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19/01/2014

Il est de l'essence des symboles...

...d'être symboliques. Cette phrase de Rrose Selavy, alias Marcel Duchamp, nous rappelle que les choses échappent difficilement à leur nature. S'agissant des humains, et non des choses, le formateur répugne évidemment à considérer qu'il existerait une nature une et indivisible et penche plus facilement pour une culture et des interactions environnementales qui viennent modeler des dispositions. Et si l'on veut à tout prix que l'homme ait une nature, sans doute faut-il s'en tenir au fait qu'apprendre est le propre de l'homme, son activité incessante, celle qui le place en perpétuelle évolution. Les juges, qui aiment par nature que les choses soient dans l'ordre, n'ont pas manqué de reformuler l'adage de Rrose Sélavy dans une affaire relative à la durée du travail, pour eux il est dans la nature d'un dirigeant de diriger. 

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Pourtant, la Cour d'appel pouvait penser avoir correctement travaillé. Pour savoir si un salarié était bien cadre dirigeant au regard de la durée du travail, elle avait appliqué les trois critères légaux : un niveau de responsabilité élevé, une grande liberté d'organisation et un salaire parmi les plus importants. Insuffisant pour la Cour de cassation. Avant toute chose, un dirigeant doit diriger et si, malgré d'importantes responsabilités, il ne participe pas à la direction de l'entreprise, il ne peut recevoir qualité de cadre dirigeant. Et c'est ainsi, comme dirait Alexandre Vialatte, qu'Allah est grand. 

Cour_de_cassation_civile_Chambre_sociale_26_novembre_2013...

29/04/2013

Un KO attendu

On savait que cela finirait par arriver. Il s'agissait juste de savoir quand. A quel moment un salarié en forfait en jours relevant de la convention SYNTEC ferait juger qu'elle présente des garanties insuffisantes pour permettre d'établir valablement des forfaits en jours. On se disait que, turn-over aidant, il y aurait bien un départ conflictuel qui permettrait au juge de se prononcer, dans un des domaines où le nombre de salariés en forfait en jours est le plus élevé. Mais rien. Pas un contentieux de principe  arrivant jusqu'à la Cour de cassation. Jusqu'à cette affaire de clause de non concurrence et de démission péniblement transformée en prise d'acte par la salariée. Sans demande particulière sur le forfait en jours. Mais, comme le boxeur qui prépare sa gauche depuis longtemps et ne sait plus la retenir dès que l'occasion se présente, le juge releva d'office le moyen qui lui permet d'obtenir le KO que manifestement  il recherchait.

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Georges Bellows - Dempsey et Firpo - 1924

Comme bien d'autres conventions négociées lors de la mise en oeuvre des 35 heures, la convention SYNTEC ne présente en effet que très peu de garanties pour s'assurer que la durée du travail des salariés en forfait en jours n'est pas excessive. Le suivi semestriel auquel se limite l'accord est manifestement insuffisant. Peut être cette décision pèsera-t-elle sur quelques départs dont le coût se trouve renchéri pour les employeurs. Et peut être amènera-t-elle le SYNTEC à réouvrir des négociations sur le sujet pour tenter de sécuriser ce qui peut l'être. Car le coup a été donné de si belle intention qu'on sent bien que le juge a de la réserve !

COUR DE CASSATION 24 avril 2013 - SYNTEC.pdf

03/02/2013

Forfait jour, la machine à sous

Ils sont cadres, ils font partie du comité de direction, ils sont positionnés à un niveau élevé dans la convention collective, ils correspondent aux catégories de salariés qui peuvent entrer dans le forfait en jours. A priori, pas de problème donc. Leur travail : suivre l'activité des machines à sous dans le Casino. Ces machines qui furent tantôt autorisées, tantôt interdites, que l'on appelle les Bandits manchots et qui furent parfois transformées, comme cette Gitane, en machine à prédire l'avenir lors de leur période de prohibition. Mais dans cette histoire, la véritable machine à sous ce fût le forfait en jours.

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La Gitane - 1935 -

Si l'un des salariés avait consulté la Gitane, elle lui aurait peut être prédit une rentrée d'argent et que son jour de chance serait le 23 janvier 2013. Ce jour là, la Cour de cassation, infirmant une décision de la Cour d'Appel de Versailles, jugea que dès lors que l'on imposait aux salariés des plannings de présence obligatoire dans les salles de machines à sous, serait-ce en vertu de la règlementation particulière applicable aux jeux de casino, et même si toutes les conditions étaient réunies par ailleurs, il n'était pas possible de les rémunérer sur la base d'un forfait en jours. Pour les entreprises qui ne l'auraient pas compris, le rappel de la Cour de cassation, qui n'est pas le premier, est limpide : le forfait en jours est totalement incompatible avec une prescription d'horaires, des plannings obligatoires ou des obligations de présence. On aurait pu s'en douter, il suffisait de lire la définition de l'autonomie, première condition pour pouvoir conclure une convention de forfait en jours. Au suivant ?

