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14/03/2011

Le juge sinusoïdal

Edgar Faure, en bon centriste, a établi de manière définitive que ce n'est pas la girouette qui tourne mais le vent. Un vent d'Autan puissant a du souffler sur la Cour de cassation qui vient de modifier de manière spectaculaire sa position en matière de modification du contrat de travail. Jusqu'alors, le juge considérait que toute décision de l'employeur ayant un impact sur la rémunération (montant ou mode de calcul) supposait l'accord du salarié. Et notamment, le juge imposait que les objectifs, lorsqu'ils déterminaient une part de rémunération variable, soient fixés par accord entre l'employeur et le salarié, ce qui n'était pas nécessairement le cas lorsque les objectifs n'étaient utilisés que pour manager la performance, sans entrer dans la base de calcul de la rémunération.

Saisie par un salarié dont l'entreprise a révisé unilatéralement les objectifs qui servent à calculer sa rémunération, la Cour d'appel de Grenoble applique la jurisprudence de la Cour de cassation. A tort lui dit celle-ci qui établit une nouvelle règle : les objectifs relevant par principe du pouvoir de direction, ils sont fixés unilatéralement même lorsqu'ils impactent la rémunération. Les seules conditions sont d'informer le salarié en début de période de réalisation des objectifs et de fixer des objectifs réalistes. Tant pis pour la COur d'appel qui a raisonné de manière linéaire, alors que, branchée sur courant alternatif, la Cour de cassation produit des raisonnements en forme de sinusoïde.

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On ne peut trouver meilleur exemple pour illustrer que le juge décide absolument ce qu'il veut, et qu'ensuite il construit le raisonnement qui lui permet de justifier sa décision. En l'espèce, la décision aurait pu être exactement inverse avec la même rigueur juridique. Rappel que le droit n'est pas une science exacte mais de la littérature, qu'aucun contentieux n'est jamais gagné, et donc perdu, d'avance et qu'il faut parfois un certain flegme pour accueillir certaines décisions, lequel flegme est plus facile à pratiquer pour le commentateur que pour les parties concernées. Bonne semaine à tous.

Cass-08-44-977-remuneration-variable.pdf

10/03/2011

Si proche étranger

L'histoire se passe dans un village d'une vallée ariègeoise. Un habitant du cru me parle d'un de ses concitoyens qui a mal tourné en se mariant avec une étrangère. Diable ! et de quel continent ? du village voisin qui est à cinq kilomètres. Il est vrai que quelques années plus tard, dans un autre village au coeur d'une plaine ouverte, il fut débattu en Conseil municipal de l'accueil d'enfants étrangers à la cantine de l'école. D'où venaient donc ces enfants sans cantine ? du village d'à côté. L'avocat des salariés licenciés dans l'affaire jugée le 2 mars dernier par la Cour de cassation venait peut être d'un des villages, car il contesta le licenciement de ses clients au motif que la lettre de licenciement avait été signée par un intérimaire recruté pour assister le DRH. Pour l'avocat, cet assistant était un étranger à l'entreprise et ne pouvait décider des licenciements. L'étranger a beau être proche, il n'en reste pas moins étranger.

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La Cour de cassation balaie l'argument et l'affirme clairement : un intérimaire n'est pas étranger à l'entreprise dans laquelle il effectue sa mission. On peut donc être différent sans être étranger, merci au Tribunal de cette précision. Et la Cour écarte avec la même autorité le second argument de l'avocat : l'intérimaire n'avait pas de délégation de pouvoir écrite. Elle rappelle que son contrat de mission portant sur l'assistance du DRH, sa qualification incluait le pouvoir de licencier. Voilà qui invite les entreprises à se souvenir que la qualification contractuelle est la première manière de définir le périmètre de la mission d'un salarié, ou d'un intérimaire donc, et son champ de responsabilité. Et pour ces deux rappels, on félicitera le Juge de n'être pas étranger à ce qui se passe dans un monde qui n'est pas le sien.

CourCassation2mars2011.pdf

03/03/2011

La beauté du geste

La décision de la Cour de cassation du 16 février 2011 m'a brutalement ramené au début des années 90, lorsque je fus saisi par un salarié d'un litige l'opposant à son employeur. L'affaire était la suivante : salarié d'un CFA, l'homme était en arrêt maladie depuis deux ans et venait d'être licencié. Lors de son arrêt maladie, il avait été élu conseiller prud'hommal, ce dont l'entreprise aurait du être informée par une notification du greffe, mais en l'occurence suite à un changement d'adresse elle n'avait pas reçu le courrier. Lors de l'entretien préalable, le salarié n'avait pas fait état de sa qualité de salarié protégé. Et il avait ensuite attaqué le licenciement en nullité pour violation du statut protecteur. L'entreprise faisait valoir que la charge de la preuve du statut pesait sur le salarié et qu'il n'avait pas fait état de sa qualité. L'employeur avait gagné devant les prud'hommes et la Cour d'appel. L'affaire était en cassation lorsqu'au détour d'une rencontre, le conseiller masqué me transmet le dossier et me demande mon avis. Défendu par le cabinet Lyon-Caen, l'employeur a des arguments solides. Et la morale de son côté. Pour autant, il me semble que le contentieux peut se gagner techniquement. J'argumente sur le caractère d'ordre public du statut, la publicité de l'élection qui est organisée par la loi et ne peut être mise à la charge du salarié, lequel ne peut supporter le risque d'une défaillance de l'information de l'entreprise. Bingo, la Cour de cassation retient l'argumentation et pour la première fois admet que le salarié n'a pas à faire état de sa qualité. Et notre conseiller silencieux de percevoir trois années de salaire de dédommagement (soit la totalité des salaires jusqu'à la fin du mandat de conseiller prud'hommal). Nouvelle preuve que la morale et le droit ne se recouvrent qu'imparfaitement et que l'on peut sacrifier l'éthique à la beauté du geste, comme le banderillero peut aimer le taureau qu'il affronte.

