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25/11/2013

Le dernier jugement

Quelques salariés ayant obtenu gain de cause pour le paiement d'une prime, il est venu à leurs collègues l'idée d'en bénéficier aussi. Hélas pour eux, leur avocat s'emmêla les effets de manche et les argumentaires. Au lieu de reprendre les demandes de ses confrères et leurs fondements, il considéra que l'égalité de traitement imposait que l'on applique à tous ce que l'on avait jugé pour certains. C'était bien mal connaître les juges et la justice, qui le renvoyèrent sans délai à ses études. Débouté et dépité  le baveux, comme l'on disait dans les films de Lautner, n'a plus qu'à reprendre l'affaire. 

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Kandinsky - Le jugement dernier - 1912

Car à ceux qui ont l'oeil rivé sur la jurisprudence, à guetter les soubresauts du juge comme le pêcheur surveille son bouchon tandis qu'il débouchonne, il est bon de rappeler que le juge ne traite que des cas d'espèces et qu'il ne fait pas la loi. Dès lors, sa décision ne s'impose qu'aux parties et ne produit aucun effet général. Par contre, aussi bienveillant et conciliant qu'il se doit, le juge se fera un plaisir d'appliquer autant de fois qu'on le lui demandera  à une même situation les mêmes règles. Encore faut-il ne pas se tromper en le lui demandant.

Cass Soc 23 Octobre 2013.pdf

03/12/2012

Tu ne tweeteras point

On sait qu’il est très difficile d’avoir une concentration effective pendant des plages de temps longues. On le sait depuis longtemps, et de manière scientifique. Pour autant, on continue à exiger qu’un élève soit attentif 8 heures par jour, un salarié totalement productif pendant au moins le même laps de temps et parfois beaucoup plus. Peut-on, dès lors, reprocher à un juge de s’endormir pendant un procès  ou d’envoyer des tweets à un de ses collègues pour lui signifier qu’il s’ennuie et qu’il n’écoute plus et surtout pas ce prévenu qui l’agace ? la conversation ayant été suivie par un journaliste, le scandale éclate déclenchant une enquête administrative et la demande du condamné d’être rejugé. Faut-il se féliciter que la faute des juges soient ainsi éventée ?

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Honoré Daumier - Les gens de justice

 Ce n’est pas certain. D’une part parce qu’avant les tweets, les juges se contentaient, si l’on peut dire, de s’échanger plus ou moins discrètement des petits papiers au  contenu identique. La pratique n’est pas nouvelle, seule la technologie a changé. Ensuite parce qu’il est bien hypocrite de penser que les juges ne sont que blocs de concentration pendant tout un procès. Si l’on remet en cause la justice pour un tweet, va-t-on se  mettre à surveiller les assoupissements, abaissements de paupières trahissant le sommeil, les regards rêveurs vers le plafond (réflexion ou absence ?), la consultation des notes (le juge écoute-t-il ou bien lit-il le dossier ? et s’il le découvrait ?) et plus généralement toute activité qui paraîtra parasitaire. Qui le premier exigera que les juges portent un bip signalant le défaut d’attention que des électrodes bien placées sur le cortex pourraient nous signaler ?

Laissons cela. On peut comprendre celui qui fût jugé, on peut regretter l’immaturité numérique des juges, mais pas la peine d’en faire une énième cause d’indignation bouffie de bonne cause et de droit au respect. La justice est rendue par des hommes et des femmes, aux humains comportements et les défauts de la justice sont bien souvent ceux de ses serviteurs. Quelle découverte !

