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13/11/2012

Inatteignable vs inexcusable

Après avoir fait le tour de l'entreprise, entendu des salariés et leurs représentants, debreifing avec le DRH :

- Vous aurez à répondre à la question des objectifs. Quelle crédibilité pour le management par objectifs lorsque les salariés les plus performants ne parviennent qu'à 60 % de ce qui leur est demandé ?

- Oh mais j'ai la réponse si la question vient en comité d'entreprise. Les primes sur objectif ne sont pas liées à l'atteinte de 100 % et l'enveloppe sera totalement distribuée. Et aucun salarié, bien évidemment, ne sera sanctionné pour défaut d'atteinte des objectifs.

- Je ne doute pas que vous ayez des réponses pour toutes les questions. Simplement pourquoi fixer des objectifs inatteignables qui discréditent votre manière de manager la performance ?

- Vous savez bien comment c'est : si l'on veut obtenir 60, il faut demander 100. Si je demandais 60 je n'aurai que 40.

- Réfléchissez quand même aux effets d'une prescription impossible, d'objectifs aussi fuyants que l'horizon et d'un système basé sur la défiance qui est un véritable boomerang. Le sentiment est très fort chez les salariés d'une barre mise trop haut.

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Peut être que la décision de la Cour de cassation du 8 novembre dernier aidera le DRH dans sa réflexion. Un salarié victime d'un infarctus demande à ce que soit reconnue une faute inexcusable de son employeur qui l'a soumis à une surchage de travail. L'entreprise répond que le salarié était apte médicalement et qu'aucune alerte sur un risque d'infarctus ne lui a été signalée. Ce faisant elle commet une erreur totale : ce n'est pas la santé du salarié qu'elle doit gérer, mais son travail et l'impact de celui-ci sur la santé. Ce qui est radicalement différent. En l'occurence, les juges ont retenu qu'en fixant des objectifs inatteignables, en surchargeant le salarié et en le faisant travailler dans un climat de pression permanente, l'entreprise a bien généré sciemment un risque qu'elle n'a pas prévenu, ce qui caractérise la faute inexcusable. Le DRH pourra toujours considérer qu'à exiger que l'on demande 60 lorsque le possible est de 60, les juges feraient de piètres managers. Ce qui risque de ne pas changer grand chose s'il devait avoir à faire à eux.

Cass Soc 8 novembre 2012 - Faute inexcusable.pdf

11/11/2012

Le temps retrouvé

Les tribunaux français ont toujours validé la règle du "pas pris, perdu" en matière de congés payés. Selon ce principe, une entreprise est autorisée à supprimer les congés payés non utilisés par le salarié à la fin de la période de prise. Encore faut-il que le salarié ait eu la possibilité d'exercer ses demandes et que l'employeur n'y ait pas fait obstacle.

Ce principe français a déjà subi les assauts de la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) soucieuse de garantir à chaque travailleur salarié de l'Union les 4 semaines de congés payés que le droit européen considère comme intangibles (voir ici). Sans doute agacée de devoir toujours appliquer avec un temps de retard des jurisprudence européennes garantissant les droits des salariés, la Cour de cassation semble, cette fois-ci, avoir pris les devants. Avec la décision adoptée le 31 octobre dernier, la recherche du temps perdu se transforme un peu plus en temps retrouvé.

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La Cour de cassation était saisie d'une demande d'une salarié qui reprochait à son entreprise de n'avoir pu bénéficier de ses congés payés. La société avait obtenu gain de cause devant les prud'hommes au motif que la salarié n'avait pas présenté de demande et qu'elle ne pouvait justifier de refus de la part de l'employeur. La Cour de cassation inverse le jugement : se référant expressément à la directive européenne du 4 novembre 2003, elle considère que l'employeur doit permettre aux salariés de bénéficier effectivement de leurs congés payés et qu'en cas de contestation il lui appartient de démontrer les diligences accomplies en ce sens. Impossible donc de rester passif et d'attendre que s'applique le fameux "pas pris, perdu".

On en prenait lentement mais sûrement le chemin, cet arrêt est une étape de plus : au moins pour ce qui concerne le congé principal (4 semaines), l'employeur a l'obligation d'être pro-actif et de fixer des dates de congés pour le salarié ou de lui rappeler qu'il doit fixer de telles dates. A défaut, il ne sera plus possible de passer un coup d'éponge sur les compteurs. Puisse ce temps retrouvé être favorable aux jeunes filles en fleur. Bon lundi à tous.

Cour de Cassation - Congés payés - 31 Octobre 2012.pdf

30/10/2012

Vider les chaises

On en a désormais la certitude, c'est une entreprise d'éradication de certaines organisations syndicales qui est à l'oeuvre, et la Cour de cassation vient y prêter la main d'une curieuse manière. La loi du 20 août 2008 qui a profondément modifié les règles de représentativité des organisations syndicales, repose sur le principe que c'est lors des élections professionnelles que se mesure la représentativité, tant dans l'entreprise qu'au niveau des branches ou de l'interpofession. Les résultats globaux de représentativité sur ces deux derniers niveaux seront connus de manière officielle en 2013. Et au niveau de l'entreprise, les résultats de l'élection déterminent le poids de chaque organisations syndicale, rompant avec le principe d'égalité qui a prévalu pendant des décennies. Le législateur a également fait le choix de réserver aux organisations ayant deux élus au comité d'entreprise la possibilité d'y désigner un représentant syndical. La Cour de cassation, après le Conseil constitutionnel, vient de confirmer que cette règle ne portait pas atteinte au pluralisme syndical. C'est sur ce sujet que la Cour de cassation en rajoute une couche.