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Catherine Huppey - Sans titre -

Dans sa décision du 16 février 2011, la Cour de cassation renouvelle, quasiment dans les mêmes termes, son analyse. Un salarié élu conseiller prud'hommal ne fait pas état de sa qualité à son employeur lors de son entretien préalable au licenciement. Mauvaise foi et déloyauté argumente l'entreprise. En vain, il n'y a pas tromperie assure la Cour de cassation et le silence ne vaut pas mensonge par omission. Le salarié obtiendra gain de cause. La morale n'y trouve pas son compte, mais on en voudra pas plus à l'avocat qu'au banderillero.

Arrêt16Fevrier2011.pdf

16/02/2011

De la représentativité

Taraboukine  écrit à propos de Malevitch et du Suprématisme : "Et chaque fois que le peintre a voulu se débarrasser réellement de la représentativité, il ne l’a pu qu’au prix de la destruction de la peinture et de son propre suicide en tant que peintre." En voilà un que le carré blanc sur fond blanc avait un peu agacé.

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Malevitch - Carré blanc sur fond blanc - 1918

La question de la représentation est indissociable de celle de l'art, mais à Taraboukine on pourra préférer Olivier Debré : "La peinture dite abstraite est la recherche de l’image vraie. La peinture dite figurative est l’image de l’apparence."

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Olivier Debré - Daitoku-ji Temple

La représentativité est de la même manière récurrente, une question posée aux organisations patronales et syndicales. Si la loi du 20 août 2008 a réglé la question de la représentatitivité syndicale en nous en fournissant les critères, notamment à travers la mesure d'audience, nul ne s'est penché à ce jour sur les critères de la représentativité patronale. Cette question ne pourra être continuellement différée. Il serait logique qu'elle soit réglée avant 2013, date à laquelle sera établie la représentativité des organisations syndicales au niveau des branches et interprofessionnel. La seconde chronique réalisée avec Jean-Marie Luttringer dans le cadre de la Fabrique des OPCA, aborde la question de la représentativité des partenaires sociaux et de son impact sur les négociations en cours dans le cadre de la réforme des OPCA. Et l'on s'aperçoit qu'en matière de représentativité, il y en a qui sont plus égaux que les autres.

Représentativité et OPCA.pdf

11/02/2011

Société du contrat

Près d'un tiers des familles sont des familles recomposées. Corrélativement, le nombre de mariages et de PACS ne cesse d'augmenter. Et alors ? alors on peut y voir un signe que notre société évolue de la norme de l'institution vers celle du contrat. Tout étudiant en droit apprend que le mariage a une double nature. Celle d'institution, le mariage ayant un régime préétabli auquel on adhère, et celle de contrat, l'adhésion s'effectuant par une double volonté, expresse et commune. Il ne s'agit donc pas d'un contrat dont les termes sont librement définis et dont on pourrait revisiter à loisir le contenu, mais d'une adhésion contractuelle à une institution. Le contrat de mariage ne règle d'ailleurs que les questions financières, il ne définit pas le mode de relations entre époux qui sont déterminées par la loi et non négociables, au moins au plan juridique. Il est dès lors logique que si, entre les conjoints, la dimension contractuelle prend le pas sur l'institution, le nombre de ruptures ne peut qu'augmenter. Et à l'évidence, la dimension institutionnelle du mariage se perd au profit de sa dimension plus contractuelle. Comme Eros et Psyché s'opposèrent à la colère des Dieux pour faire prévaloir leur amour interdit.

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François Picot - Eros et Psyché - 1817

Si ce bouleversement a lieu dans la vie privée, il ne peut être absent de la vie publique et de la vie sociale. Et lorsque l'on parle du déclin des institutions (Eglise, Armée, Ecole, Entreprise, Etat,...) il s'agit sans doute moins d'un rejet global que d'une demande d'évolution de la relation, d'une contestation de l'autorité descendante, de l'organisation pyramidale, de la prescription sans explication, de la vérité hiérarchiquement et institutionnellement établie, bref d'un certain ordre social. Et d'une demande, quel que soit son rang, sa place et sa fonction, a être traité sur un plan égalitaire dont la traduction est la relation contractuelle. Or, l'institution est un repère simple à la pratique aisée, puisque tout est prédéterminé, alors que le contrat suppose de renégocier régulièrement, de partager le pouvoir, de voir redéfinie sa légitimité, de n'avoir comme acquis que sa capacité de persuasion, de considérer que tout compromis n'est pas de la compromission, de ne plus aborder les problèmes en terme de tort/raison mais de solution à construire, etc. Bref, le contrat est d'une pratique plus coriace que l'institution. Le paradoxe est que l'institution contestée est aussi recherchée pour la protection qu'elle offre : étant prédéfinie, elle offre des garanties à qui ne peut ou ne sait négocier et sa stabilité peut rassurer. On aura compris que la question n'est pas d'opposer l'institution au contrat, mais de faire évoluer celle-ci pour laisser plus de place à celui-là.

08/02/2011

Etranges machines

Les OPCA sont d'étranges organismes. Paritaires, créés par accord, soumis au contrôle de l'Etat, gérant plus de 6 milliards d'euros, ils demeurent méconnus mais alimentent moultes suspicions : pratiques opaques, conflits d'intérêts, gestion dispendieuse, productivité hasardeuse...les travaux préparatoires de la loi du 24 novembre 2009 n'ont pas épargné les OPCA, ni leurs gestionnaires. Sans nécessairement que les rapports de l'IGAS, de la Cour des comptes, de la commission Ferracci ou Parlementaire ne nous éclairent davantage sur les pratiques de ces drôles de machine (sauf peut être le rapport de l'IGAS, de loin le meilleur de tous ceux cités).

