
Couillon qui fait le malin, maline qui n'est pas dupe
Qui veut acheter un bilan de compétences doit se comporter en consommateur avisé. Il peut, par exemple, poser trois questions :
- quel type de bilan réalisez- vous ? les objectifs du bilan de compétences sont tellement larges, qu'il serait bon signe que le prestataire ne délivre pas qu'un type de prestation mais dispose d'une gamme de deux ou trois bilans différents (bilan-orientation, bilan-validation de projet, bilan-évaluation par exemple).
- pouvez-vous me montrer un exemple de synthèse de bilan, anonyme évidemment ? qui se réfugie derrière la déontologie pour ne rien montrer de ses productions pourra être évité. Et l'on pourra juger sur pièce si le type de résultat produit convient à la demande.
- est-ce que j'aurai l'occasion de travailler avec plusieurs personnes et quel est leur profil ? les organismes paritaires qui agréent les prestataires de bilan ont souvent, par leurs critères, généré une surreprésentation des psychologues chez les prestataires de bilan, en vertu du principe qu'ils sont seuls habilités à réaliser certains tests de personnalité. Il est souhaitable de vérifier si c'est un travail de ce type qui est recherché et de déterminer de quelle manière il sera procédé à l'établissement et à l'évaluation des compétences et dans quelle mesure elles pourront être contextualisées, c'est-à-dire rapprochées de situations d'activités correspondant aux conditions d'exercice souhaitées. Délicat d'orienter vers un métier de métrologue si l'on pense qu'il s'agit de prévisions météo.
Si le questionnement vous ennuie, achetez le journal du jour et lisez votre horoscope, vous soutiendrez la presse qui en a bien besoin, vous économiserez temps et argent et vous disposerez sans délai de votre synthèse écrite.
00:10 Publié dans DROIT DE LA FORMATION, HISTOIRES DE CONSULTANT | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : bilan de compétences, formation, couillon, horoscope, psychologue, tests, orientation professionnelle
13/10/2010
Pas de motif, un seul motif
Le droit du travail oblige parfois l'employeur à motiver ses décisions, notamment en matière disciplinaire ou de licenciement. Mais ce principe n'est pas général et certaines décisions, qui pourtant font grief au salarié ce qui justifierait, sur le principe, qu'il puisse en connaître les raisons, n'ont pas à être motivées. Pourquoi cette différence ? avançons une explication sans avoir vérifié si elle ne comportait pas de contre-exemple. Deux lois relativement récentes ne font pas obligation à l'employeur de motiver sa décision qui doit pourtant être écrite. Elles nous permettent peut être de comprendre pourquoi certaines décisions n'ont pas à être motivées : parce qu'il n'existe qu'un seul motif possible. L'unicité du motif est un thème cher à Jean-Pierre Balagué, peintre toulousain.
Jean-Pierre Balagué - Sans titre - 2004
La loi du 25 juin 2008 a réformé le droit de la période d'essai en prévoyant une rupture possible par l'employeur sous la seule condition de respect d'un préavis mais sans motivation. Pourquoi ? parce que le seul motif possible de la rupture d'une période d'essai est une évaluation négative des compétences du salarié dans son travail, ce qui est l'objet même de la période d'essai (C. trav., art. L. 1221-20). Si le salarié prouve que d'autres motifs sont à l'origine de la rupture (motif économique notamment ou motif non inhérent à l'appréciation de ses capacités), la rupture sera considérée comme abusive. Un peu antérieure, la loi du 4 mai 2004 a introduit dans le code du travail le droit individuel à la formation (DIF) conçu par les partenaires sociaux. Ce droit nécessite un accord entre l'employeur et le salarié pour pouvoir être mis en oeuvre. Si l'employeur refuse une demande de DIF il n'a pas, légalement, à motiver ce refus. Pourquoi ? parce que le seul motif de refus possible est un désaccord sur la formation choisie par le salarié. Il n'est en effet pas question pour l'employeur de nier le DIF mais simplement d'en négocier la mise en oeuvre. Dès lors, en cas de refus, inutile pour le salarié de s'entêter à représenter des demandes similaires. Mieux vaut inverser la proposition et demander à l'employeur quelles sont les formations pour lesquelles il est prêt à accepter une demande de DIF. Ce qui renverra l'entreprise à l'obligation de décider d'une politique de DIF qu'elle doit présenter tous les ans au comité d'entreprise. Certaines conventions collectives imposant la motivation, les entreprises ont tout intérêt à s'en tenir au motif légal. En effet, un refus fondé sur une absence de budget ou un refus de financement de l'OPCA pourrait être criticable car étranger au seul motif légalement prévu. Et l'on constate qu'absence de motivation ne signifie donc pas totale et discrétionnaire liberté de décision.