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Dans une décision du 24 Octobre 2012, les juges de la Cour suprême décident en effet qu'un accord ne peut prévoir qu'une organisation syndicale ayant moins de deux élus au CE conserve la possibilité d'y désigner un représentant. Selon les magistrats, la condition de disposer de deux élus est d'ordre public absolu. Rappelons que le rôle du représentant syndical est assez passif : il participe au CE sans voix délibérative. Mais il permet à son organisation d'être au courant des débats, ce qui est toujours utile lorsque ladite organisation n'a pas d'élus au CE, et ce qui est parfaitement inutile lorsqu'elle en a, deux a fortiori. La Cour de cassation a donc privilégié la solution qui ne sert à rien. Ou plutôt à une chose. A donner toujours plus de moyens aux organisations majoritaires et toujours moins aux autres. Cela s'appelle une volonté de vider les chaises et de réduire par tous les moyens le nombre d'organisations et le nombre d'élus. Le dialogue social s'en portera mieux paraît-il. On demande à voir.

Cass. Soc. 24 Octobre 2012.pdf

25/10/2012

Le fait du prince

C'est ce qu'invoquait la société Air France pour se séparer d'un salarié qui venait de se voir retirer son habilitation péfectorale de travailler en zone aéroportuaire. Le fait du prince, autrement dit la force majeure. Celle qui s'impose aux parties et conduit donc l'entreprise à licencier le salarié qui ne peut plus exercer l'emploi pour lequel il a été recruté. Mais voilà, les juges font du droit. Et la Cour d'appel, suivie en cela par la Cour de cassation, rappelle à l'entreprise que la force majeure est un évènement irrésistible, condition acquise ici puisqu'il est impossible de passer outre le défaut d'habilitation, extérieur aux parties, ce qui est le cas de la décision préfectorale, mais également imprévisible. Or, pour qui occupe un emploi soumis à habilitation, la perte de cette habilitation n'est pas imprévisible et peut faire partie des évènements qui affectent la vie du contrat. Pas de force majeure donc ici, le fait du prince n'était qu'un rêve, l'occasion de saluer Odilon Redon, véritable prince du rêve selon le titre de l'exposition qui lui fût consacrée l'an dernier au Grand Palais.

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Odilon Redon - Centaure

Dans son argumentaire, Air France faisait valoir que si elle avait l'obligation d'adapter les salariés à l'évolution de leur emploi, elle n'avait pas d'obligation de reclassement suite à la perte de l'habilitation. Mauvais raisonnement selon les juges. L'entreprise devait rechercher si elle ne pouvait pas permettre au salarié d'exercer ses fonctions, ou des fonctions comparables, en dehors des zones soumises à autorisation. Faute d'avoir procédé à une telle recheche, le licenciement se trouve injustifié. Nouvelle jurisprudence qui vise à favoriser la survie du contrat plutôt que sa rupture et impose à l'entreprise une obligation de bonne foi dans l'exécution du contrat plutôt que de sauter un peu trop rapidement sur l'occasion.

Cour_de_cassation_civile_Chambre_sociale_12_septembre_201...

22/10/2012

Le retour des contre-lettres

Après les lettres festives, voici le retour annoncé de missives beaucoup moins ludiques. Il s'agit des contre-lettres, ces contrats occultes par lesquels on s'engage mutuellement sur une opération en général illégale à laquelle on donnera une apparence légale et autre que la véritable intention des parties. Un exemple :  il s'agira de se mettre d'accord sur une rupture amiable d'un contrat de travail, tout en lui donnant l'apparence d'un licenciement, assorti d'une transaction dans laquelle chacun recevra ce que la contre-lettre a prévu. Si ces pratiques n'avaient pas totalement disparu depuis la création de la rupture conventionnelle en 2008, leur nombre s'en était trouvé considérablement diminué. Il faut dire qu'il n'était plus besoin d'escroquerie, car c'est bien de cela qu'il s'agissait avec la contre-lettre qui visait à contourner le fisc et l'URSSAF, puisque les mêmes droits (indemnité exonérée et assurance chômage) étaient attachés à la rupture conventionnelle et au licenciement. Plus d'intérêt donc à passer par des pratiques illégales, on pouvait aller au but en terrain découvert.

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Gaston Chaissac - Lettre

Mais voila que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 se propose d'instaurer un forfait social (entendez une cotisation supplémentaire) d'un montant de 20 % sur les indemnités versées à l'occasion d'une rupture conventionnelle. Si cette ample ponction avait également porté sur les indemnités de licenciement, on aurait compris que l'on se trouvait face à une mesure destinée à la fois à freiner les ruptures de contrat et à combler le déficit des finances non pas de la belle-mère mais de l'Etat. Mais que non. Il ne s'agit que de taxer les ruptures conventionnelles que certains aimeraient bien interdire car dans leur représentation elle ne sert qu'aux employeurs qui abusent à volonté de la volonté des salariés. Suggérons à tous  ceux-la d'aller faire un tour sur le terrain social et de demander leur avis aux principaux concernés. Mais le fait est là : la rupture conventionnelle sera taxée mais pas le licenciement. De ce fait, nous verrons ressurgir les petits arrangements à l'amiable, les accords secrets, les comportements délinquants (appelons les choses par leur nom pénal, c'est toujours plaisant) et autres occulteries de grand chemin. Dans cette affaire, il y aura au moins une catégorie sociale qui trouvera son bonheur : les avocats qui n'étaient guère sollicités pour les ruptures conventionnelles dont la simplicité garantissait l'autonomie de chacun, vont retrouver de l'activité avec les contre-lettres, les procédures de licenciement et les transactions.Il leur sera aisé d'expliquer que le montant de leurs honoraires est moins élevé que le coût du forfait social. Quant aux autres, ils devront soit payer le prix de leur accord, soit revenir à l'illégalité. Et voila comment une fois de plus en voulant faire le bonheur des gens malgré eux, on en revient à leur compliquer la vie.