Cass Soc 23 janvier 2013 - Forfait en jours.pdf

26/11/2012

Le masque du taureau

Il est un mythe dont la longévité paraît éternelle, celui de la durée du travail des cadres. Depuis la loi du 20 août 2008, qui a ouvert le forfait en jours aux non cadres, il n'existe pourtant plus aucune spécificité dans la législation du temps de travail, pour les cadres. Seuls les cadres dirigeants, en qualité de dirigeants, échappent à l'essentiel des règles régissant le temps de travail. Pour le reste, cadres ou non cadres peuvent voir leur durée du travail fixée en heures ou en jours selon leur activité et le droit conventionnel qui leur est applicable. Mais avant 2008, le forfait en jours était réservé aux cadres. Petit malin, du moins le croyait-il, un employeur bombarda cadre un salarié pour lui faire signer dans la foulée une convention de forfait en jours. La Cour de cassation, dans une décision du 21 novembre, censure cet artifice. Etre cadre ne suffit pas : ce qui conditionne le forfait en jours c'est la réalité de l'autonomie. Le masque est insuffisant et celui de taureau ne nous empêche pas de reconnaître Picasso.

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Gjon Mili - Picasso - 1949

 Mais le juge n'a débarassé le salarié de son masque qu'en matière de forfait jours, puisque la condition d'autonomie n'était pas remplie. Pour le reste, le salarié ayant un avenant au contrat qui lui accord la qualité de cadre, l'employeur est tenu de lui verser le salaire et les avantages correspondant. Sous le masque du faux-cadre, le cadre demeure. L'employeur aurait pu s'en douter s'il s'était souvenu que si l'on enlève le masque de Taureau, on voit Picasso et c'est toujours un taureau.

Cass. soc. 21 Novembre 2012 - Cadre au forfait.pdf

20/11/2012

La Cour enfonce le clou

Chaque décision de la Cour de cassation en matière de forfait en jours, est un clou supplémentaire sur le cercueil des espérances de ceux qui voyaient dans ce dispositif un forfait tous horaires permettant de s'affranchir de toute règle légale et de gérer la durée du travail comme bon leur semble.

Dans une décision du 31 octobre dernier, les magistrats rapellent une nouvelle fois que la loi a posé quatre conditions légales à la validité du forfait en jours : un accord collectif, un accord individuel, une réelle autonomie dans l'organisation du temps de travail et un dispositif de suivi et de régulation de la charge de travail, dont un entretien annuel spécifique. Tous ces points donnent lieu à litige mais, le management en France étant ce qu'il est, c'est bien souvent le motif de défaut d'autonomie qui est invoqué. Après la jurisprudence Décathlon, la Cour de cassation confirme son contrôle sur la réalité de l'autonomie du salarié et estime que lorsque l'entreprise fixe le planning de travail, elle ne peut prétendre que le salarié est autonome, même si elle ne prescrit pas ses horaires. Aïe, le clou.

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Amie Dicke

Dans une deuxième décision, la Cour de cassation devait se prononcer sur le cacul du forfait en jours lorsque le salarié bénéficie de jours de congés conventionnels. Faut-il déduire les congés conventionnels du forfait fixé à 217 jours comme le prétendait l'organisation syndicale à l'origine du recours, ou bien simplement les déduire du nombre de jours de travail théorique, comme le prévoit la convention de la métallurgie ? pour les tribunaux, qui suivent l'argumentation du syndicat, les congés conventionnels doivent être déduits du nombre de jours inclus dans le forfait, sinon cela reviendrait à priver le salarié de cet avantage supplémentaire. Ce qui confirme que les jours d'absence, comme les jours de maladie, ne doivent être déduits que des jours travaillés et sont sans incidence sur les jours non travaillés (en clair, les jours appelés à tort de RTT ne doivent pas être proratisés et sont fixés de manière définitives - voir ici). Beaucoup d'entreprises ont encore du mal à intégrer ces logiques de décompte des absences des jours travaillés, mais on peut faire confiance à la Cour de cassation pour continuer à enfoncer le clou.

Cass. soc. 31 octobre 2012 Forfait jours - Absence d'autonomie.pdf

Cass. soc., 11 juillet 2012, Forfaits en jours - Jours conventionnels de congés.pdf

09/10/2012

L'étau se resserre

Au mois de juin 2011, après un suspens tout relatif et une grande frayeur bien orchestrée, les DRH soufflaient à la lecture de la décision de la Cour de cassation validant le forfait jours. Nous annoncions pourtant déjà qu'il ne fallait peut être pas tant se réjouir du côté des services RH et qu'un train pouvait en cacher un autre  (voir ici). Ce train n'a pas manqué de passer et son souffle risque de décoiffer quelques habitudes. Honneur au Sud : la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a décidé le 23 mars 2012 qu'un chef de rayon de chez Décathlon, bombardé cadre et assujetti à un forfait jours, devait percevoir des heures supplémentaires car le forfait était nul. En effet, le chef de rayon était soumis à des horaires imposés et à des jours de présence le samedi et parfois le dimanche choisis par l'entreprise. Rien du cadre autonome donc. D'autre part, son salaire était fixé au tout premier niveau de rémunération des cadres. Rien qui soit en rapport avec les sujétions liées à sa fonction. Le forfait étant nul, le salarié aura droit à 11 h supplémentaires par semaine sur 2 ans, soit un total de plus de 16 000 euros. Et comme les corps de Martina Abramovic et son acolyte se resserrent sur le visiteur de musée qui doit choisir de passer ou pas, de frotter ou non et de faire face à l'homme ou à la femme, l'étau du juge se resserre sur les entreprises qui pensaient trouver dans le forfait un outil permettant d'habiller à bon compte des pratiques qui n'en relèvent manifestement pas, comme c'est le cas pour les chefs de rayon de la grande distribution.