01:10 Publié dans DROIT DE LA FORMATION, DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : dif, période d'essai, motivation, contrat de travail, droit, droit du travail, ressources humaines, formation, rupture du contrat
12/10/2010
Manifestation intensive
Il est souvent bon de rappeler des évidences, peut être même faudrait-il commencer par cela. Il fut ces jours-ci répondu à cette injonction de diverses manières.
Lors d'un Congrès HR, DRH et consultants s'entendirent pour considérer qu'après avoir créé des outils, la GPEC devait s'attacher à donner du sens. Voilà qui aurait pu être utilement rappelé il y a quelques années tant pour la GPEC que pour le knowledge management.
Jean-Marie Haesslé - Intensive Knowledge - 1995
Persuadée également des bienfaits de l'évidence, la Cour de cassation vient de rappeler qu'une entreprise ne peut attendre 5 semaines pour procéder à un licenciement pour faute grave. L'entreprise invoquait en vain que le Code du travail lui laisse deux mois pour prononcer une sanction disciplinaire. Imperturbable, force de l'évidence, le juge rappelle que la faute grave étant définie par l'impossibilité de poursuivre la relation de travail, elle impose une rupture quasi-immédiate (Cass. soc., 6 octobre 2010).
Enfin, on peut relever que Luc Chatel a rappelé que "la réforme des retraites, c'est la réforme des jeunes". Une nouvelle manifestation de l'évidence. Intensive.
01:00 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES, DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : luc chatel, retraite, réforme, manifestation, gpec, ressources humaines, licenciement, faute grave
10/10/2010
Indépendance de la valeur
Surgie du noir le plus profond, elle vous toise et ses yeux vous en imposent sans besoin de croiser les vôtres. L’enfance est en ses joues, la détermination raffinée barre son front, ses principes s’incarnent dans son port, la rigueur de son esprit lisse sa coiffe, la sensualité est la nature même de la belle milanaise. Qu’elle fut la maîtresse de Sforza importerait peu si cela n’avait suscité chez l’amant la commande que Léonard et son atelier surent mettre à profit pour faire jaillir l’envoûtant chef d’œuvre. En quoi l’acte marchand initial disqualifierait-il en quoi que ce soit la beauté de la belle ferronnière ?
Léonard de Vinci - La belle ferronnière - 1497
J’ai souvenir d’un directeur d’école annonçant aux étudiants lors d’une rentrée que ce qui n’a pas de prix n’a pas de valeur. Il fallut à la fois lui rappeler que l’amour et l’amitié existent aussi sur terre et plusieurs semaines pour dissiper la stupeur des étudiants. Mais faut-il pour autant, comme nous y invite Annie Le Brun, inverser la proposition et considérer qu’il ne faut mettre de valeur qu’en ce qui n’a pas de prix ? faut-il ne voir derrière toute transaction marchande que sa version péjorative sous forme de marchandisation ? La visite de l’exposition France 1500, décidément à ne pas manquer, constitue une forme de réponse. On y voit, dans la France de la fin du Moyen-Age, des artistes et artisans flamands, français, italiens ou encore allemands, se déplacer vers les lieux de création, mêler leurs techniques, découvrir de nouveaux horizons, croiser les influences, inventer chacun au sein d’un mouvement de création collective de nouvelles formes et manières de les modeler. Comment tout cela fut-il possible ? par la commande publique et privée, par le mécénat, par l’attention portée à l’art et par l’existence d’ateliers qui ont bénéficié des moyens nécessaires pour aller au bout de leurs capacités. Alors ? alors l’équation est insoluble tout simplement parce que valeur et prix n’entretiennent aucun rapport entre eux et que persister à vouloir en établir un, c’est toujours réduire le sens donné au mot valeur. Qu’il y ait prix ou non, il ne saurait en toute hypothèse être une condition ni une mesure de la valeur qui doit s’établir au regard d’autres hiérarchies. C’est plutôt à ces dernières qu’il convient de s’intéresser. Avis aux organisations qui prétendent avoir des valeurs qu'elles affichent comme des prix.