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Jean Tinguley - Grosse Meta Maxi-Maxi Utopia  - 1987

Pour mieux comprendre les OPCA, Jean-Marie Luttringer et moi-même produirons 12 chroniques au rythme d'une par semaine sous le titre générique "La Fabrique des OPCA". Ces chroniques seront publiées par l'AEF et seront mises en ligne sur ce blog. Elles porteront sur les thèmes suivants :

I. Les OPCA et la négociation collective

1. Création d'un Opca et liberté de choix de l'entreprise ;
2. Représentativité patronale et syndicale et administration de l'OPCA ;
3. Opposabilité des clauses d'un accord formation au conseil d'administration d'un Opca ;
4. Les pouvoirs de la CPNE et ses relations avec l'Opca ;
5. Les procédures d'extension et d'agrément et leurs effets juridiques.

II. Fonctionnement, financement et gestion des Opca

6. La gouvernance paritaire : assemblée générale, conseil d'administration, section paritaire professionnelle (SPP) ;
7. Délégation de gestion et subdélégation ;
8. Ressources fiscales, ressources conventionnelles ;
9. Prestations de services à l'entreprise aux salariés aux demandeurs d'emploi ;
10. Les relations entre l'Opca et le FPSPP ;
11. Le plan comptable ;
12. Les conventions d'objectifs et de moyens.

Peut être cette vision rapprochée permettra-t-elle de mieux saisir les logiques et modes de fonctionnement de la bête.

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Voici donc la première des douze chroniques de la Fabrique des OPCA. Elle porte sur la mise en place d'un OPCA et la liberté de choix de l'entreprise. Pourquoi les OPCA ne sont-ils que partiellement concurrents entre eux et quelles sont les libertés d'une entreprise vis-à-vis d'un OPCA, telles sont les questions traitées dans cette première chronique.

La fabrique des Opca-1-CréationOPCAetLibertéchoixentreprise.pdf

03/02/2011

Un transitoire qui dure

La loi du 20 août 2008 sur la démocratie sociale rebat totalement les cartes de la représentativité syndicale. Pour résumer, la représentativité résulte désormais des résultats des élections professionnelles et non d'une reconnaissance étatique ou judiciaire. Retour à la démocratie représentative donc, et enjeux nouveaux pour les élections professionnelles, avec son cortège de tensions et de contentieux. Au fil de ce dernier, les tribunaux construisent le mode d'emploi des règles nouvelles. Dans une décision du 19 janvier 2011, rendue sous présidence toulousaine que je salue, la Cour de cassation prend une décision audacieuse au regard des textes mais soucieuse de la préservation d'une représentation des salariés. La loi du 20 août 2008 prévoit que les organisations syndicales représentatives au niveau national peuvent continuer à désigner des délégués syndicaux dans l'attente des premières élections postérieures à la loi. Ensuite, seules les organisations ayant obtenu au moins 10 % des voix peuvent désigner un délégué syndical, sous réserve qu'il ait lui même obtenu 10 % et donc, par définition, été candidat. Dans le cas d'espèce, l'entreprise avait organisé des élections sans qu'aucune organisation syndicale ne présente de candidat. Elle avait dressé constat de carence et conclu qu'aucune organisation n'était représentative. A tort lui répond la Cour de cassation rebelle. En l'absence de candidature, il est impossible de mesurer l'audience des syndicats et les règles transitoires doivent être prolongées jusqu'à la prochaine élection. Voici donc du transitoire qui dure, de même que Marc Desgranchamps est un peintre du transitoire en mouvement.

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Marc Desgrandchamps - Sans titre - 2007

Le résultat pratique de la décision du 19 janvier 2011 est que des organisations syndicales représentatives à la date de publication de la loi du 20 août 2008 peuvent continuer à désigner des délégués syndicaux qui pourront négocier des accords lesquels, faute de représentativité établie par l'élection, devront être ratifiés par référendum. On comprend le souci de la Cour de cassation : en l'absence de syndicats, tous les accords devenaient caducs faute de pouvoir être renégociés (la disparition de tous les syndicats équivaut en effet à une dénonciation des accords) et aucun accord ne pouvait plus être conclu avant les nouvelles élections.

Cet objectif d'intérêt général l'a emporté sur une lecture littérale du texte qui ne prévoit pas que l'on attende la deuxième élection en cas de carence. Saluons donc cette décision ainsi que la présidente toulousaine qui la suscita.

31/01/2011

Quand la GPEC sert à quelque chose

L'entreprise connaît une restructuration. Elle signe un accord de GPEC dont le but est de mettre en oeuvre le choix de la restructuration qui est présentée comme une obligation incontournable. En l'occurence, l'accord indique que les situations individuelles seront prises en considération et que les salariés qui le souhaitent seront accompagnés pour changer de fonction. Questionnée par l'employeur une salariée exprime son choix de ne pas en changer, de fonction. L'employeur ne s'y oppose pas, mais modifie  pourtant unilatéralement les fonctions de la salariée, avant de lui imposer la signature d'un avenant à son contrat de travail. Saisissant l'occasion ainsi fournie, la salariée quitte l'entreprise et prend acte de la rupture de son contrat de travail. Le Conseil des prud'hommes puis la Cour d'appel de Dijon lui donnent raison : l'employeur n'ayant pas respecté les termes de l'accord de GPEC qu'il a signé, il en résulte un comportement déloyal et une rupture du contrat de travail à ses torts exclusifs.

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Gael Chapo - Trahison n° 23 - 2006

La lecture des accords de GPEC laisse souvent dubitatif : condensé de déclarations d'intentions, de processus ressources humaines et d'actions manageriales, sa portée juridique n'est guère évidente. Relevant de la catégorie du droit mou, l'accord de GPEC fait souvent figure d'objet juridique non identifié. Rendons grâce au juge de transformer la prose gestionnaire en engagement juridique sanctionnable. Et de la manière la plus spectaculaire qui soit puisque le manquement aux engagements de l'accord permet à un salarié  de prendre acte de la rupture aux torts de l'employeur (dans le cas d'espèce, six mois de salaire sont attribués à la salariée). On imagine la situation si tous les salariés se mettent à rechercher dans les accords seniors, travailleurs handicapés, égalité professionnelle, GPEC donc et autres, les arguments qui leur permettront de rejouer cette version moderne de "Prends l'oseille et tire toi" ou si l'on préfère le vénérable Jean de Lafontaine : "Vous avez signé, et bien exécutez maintenant". La semaine ne sera pas de trop pour que chacun se plonge dans les dits accords pour voir ce qu'ils recèlent d'opportunité. Bonne lecture !