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Marina Abramovic - Imponderabilia - 1977

Une deuxième couche vient d'être rajoutée par la Cour de cassation elle-même. Dans sa décision du 26 septembre dernier, elle annule le forfait jours d'un cadre qui consacrait un certain temps, et même un temps certain, à son activité professionnelle. La Cour de cassation rappelle que le forfait jours n'est ni un forfait jours et nuits, ni un forfait week-end, ni un forfait toute la journée. Et que l'accord collectif qui met en place le forfait jours doit prévoir des mesures de nature à faire respecter des temps de travail raisonnables. En l'espèce un entretien annuel et des rapports trimestriels de la hiérarchie sur la charge de travail, soit le minimum syndical qui n'existe pas dans toutes les entreprises, ne sont pas suffisants. Le forfait jours doit donc être annulé et des heures supplémentaires payées.

Lorsque l'étau commence à serrer à ce point, cela peut faire mal. Et nul doute que les juges ne s'arrêteront pas en si bon chemin. A tous ceux qui se félicitaient de la survie du forfait jours, il ne reste donc plus qu'à se mettre au travail pour en garantir la validité.

CA AIX 29 mars 2012.pdf

Cour Cass. 26 septembre 2012.pdf

25/05/2012

Tolérer c'est demander

On connait la boutade de Clémenceau : "La tolérance, la tolérance, il y a des maisons pour cela !". Et c'est une chambre, en l'occurence la chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc., 13 mars 2012, n° 10-26.209), qui nous donne l'occasion de cette révision en rappelant, dans un énième conflit portant sur les heures supplémentaires, qu'il n'est pas nécessaire que l'employeur ait demandé la réalisation de ces heures. Il suffit qu'il ait pu constater qu'elles étaient réalisées et ne soit pas intervenu en vue de les interrompre, pour que l'on considère que cette tolérance traduit une demande implicite. Pas de tolérance dans l'entreprise donc : faute d'intervenir pour réguler les dépassements d'horaires d'un salarié, l'employeur sera tenu de payer des heures supplémentaires. Pas très tolérants avec l'employeur  les juges !

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Toulouse-Lautrec - Le salon de la rue des Moulins - 1894

Le principe selon lequel "la tolérance vaut demande" a déjà été utilisé par les tribunaux en matière de santé au travail : qui tolère qu'un salarié ne porte pas les équipements de protection individuelle pour travailler, par exemple, est considéré comme ayant demandé à ce que ces équipements ne soient pas portés. En d'autres termes, le juge estime qu'il est dans la nature de l'employeur de manager et que son abstinence est une coupable tolérance. Allez zou ! à la maison !

22/12/2011

Fête du personnel

C'est le premier du genre, sans doute pas le dernier. Il s'agit d'un message, écrit en gros, en bas du mail de mon interlocuteur, qui dit ceci : "En application de l'accord vie privée vie professionnelle, mes mails envoyés le soir ou le week-end n'appellent pas de réponse immédiate". Voilà une traduction de la lutte contre l'évaporation des frontières entre la vie personnelle et la vie professionnelle. La lutte n'est pourtant pas simple, car s'il y a du professionnel dans la vie personnelle, il y a également du personnel dans la vie professionnelle, l'individu ne se résumant jamais exclusivement à sa qualité de salarié.

Vu sous l'angle juridique, la mention règle une question, mais en pose une autre. Ce qui est réglé par la mention du "non urgent", c'est que l'envoi d'un mail ne saurait valoir interpellation et prescription de la part de l'entreprise. Que le salarié reçoive un mail pendant le week-end auquel il répondra lundi n'est pas un problème juridique. C'en est un si le mail arrive sans cette réserve puisqu'il prouve la sollicitation de l'employeur sur un temps non travaillé. Le salarié n'a donc pas à rester en veille et le mail n'attente pas à son repos.

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Sentinelle devant une banque de la Havane - Décembre 1962

Par contre, que dire de l'envoi du mail sur des plages qui, normalement ne devraient pas être travaillées ? qu'il n'est juridiquement possible que pour des salariés qui disposent d'une liberté d'organisation de leur temps de travail. Donc les salariés en forfait jours et les cadres dirigeants. Pour les autres, un tel envoi constaterait un travail en dehors des plages rémunérées. Travail volontaire pourrait arguer l'entreprise ? ce serait oublier que l'arroseur peut parfois être l'arrosé. Disposant du droit et de la possibilité technique de lire les mails des collaborateurs, l'entreprise ne peut considérer qu'elle n'est pas au courant des mails qui s'échangent à des horaires indus. Et elle devrait le gérer. Seuls les salariés dotés d'une autonomie sur l'organisation de leur temps sont donc susceptibles d'avoir recours à la formule. Non sans limite puisqu'il faut rappeler que si le forfait jour peut inclure une partie de la soirée, ce même forfait n'est pas un forfait nuit ni un forfait week-end. La tentative était méritoire, pas certain qu'elle constitue une garantie juridique absolue, au contraire. Juste le rappel que le droit est souvent inopérant lorsqu'il ne correspond pas à la réalité.

 

NB : Cette chronique qui essaie d'insinuer habilement qu'aujourd'hui est date de jour de fête n'appelle aucun témoignage de félicitation immédiat.

10/11/2011

Rangez les laisses !