18/10/2012

Lettres festives

Les lettres dites "festives" sont des lettres qui diffusent une encre bleue lorsqu'elles sont ouvertes. La Poste a utilisé ce procédé pour démasquer une salariée qui ouvrait régulièrement des lettres transitant par un centre de tri. La Poste invoquait deux bonnes raisons d'utiliser ce subterfuge : d'une part elle ne pouvait tolérer une pratique qui constitue un délit pénal et d'autre part en tant que service public elle agissait pour protéger les intérêts des usagers et pas seulement les siens propres. Il n'empêche qu'elle ne s'est pas contenté de porter plainte ou de mettre fin aux agissements de la salariée, elle a procédé à son licenciement. Ce que la Cour d'appel de Chambéry avait validé. Pas la Cour de cassation qui persiste à refuser les techniques qui permettent de piéger un salarié, serait-ce avec les meilleurs arguments du monde. Le licenciement sera donc jugé sans cause réelle et sérieuse et la salariée indemnisée. Nouvelle illustration que droit et morale occupent deux champs distincts, sauf à considérer que la postière en désamour était en recherche de missives lascives.

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Mimi Parent

En s'obstinant à refuser à l'employeur de pouver la réalité par tout moyen, la Cour de cassation dresse une barrière protectrice du  salarié et considère que les droits de la défense sont supérieurs à ceux de la vérité. Une telle position peut susciter quelques incompréhensions : après tout les faits sont avérés et la faute établie. Pourtant il faut se féliciter de cette décision qui maintient fermement  la digue de la protection du salarié, y compris délinquant, contre des pratiques intrusives de l'employeur. Les moralistes se consoleront en constatant que privée de son emploi, la postière ne peut plus s'adonner au plaisir de la lecture à la dérobée.

Cour de cassation civile Chambre sociale 4 juillet 2012.pdf

10/10/2012

Le juge Hercule

On doit au philosophe américain Ronald Dworkin la métaphore du juge Hercule. Selon Dworkin, pour bien juger, le juge devrait parfaitement connaître le droit positif, mais également sa sociologie et la manière dont il s'insère dans une culture, il devrait en dégager la philosophie et les principes et faire preuve d'imagination  créatrice en interprétant les lois au regard de cet ensemble pour donner de la cohérence aux solutions pratiques qu'il adopte. Travail véritablement Herculéen il faut bien en convenir, et pas seulement par son volume, mais également par la diversité des compétences qu'il sollicite, tant il est vrai qu'Hercule savait à la fois se comporter en héros, en guerrier, en intellectuel avisé et même en esclave d'Omphale, chacune de ces postures n'étant que l'adaptation des mêmes valeurs et principes aux circonstances.

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François Boucher - Hercule et Omphale - 1730

On serait bien tenté de considérer que le travail accompli par les juges en matière de droit de la formation depuis plus de 30 ans est digne d'Hercule. Car c'est en s'appuyant sur un petit nombre de principes, qu'il a su faire vivre en des circonstances disparates au moyen d'une imagination créatrice, que le juge a faconné de la fin des années 80 à aujourd'hui un droit de l'employabilité du salarié d'une grande cohérence et d'une extrême puissance tant sont solides les principes qui le fondent.

La chronique rédigée avec Jean-Marie Luttringer pour l'AEF présente une synthèse de ce travail herculéen et explique pourquoi les partenaires sociaux, dans les négociations qu'ils ont ouvertes sur la sécurisation des parcours professionnels, feraient bien de s'inspirer de ce travail d'Hercule et s'attacher à construire un droit de principes plutôt que de persister à accumuler du droit de procédure.

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09/10/2012

L'étau se resserre

Au mois de juin 2011, après un suspens tout relatif et une grande frayeur bien orchestrée, les DRH soufflaient à la lecture de la décision de la Cour de cassation validant le forfait jours. Nous annoncions pourtant déjà qu'il ne fallait peut être pas tant se réjouir du côté des services RH et qu'un train pouvait en cacher un autre  (voir ici). Ce train n'a pas manqué de passer et son souffle risque de décoiffer quelques habitudes. Honneur au Sud : la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a décidé le 23 mars 2012 qu'un chef de rayon de chez Décathlon, bombardé cadre et assujetti à un forfait jours, devait percevoir des heures supplémentaires car le forfait était nul. En effet, le chef de rayon était soumis à des horaires imposés et à des jours de présence le samedi et parfois le dimanche choisis par l'entreprise. Rien du cadre autonome donc. D'autre part, son salaire était fixé au tout premier niveau de rémunération des cadres. Rien qui soit en rapport avec les sujétions liées à sa fonction. Le forfait étant nul, le salarié aura droit à 11 h supplémentaires par semaine sur 2 ans, soit un total de plus de 16 000 euros. Et comme les corps de Martina Abramovic et son acolyte se resserrent sur le visiteur de musée qui doit choisir de passer ou pas, de frotter ou non et de faire face à l'homme ou à la femme, l'étau du juge se resserre sur les entreprises qui pensaient trouver dans le forfait un outil permettant d'habiller à bon compte des pratiques qui n'en relèvent manifestement pas, comme c'est le cas pour les chefs de rayon de la grande distribution.

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Marina Abramovic - Imponderabilia - 1977

Une deuxième couche vient d'être rajoutée par la Cour de cassation elle-même. Dans sa décision du 26 septembre dernier, elle annule le forfait jours d'un cadre qui consacrait un certain temps, et même un temps certain, à son activité professionnelle. La Cour de cassation rappelle que le forfait jours n'est ni un forfait jours et nuits, ni un forfait week-end, ni un forfait toute la journée. Et que l'accord collectif qui met en place le forfait jours doit prévoir des mesures de nature à faire respecter des temps de travail raisonnables. En l'espèce un entretien annuel et des rapports trimestriels de la hiérarchie sur la charge de travail, soit le minimum syndical qui n'existe pas dans toutes les entreprises, ne sont pas suffisants. Le forfait jours doit donc être annulé et des heures supplémentaires payées.

Lorsque l'étau commence à serrer à ce point, cela peut faire mal. Et nul doute que les juges ne s'arrêteront pas en si bon chemin. A tous ceux qui se félicitaient de la survie du forfait jours, il ne reste donc plus qu'à se mettre au travail pour en garantir la validité.