19:12 Publié dans TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : léonard de vinci, belle ferronnière, france 1500, valeurs, ressources humaines, prix, économie, peinture, exposition
08/10/2010
Du temps où le Roi avait des lettres
Imagine-t-on geste plus doux d'un amoureux envers l'aimée ? la personnification de la puissance, de l'histoire qui se fait et de l'autorité peut-elle avoir attitude plus délicate, bienveillante, attentionnée, en un mot amoureuse ? d'ailleurs la barbe du vieil homme n'est-elle pas soyeuse chevelure de femme ? Comme les indiens le faisaient avec les biches qu'ils tuaient, François 1er se penche sur Léonard pour aspirer son dernier souffle afin que vive l'esprit en lui. Et ce faisant, le regard du souverain exprime l'obligeance du pouvoir à la connaissance, l'humilité de l'épée devant la plume, le respect que le corps triomphant doit au cerveau qui le guide. Le tableau d'Ingres est un chef d'oeuvre que l'on peut admirer depuis le 6 octobre au Grand Palais à l'occasion de l'exposition "France 1500". Et au-delà du thème, vous pouvez simplement faire abstraction de tout et ne regarder que les mains présentes dans le tableau : elles vous content l'histoire.
Ingres - François 1er reçoit les derniers soupirs de Léonard de Vinci - 1818
L'admiration dans laquelle François 1er tenait les artistes, il l'exprimait ainsi : "Je peux faire un noble, je ne peux faire un grand artiste". Qui a un tel culte de la création doit nécessairement s'affranchir des entraves formelles. François 1er n'était pas très respectueux du protocole et, à l'annonce du partage des nouveaux mondes entre Espagnols et Portugais, il eut cette phrase qui pourrait nourrir toute les révoltes, qui comme chacun sait ne peuvent véritablement être qu'individuelles: "Je voudrais bien voir la clause du testament d'Adam qui m'exclut du partage du monde". N'y a-t-il pas dans cette déclaration royale la plus belle affirmation démocratique qui soit si toute femme ou tout homme se l'appropriait ? Certes si François 1er fut le promoteur des bibliothèques, il n'en fut pas moins censeur. Mais il faudrait perdre l'habitude de vouloir tout blanc les individus à qui l'on trouve quelques vertus. Constatons qu'il y a 500 ans, un Roi était l'ami des lettres et que l'on retrouve son cousin, Jacques de Savoie-Nemours, dans la Princesse de Clèves. Tout était-il donc différent d'aujourd'hui ? et oui, sauf peut être sur un point : François 1er aussi creusa les déficits.
NDLA : petit rectificatif, le tableau n'est pas présenté au Grand-Palais, il faut traverser l'avenue et se rendre au Petit-Palais pour pouvoir l'admirer.
01:04 Publié dans TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : françois 1er, france 1500, exposition, grand palais, léonard, de vinci, peinture, art, politique
07/10/2010
Machine infernale
Vous avez le droit de faire ce que la loi interdit dans les conditions définies par voie règlementaire. Ainsi pourrait être résumée la portée du décret du 25 août 2010 relatif aux stages en entreprise. La loi du 24 novembre 2009 a posé en principe que les stages en entreprise qui ne relèvent pas de la formation professionnelle continue doivent être intégrés à un cursus pédagogique selon des modalités définies par décret. L'objet ici est d'interdire les stages étudiants non intégrés à un cursus pédagogique et notamment les stages post-diplômes ou sans lien avec une véritable formation, qui constituent souvent du travail dissimulé.
Selon le décret, pour être considérés comme faisant partie d'un cursus pédagogique les stages doivent remplir deux conditions
• leur finalité et leurs modalités sont définies dans l’organisation de la formation ;
• ils font l’objet d’une restitution de la part de l’étudiant donnant lieu à évaluation par l’établissement.