accordGPEC-CourAppelDijon.pdf

27/01/2011

Fermeture démotivée

Pour procéder à un licenciement, il faut un motif. Et pour procéder à un licenciement économique, il faut un motif économique. Le Code du travail en prévoit deux : les difficultés économiques et les mutations technologiques. La jurisprudence en a rajouté deux : la sauvegarde de la compétitivité, qui doit être justifiée par des causes externes et la cessation d'activité. Ce dernier motif, entièrement construit par la Cour de cassation, repose sur le fondement de la liberté de gestion : aucun employeur ne peut être obligé de poursuivre indéfiniment son activité, ne serait-ce que lorsqu'il part à la retraite. La Cour de cassation ne sanctionnait que les abus de droit : l'employeur qui organise sa propre insolvabilité ou la fermeture pour recréer la même activité sans reprendre les mêmes salariés. Dans une décision du 18 janvier 2011, les juges durcissent leur position et décident que lorsque l'entreprise qui cesse son activité appartient à un groupe, elle doit justifier d'une cause économique, la fermeture ne pouvant constituer à ellel seule un tel motif.

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Gilles Tran - Fermeture - 2003

Dans les groupes, le contournement des règles du licenciement économique peut prendre plusieurs formes : filialisation d'une activité dont on veut se séparer avant fermeture, ou avant vente, émiettement des activités dans des structures de petites tailles pour échapper aux obligations du PSE, etc. Les juges ont toujours eu le souci de permettre l'application du droit du travail quelle que soit la structuration juridique du groupe. L'arrêt du 18 janvier 2011 s'inscrit dans cette préoccupation. Il n'empêchera pas, toutefois, à des groupes de rechercher des chevaliers blancs situés à l'étranger pour reprendre une activité qu'ils fermeront ensuite. Paranoïa ? demandez aux ex-salariés toulousains du papetier Job, ils auront peut être une idée sur la question.

26/01/2011

En mariage trompe qui peut

L'adage est de Loysel, c'est un classique juridique. Il signifie que le mariage ne peut être annulé que pour erreur ou violence mais pas pour dol, la séduction ne se parant pas toujours des atours de la vérité. Leur culture juridique a conduit les juges à étendre ce principe au recrutement : il est admis que tant l'entreprise que le candidat se présentent sous leur meilleur jour qui n'est pas toujours leur quotidien. Reste, comme toujours en matière juridique, à déterminer où passe la frontière et jusqu'où il est permis d'enjoliver la réalité.

La Cour d'appel de Lyon (CA Lyon 25 juin 2010, publiée dans la Revue de Jurisprudence Sociale de Janvier 2011) vient de rappeler à l'ordre un salarié ayant fait état d'un BTS qu'il n'avait pas acquis et d'unité de valeur du CNAM qu'il n'avait pas passé. L'employeur, une banque en l'occurence dont la vertu est une qualité première comme chacun sait, avait découvert le mensonge lors d'une proposition d'évolution qui supposait le suivi d'une formation nécessitant les diplômes supposés acquis et qui n'ont pu être produits. S'en suivit un licenciement pour faute grave validé par les tribunaux. Les foudres de la vérité sortant du puit avec son martinet pour châtier l'humanité se sont donc abbatues sur l'imprudent salarié.

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Jean-Léon Gérome - Vérité sortant du puit avec son martinet pour châtier l'humanité - 1896

Ainsi pourrait on penser que se trouvent réconciliés droit et morale par le surgissement de la vérité, dont on avouera tout de même qu'elle suscite plus d'effroi que d'éblouissement.

Le problème est que cet arrêt, qui n'a pas fait l'objet de pourvoi, n'aurait pas nécessairement été validé par la Cour de cassation. Pour deux raisons. La première est que la Cour estime que lorsqu'une information est fournie lors d'un recrutement et qu'elle est vérifiable, si l'employeur ne la vérifie pas c'est qu'elle n'entre pas dans sa décision. Or les diplômes (parchemin) et les expériences professionnelles (certificat de travail) sont vérifiables. La deuxième raison est que la banque invoquait l'impossibilité de confier la gestion du patrimoine des clients à quelqu'un dont l'honnêteté et la loyauté n'étaient pas irréprochables. Et l'on voir ressurgir la bonne vieille perte de confiance que la Cour de cassation n'admet plus depuis longtemps car elle revient à licencier sur la base d'un risque et non d'un fait. Bref, voici une décision de Cour d'appel qui pouvait paraître évidente mais qui ne l'est guère. Le salarié ne méritait peut être pas le martinet d'une vérité qui ressemble un peu trop à un père fouettard.

25/01/2011

De l'inégalité des diplômes

La Cour de cassation poursuit, en ce début d'année, la saga du diplôme comme élément licite, ou non, de différenciation des salaires. En clair, peut-on payer différemment deux salariés qui font le même travail  uniquement parce qu'ils n'ont pas le même diplôme ? La Cour de cassation a déjà répondu positivement à cette question si les diplômes détenus par les salariés sont de niveaux différents. Elle fait aujourd'hui évoluer cette position : une différence de diplôme ne justifie une différence de traitement que s'il est démontré l'utilité particulière des connaissances acquises au regard des fonctions exercées (Cass. soc., 11 janvier 2011). Diplômé en droit, Kandinsky ne peut donc valoriser ses diplômes dans son activité de peintre.

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Vassily Kandinsky - Composition IV

Cette décision a le mérite de revenir à une interprétation plus stricte du principe "Travail égal, salaire égal". S'il est possible de valoriser un niveau de diplôme, c'est à condition que celui-ci ait un lien avec l'activité. A défaut, disposer d'un diplôme  ne vaut pas brevet général de compétences.