Votre portable, votre carte bleue, votre pass navigo, les caméras dans la rue, les cookies sur internet...la technologie permet de suivre à la trace vos déambulations physiques et électroniques. A croire qu'il ne reste que la rêverie qui échappe à la traçabilité, mais il paraîtrait que des neurobiologistes ne désespèrent pas de voir vos rêves livrés par l'imagerie magnétique. La technologie ? plutôt l'usage que l'on en fait car si la technique peut beaucoup, elle ne fait jamais que ce qu'on lui demande. Et on lui demande parfois de géolocaliser de manière permanente les salariés en incrustant un de ces mouchards qui contribuent à la relation de confiance entre l'entreprise et ses collaborateurs. La CNIL a posé les premiers garde-fous en 2006 avec quelques règles de principe : pas de géolocalisation permanente, obligation d'information des salariés, usage réservé aux cas qui le nécessitent absolument, etc. La Cour de cassation, dont on apprécie toujours la concision et la précision des décisions, fait plus qu'ajouter sa pierre dans une décision du 3 novembre 2011 : la géolocalisation ne permet de contrôler la durée du travail que lorsque tout autre moyen est impossible, voici pour la pierre, et surtout elle ne peut être mise en oeuvre pour un salarié qui dispose de la liberté d'organisation de son travail, voilà pour le mur que le juge dresse entre l'autonomie et la géolocalisation. Un sacré coup de ciseau dans la laisse électronique que les entreprises tentent de passer au cou des salariés.

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Félicien Rops - Le Pornocrates

Dans l'affaire jugée le 3 novembre, il s'agissait d'un vendeur salarié dont le véhicule était équipé d'un système de géolocalisation pour analyser et optimiser son activité. Le salarié en était informé ainsi que la CNIL. Constatant que la durée du travail n'étais pas respectée, l'employeur a réduit la rémunération du salarié qui a pris acte de la rupture de son contrat et a saisi les prud'hommes. Les juges donnent raison au salarié, la Cour de cassation confirme. Le salarié étant libre d'organiser son travail, il ne pouvait faire l'objet d'un contrôle des temps par géolocalisation. Ce principe très clairement affirmé pour un salarié dont la durée du travail était fixée en heures, a pour conséquence de rendre impossible toute géolocalisation pour les salariés en forfait en jours. En effet, l'autonomie et la liberté d'organisation du travail étant une condition de validité du forfait en jours, elle rend impossible un contrôle de la durée du travail par géolocalisation. Cette impossibilité est une question de cohérence : on ne peut affirmer à la fois qu'un salarié est autonome pour gérer son temps de travail et mettre en place un système permanent de contrôle de ce temps. Et plus largement, dès lors que le salarié fixe librement les frontières entre vie personnelle et professionnelle, un système de contrôle permanent conduirait l'employeur à contrôler des temps de vie personnelle.

Par cet important arrêt qui sera publié au bulletin, la Cour de cassation limite donc la possibiltié de géolocalisation aux salariés dont la durée du travail est fixé en heures et dont les horaires sont prescrits, la géolocalisation ne pouvant s'exercer que pendant ces horaires.

Voilà une belle leçon donnée par le juge, et dont pourrait s'inspirer le législateur :  comment en peu de lignes et peu de mots, on peut préserver des libertés fondamentales.

Geolocalisation - Cassation 3 novembre 2011.pdf

23/10/2011

Coup de chaud sur les forfaits jours

Difficile parfois de résister à la tentation, n'est pas Saint-Antoine qui veut. Icare lui, ne résista pas et partit défier le soleil avec ses ailes aux jointures de cire. Le soleil fut au rendez-vous, la cire fondit et Icare chuta. Quelques uns en conclure que les hommes ne devaient pas défier les lois naturelles et que la science devait apprendre l'humilité. Ce n'est ni une loi naturelle ni l'humilité que le Conseil des Prud'hommes de Limoges a voulu rappeler aux dirigeants d'un hypermarché qui avaient cru pouvoir conclure des forfaits en jour avec leurs responsables de rayon. Mais plus simplement que l'arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 2011 (voir ici) avait validé les forfaits en jours sous réserve d'un strict respect des conditions légales et conventionnelles, et que lorsque tel n'est pas le cas, le forfait doit être annulé et les heures supplémentaires effectuées par le salarié indemnisées. Dans l'affaire jugé le 6 septembre dernier, les juges ont estimé qu'en l'absence de preuve précise par le salarié du volume de ces heures supplémentaires, une indemnité de 30 000 euros devait lui être allouée, soit l'équivalent en l'espèce de plus d'une année de salaire brut.

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Herbert James Draper - Le chagrin d'Icare

On relèvera que les juges ont systématiquement passé en revue les conditions de validité du forfait en jours. La première est légale, il s'agit de l'autonomie du salarié. Difficile de considérer qu'un responsable de rayon qui doit faire valider ses départs de l'entreprise par le cadre de permanence est autonome. La seconde est également légale, il s'agit de l'entretien annuel obligatoire pour les salariés en forfait en jours, qui doit aborder la charge de travail, l'organisation du travail, l'impact de la vie professionnelle sur la vie personnelle et la rémunération. En l'espèce l'entreprise faisait bien un entretien annuel mais il ne portait que sur la performance et les compétences. Insuffisant pour les salariés en forfait jours. Enfin troisième condition le respect des obligations conventionnelles de suivi de la charge du travail des salariés en forfait jours. Pas plus de suivi collectif que de suivi individuel. Si toutes ces conditions ne sont pas réunies cumulativement, le forfait en jours doit donc être annulé et des heures supplémentaires payées. Les entreprises qui risquent de se brûler les ailes se reconnaîtront.