Sont également considérés comme intégrés à un cursus, dès lors qu’ils répondent à ces 2 critères, les stages organisés dans le cadre de formations permettant une réorientation, de formations complémentaires, ou encore de périodes pendant lesquelles l'étudiant suspend temporairement sa présence dans l'établissement dans lequel il est inscrit pour exercer d'autres activités lui permettant exclusivement d'acquérir des compétences en cohérence avec sa formation.
Georges Hugnet - C'est qu'elle sait être plus jolie encore la machine infernale - 1936
Saurait-on mieux dire que l'on peut faire ce que l'on veut ? en effet, tout stage post-diplôme servant à une orientation nouvelle ou à une formation complémentaire ne pose pas problème dès lors que l'établissement en prévoit le principe dans l'organisation de la formation ou simplement, comme le prévoit le décret, qu'un responsable formation ou pédagogique de l'établissement de formation l'a validé. Tout établissement peut donc valider des stages post-diplômes ou suspendre la formation pour que l'étudiant parte en stage...acquérir les compétences qu'il était censé obtenir par la formation ! et voilà comment plutôt que d'interdire ce que la loi voulait supprimer, on offre au contraire un cadre règlementaire qui permet de sécuriser les pratiques déviantes que l'on se proposait de réduire. Peut-on suggérer à nos gouvernants d'arrêter la machine infernale, de produire moins de textes et plus de droit ?
01:28 Publié dans DROIT DE LA FORMATION, DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : stage, étudiant, loi, formation, entreprise, ressources humaines, éducation
06/10/2010
Identité professionnelle
La Gare Saint-Sauveur de Lille, superbe lieu consacré à la création sous de multiples formes, présente une exposition consacrée aux migrants. Ce qui permet de constater qu'il existe en Afrique de nouveaux éléphants.
Pour la majorité des migrants, l'ailleurs n'est pas connu, il n'est peut être même pas rêvé. Certains sont tirés au sort par leur famille pour partir et pourvoir à la survie du groupe familial. S'ils échouent, ils ont pour consigne de ne pas revenir.
L'exposition est présentée sur des balles de papiers à recycler, murs dérisoires souvent infranchissables car pour beaucoup les "papiers" demeureront inaccessibles.
Sont également présentés des documents témoignant de la présence de travailleurs étrangers dans l'économie française. Et au détour d'un ballot de papier, ce document, certificat de travail datant de la fin des années cinquante.
Comme sur beaucoup de certificats de travail, ce qui choque c'est la qualification. Ici il est attesté que le salarié a été employé en qualité de M2. Au plan juridique, l'entreprise confond la classification et la qualification. La première est un positionnement conventionnel, la seconde est la définition du périmètre de travail prévu contractuellement. Au plan symbolique, le désastre est encore plus grand puisque l'individu est réduit à une codification. La série "Le prisonnier" n'existait pas à l'époque mais on aurait compris que les salariés refusent d'être des numéros. On pourra toujours arguer que dans le milieu industriel, cette codification fait sens et que, comme les appellations d'OS ou d'OP elles renvoient à des univers professionnels identifiés. Il n'en reste pas moins que la qualification contractuelle c'est aussi une identité professionnelle, constitutive d'une identité sociale. Et que désigner l'individu par une codification abstraite c'est perdre de vue sa singularité. L'exposition sur les migrants évite cet écueil : elle présente des destins singuliers racontés par eux-mêmes. Et toute migrant commence son histoire en débutant par son prénom et son nom. La migration est un phénomène social, mais c'est surtout un ensemble de destins. Le fait que la qualification soit collective ne doit pas la conduire à nier, dans sa définition, les individus qui en sont titulaires.