La portée de cette décision n'est pas mineure puisque, si elle est confirmée, elle mettra à mal les politiques de rémunération mais également les conventions collectives, qui font une différence entre les diplômes uniquement en fonction de leur niveau ou de l'école dans laquelle ils ont été préparé alors que les juges nous demandent de vérifier son utilité par rapport au travail exercé.

Si le juge voulait s'auto-alimenter en contentieux, il ne s'y prendrait pas d'une autre manière. Voilà une profession que le chômage ne guette guère.

18/01/2011

Pas d'essai pour la neige

L'hôtelier est rompu à l'usage des contrats saisonniers. Il en a encore conclu plusieurs pour la saison, dont un avec une serveuse embauchée le 1er janvier avec une période d'essai de dix jours. Le 8 janvier, la neige ayant déserté, et les clients avec, la station de sports d'hiver, il est mis fin par l'hôtelier à la période d'essai. Tempête judiciaire s'en suit : la salariée conteste la possibilité de rompre la période d'essai pour ce motif. Avec raison selon la Cour de cassation qui censure une décision qui n'est pas fondée sur un motif inhérent à la personne du salarié (Cass. soc., 10 décembre 2010). Tempête sous le crâne de l'employeur qui se demande comment il convenait de s'y prendre et pourquoi il ne peut pas librement rompre une période d'essai. Laissons passer la tempête de Turner avant de lui répondre.

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William Turner - Tempête de neige - 1842

Pourquoi n'est-il pas possible de rompre une période d'essai pour absence de neige ? parce que la période d'essai a pour seule finalité d'apprécier les compétences du salarié (C. trav., art. L. 1221-20) et qu'elle ne peut être rompue que pour ce motif à l'exclusion de tout autre. D'ailleurs, les règles relatives au licenciement ne peuvent s'appliquer pendant une période d'essai (C. trav., art. L. 1231-1).

Que convenait-il de faire ? si l'employeur voulait gérer l'aléa de la neige, il ne devait pas prévoir de période d'essai. Il aurait ainsi pu licencier pour un motif économique, au bout de huit jours. Ou bien, il devait proposer un CDD de courte durée, renouvelable. Ou encore, il devait attendre la fin de la période d'essai avant de licencier. Mais prévoir une période d'essai, signifie que l'on garantit l'emploi du salarié pendant cette période, sauf si son comportement s'avérait inapproprié avant le terme même de la période d'essai. Et voilà que l'on découvre que la période d'essai, loin d'être la période de totale précarité que l'on imagine souvent, est en fait une garantie d'emploi stable pendant l'essai pour pouvoir apprécier les compétences du salarié. En clair, avec la période d'essai, l'employeur annonce qu'il va prendre son temps pour apprécier le salarié et sécurise le contrat pendant ce laps de temps. Il n'est pas certain que cette définition juridique de l'essai soit exactement celle qui prédomine dans les représentations. C'est pourtant celle que les tribunaux semblent déterminés à faire prévaloir.

16/01/2011

Voilà ce que l'on pouvait dire

La formule est rituelle : « Voilà ce que l’on pouvait dire ce soir sur le sujet… ». Essayez de regarder un journal télévisé (n’en abusez pas) et d'échapper à la rituelle phrase de clôture. Impossible. Manière pour le journaliste de fermer la porte ou de remettre le couvercle puisque tout a été dit. N'essayez pas de réfléchir, de penser ou de rajouter quoi que ce soit, on vous dit que tout ce qu'il y avait à dire a été dit. Bonne nuit les petits.

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Et pourtant, il aurait été possible de dire au moins les choses autrement, voire de n’en rien dire. Car le premier choix est celui des sujets, le second choix est celui de l’angle de traitement et le troisième choix est dans le commentaire. C'est-à-dire le travail du journaliste. Faut-il qu’il soit mal à l’aise avec lui-même, sa légitimité, son professionnalisme pour sempiternellement s’excuser de n’avoir fait autrement et prévenir toute opposition : j’ai dit ce qu’il était possible de dire, j’ai fait mon métier. En l’occurrence son métier serait de faire  exactement l’inverse.

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Ce qu'il est possible de dire du Red Rose

 Ce désengagement journalistique, cette grande couverture ou grand parapluie brandi à tout bout de champ ressemble furieusement à une recherche de l’irresponsabilité. Si le droit nous apprend que l'on peut être reconnu irresponsable, il nous apprend également que l’on est libre à hauteur de ce que l’on est responsable. Considérer que l’on ne pouvait faire autrement que ce que l’on a fait, c’est refuser d’engager sa responsabilité professionnelle et au final nier son professionnalisme qui consiste au contraire à justifier ses choix.

Voilà ce que l’on pouvait  dire ce soir sur cette étrange manie des journalistes.

17/11/2010

La formation contre la professionnalisation

Lorsque le système de formation continue s'est construit, au début des années 70, il s'agissait d'accompagner les salariés dans leur développement professionnel et de fournir aux entreprises les compétences dont elles avaient besoin. Des objectifs moins affichés, mais non moins importants, étaient également visés, dont celui de faire évoluer, grace au développement de la pédagogie pour adultes, les pratiques de formation initiale. Pédagogie par objectif, approche par les compétences, individualisation, formations modulaires, e-learning, autant de méthodes de formation qui démontrent que l'objectif a été en partie atteint. En partie seulement car la règlementation, fiscale notamment, a posé une définition de la formation qui certes est partie du stage en 1971 pour évoluer vers l'action de formation en 1986 et, timidement, vers le parcours de formation à compter de 2003/2004, mais qui fondamentalement n'a guère cassé le schéma de l'action de formation conçue, comme en formation initiale et au théâtre, sur l'unité de temps, de lieu et d'action. Combien de formations sont aujourd'hui produites en dehors de ce traditionnel schéma ?