CA AIX 29 mars 2012.pdf

Cour Cass. 26 septembre 2012.pdf

05/10/2012

Chômage, pas d'urgence

Un chômeur inscrit à POLE EMPLOI demande à être reçu régulièrement par l'agence chargée du placement des demandeurs d'emploi. Il aura trois rendez-vous en deux ans. A ces occasions, son Plan personnalisé d'accès à l'emploi n'a jamais été actualisé, aucune formation ne lui a été proposée. Malgré ses demandes. Il saisit le Tribunal Administratif, dans le cadre de la procédure de référé-liberté, lequel par une ordonnance du 11 septembre 2012 fait injonction à POLE EMPLOI de recevoir le demandeur dans les 8 jours  et de lui adresser des offres d'emploi et/ou de formation. POLE EMPLOI fait appel et porte l'affaire devant le Conseil d'Etat qui, sans se prononcer sur le fond à savoir le respect par POLE EMPLOI de ses obligations, juge que la procédure de référe-liberté ne peut être utilisée dans les relations entre un demandeur d'emploi et POLE EMPLOI. En d'autres termes, pour les juges du Palais-Royal, en matière de chômage il n'y a pas d'urgence. Du moins pour POLE EMPLOI.

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Car il serait malvenu de considérer que la carence peut être réciproque et que tout demandeur d'emploi peut déplier son  transat et regarder passer les bateaux en suçant des glaces à l'eau. En effet, qui ne défère pas à l'injonction de rendez-vous de POLE EMPLOI pourra être sanctionné par la radiation et la perte des indemnités d'assurance-chômage (en dépit des cotisations versées pour bénéficier du régime).

Quelles sont les conditions du référé-liberté ? qu'une liberté fondamentale soit en jeu et pas simplement un droit. Le Conseil d'Etat ne conteste pas que la liberté du travail et le droit à l'emploi, garantis par la Constitution, entrent dans cette catégorie. Qu'il soit porté atteinte de manière grave à cette liberté dans le cadre d'une illégalité. C'est ici que le Conseil d'Etat a considéré que, quelle que soit la situation du demandeur d'emploi, la relation de POLE EMPLOI avec les chômeurs ne relevait pas d'un manquement grave à une liberté publique. Ne pas bénéficier de services qui pourraient vous permettre de retrouver un emploi est donc une simple faute, qui peut engager la responsabilité de POLE EMPLOI mais ne saurait autoriser le juge à lui enjoindre d'exercer ses missions. Il ne reste plus au demandeur d'emploi qu'à s'adresser au Tribunal Administratif pour, dans trois ou quatre ans peut être, obtenir une indemnisation si la faute de POLE EMPLOI est établie. Mais après tout, il n'y a pas d'urgence.

Conseil d'Etat - 4 Octobre 2012 - POLE EMPLOI.pdf

03/10/2012

La séparation des amis

C'est bien connu, c'est lorsque tout va bien que l'on se sépare. Vous êtes heureux dans votre couple ? divorcez ! vous partagez une amitié d'enfance ? renoncez-y ! vous vous plaisez dans votre travail ? allez voir ailleurs ! Vous aurez la bénédiction des magistrats pour ce faire. Tout empêtrés qu'ils sont dans leur appréhension de la rupture conventionnelle, les juges de Cours d'Appel nous délivrent quasi-unanimement le message selon lequel toute situation de litige entre l'employeur et le salarié interdit de recourir à la rupture par accord mutuel. Vous n'en pouvez plus de votre travail ? ne négociez pas une rupture conventionnelle vous dit le juge, démissionnez. Votre manager vous harcèle ? ne proposez pas au DRH de mettre fin à cette situation par une rupture conventionnelle, elle serait nulle. Vous venez de recevoir deux avertissements et vous trouvez que c'est trop ? ne proposez pas une séparation amiable, la démission vous tend les bras. On se demande parfois à travers quel prisme les juges appréhendent les relations de travail si seuls les bons amis peuvent faire le choix de se séparer en bénéficiant des avantages de la rupture conventionnelle.

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Les bons amis

Dans une décision du 16 juin 2012, la Cour d'appel de Versailles a ainsi déclarée nulle une rupture conventionnelle intervenue après que le salarié ait reçu deux avertissements. La Cour d'appel de Reims (16 mai 2012) a estimé qu'un litige en cours devant les Prud'hommes interdisait de se mettre d'accord pour rompre le contrat de travail. Et ainsi de suite. Seule la Cour d'appel de Montpellier (16 novembre 2011) a posé en principe que le litige n'était pas un obstacle à la décision commune de séparation. Une fois de plus, la lumière vient du Sud.

Il n'en reste pas moins qu'il serait urgent que la Cour de cassation fixe une doctrine claire. Qu'elle considère comme nulle toute rupture intervenue dans un contexte de litige, et c'est la petite mort programmée de la rupture conventionnelle. Qu'elle n'en fasse pas un principe mais s'attache uniquement à vérifier la validité du consentement donné par le salarié et nous aurons fait un pas de plus vers la reconnaissance que le salarié n'est pas un incapable majeur.

02/10/2012

Accumulation fautive

Au début il y a peut être une intention. Un vague : "On ne sait jamais". Et puis si on ne s'en sert pas, ce n'est pas perdu. Au début. Et puis cela devient une habitude, un réflexe, un acte automatique. On cesse d'y réfléchir, c'est machinal. Et cela finit par devenir une nécessité. On ne sait plus ni quoi ni qu'est-ce, mais on sait qu'il faut continuer, comme ça, à accumuler. Pour le salarié, l'intention n'a pas été vraiment établie. Pourquoi a-t-il méthodiquement transféré ses mails, ses documents, des informations de l'entreprise sur son mail personnel ? pourquoi des dossiers techniques se sont-ils retrouvés sur la boîte de ce salarié ? l'avocat a tenté la seule parade possible : pour un éventuel Prud'hommes a-t-il plaidé. Les juges n'ont pas suivi. Que ferait un Prud'hommes d'informations techniques et confidentielles. La faute grave est constituée par cette accumulation compulsive.