Nullité du forfait jour - CPH Limoges Septembre 2011.pdf

29/06/2011

Pschitt ? pas sûr...

Après une nuit agitée, les DRH ont attendu l'heure dite et le juge délivra son verdict : le forfait en jours est un dispositif validé dans son principe par la Cour de cassation. Toute l'agitation entretenue à plaisir par les juristes gendarmes fait Pschitt et certains risquent de passer pour des clowns qui nous ont mené en bateau.

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Pourtant, a bien y regarder, les DRH ne devraient pas se réjouir trop vite. Car le juge en revient à une analyse que l'on ne peut qu'approuver et, au passage, remet en cause une jurisprudence un peu hâtive. Reprenons dans l'ordre. Si le forfait en jours est valide, c'est parce que les garde-fous (cherchez qui sont les fous) posés par le législateur sont suffisants pour éviter les abus. Ils sont au nombre de quatre :  la détermination des salariés concernés par la négociation collective, l'accord individuel du salarié, l'autonomie dans l'organisation des horaires et l'organisation d'un entretien annuel spécifique au cours duquel sont abordés la charge de travail, l'organisation du travail, l'articulation vie professionnelle/vie personnelle et la rémunération. Lorsque ces conditions n'étaient pas réunies, la Cour de cassation avait décidé que le forfait jour n'était pas remis en cause mais que le salarié avait droit à des dommages-intérêts. La décision du 29 juin durcit, logiquement, la sanction : si les conditions du forfait jours ne sont pas respectées, le forfait jours n'est pas valide. Et le salarié a droit à des heures supplémentaires. Voici donc les DRH contraints de vérifier les accords individuels et collectifs, de respecter l'autonomie dans l'organisation du travail des salariés en forfait en jours (sans leur demander d'être présents en tant que managers sur des plages horaires fixes) et d'organiser tous les ans un entretien au cours duquel il sera question d'argent. Comme quoi, un train peut en cacher un autre.

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Cour de Cassation - Arrêt 29 juin 2011 et communiqué de presse.pdf

21/12/2010

La preuve par le carnet

Carnet de bord, carnet de vol, carnet de voyage...garder trace ne date pas d'hier ni du totalitaire désir d'universelle et permanente traçabilité. Il est des traces de liberté et non de contrôle, de sublimation et non de fichage, de support de rêverie et non de suivi à la trace pour votre bien, forcément pour votre bien.

Cette manie du carnet se porte parfois sur le temps : aux livres de comptes qui permettent aux historiens de reconstituer le passé, aux journaux personnels qui livrent des éléments de biographie, se superposent parfois des petits agendas dans lesquels l'emploi du temps est scrupuleusement noté. Rendez-vous, activités exercées, lieux visités, tout prend place dans le carnet. Et un jour celui-ci est porté devant le juge à l'appui d'une demande d'heures supplémentaires : constatez par vous même monsieur le Président des heures de travail quotidiennement effectuées. Moins romantique que le carnet géographique des femmes de Corto Maltese peut être, mais pas moins probant.

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Sylvie Galas - Carnet de voyage de Corto Maltese

L'employeur n'y croyait guère : nul ne peut fabriquer artificiellement et unilatéralement une preuve. Le carnet ne peut valoir et fonder une demande. Tel n'est pas l'avis de la Cour de cassation (Cass. soc., 8 décembre 2010). Pour les juges, l'employeur a l'obligation de contrôler le temps de travail des salariés et la preuve s'en trouve donc partagée sur des bases différentes. Au salarié de rapporter par tout moyen, y compris l'agenda personnel ou son journal intime, la preuve de son temps travaillé, à l'entreprsie de fournir ses propres éléments. Et si elle est incapable de fournir quoi que ce soit, la victoire du petit carnet sera scellée.

Mais tout cela ne répond pas à LA question, PANDORA est-elle bien l'aventure et pourquoi Corto Maltese continue-t-il à la chercher alors qu'il l'a trouvée ?

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Arthur Rimbaud : "Arrivée de toujours, qui t'en iras partout"

22/06/2010

Faire acte de silence

Les heures supplémentaires toujours. L'entreprise avait pourtant pris les devants et explicitement indiqué qu'il ne saurait y avoir d'heures supplémentaires effectuées, sauf autorisation préalable de l'entreprise. Ce qui est son droit le plus strict. Mais voilà, un salarié rend des fiches de pointage nombreuses dans lesquelles apparaissent des heures supplémentaires. Et se prévaut du silence de l'employeur qui avait pris connaissance de ces fiches pour demander des heures supplémentaires. Bingo ! la Cour de Cassation (Cass. soc., 2 juin 2010, 08-40.628) fait droit au salarié et considère que le silence de l'entreprise vaut accord tacite.

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Noureddine EL HANI - Au fil du silence
Est ainsi franchie l'étape que l'on pressentait et que les juges avaient déjà franchi en matière de santé au travail : tout ce que l'employeur tolère, il est censé l'avoir demandé. Ainsi, il n'est pas suffisant de rappeler régulièrement aux salariés que le port de protections individuelles est une obligation. Faute d'imposer un tel port, c'est l'entreprise qui est responsable en cas d'accident. La Cour de cassation intime à l'employeur l'obligation d'exercer son pouvoir d'employeur. Et rappelle au passage que c'est moins la formalisation qui compte que la réalité. Dans ce domaine, il est bon de se souvenir que le silence peut être un acte.

