09/10/2012
L'étau se resserre
Au mois de juin 2011, après un suspens tout relatif et une grande frayeur bien orchestrée, les DRH soufflaient à la lecture de la décision de la Cour de cassation validant le forfait jours. Nous annoncions pourtant déjà qu'il ne fallait peut être pas tant se réjouir du côté des services RH et qu'un train pouvait en cacher un autre (voir ici). Ce train n'a pas manqué de passer et son souffle risque de décoiffer quelques habitudes. Honneur au Sud : la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a décidé le 23 mars 2012 qu'un chef de rayon de chez Décathlon, bombardé cadre et assujetti à un forfait jours, devait percevoir des heures supplémentaires car le forfait était nul. En effet, le chef de rayon était soumis à des horaires imposés et à des jours de présence le samedi et parfois le dimanche choisis par l'entreprise. Rien du cadre autonome donc. D'autre part, son salaire était fixé au tout premier niveau de rémunération des cadres. Rien qui soit en rapport avec les sujétions liées à sa fonction. Le forfait étant nul, le salarié aura droit à 11 h supplémentaires par semaine sur 2 ans, soit un total de plus de 16 000 euros. Et comme les corps de Martina Abramovic et son acolyte se resserrent sur le visiteur de musée qui doit choisir de passer ou pas, de frotter ou non et de faire face à l'homme ou à la femme, l'étau du juge se resserre sur les entreprises qui pensaient trouver dans le forfait un outil permettant d'habiller à bon compte des pratiques qui n'en relèvent manifestement pas, comme c'est le cas pour les chefs de rayon de la grande distribution.
Marina Abramovic - Imponderabilia - 1977
Une deuxième couche vient d'être rajoutée par la Cour de cassation elle-même. Dans sa décision du 26 septembre dernier, elle annule le forfait jours d'un cadre qui consacrait un certain temps, et même un temps certain, à son activité professionnelle. La Cour de cassation rappelle que le forfait jours n'est ni un forfait jours et nuits, ni un forfait week-end, ni un forfait toute la journée. Et que l'accord collectif qui met en place le forfait jours doit prévoir des mesures de nature à faire respecter des temps de travail raisonnables. En l'espèce un entretien annuel et des rapports trimestriels de la hiérarchie sur la charge de travail, soit le minimum syndical qui n'existe pas dans toutes les entreprises, ne sont pas suffisants. Le forfait jours doit donc être annulé et des heures supplémentaires payées.
Lorsque l'étau commence à serrer à ce point, cela peut faire mal. Et nul doute que les juges ne s'arrêteront pas en si bon chemin. A tous ceux qui se félicitaient de la survie du forfait jours, il ne reste donc plus qu'à se mettre au travail pour en garantir la validité.
00:26 Publié dans DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : forfait jours, durée du travail, travail, droit, droit du travaill, heures supplémentaires, étau, art, abramovic, jurisprudence, emploi
02/02/2011
Historique des formations : c'est parti !
La loi du 24 novembre 2009 impose à toutes les entreprises de tenir à disposition des salariés les historiques des emplois occupés et des formations suivies afin, notamment, qu'ils puissent alimenter leur passeport formation (C. trav., art. L. 6315-2). La Cour de cassation n'a même pas eu besoin de ce texte, inapplicable en l'espèce puisque les faits lui étaient antérieurs, pour sanctionner l'employeur qui est incapable de fournir à un salarié l'historique des formations suivies pendant les 16 années passées dans l'entreprise (Cass. soc., 19 janvier 2011). Selon le juge, le salarié devait pouvoir disposer des traces officielles de son parcours dans l'entreprise, incluant les formations suivies. Balises de la compétence, les formations constituent pour le salarié des traces phosphorescentes dont il importe de garder la mémoire.
Joan Miro - Personnages dans la nuit guidés par les traces
phosphorescentes des escargots - 1941
L'idée que le salarié ne doit pas conserver que ses bulletins de salaire pour faire valoir ses droits mais également les preuves des compétences acquises pendant son activité professionnelle progresse donc. C'est pour cette raison que la même loi du 24 novembre 2009 a créé l'obligation pour toute enteprise (formations internes) ou organisme de formation (formation externe) de remettre à chaque participant une attestation individuelle de suivi de la formation comportant les objectifs, la nature et la durée des actions ainsi que les résultats de l'évaluation des acquis de formation, lorsque une telle évaluation a lieu (C. Trav., art. L. 6353-1). En effet, cet article impose une obligation d'informer et non une obligation de faire. Il en résulte que l'évaluation des acquis n'est pas obligatoire de manière systématique, comme le confirme l'administration dans une circulaire du 6 janvier 2011 (voir ci-dessous).
Sous l'effet des partenaires sociaux, créateurs du passeport formation, du législateur et dorénavant des juges, voici les entreprises tenues d'assurer la traçabilité de la gestion des compétences des salariés, sans limitation de durée. Ne pas disposer d'un SIRH qui gère les historiques de formation est donc officiellement depuis le 19 janvier dernier une négligence sanctionnable par des dommages et intérêts (2 000 euros dans l'affaire en question). Après avoir tracé les financements, les responsables formation traceront donc les actions de formation avant de tracer les compétences validées. S'ils trouvent ce travail fastidieux, qu'ils s'imaginent en escargots disposant dans la nuit des traces phosphorescentes pour guider les salariés. Cela devrait tout de suite aller mieux.