00:05 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES, DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : migrants, identité, lille, gare saint-sauveur, qualification, contrat de travail, travail, droit
05/10/2010
OPCA vampirisés
Le champ de l’emploi et de la formation professionnelle, au sens le plus large, connaît un mouvement de concentration sans précédent. Que l’on en juge : fusion ANPE-Assedic au sein de Pôle emploi, mise en place des DIRECCTE, réforme des réseaux consulaires avec concentration des pouvoirs au niveau des chambres régionales plutôt que départementales, généralisation des Pôles de Recherche et d’Enseignement Supérieur (PRES) associant Universités, Grandes Ecoles et Centres de recherche, etc. Ce mouvement général a deux logiques : la première est la recherche d’effets de taille et de levier en vue d’économies d’échelle et d’une meilleure efficacité. Pourquoi pas, même s’il n’est pas de loi qui démontre que l’efficacité d’une organisation est proportionnelle à sa taille. La seconde est une remontée d’un cran des niveaux de décision, ce qui ne surprendra personne en période de crise. Toutes les organisations ont tendance à recentraliser les décisions lors des périodes de tangage, et la France avec sa tradition jacobine est mal placée pour faire exception à ce principe qui constitue un réflexe quasi-naturel même si l’option inverse pourrait se défendre (en période de crise il faut décentraliser pour responsabiliser et mobiliser davantage tout un chacun).
Edvard Munch - Le vampire
Il serait tentant d’inscrire la mise en place du FPSPP et la réforme des Opca dans ce mouvement d’ensemble, et nul doute qu'elles n'y sont pas étrangères. Il est cependant indispensable de les en distinguer. En effet, les institutions visées (Pole Emploi, PRES, réseaux consulaires, DIRECCTE …) sont des institutions publiques ou parapubliques. Que l’Etat mette de l’ordre en sa maison ou dans les dépendances, rien que de plus naturel. Mais les OPCA et au-delà la gestion paritaire de la formation professionnelle ce n’est ni la maison de l’Etat ni ses dépendances. Et ce qui peut valoir dans un cas, décision étatique de restructuration suivie de contrats d’objectifs qui assignent des missions et objectifs, ne se conçoit guère dans l’autre où l’autonomie des partenaires sociaux doit trouver sa place et un dialogue s’instaurer entre l’intérêt public porté par l’Etat et l’intérêt général porté par la gestion paritaire. En d’autres termes, entre la démocratie politique et la démocratie sociale. Le décret du 22 septembre 2010 laisse une place à ce dialogue et l’on peut s’en féliciter, mais il maintient tout de même une tutelle sur les OPCA qui ne place pas les deux interlocuteurs dans une véritable position de négociation. Pour qu’il en soit ainsi, il faudra que les partenaires sociaux tirent un jour les conséquences concrètes de l’autonomie de gestion qu’ils revendiquent.
Vous venez de lire la conclusion de la chronique réalisée avec Jean-Marie Luttringer pour l'AEF qui commente la parution du décret du 22 septembre 2010 relatif aux OPCA. Si vous voulez savoir pourquoi l'Etat vampirise les OPCA, vous pouvez lire la chronique jointe ci-dessous. En vous souvenant que par définition, le vampire est humaniste.
01:01 Publié dans ACTUALITE DE LA FORMATION, DROIT DE LA FORMATION | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : opca, etat, réforme, formation, décret, munch, vampire
04/10/2010
Quand le juge dérape
Soucieux sans doute de conforter la dernière chronique de ce blog (un peu de mégalonie le lundi matin est vite pardonné) qui mettait en évidence le peu de professionnalisme du juge sur les questions de formation, la Cour de cassation s'illustre dans un arrêt relatif au plan de formation. Dans un jugement daté du 12 septembre 2010, la Cour suprême pose en principe qu'un salarié inscrit au plan de formation subit un préjudice s'il ne peut finalement suivre l'action prévue. L'affaire était la suivante : une salariée est licenciée pour faute grave. Elle conteste son licenciement, obtient gain de cause et fait également juger que ce licenciement lui ouvre droit à des dommages intérêts supplémentaires pour n'avoir pu suivre deux formations prévues au plan de formation. La Cour d'appel et la Cour de cassation valident ce point. Si l'indemnisation servie est modeste, 300 euros, le principe pose question et constitue une sortie de route juridique des tribunaux.