25/09/2012

Il s'est passé quelque chose

Le premier juge avait considéré qu'il existait un chaînon manquant. Que si sur le papier on avait pu théoriquement reconstituer un scénario, matériellement il n'était pas prouvé. Et que faute d'établir scrupuleusement le lien entre la cause et l'effet, il n'était pas possible de condamner. Ce fut la relaxe. Le second juge n'eût pas ces scrupules et pris un autre parti. En premier lieu, il écarta toutes les autres hypothèses : ailleurs, c'était plus que les chaînons qui manquaient. Une fois éliminées les autres causes, il en vint à considérer la plus probable comme celle qu'il fallait retenir, car les autres l'étaient moins qu'elle. Difficile de condamner pénalement sur cette approche statistique. Fallait-il donc encore acquitter ? le juge se souvint peut être des trente et un morts, des dix mille blessés, des traumatisés à vie. Ce jour-là il s'était passé quelque chose de jamais vu et la justice ne pouvait se borner à dire son incapacité à rapporter les preuves formelles de la vérité. Pour tous ces gens, il fallait une décision.

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Alors le juge, la tête emplie du dossier mais aussi d'images, décida que peu importait le chaînon manquant. En dernière considération, l'état de l'usine, les manquements à la sécurité, l'absence de mobilisation des moyens à hauteur de ceux que le groupe aurait pu dégager, tout cela faisait du directeur un coupable. Pas d'avoir craqué lui-même l'allumette, mais d'avoir créé un environnement dans lequel la moindre allumette pouvait déclencher une catastrophe. La décision du premier juge était fondée en droit, il n'est pas certain que celle du second juge ne la soit pas également. La Cour de cassation nous le dira. En attendant, personne ne peut oublier qu'il y a onze ans, il s'est passé quelque chose, comme dirait Juliette qui débuta à Toulouse.


podcast

17/03/2011

Lâchez nous les émotions !

Louise Bourgeois psychologisait à outrance ses œuvres, alourdissant son travail mais rendant bien compte de la psychologisation permanente et totale de tout évènement qui nous guette. Si vous en doutez, penchons nous sur la redoutable trilogie qui apparaît dès que notre système émotif se trouve bousculé, je veux parler de l’émotion légitime, de la cellule psychologique et du travail de deuil.

 En premier lieu « la cellule psychologique », la trop bien nommée. La cellule peut être une unité de base, elle peut également être un lieu d’enfermement. Si tel est le cas, on peut toujours supposer qu’il s’agit de livrer à cette cellule le traumatisme pour qu’il y soit enfermé et laisse les traumatisés vivre tranquillement. Mais si tel n’est pas le cas, on craindra que ce ne soit le traumatisé lui-même qui soit enfermé dans la cellule où il sera psychologiquement maintenu, pris dans la toile.

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Louise Bourgeois - Araignée à la Tate Modern

En second lieu « l’émotion légitime ». Lorsque l’évènement suscite une émotion légitime, il est donc acquis que l’émotion est la bonne réaction, qu’elle est autorisée voire encouragée. Et que l’illégitime, c’est celui qui ne ressent rien et dans la foulée celui qui voudrait que l’on puisse aussi faire jouer la raison. Petite musique entendue récemment, où il faudrait surtout ne pas réfléchir au nucléaire à s'adonner sans retenue à la compassion.

 En troisième lieu « Faire le deuil ». Signe d’une société mortifère (dans laquelle selon Michel Serres, le mot le plus régulièrement prononcé dans les journaux télévisés est « cadavre »), le deuil envahit l’espace et le droit lui-même n’y échappe pas. Ainsi, le procès n’est plus un moment d’expression de l’Etat de droit, et donc de confrontation des comportements à la règle, mais une catharsis, indispensable condition pour  « faire le deuil », auxquelles les victimes ont droit. Et pendant l’instance, on guettera davantage si le coupable fait amende honorable et, summum de la tragédie judiciaire, s’il est capable de compassion, plutôt que de vérifier si les faits sont rigoureusement établis.

 Commentant l’Etranger, Camus disait : «Dans notre société tout homme qui ne pleure pas à l'enterrement de sa mère risque d'être condamné à mort.». Nous y sommes.

 Et puis franchement, la symbolique de l'araignée, c'est lourd non ?

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