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Nous n'en sommes plus à l'ancêtre d'Internet comme diraient les Guignols. Un minimum de maturité numérique est requis et nul ne doit oublier que la technique est un outil dont l'usage relève de la responsabilité individuelle. Comme il est stupéfiant que certains salariés remplissent des cartons avant de quitter leur entreprise, il est tout aussi étonnant, ou naïf, de constater que des salariés considèrent que ce à quoi ils ont accès dans le cadre de leur activité leur appartient. Encore que, qui a vu Frédéric Mitterrand s'écrier, lorsqu'on lui reprochât de conserver des cadeaux qui lui ont été remis en qualité de Ministre de la République : "Mais c'est à moi que l'on a fait des cadeaux, ce sont des souvenirs", ne pourra décemment reprocher à un salarié de confondre le professionnel et le personnel.

Ardents gardiens de l'humanisme des trois M (Montaigne, Montesquieu, Mauriac), les juges Bordelais ont conclu aux torts du salarié qui avait confondu la fonction et l'homme, le professionnel et le personnel (CA Bordeaux, 27 mars 2012). Si les juges admettent qu'un salarié, souvent placé dans une position plus difficile que l'employeur dans la charge de la preuve, puisse s'approprier des documents confidentiels aux fins contentieuses, cela ne saurait l'autoriser à s'approprier toutes les informations qui entrent en sa possession dans le cadre de ses fonctions. Paradoxalement, il est au final heureux pour les salariés que le juge tente de préserver, parfois à leur détriment, la frontière entre le professionnel et le personnel.

28/09/2012

Droit d'expression (2)

Qui s'oppose à une réorganisation est aussitôt taxé d'être résistant au changement, accroché au passé, incapable d'évoluer ou de s'adapter. Ce discours bien connu voudrait faire croire que toute nouveauté est une bonne nouvelle et que le status quo n'est pas la préservation du bien mais le refus du meilleur. Il est pourtant des réorganisations qui sont des catastrophes, des évolutions qui sont des régressions et des nouveautés qui sentent davantage le moisi que le passé. C'est sans doute ce que pensait ce cadre de direction qui a diffusé un tract annonçant la constitution d'un syndicat et dans lequel il était écrit que « l’angoisse, le stress, la méfiance et les incertitudes des uns et des autres, et ce face aux rumeurs et autres restructurations tant sournoises qu’hasardeuses, nous ont conduits à la création d’un syndicat autonome d’entreprise ». C'en était trop pour son employeur qui le licencie pour manquement à l'obligation de loyauté, estimant que ces critiques émises par quelqu'un qui a participé à l'élaboration du projet ne pouvaient que viser à déstabiliser et décrédibiliser la direction. La Cour d'appel a validé le licenciement. Pas la Cour de cassation qui trouve là une nouvelle occasion de rappeler que tous les salariés, sans exclusive pour les cadres de direction, bénéficient d'un droit à l'expression.

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Dazibao en Chine avant leur interdiction en 1979

Les juges rappellent aux employeurs qui auraient tendance à penser que tout salarié a une obligation de confidentialité ou est soumis à un devoir de réserve, que le principe est inverse : tout salarié jouit d'un droit d'expression. Le principe est donc la liberté. Et la seule limite est de ne pas abuser de cette liberté. Pas d'insultes donc, ni de diffamation ou de dénigrement. En l'occurence, la Cour de cassation a estimé qu'il n'y avait rien de tout cela dans les termes utilisés. Ceux qui liront la décision, publiée ci-dessous, constateront que si "sournois" est une injure pour le juge toulousain (Cour d'appel de Toulouse), il n'en est rien pour le juge parisien (Cour de cassation). Je vous laisse le soin d'en tirer les conclusions.

Cour_de_cassation_civile_Chambre_sociale_3_juillet_2012.pdf

25/09/2012

Il s'est passé quelque chose

Le premier juge avait considéré qu'il existait un chaînon manquant. Que si sur le papier on avait pu théoriquement reconstituer un scénario, matériellement il n'était pas prouvé. Et que faute d'établir scrupuleusement le lien entre la cause et l'effet, il n'était pas possible de condamner. Ce fut la relaxe. Le second juge n'eût pas ces scrupules et pris un autre parti. En premier lieu, il écarta toutes les autres hypothèses : ailleurs, c'était plus que les chaînons qui manquaient. Une fois éliminées les autres causes, il en vint à considérer la plus probable comme celle qu'il fallait retenir, car les autres l'étaient moins qu'elle. Difficile de condamner pénalement sur cette approche statistique. Fallait-il donc encore acquitter ? le juge se souvint peut être des trente et un morts, des dix mille blessés, des traumatisés à vie. Ce jour-là il s'était passé quelque chose de jamais vu et la justice ne pouvait se borner à dire son incapacité à rapporter les preuves formelles de la vérité. Pour tous ces gens, il fallait une décision.

