13/09/2012
Créativité juridique
Pour les adultes, comme pour les jeunes élèves, lorsque l'on fait un travail technique, parfois ingrat, le meilleur moyen de le valider est de le faire fonctionner à la fois sur les sujets qui s'y rapportent, mais également sur d'autres, sans rapport apparent, pris au fil de l'actualité. Et dans le fil en ce moment il y a le mariage, ou plutôt l'union civile à trois qui a été reconnue au Brésil. Pour travailler sur le fait qu'il n'y a pas de vide juridique et que le droit a eu une réponse pour chaque situation, c'est un bon point de départ. Car il se trouve, ce n'est pas grave bien évidemment, que les journalistes ne lisent pas ce blog. Où alors ils se contentent de regarder les photos. Du coup on peut entendre et lire que cette union a été possible grâce à un vide juridique : la loi ne précisant pas que le mariage est réservé à deux personnes, il est donc possible pour trois. Un quatuor aurait d'ailleurs déjà saisi la notaire qui a enregistré la première union.
Nouvelles unions, nouveaux bébés ?
En réalité, la Constitution brésilienne reconnaît comme famille "une union stable entre un homme et une femme". Avec une définition semblable, la Cour de cassation en France a estimé que le mariage était réservé aux couples hétérosexuels, respectant la lettre du texte. L'esprit du carnaval a du souffler sur la Cour suprême brésilienne car les magistrats cariocas ont estimé eux que cette définition de la famille avait valeur d'exemple mais n'était pas exhaustive. Ce n'est donc pas un vide juridique, dont on répète qu'il n'existe pas (voir ici ou là) qui a permis l'union du trio mais la créativité des juges. Car voilà la seconde démonstration que nous fournit cet exemple : à partir des mêmes textes, les juges français et brésiliens ont pu prendre des décisions totalement opposées. Preuve, s'il en fallait, que le juge peut décider ce qu'il veut et construire le raisonnement adéquat ensuite. Apparemment les managers ont apprécié, à l'exception du juriste de l'entreprise qui se montra plus réservé. Un petit tour au Brésil peut être ?
00:05 Publié dans HISTOIRES DE CONSULTANT | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : juriste, réunion, droit, droit du travail, manager, formation, union civile, mariage, brésil
Commentaires
Bonjour,
En tant que non spécialiste du droit brésilien, permettez moi de compléter votre billet par la citation suivante :
"Le fait, pour une personne engagée dans les liens du mariage, d'en contracter un autre avant la dissolution du précédent, est puni d'un an d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende.
Est puni des mêmes peines l'officier public ayant célébré ce mariage en connaissant l'existence du précédent."
Art. 433-20 du code pénal
Avec ça, le juge français peut toujours essayer de "décider ce qu'il veut et construire le raisonnement adéquat ensuite." Bonne chance à lui !
Et bonne journée à vous !
Écrit par : F.F | 13/09/2012
Ah là là, cher FF, ces juristes qui s'accrochent à leurs textes comme le gui aux branches, et voudraient croire que tout est décidé par le législateur dont ils sont les bons petits soldats gardiens de l'orthodoxie.
J'ai soumis votre texte à un juge brésilien, il m'a fait remarquer que le texte interdit de contracter un autre mariage avant dissolution du précédent mais pas deux autres mariages et que la loi avait pour vocation d'encourager le mariage en incitant au cumul de partenaires, mais que 2 c'est trop peu. Dans la lignée de la décision de la Cour suprême qui autorise le mariage à trois, il autorisera donc les mariages multiples à partir de 3.
Mais comme votre invitation concernait un juge français, j'ai également soumis le texte à un juge national. Moins audacieux que le juge brésilien, cela va de soi, le juge français m'a fait remarquer que si les deux mariages sont conclus simultanément et leur prononcé rigoureusement coordonné, les dispositions de l'article 433-20 ne trouvent pas à s'appliquer puisqu'au moment de chaque mariage les mariés ne sont nullement engagés ailleurs.
Vous avez donc raison : ils n'ont pas décidé ce qu'ils ont voulu et construit le raisonnement ensuite, ils se sont contentés de lire le texte confirmant que décidément, ils manquent d'imagination.
Bien cordialement à vous.
jpw
Écrit par : jpw | 13/09/2012
Très bon raisonnement ! Un mea-culpa donc. Mais comme je suis joueur et que c'est toujours un plaisir d'échanger avec vous...je souhaite vous demander une dernière faveur :
Que pense vos amis juges de l'article 144 du code civil qui dispose que "l'homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant dix-huit ans révolus".
Écrit par : F.F | 13/09/2012
Cher FF, vous savez combien les brésiliens sont fougueux. Ni une ni deux, le juge a brandi l'inconstitutionnalité : la Constitution prévoyant qu'une famille c'est une union stable d'un homme et d'une femme, il a considéré que la durée de 18 ans (le texte ne dit pas "l'âge de 18 ans révolu") était excessive pour caractériser la stabilité et il a donc tout simplement annulé la loi. Au passage, il m'a glissé que dans les favelas, on ne vit pas toujours très vieux et qu'il ne faut pas trop différer certains plaisirs. Vous voyez que la technique se joint à la morale.
Dans une audace inouïe, le juge français a été tenté de suivre son confrère d'outre-atlantique. Il avait même dégotté l'article premier de la déclaration universelle des droits de l'homme 'les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits" pour en conclure que l'on ne peut restreindre certaines libertés fondamentales en les soumettant à une condition d'âge. Hélas, la crainte de voir sa fille de 6 ans lui demander de l'accompagner à la mairie pour épouser le mioche qui lui tripote les cheveux à chaque récréation avec un sourire béat et la morve au nez a fortement tempéré ses ardeurs. Il s'orienterait vers un débat sur la date de la naissance (conception ou accouchement) ce qui permettrait de gagner 9 mois, mais là encore il redoute d'être récupéré par les anti-avortements. La prudence est la mère de l'indécision comme vous le savez. Je vais lui suggérer de tenter, comme en rugby, un débordement du texte : cette restriction a été, comme la protection des apprentis, initialement conçue comme une protection des mineurs. Dans sa grande créativité le juge pourrait donc considérer qu'en deçà de cette date, il a lui le pouvoir de valider les volontés après avoir vérifié qu'elles étaient libres. Par décision de justice il autorisera donc ce que la loi interdit aux futurs époux de consentir seuls.
Mais il faut que je vous laisse car les juges ont soif et l'attrait du mojito est plus fort que celui du raisonnement juridique.
Bonne soirée
jpw
Écrit par : jpw | 13/09/2012
Très drôle. "Un mojito, j'vais m'coucher tard, Deux mojito, j'vais m'coucher tôt". Je me demande bien à quelle moment de la journée vous les avez rencontrés?
Bonne soirée !
Écrit par : F.F | 13/09/2012
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