21/05/2010

Une autonomie qui fait peur

Cela aurait pu passer pour ces petites mesquineries inutiles qui font des ravages auprès des salariés. Peut être est-ce de l'ignorance. Plus vraisemblablement il s'agit d'une résistance culturelle au dépassement du management par le contrôle et la défiance. De quoi s'agit-il ? de deux situations rapportées par des salariés au forfait en jours. Dans le premier cas, le salarié s'absente une large partie de l'après-midi pour un rendez-vous personnel. Surprise de constater que l'entreprise a retenu une demi-journée de congés payés. Dans le second cas, surprise également après un arrêt maladie : l'entreprise a proratisé les jours de RTT. Dans les deux cas, d'une part l'erreur juridique est manifeste et d'autre part apparaît la difficulté à intégrer véritablement l'autonomie du salarié qui bénéficie d'une durée du travail en jours. Comme le bon passant qui donne une pièce au clochard en lui recommandant, voire en lui faisant promettre, de ne pas s'en servir pour boire, les organisations mettent en place des forfaits jours en déniant au salarié le droit d'utiliser l'autonomie que la loi, et leur statut, leur reconnaît.

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Yves Tanguy - Il faisait ce qu'il voulait - 1937

Pourquoi erreurs ? dans le premier cas parce que le salarié au forfait en jours fixe ses horaires lui-même, qu'il ne peut plus être géré par les horaires mais uniquement par la charge de travail et qu'un rendez-vous personnel dans la journée est une affaire....personnelle. Dans le second cas, parce que les jours de RTT ne sont la contrepartie du travail que pour les salariés qui travaillent plus de 35 heures par semaines et qui récupèrent des jours de RTT. S'ils ne travaillent pas certains jours, les RTT sont proratisées. Ce mécanisme ne peut s'appliquer à des salariés en forfait en jours pour lesquels les jours de RTT ne constituent pas une récupération mais sont tout simplement des jours qui ne peuvent être travaillés en vertu du forfait conclu : si le salarié doit travailler 218 jours, il ne doit pas travailler pendant 147 jours (104 week-ends, 25 congés payés, 11 jours fériés et 7 jours de RTT). Une absence pour maladie n'impacte que les jours travaillés et n'a strictement aucune incidence sur des jours de RTT qui ne sont pas de la récupération. Au-delà de l'erreur, on mesure la difficulté conceptuelle à intégrer le mécanisme du forfait en jours. Les entreprises devraient d'ailleurs raisonner en jours positifs et non négatifs : le problème n'est pas les jours de RTT mais le fait que le salarié doit 218 jours de travail qu'il doit positionner dans l'année, ce qui est tout à fait différent du fait d'aller tous les jours au travail, sauf les jours de congés, fériés ou RTT. Mais constatons le de nouveau, cette incapacité à prendre en compte la nature même du forfait en jours et l'autonomie qui en résulte n'est que la traduction d'un management à l'ancienne qui se paie davantage de mots que de pratiques.

19/05/2010

Forfait mythique

Le Minotaure, fruit des amours de Pasiphaé et d'un taureau blanc, est un mythe grec dont Jorge Luis Borgès donna une version bouleversante dans sa nouvelle La demeure d'Astérion, nom du minotaure. Loin du monstre sanguinaire et violent dont on protège la foule en l'isolant dans un labyrinthe, le Minotaure de Borgès est un être sensible, prisonnier de sa singularité qui lui confère une conscience aigüe de lui-même et des hommes. Prisonnier volontaire il s'évade dans la mort qu'il s'offre comme une libération à laquelle son meurtrier ne comprend que peu de chose. Quel dessin, mieux que celui de Catherine Huppey, peut figurer le Minotaure de Borgès et contribuer à renverser le mythe du monstreux hybride.

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Catherine Huppey - Le grand Minotaure

Mais les mythes ont la peau dure. Ainsi, le mythe, puisqu'il n'y a jamais eu de réalité juridique en ce sens, du cadre n'ayant pas droit aux heures supplémentaires a trouvé un nouveau souffle dans le forfait en jours. Sans doute le mécanisme est-il mal nommé. Forfait signifie en effet que l'affaire est conlue et qu'il n'y a pas lieu d'y revenir. Tel n'est pas le cas pourtant, sur deux points. Tout d'abord, le forfait ne vaut que pour un nombre de jours. Il n'est pas illimité. En cas de dépassement, le salarié au forfait en jours a droit à des jours supplémentaires, rémunérés avec une majoration de 10 % minimum. De même, comme tout salarié, le bénéficiaire d'un forfait en jours a droit a des contreparties, en temps ou en argent, en cas de déplacement exceptionnel, c'est-à-dire en dehors du périmètre habituel d'exercice des fonctions. Le droit du travail pose donc deux bornes à la notion de forfait : le volume de temps convenu et le périmètre géographique d'exercice des fonctions. Et rappelons, même si peu d'entreprises le pratiquent, que la loi du 20 août 2008 a créé un entretien annuel obligatoire spécifique aux salariés au forfait en jours (C. Trav., art. L. 3121-46). Lors de cet entretien, doivent être abordés la charge de travail, l'organisation du travail, l'articulation vie professionnelle/vie personnelle et la rémunération. Faute de réalisation, le juge pourrait prononcer la nullité du forfait, qui deviendrait à son tour un mythe.