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Alors le juge, la tête emplie du dossier mais aussi d'images, décida que peu importait le chaînon manquant. En dernière considération, l'état de l'usine, les manquements à la sécurité, l'absence de mobilisation des moyens à hauteur de ceux que le groupe aurait pu dégager, tout cela faisait du directeur un coupable. Pas d'avoir craqué lui-même l'allumette, mais d'avoir créé un environnement dans lequel la moindre allumette pouvait déclencher une catastrophe. La décision du premier juge était fondée en droit, il n'est pas certain que celle du second juge ne la soit pas également. La Cour de cassation nous le dira. En attendant, personne ne peut oublier qu'il y a onze ans, il s'est passé quelque chose, comme dirait Juliette qui débuta à Toulouse.


podcast

24/09/2012

Promeneur d'exception

On le regarde passer avec retenue. On irait volontiers lui serrer la main, et le remercier. Mais la discrétion de l'homme impose la réciproque sans que cela ne fasse vraiment débat. Alors on le regarde passer. La silhouette est voutée, le pas un peu traînant. Une poche bleue ballote dans le dos. En haut des marches, l'homme redresse sa stature. En face de lui le Panthéon, il était en première ligne en 1981, à sa gauche le Sénat qui fût son dernier mandat d'élu, devant lui les fleurs de l'été qui rechignent à s'effacer et profitent des dernières douceurs. On a connu des passages à l'automne moins verdoyants aux frondaisons. Le crépuscule attendra, pour l'heure on peut s'abandonner aux charmes de l'instant. Très court instant car sans que la vivacité du regard n'en soit entamée, dans les yeux du passant le passé est très présent.

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Il y a de l'émotion à voir Robert Badinter traverser lentement le jardin du Luxembourg. Sourire aux enfants, rester anonyme aux adultes. Qui aime le droit aime, en principe, les principes. Et plus que d'autres, que beaucoup d'autres, Robert Badinter connait la valeur des principes et d'un particulièrement. Celui que la communauté a besoin de droit commun. Et pas de droits d'exception. Que le droit est fait pour rassembler et qu'il faut toujours privilégier la volonté de conserver à la règle son caractère général et ne pas cèder à la tentation du particulier, de la règle d'opportunité, de circonstance ou de reconnaissance des particularismes. La dignité de chacun est d'être traité comme les autres. Ce promeneur du soir là le sait bien qui n'a eu de cesse lorsqu'il était au pouvoir de faire abolir les lois spéciales et supprimer les tribunaux d'exception. On aurait bien besoin, encore, de Robert Badinter. Car un homme attaché à ce point aux principes, de nos jours, c'est vraiment une exception.

22/09/2012

La corrida, ce sous-ensemble

Comme on sait qu'il n'y a pas de vide juridique, on en conclu que le droit dispose toujours d'une réponse pour toutes les questions qui lui sont posées. Tel est bien le cas. Ainsi le Conseil constitutionnel a du trancher la question de la légalité de la corrida, notamment en ce qu'elle échappe à la qualification pénale d'actes de barbarie sur les animaux. Au-delà de considérations sur la possibilité pour le législateur de moduler les règles en fonction des situations, le Conseil constitutionnel valide le raisonnement des aficionados, lequel est souvent mal compris. Les juges font valoir que la corrida peut être pratiquée dans les régions où existe une tradition locale et une culture taurine. Ce qui scandalise ceux qui traduisent cette position par le fait que la pratique pourrait justifier le droit et au final que le droit coutumier l'emporterait sur le droit construit. La pratique, même la plus contestable, dicterait ainsi sa loi interdisant tout progrès. Ce n'est évidemment pas de cela qu'il s'agit. La référence à la culture taurine a une dimension beaucoup plus large, que l'on peut illustrer par les peintures de Catherine Huppey qui n'a pourtant jamais assisté à une corrida.

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Catherine Huppey - Combat 2

Par leur décision, les magistrats (que l'on renonce à désigner par le terme de "Sages" que les jounalistes emploient par facilité et que rien ne justifie) rappellent que pour pouvoir exister, la corrida ne doit être qu'une partie d'un ensemble bien plus vaste. La culture taurine c'est la présence du taureau dans l'histoire, dans les traditions, dans l'économie, dans les moeurs et au final dans la vie des populations. C'est l'élevage,  les manifestations autres que la corrida (abrivados, courses, encierros...), une littérature, une gastronomie car l'on mange du taureau, un mode de vie, une imprégnation des fêtes et traditions populaires, les ferias, et au final un élément de l'identité locale. En ce sens, il n'est pas contradictoire, au contraire, de défendre la présence de l'Ours dans les Pyrénées et le maintien des corridas dans les terres du Sud. C'est ce message que délivre le juge, dans le langage qui est le sien. C'est dire si le Président du Crac (Comité radicalement anti-corrida) est loin du sujet lorsqu'il estime que cette décision consacre la dictature tauromachique puisqu'un petite nombre impose sa loi au plus grand nombre. Le juge lui a exactement expliqué le contraire, encore faut-il prendre la peine d'entendre ce qu'il dit.

21/09/2012

Du bon usage du droit

Le CEDEFOP vient de publier une étude sur les clauses de dédit formation dans les 27 pays de l'Union Européenne, les 3 candidats à l'adhésion (Turquie, Croatie, Macédoine) et les 3 pays de l'AELE (Islande, Liechtenstein, Norvège). Premier constat, les clauses de dédit formation existent dans 27 des 33 pays, avec des régulations légales ou conventionnelles, preuve que la question de la charge finale de l'investissement formation a été posée quasiment partout. Deuxième constat, l'auteur du rapport adopte comme présupposé non discutable, en tout cas très peu discuté, que les clauses de dédit formation c'est bon pour tout le monde. Pour l'entreprise qui sécurise son investissement et pour le salarié qui se trouve ainsi responsabilisé et prend conscience de l'effort de l'entreprise. Après la CNIL, voici donc de nouveau un expert qui suppute l'absence de conscience du salarié, cet irresponsable qu'il convient de discipliner un peu en le menaçant d'avoir à payer lui-même sa formation pour qu'il prenne enfin en considération l'effort que fait l'entreprise. Mais surtout, le rapport répète ad nauseam que la contrainte juridique résultant de la clause de dédit formation, que l'auteur encourage à appliquer pour toutes les formations y compris de courte durée, est une excellente manière de développer la formation professionnelle et d'impliquer plus fortement le salarié. Voici donc le droit dans sa version punitive promu outil pertinent de management. Ajoutée à une clause d'exclusivité, de mobilité, de confidentialité, de non-concurrence et de rémunération largement variable, la clause de dédit-formation achèvera de corseter le salarié qui dès lors n'aura plus qu'à filer droit. Pas de doute qu'ainsi entravé, sa motivation s'en trouvera renforcée.