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Guy Johnson - The Study - 1985

Comme le sait manifestement Guy Johnson,  il existe bien d'autres modes d'apprentissage : l'analyse de pratiques, le retour d'expériences, les communautés de pratiques, les réseaux d'experts, les colloques, le coaching, l'activité tutorée, la mise en situation, etc. Toutes ces actions entrent mal dans la définition formelle de l'action de formation et l'on ne peut pas dire que l'administration du travail ait véritablement encouragé l'innovation en se transformant trop souvent en administration fiscale soucieuse davantage du respect des règles que des résultats obtenus. Le reproche vaut pour la majorité des OPCA qui ne se sont que trop rarement autorisés à braconner pour de bonnes causes ou plutôt, puisqu'ils n'ont pas à être des pirates, à solliciter des lettres de mission pour devenir des corsaires.

De ce fait, la règlementation n'a pas constitué un outil d'innovation pédagogique, mais au contraire un frein au développement professionnel. Il est significatif à cet égard que l'on en soit encore à promouvoir les plans de formation dans les entreprises, alors qu'il faudrait plutôt gérer des plans de développement professionnel dans lesquels la formation ne serait qu'une modalité du développement. Mais la concentration des financements sur le moyen formation a bridé cette évolution qui aurait vu la disparition des services formation au profit de services du développement professionnel. Gageons que les premiers secteurs professionnels qui s'affranchiront du cadre règlementaire pour se doter des moyens de financer des actions non imputables mais d'un intérêt certain pour la professionnalisation des salariés, ouvriront une brèche dans laquelle on se bousculera pour s'engouffrer. Il ne sera que temps.

16/11/2010

Le bagage lent de l'esprit

C'est ainsi que Michel Leiris, dans "Glossaire, j'y serre mes gloses", définit le langage. La première publication du "Glossaire..." est accompagnée d'une explication : "le sens usuel et étymologique d'un mot ne peuvent rien nous apprendre sur nous mêmes, puisqu'ils représentent la fraction collective du langage, celle qui a été faite pour tous et non pour chacun de nous. En disséquant les mots que nous aimons sans nous soucier de suivre ni l'étymologie, ni la signification admise, nous découvrons leurs vertus les plus cachées et les ramifications secrètes qui se propagent à travers tout le langage(...) alors le langage se transforme en oracle et nous avons là (si ténu qu'il soit) un fil pour nous guider, dans la Babel de notre esprit".

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J.W Godward - Oracle de Delphes - 1899

Parmi les définitions des mots donnés par Leiris, relevons :

SAVEUR - C'est la douceur des laves ; LEVRES - On les lit comme des livres ; UNITE - Nudité : nid de l'éternité ; EMMERDANT - Le mal de mer et le mal de dent ; AVENTURE - Les mâtures aveugles sont avides de vent  ; et pour nos amis juristes CLOISON - Le cloître ou la prison, une loi ; UNIFORMITE - Inutile monotonie de la norme figée.

Alice dirait qu'il n'est pas en notre pouvoir de faire dire aux mots autre chose que ce qu'ils veulent dire. Et pourtant si. Quelques exemples pour montrer que l'usage courant n'est pas l'usage juridique et que cette dissociation peut être source d'incompréhension.

REPOS : en langage usuel, immobilité, sommeil, quiétude. En droit du travail, temps pendant lequel on ne travaille pas (mais qui peut être un temps actif, éveillé ou de stress...ou de formation). Ainsi est on en repos pendant les deux heures de transports  qui nous ramènent à domicile.

TEMPS DE TRAVAIL EFFECTIF : en langage usuel, temps pendant lequel on travaille effectivement. En droit du travail, temps pendant lequel on se tient à la disposition de l'employeur. Ainsi peut-on être au placard en travail effectif ou dormir pendant du travail effectif (veilleur de nuit).

PLANS DE DEPART VOLONTAIRES : en langage usuel il s'agit d'un oxymore. Comment programmer des départs s'ils sont volontaires ? en droit du travail, proposition de départs négociés excluant les licenciements.

Il n' est pas étonnant  dès lors que le droit soit incompréhensible à qui l'aborde avec les définitions usuelles. Pas étonnant non plus que le débat juridique porte souvent sur ce que les mots veulent dire. Et comme le sens des mots n'est jamais qu'une synthèse de signification multiples et évolutives, la discussion demeure non seulement possible mais également souhaitable. Car les pays dans lesquels les mots ont le même sens pour tous est inévitablement une dictature.

Pour terminer sur une note plus légère : FIANCEE - Au fil des ans défi lancé.

 

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Elle fait au miroir de l'abîme sa toilette étrange de fiancée

12/11/2010

Droit braconnier

Le braconnier a rarement bonne image. Il faut dire que le chasseur d'ivoire qui décime les éléphants, le traqueur de fourrures rares, le marchand d'espèces protégées ne sont guère plus fréquentables que recommandables. Foin du braconnage organisé donc. Mais il est d'autres types de braconniers. Historiquement, le braconnier  chasse illégalement sur les terres du seigneur. Il est donc celui qui n'accepte pas l'ordre établi. Rappelons que le privilège de chasse fut aboli le 4 août 1789 avant d'être rétabli en 1844. Le braconnier chasse sans titre et à ce titre il connaît la forêt, la nature, les espèces, les animaux, mieux que personne. Mais surtout, il s'écarte des chemins forestiers, des routes de campagne, il défriche de nouveaux espaces, ouvre de nouvelles voies, emprunte des passages détournés dans lesquels nul n'ose s'aventurer et créé une nouvelle géométrie des forêts qui ne sont pas sa propriété mais qui constituent son domaine et son terrain de jeu. Comme le rêve est une fenêtre ouverte sur l'inconscient, le braconnage est un rêve à l'invisible réalité.