21/12/2009

Mensonges

L'homme qui ment, si on lui prête la bonne foi, est un homme qui prend ses songes pour la réalité. A moins que ce ne soit l'idéologie qui l'aveugle. L'actualité met sur le devant de la scène la souffrance au travail. Jean-François Copé, président du parti majoritaire à l'Assemblée Nationale, s'est saisi de cette question et a réuni une commission parlementaire, sans l'opposition toutefois, pour conduire un travail d'enquête dont on trouvera ci-dessous les conclusions. Ce travail débute par une affirmation, non étayée : la France est un pays dans lequel on travaille moins qu'ailleurs. Ah bon ? comment peut-on l'affirmer ? toutes les enquêtes et études internationales sur ce sujet relèvent la difficulté d'une telle comparaison, en l'absence de durée légale dans tous les pays, de la diversité des durées conventionnelles et surtout de l'écart existant entre les durées réelles et les durées officielles. Copé lui même  indique que les nouvelles technologies rendent poreuses les frontières entre vie privée et vie professionnelle, qu'il n'est pas rare de traiter ses mails, de se connecter au système d'information de l'entreprise ou de prendre des appels professionnels sur ses temps personnels et  que le "présentéisme", qui conduit les salariés à être présents très tôt et partir tard, est un mode managerial qui sévit davantage en France qu'ailleurs. Sur ces bases, même la statistique selon laquelle la productivité horaire en France est plus élevée que dans les autres pays est sujette à caution. Par ailleurs, des dizaines de milliers de salariés travaillent dorénavant en France au forfait jour, ce qui rend les comparatifs en heures obsolètes. Mais ne doutons pas que d'éminents spécialistes (allons y au hasard : Jacques Marseille, Nicolas Baverez, Jean-Marc Sylvestre, Michel Godet et quelques autres) viendront relayer cette pseudo lapalissade qui n'est que mensonge : en France on travaille moins qu'ailleurs. Au mensonge, préférons la Rue des Songes d'Eddy Saint-Martin.

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Eddy Saint-Martin - La rue des songes

Il est de bonne communication, paraît-il, de répéter sur le ton de l'évidence n'importe quoi en vue d'en faire une vérité. Le principe est simple : combien vérifieront ce qu'ils entendent ? tout est dans le ton, pas sur le fond, et le tour est joué. En ces périodes de fête, si l'on veut se prémunir contre la propagande, ce qui après tout n'est qu'un salubre réflexe d'autonomie de la conscience, on peut offrir, ou s'offrir, deux ouvrages qui occuperont avantageusement les attentes dans les voitures, trains ou aéroports si la neige veut bien s'en mêler. Le premier est l'oeuvre du Québecois Normand Baillargeon et s'intitule "Petit cours d'autodéfense intellectuelle", le second est écrit par Denis Grozdanovitch et porte le joli titre de "L'art difficile de ne presque rien faire". Donnez raison, au final, à nos dirigeants : travaillez moins, lisez plus, vous gagnerez en productivité et l'on réduira la souffrance au travail. Voilà une résolution du lundi matin qui vaut presque une résolution de début d'année.

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15/12/2008

Confiance

Les entreprises ont parfois du mal à se départir de certaines habitudes tenaces, telles le contrôle du temps de travail ou de l’activité. C’est sans doute ce qui explique que le télétravail est bien moins développé en France qu’il ne l’est dans d’autres pays, notamment anglo-saxon. La présence (tu pars à 18h ? tu prends ton après-midi ?) est un des critères de l’investissement et du retour sur salaire. L’efficacité ? on verra plus tard.

Le législateur n’échappe pas à cette défiance généralisée : pas un texte qui ne soit rédigé en pensant aux fraudeurs éventuels, la loi sur l’offre raisonnable d’emploi étant le meilleur exemple en la matière. Le résultat est toujours le même : pour éviter les dérives de quelques uns on fait le choix de compliquer la vie de tous et surtout d’instaurer un système de défiance et non de confiance.

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Line Groulx - Fais toi confiance

Que peut-on bâtir sur la défiance qui devient vite réciproque, l’imagination du contrôleur n’ayant comme écho que celle du contrôlé. La spirale de la défiance est sans fin qui conduit chacun à considérer l’autre comme un concurrent dans le bénéfice d’avantages indus. Instaurer la confiance n’exclut ni les exigences ni un suivi de ce qui est, par contre elle exclut la suspicion a priori et le mauvais pari fait sur l’individu perçu comme capable d'agir que par contrainte. Encore faut-il, pour faire confiance, ne pas avoir peur de l’humain.

22/10/2008

Directeur, pas dirigeant

En matière de qualification, le juge ne s’estime lié ni par le contrat de travail, ni par les accords collectifs. Une décision du 18 juin 2008 de la Cour de cassation vient rappeler ce principe. Un accord d’entreprise avait qualifié de cadres dirigeants des directeurs de magasin, au regard des responsabilités liées à leur fonction. Un avenant à leur contrat de travail a été établi en ce sens.

Opérant un contrôle de la qualification, la Cour de cassation utilise les trois critères fournis par le Code du travail (Art. L. 3111-2) : la grande indépendance dans l’organisation de l’emploi du temps, l’habilitation à prendre des décisions de façon largement autonome et une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés de l’entreprise ou de l’établissement.