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Nobuyoshi Araki -  2012

Il n'est pas exclu que le droit puisse être un outil de management pertinent. Encore faudrait-il l'utiliser dans sa version positive : donner des repères clairs pour l'action, fixer des cadres, identifier les marges de manoeuvre  de chacun, donner de la légitimité à ses pratiques, s'ouvrir des espaces de liberté, identifier des solutions possibles. Mais force est de constater que c'est quasi-exlusivement pour sa capacité à sanctionner que l'on recours au droit, transformant les juristes en gestionnaires de risques et non en producteurs de valeur ajoutée. Nos gouvernants ne sont d'ailleurs pas en reste qui ont multiplié les obligations de négocier sous peine de sanctions : seniors, égalité professionnelle, pénibilité et bientôt contrats de génération, ce qui témoigne d'une certaine continuité culturelle en dépit des alternances politiques. Pour les mesures qui récompensent les comportements vertueux, on est prié d'attendre encore un peu. On terminera sur un paradoxe à propos de la clause de dédit formation : la formation est censée apporter de l'autonomie au salarié, donc de la liberté et de la responsabilité. N'est-il pas contradictoire de vouloir ficeler ceux que l'on tente de rendre plus autonomes ?

Clauses de dédit formation - CEDEFOP.pdf

A l'attention toute particulière de l'expert du CEDEFOP, une deuxième photographie d'Araki pour lui permettre de méditer sur le rapport que l'entrave peut entretenir avec le plaisir.

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20/09/2012

Le salarié, cet incapable

Le directeur de l'établissement n'avait jamais envisagé que la pratique d'afficher chaque année la liste des salariés ayant fait l'objet d'une promotion aurait pu poser problème. De bienveillants collègues lui ont quand même conseillé de consulter la CNIL. La réponse ne s'est pas faite attendre : la pratique est illégitime et elle ne peut être validée par le consentement des salariés. Le courrier reçu par l'entreprise est un véritable collector :

- la CNIL affirme que toute information individuelle est une information personnelle et donc confidentielle ;

- la CNIL s'érige en juge de la légitimité d'une pratique alors qu'on attendait qu'elle se prononce sur sa légalité ;

 - et cerise sur le n'importe quoi, le courrier dénie au salarié toute capacité de négocier avec son employeur. Ici, la citation s'impose : "A toutes fins utiles, je vous indique que notre Commission n’admet pas, en principe, le recours au consentement dans le domaine des ressources humaines. En effet, compte tenu du lien de subordination existant entre un salarié et son employeur, le consentement ne peut être libre et éclairé.". On ne saurait mieux dire que le salarié est un incapable majeur dont la volonté ne compte guère, un individu dépourvu de la moindre autonomie voire de la plus petite parcelle de conscience, bref un pantin que les doigts de l'employeur agitent.

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Man Ray - Coast Stand - 1920

Chacune de ces affirmations est excessive sinon grotesque. Si toute information individuelle est personnelle et donc confidentielle, alors il faudra renoncer à des organigrammes personnalisés, à des notes de bienvenue pour les nouveaux recrutés (avec, horreur absolue, une notice biographique), à des informations de nomination, à la diffusion du plan de formation et l'on ne parle même pas de la photo de l'employé du mois ou des résultats du challenge des commerciaux. Une seule solution : anonymiser toute l'information et l'on proposera que cela soit fait en attribuant aux salariés un numéro, aléatoire pour éviter toute identification. Toute ressemblance avec la série LE PRISONNIER sera fortuite et ne pourra être imputée à la CNIL.

Si la CNIL s'érige en gardienne de la légitimité des pratiques, alors il ne faut plus s'étonner de l'arbitraire que revêtent certaines décisions. Car la légitimité est une notion qui renvoie certes au droit mais également à l'éthique, la morale, la justice ou encore la raison. Soit des terrains moins stables que celui de la légalité que l'on a déjà parfois du mal à clairement délimiter.

Mais le meilleur, si l'on peut dire, est pour la fin. Tout salarié, de part sa qualité de salarié, serait incapable de conserver le degré de conscience minimal qui lui permettrait de donner un consentement éclairé. Les fins juristes de la CNIL ne parviennent donc pas à faire la différence entre la subordination juridique et la soumission. Si l'on s'en tenait à leur raisonnement, il faudrait annuler pour vice du consentement tout avenant au contrat de travail puisque le salarié ne peut librement consentir.

Le plus inquiétant, c'est que tout cela est décidé avec la conviction profonde, et sans doute sincère, de contribuer à la protection des salariés, ou plutôt des pantins qui en tiennent lieu. Il vaudrait mieux se demander qui, dans cette affaire, est véritablement incapable.

14/09/2012

Annoncer la couleur

Quelle idée de recruter les magistrats par concours ! du coup les filles réussissent mieux que les garçons, la magistrature se féminise et les décisions aussi. Il faut dire que Florence, Céline et Sandrine n'y ont pas été de main morte. En interdisant à la Caisse d'Epargne de Rhônes-Alpes Sud de continuer à pratiquer le système de gestion de la performance mis en place quelques années plus tôt, elles s'autorisent à passer les pratiques manageriales au crible de la protection de la santé des salariés. Certes, ce n'est pas la première fois qu'un juge considère que l'organisation du travail, par elle-même, peut être attentoire à la santé. La mise en examen de l'ex-PDG de France Télécom est là pour nous le rappeler. Mais ici, c'est la motivation retenue par les trois magistrates qui retient l'attention. Si le système mis en place est illicite c'est parce qu'il est bâti sur le principe que le seul objectif fixé aux salariés c'est de faire mieux que les autres, ce qui est particulièrement générateur de stress. Selon les juges, si l'entreprise met en place un système de gestion de la performance, cela signifie qu'elle doit fixer des objectifs, lesquels sont susceptibles d'être soumis à contrôle. En d'autres termes il faut annoncer la couleur. A ce sujet, si le Rouge et Noir sont les couleurs de Toulouse et de Chicago, il semblerait qu'elles soient également celle de Saint-Denis.