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Marie-Laure Messir - Bulle nocturne

Mais si le braconnier est celui qui s'affranchit des règles, que peut signifier l'oxymore droit braconnnier ? tout simplement que l'innovation, en droit comme en d'autres domaines, peut passer par la transgression et qu'il est parfois nécessaire d'aller aux limites de la règle pour la faire évoluer. Qui ne s'autorise à sortir des allées forestières ne connaîtra jamais la forêt. Qui s'applique à appliquer le droit en devient au mieux le serviteur, au pire l'esclave. Penser la règle, c'est souvent penser contre la règle, c'est à dire confronter le droit aux autres sources de décision, de pouvoir, de régulation, de légitimité. La règle de droit réduite à elle même, c'est le chemin des promeneurs du dimanche qui tiennent leur chien en laisse et considèrent avec méfiance tout champignon. Le braconnier c'est celui qui s'autorise à entrer dans le bois, à vivre avec les arbres et tous les habitants de la forêt et à apprendre à connaître animaux et champignons plutôt que de s'en défier. Bref, une autre manière d'exprimer le très juste "Que juriste, pas juriste". Mais à quoi reconnaîtra-t-on les bons braconniers et ceux qui ne sont toujours pas fréquentables ? car si chacun s'institue braconnier n'est-ce pas la fin de l'Etat de droit ? proposons quelques critères : le braconnier fréquentable ne nie pas la loi, il la connaît très bien, il ne la conteste pas globalement mais seulement en certains de ses effets, il est soucieux des conséquences de ses actes, et il agit artisanalement. Et peut être un dernier critère : le braconnier indéfendable est celui qui méprise ou menace le garde-chasse, le  plus fréquentable braconnier n'est pas l'ennemi du garde-chasse, car il sait ce qu'il a en commun avec lui. Car on peut à la fois aimer le garde-chasse et le braconnage, n'est-ce pas Constance ?

25/10/2010

Triste triomphe

Depuis environ une vingtaine d'années, la Cour de cassation a entrepris de redonner toute sa place au contrat de travail. Pour ce faire, elle n'a eu de cesse de consacrer la volonté du salarié face à celle de l'employeur, en élargissant le champ du contrat de travail et en restreignant celui des conditions de travail, selon la distinction posée en 1996 pour marquer les limites du pouvoir de direction.

Mais la Cour de cassation a également opposé le contrat individuel au contrat collectif en multipliant les possibilités pour le salarié de refuser l'application d'un accord collectif dès lors que celui-ci touchait à son contrat de travail. Il n'est pas illogique que la volonté collective ne puisse systématiquement contraindre la volonté individuelle et que le contrat qui confère la qualité de salarié soit garanti dans son contenu. Mais jusqu'à présent les juges considéraient que certains éléments, dont l'organisation du travail, relevaient par principe de régimes collectifs et non individuels. Par une surprenante décision en date du 28 septembre 2010, la Cour de cassation affirme que l'instauration d'une modulation du temps de travail constitue une modification du contrat qui nécessite l'accord exprès du salarié. Voici donc l'individu royalement couronné qui ne peut se voir contraint par le contrat collectif, même régulièrement négocié et même dans un domaine par nature collectif.

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Caravage - Bacchus - 1593

Cette promotion de l'individu n'est pas lubie des juges. Elle s'inscrit dans le mouvement plus large d'individualisation des relations de travail et de dilution du collectif. A ce titre, elle peut rappeler comment au 15ème siècle les peintres flamands ont introduit l'individu réel, et non plus l'individu symbole d'idées le dépassant, dans la peinture (sur ce thème, voir le très beau livre de Tzvetan Todorov "Eloge de l'individu"). Ce mouvement se poursuivra à la Renaissance, trouvant sans doute son apogée avec Le Caravage dont les dieux ont figure humaine. Et pourtant, cette chair incarnée est bien triste. L'individu saisi dans toute sa réalité physique et sa banalité quotidienne se trouve  bien seul, coupé du collectif. Cette opposition est présente dans le tableau du Caravage où le corps très académique tranche avec le visage plus elliptique. Quatre siècles plus tard, le débat n'est toujours pas clos. La jurisprudence de la Cour de cassation, qui rend extrêment complexe et délicate désormais la négociation et l'application d'un accord d'annualisation du temps de travail, semble imposer la prééminence du contrat individuel sur le contrat collectif. Aussi paradoxal que cela paraisse, cette affirmation de la volonté individuelle porte en elle-même un affaiblissement du salarié en le conduisant malgré lui vers une contractualisation individuelle de l'ensemble de sa situation de travail qui le laisse en position isolée de négociation face à l'employeur. Quant à ce dernier, il se trouve contraint de conduire des dizaines de négociations individuelles pour pouvoir mettre en oeuvre une négociation collective. Au final, cet émiettement du champ du négociable ne satisfera personne. Triste triomphe pour le contrat.

20/10/2010

La rémunération doit-elle être juste ?

Rassurez-vous, la rentrée n'a pas déjà dissipé tous les effets bénéfiques de l'été et il ne s'agit pas ni de savoir si le salaire doit être conforme aux règles ni la paie correctement effectuée. Il s'agit de savoir si le système de rémunération d'une entreprise et la justice ont à faire ensemble. En d'autres termes, les salariés attendent-ils d'un système de rémunération qu'il soit juste ? et un système juste a-t-il plus d'effets sur la motivation, l'efficacité, l'implication, la fidélité qu'un système qui le serait moins ? à toutes ces questions il ne pourra être répondu dans cette courte chronique qui prétend tout de même livrer quelques éléments de réflexion.

Le cabinet Mercer a publié le 4 octobre dernier son enquête de rémunération France 2010 (voir Entreprise et Carrières n° 1019). On y apprend, notamment, que la part accordée aux augmentations individuelles -dont le taux median varie entre 1,5 % et 2 %- est désormais supérieure à celle des augmentations générales -taux médian entre 1,3 % et 1,5 %. Selon Bruno Rocquemont, responsable des enquêtes et rémunérations chez Mercer, cette primauté des augmentations individuelles s'inscrit dans la logique d'une gestion des talents et permet d'éviter les effets de saupoudrage. Sur ce dernier point, il faudrait élargir le regard : sous couvert d'individualisation, on connaît les managers qui "font tourner" et récompensent individuellement sur quelques années...l'intégralité ou quasiment de leur équipe faisant échec aux systèmes individualisés. Mais notre sujet était la justice.