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Le directeur d'usine - Jean-Noël Delalande

Pour rejeter la qualification de cadre dirigeant, la Cour de cassation a relevé que si le directeur de magasin avait la rémunération la plus élevée du magasin (coefficient 400) elle était loin des rémunérations les plus élevées de l’entreprise (coefficient 600) et que par ailleurs le directeur mettait en œuvre des politiques commerciales qu’il ne décidait pas et ne pouvait embaucher que dans le cadre de directives de la part de la direction générale. Dans ces conditions, indépendamment de l’accord collectif et du contrat de travail, elle ne pouvait que constater que le directeur de magasin n’était pas un cadre dirigeant. Rappelons que la Cour de cassation s’autorise le même contrôle en matière d’autonomie des salariés dans l’organisation de leur temps de travail pour vérifier la validité des forfaits jours. Pour le juge, l’apparence contractuelle ne résiste pas à la réalité.

28/07/2008

Contre-vérités

Le Ministère du Travail vient de publier un questions-réponses consacré au forfait en jours des cadres (voir le document en pièce jointe). Il souhaite manifestement par ce document apaiser quelques craintes des cadres. Selon le Ministère du travail, d'une part tout le dispositif relève du volontariat et d'autre part le salarié bénéficie de garanties nouvelles. Bref sa situation s'est améliorée et les cadres qui ont manifesté ont mal lu ou sont manipulés. L'ennui est que ce questions-réponses comporte quelques contre-vérités.

En premier lieu, il est indiqué que "Aujourd’hui, un salarié employé en « forfait-jours » peut travailler très largement au-delà de 218 jours : s’il travaille au-delà de cette limite, il doit récupérer les jours travaillés en plus dans les trois premiers mois de l’année suivante. Mais il peut travailler ensuite beaucoup plus sur les 9 mois suivants. Et ce salarié travaillait jusqu’à présent sans aucune majoration de salaire." En réalité, le système est glissant : le salarié qui a travaillé plus de 218 jours la deuxième année doit récupérer au cours des trois premiers mois de l'année suivante. Il est donc difficile d'imaginer travailler "beaucoup plus"sauf à ne plus travailler pendant les trois premiers mois de l'année suivante. 

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Edouard Debat-Ponsan - La vérité sortant du puits - 1898
 
En second lieu il est indiqué "Une limite annuelle est fixée par accord collectif à 218 jours au plus mais un salarié peut légalement travailler au-delà de cette limite jusqu’à 282 jours.". Sauf que lorsque l'accord fixe la limite à 218, il est plus favorable que la loi et doit donc bénéficier au salarié sans possibilité de dépassement autres que celles prévues par l'accord lui-même.
 
En troisième lieu, le texte indique "A défaut d’accord collectif d’entreprise ou de branche, on ne pourra pas travailler plus de 235 jours, au lieu de 282 jours aujourd’hui, garantissant ainsi le repos de deux jours par semaine. 235, c’est mieux que 282." Il y a une certaine supercherie à comparer 235 à 282. Ce dernier chiffre est tout à fait théorique et ne correspond à aucune durée du travail actuelle. Par contre, 235 correspondra à la possibilité pour l'employeur de demander au salarié de travailler 17 jours de plus (7 RTT et 10 jours fériés) que la limite de 218 jours. C'est donc à 218 que 235 doit être comparé et non 282. Par ailleurs, si l'accord du salarié est indispensable, on peut avoir la faiblesse de penser qu'employeur et salarié ne sont pas totalement à égalité pour une négociation en cours d'emploi.
 
Enfin, un accord avec les organisations syndicales peut porter la limite maximale travaillée à 277 jours : fameux progrès par rapport aux 282, ces deux limites ne concernant à l'évidence quasiment aucun salarié.
 
Le questions-réponses apparaît donc davantage comme un document de communication que comme un document apportant des réponses techniques à des questions précises.
 

 

09/07/2008

L'introuvable Europe sociale

Au mois de juin, le Conseil européen adopte un texte qui permet de déroger à la durée maximale de 48 h de travail hebdomadaires pour aller jusqu'à 60 h voire 65 h en cas de temps de garde.

Lors de la présentation des priorités de la présidence française de l'Union Européenne, Nicolas Sarkozy a retenu la sécurité, les migrations, l'énergie-climat et l'agriculture. De social point. Le sujet est national paraît-il. Pourtant, Xavier Bertrand avait annoncé les 19 et 25 juin que  2008 verrait la relance de l'Europe sociale.

 Enfin, lors de la présentation de l'agenda social européen pour la période 2010-2012, le Commissaire européen à l'emploi, Vladimir Spidlà a cité la lutte contre la discrimination, l'adoption d'une directive sur les comités d'entreprise et les droits à protection sociale des transfrontaliers. Pas de quoi enthousiasmer les foules.

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Max Ernst - L'Europe après la pluie
 
 
Bernard Brunhes, président de BPI International et auteur d'un rapport sur les priorités sociales de la présidence française qui affichait quelques ambitions (voir pièce jointe) a déclaré que l'agenda social était purement technocratique et n'offrait aucune perspective à l'Europe sociale.
 
Dans le même temps, les sondages se multiplient pour montrer les attentes d'Europe concrète et d'Europe sociale, et plus encore que les sondages, les votes sanctions (l'Irlande après la France et les Pays-Bas) sont systématiques en cas de référendum.
 
Combien de temps encore à  faire semblant de chercher l'Europe sociale ? 

 Rapport__Bernard__Brunhes.pdf