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La gestion de la performance à la Caisse d'Epargne est assurée par un système de Benchmark : les performances des agences et des salariés font l'objet d'une évaluation continue qui agrège les résultats et positionne chaque agence et chaque salarié en fonction de sa performance relative. Cette mise en concurrence interne permanente (proche de la fameuse concurrence interne compétitive, voir ici) est censée tirer les performances vers le haut. Elle traduit surtout le choix de privilégier la compétition sur la coopération pour améliorer le résultat. On ne s'en étonnera pas lorsque l'on constate que l'entreprise affirme dans ses conclusions qu'il n'y a pas de lien entre le système de benchmark et les risques psychosociaux "qui font partie du monde actuel du travail". Comme si ce monde actuel n'était pas un construit mais une donnée intangible. Et au passage, les magistrates n'oublient pas de tordre le cou aux accords sur les risques qui ne visent pas à prévenir les risques à la source, donc à les minorer, mais à les traiter lorsqu'ils surviennent par des numéros verts d'écoute, des reclassements ou mobilités ou encore des mesures qui renvoient le problème à des solutions exclusivement individuelles (formation, aménagement du poste de travail...). Or, le Code du travail est formel : les mesures préventives et collectives doivent primer sur les mesures curatives et individuelles. C'est ça le problème avec les filles qui lisent et qui travaillent : contrairement au Poker vous ne pouvez plus les bluffer et il faut annoncer la couleur.

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13/09/2012

Créativité juridique

Pour les adultes, comme pour  les jeunes élèves, lorsque l'on fait un travail technique, parfois ingrat, le meilleur moyen de le valider est de le faire fonctionner à la fois sur les sujets qui s'y rapportent, mais également sur d'autres, sans rapport apparent, pris au fil de l'actualité. Et dans le fil en ce moment il y a le mariage, ou plutôt l'union civile à trois qui a été reconnue au Brésil. Pour travailler sur le fait qu'il n'y a pas de vide juridique et que le droit a eu une réponse pour chaque situation, c'est un bon point de départ. Car il se trouve, ce n'est pas grave bien évidemment, que les journalistes ne lisent pas ce blog. Où alors ils se contentent de regarder les photos. Du coup on peut entendre et lire que cette union a été possible grâce à un vide juridique : la loi ne précisant pas que le mariage est réservé à deux personnes, il est donc possible pour trois. Un quatuor aurait d'ailleurs déjà saisi la notaire qui a enregistré la première union.

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Nouvelles unions, nouveaux bébés ?

En réalité, la Constitution brésilienne reconnaît comme famille "une union stable entre un homme et une femme". Avec une définition semblable, la Cour de cassation en France a estimé que le mariage était réservé aux couples hétérosexuels, respectant la lettre du texte. L'esprit du carnaval a du souffler sur la Cour suprême brésilienne car les magistrats cariocas ont estimé eux que cette définition de la famille avait valeur d'exemple mais n'était pas exhaustive. Ce n'est donc pas un vide juridique, dont on répète qu'il n'existe pas (voir ici ou ) qui a permis l'union du trio mais la créativité des juges. Car voilà la seconde démonstration que nous fournit cet exemple : à partir des mêmes textes, les juges français et brésiliens ont pu prendre des décisions totalement opposées. Preuve, s'il en fallait, que le juge peut décider ce qu'il veut et construire le raisonnement adéquat ensuite. Apparemment les managers ont apprécié, à l'exception du juriste de l'entreprise qui se montra plus réservé. Un petit tour au Brésil peut être ?

28/08/2012

Et la liberté devra être homologuée...

La loi du 25 juin 2008 a créé la rupture conventionnelle homologuée. Ce dispositif, qui concernera plus de 250 000 salariés en 2012, n'était pas une innovation dans son principe : ce qu'une volonté a faite, une même volonté peut le défaire. La rupture conventionnelle existait déjà, elle n'est pas remise en cause par la rupture conventionnelle homologuée. Simplement la première produit les effets sociaux et fiscaux d'une démission (rupture volontaire du contrat), alors que le passage par une rupture conventionnelle homologuée permet de bénéficier d'un régime favorable pour les indemnités versées dans le cadre de la rupture et pour l'accès au régime d'assurance-chômage. Comme Jean-Emmanuel Ray le fait, on peut donc distinguer la RC1 (mode général de rupture d'un contrat) et la RC2 (rupture homologuée) qui ouvre des droits particuliers. Tel n'est pas l'avis des juges de la Cour d'appel de Riom qui considèrent que seule une rupture homologuée peut permettre à un employeur et un salarié de défaire le contrat qu'ils ont signé. Et voilà comment la liberté contractuelle se trouve assujettie à l'imprimatur de l'administration.

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Philippe Hortala - Les jours heureux, liberté chérie - 1986

Dans une décision du 12 juin 2012, la Cour d'appel de Riom pose en effet en principe que toute rupture amiable du contrat de travail doit obéir aux règles de la rupture homologuée. Le dispositif particulier de la rupture homologuée vient donc supplanter le droit commun de la rupture des contrats et le principe général de la possibilité de résiliation amiable. Adopter une telle position liberticide n'a pas semblé une préoccupation majeure pour les magistrats sans que l'on sache très bien si cela résulte d'une mauvaise humeur passagère, d'un assoupissement regrettable ou des effets indésirables d'une cure thermale draconienne dans les villes d'eau des jolis monts d'Auvergne. Vite une cassation et un renvoi vers la Cour d'appel de Bordeaux afin que l'esprit de Montaigne, de Montesquieu et du Médoc fasse souffler de nouveau la liberté.