Alain Garrigue - Sortie de route - 2008
Pourquoi l'arrêt est-il problématique ? parce que s'il accorde des dommages et intérêts à un salarié du fait qu'une formation inscrite au plan de formation n'est pas suivie, c'est qu'il assimile le plan de formation de l'entreprise à un engagement qui confère un droit au salarié. Or, telle n'est pas la nature du plan de formation. Le plan est certes une décision unilatérale comme l'engagement mais surtout il a, comme son nom l'indique, une dimension prévisionnelle : il s'agit d'une programmation et non d'une prescription définitive. Le plan n'est qu'indicatif, il fixe des objectifs et des moyens, mais il ne peut constituer un engagement. Si tel était le cas, il faudrait lui appliquer le régime juridique des engagements unilatéraux et exiger qu'il soit dénoncé après consultation des représentants du personnel et information individuelle des salariés concernés. Par ailleurs, les engagements, comme les usages, n'ont de sens que dans une dimension collective : or le plan de formation comporte à la fois des formations collectives et individuelles. En juridicisant à ce point le plan de formation, le juge conforte les réticences des employeurs qui ne diffusent pas de plan nominatif de peur de créer du droit : voilà un argument supplémentaire pour perpétuer cette pratique de la non-transparence. Si la volonté du juge était de montrer que la formation a une valeur et que la perte d'une possibilité de se former cause un préjudice au salarié, sans doute existait-il de meilleure voie que celle de transformer en un outil juridique rigidifié ce qui devrait rester une pratique de gestion non créatrice de droit. Que le droit ait réponse à tout ne signifie pas qu'il doive se mêler de tout.
08:38 Publié dans ACTUALITE DE LA FORMATION, DROIT DE LA FORMATION | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : formation, jurisprudence, plan de formation, droit, garrigue, peinture
01/10/2010
Au plaisir du juge
Faisait-il soleil ce jour-là à Douai de telle sorte que les juges furent troublés par le rayon qui éblouissait le tribunal et altéra leurs facultés ? était-ce une vacance avant l'heure ? le repas avait-il été trop lourd ? ou bien l'ennui d'une audience judiciaire avait-il gagné les magistrats qui n'écoutèrent qu'inattentivement les plaignants ? toujours est-il que la décision avait de quoi surprendre. Une salarié licenciée demandait à bénéficier de son droit à DIF pour suivre une formation de 3 930 euros. L'entreprise ne donne pas suite à sa demande car le montant de l'allocation formation à laquelle elle a droit, et qui avant la loi du 24 novembre 2009 marquait la limite de l'obligation de l'employeur en cas de licenciement, ne représente que 950 euros. La Cour d'appel de Douai condamne pourtant l'entreprise. La Cour de cassation invalide ce jugement : en cas de licenciement, l'entreprise n'a l'obligation de payer que dans la limite prévue par la loi. La réponse était pourtant évidente.
Magritte - L'évidence éternelle - 1930
Plusieurs remarques toutefois :
- si la loi limite l'engagement de l'entreprise en cas de licenciement, c'est parce qu'il s'agit d'un cas dans lequel le DIF est de droit. Mais comme il n'est pas question de reconnaître un droit de créance illimité au salarié, l'engagement est plafonné ;
- la loi du 24 novembre 2009 a fixé le plafond non plus à hauteur de l'allocation formation mais forfaitairement à 9,15 euros. En l'occurence, cela aurait réduit le droit de la salarié de 950 euros à 713 euros. Preuve que la salariée avait un salaire important puisque pour atteindre 9,15 euros sous forme d'allocation formation, le salarié doit avoir un salaire supérieur à 2700 euros nets ;
- il peut arriver aux juges de commettre des erreurs grossières. Particulièrement en matière de formation pour la simple raison que les contentieux sont rares. De ce fait, les juges sont peu professionnalisés sur ces questions et prennent parfois des décisions surprenantes. D'où la nécessité de ne pas surinterpréter trop rapidement toute jurisprudence en la matière mais de laisser le temps faire son oeuvre. Si la Cour de cassation a créé des chambres spécialisées (licenciement économique, durée du travail, etc.), aucune ne traite de formation professionnelle et le contentieux est éclaté en différentes chambres selon le contexte de l'affaire. Voilà qui ne favorise pas la construction d'une doctrine, mais après tout le DIF en tant que dispositif relevant à titre principal de la négociation n'a pas à attendre du juge que ce dernier en fixe le mode d'emploi. Si tel devait être le cas d'ailleurs, nous ne serions sans doute pas au bout de nos surprises.
01:38 Publié dans DROIT DE LA FORMATION | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : dif, licenciement, jurisprudence, droit du travail, formation, allocation formation