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Salvador Dali - Lame de Tarot - La justice

Transportons nous dans le monde judiciaire : vous êtes juré d'assise, le procès touche à sa fin, aucune preuve matérielle n'a été apportée de la culpabilité et vous n'avez face à vous que quelques éléments troublants mais pas de certitude. Est-ce que vous condamnez ou est-ce que vous acquittez ? en d'autres termes, pensez-vous qu'il vaut mieux prendre le risque d'un innocent en prison ou d'un coupable libre ? Si vous penchez pour la première hypothèse, l'étude de Mercer vous confortera : il vaut mieux ne pas augmenter tous les salariés selon leur travail mais uniquement quelques uns (l'individualisation supposant que certains ne soient pas augmentés), alors que si vous penchez pour la seconde hypothèse, vous préfèrerez augmenter plus largement pour ne sanctionner aucun des salariés ayant fourni des efforts, au risque de rémunérer certains qui en ont peu fourni. Quand à savoir si en prédéterminant une enveloppe limitée il est possible de n'augmenter que les salariés qui le méritent mais sans en oublier aucun, sur le papier c'est déjà difficile mais dans le cadre d'une prise de décision manageriale cela finirait par relever du hasard. Il vous reste aussi la possibilité de considérer que justice et rémunération n'ont rien à faire ensemble.

13/10/2010

Pas de motif, un seul motif

Le droit du travail oblige parfois l'employeur à motiver ses décisions, notamment en matière disciplinaire ou de licenciement. Mais ce principe n'est pas général et certaines décisions, qui pourtant font grief au salarié ce qui justifierait, sur le principe, qu'il puisse en connaître les raisons, n'ont pas à être motivées. Pourquoi cette différence ? avançons une explication sans avoir vérifié si elle ne comportait pas de contre-exemple. Deux lois relativement récentes ne font pas obligation à l'employeur de motiver sa décision qui doit pourtant être écrite. Elles nous permettent peut être de comprendre pourquoi certaines décisions n'ont pas à être motivées : parce qu'il n'existe qu'un seul motif possible. L'unicité du motif est un thème cher à Jean-Pierre Balagué, peintre toulousain.

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Jean-Pierre Balagué - Sans titre - 2004

La loi du 25 juin 2008 a réformé le droit de la période d'essai en prévoyant une rupture possible par l'employeur sous la seule condition de respect d'un préavis mais sans motivation. Pourquoi ? parce que le seul motif possible de la rupture d'une période d'essai est une évaluation négative des compétences du salarié dans son travail, ce qui est l'objet même de la période d'essai (C. trav., art. L. 1221-20). Si le salarié prouve que d'autres motifs sont à l'origine de la rupture (motif économique notamment ou motif non inhérent à l'appréciation de ses capacités), la rupture sera considérée comme abusive. Un peu antérieure, la loi du 4 mai 2004 a introduit dans le code du travail le droit individuel à la formation (DIF) conçu par les partenaires sociaux. Ce droit nécessite un accord entre l'employeur et le salarié pour pouvoir être mis en oeuvre. Si l'employeur refuse une demande de DIF il n'a pas, légalement, à motiver ce refus. Pourquoi ? parce que le seul motif de refus possible est un désaccord sur la formation choisie par le salarié. Il n'est en effet pas question pour l'employeur de nier le DIF mais simplement d'en négocier la mise en oeuvre. Dès lors, en cas de refus, inutile pour le salarié de s'entêter à représenter des demandes similaires. Mieux vaut inverser la proposition et demander à l'employeur quelles sont les formations pour lesquelles il est prêt à accepter une demande de DIF. Ce qui renverra l'entreprise à l'obligation de décider d'une politique de DIF qu'elle doit présenter tous les ans au comité d'entreprise. Certaines conventions collectives imposant la motivation, les entreprises ont tout intérêt à s'en tenir au motif légal. En effet, un refus fondé sur une absence de budget ou un refus de financement de l'OPCA pourrait être criticable car étranger au seul motif légalement prévu. Et l'on constate qu'absence de motivation ne signifie donc pas totale et discrétionnaire liberté de décision.

06/10/2010

Identité professionnelle

La Gare Saint-Sauveur de Lille, superbe lieu consacré à la création sous de multiples formes, présente une exposition consacrée aux migrants. Ce qui permet de constater qu'il existe en Afrique de nouveaux éléphants.

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Pour la majorité des migrants, l'ailleurs n'est pas connu, il n'est peut être même pas rêvé. Certains sont tirés au sort par leur famille pour partir et pourvoir à la survie du groupe familial. S'ils échouent, ils ont pour consigne de ne pas revenir.

 

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L'exposition est présentée sur des balles de papiers à recycler, murs dérisoires souvent infranchissables car pour beaucoup les "papiers" demeureront inaccessibles.

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Sont également présentés des documents témoignant de la présence de travailleurs étrangers dans l'économie française. Et au détour d'un ballot de papier, ce document, certificat de travail datant de la fin des années cinquante.

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Comme sur beaucoup de certificats de travail, ce qui choque c'est la qualification. Ici il est attesté que le salarié a été employé en qualité de M2. Au plan juridique, l'entreprise confond la classification et la qualification. La première est un positionnement conventionnel, la seconde est la définition du périmètre de travail prévu contractuellement. Au plan symbolique, le désastre est encore plus grand puisque l'individu est réduit à une codification. La série "Le prisonnier" n'existait pas à l'époque mais on aurait compris que les salariés refusent d'être des numéros. On pourra toujours arguer que dans le milieu industriel, cette codification fait sens et que, comme les appellations d'OS ou d'OP elles renvoient à des univers professionnels identifiés. Il n'en reste pas moins que la qualification contractuelle c'est aussi une identité professionnelle, constitutive d'une identité sociale. Et que désigner l'individu par une codification abstraite c'est perdre de vue sa singularité. L'exposition sur les migrants évite cet écueil : elle présente des destins singuliers racontés par eux-mêmes. Et toute migrant commence son histoire en débutant par son prénom et son nom. La migration est un phénomène social, mais c'est surtout un ensemble de destins. Le fait que la qualification soit collective ne doit pas la conduire à nier, dans sa définition, les individus qui en sont titulaires.