03/10/2013
Surtout, ne pas se mouiller
Cela m'avait valu de m'énerver avec quelques clients, je sais ce n'est pas bien, mais surtout avec leurs avocats. Des comme j'aime. Empêtrés dans leur statut et leurs certitudes qui ne consentent pas vraiment à échanger des arguments tellement il leur paraît évident que la maîtrise du droit leur appartient. Sauf qu'ils se mettent parfois l'effet de manche dans l'oeil jusqu'à la fourrure. Je me souviens d'un particulièrement, grande réputation, cabinet prestigieux, qui avait soutenu qu'en cas de maladie il fallait proratiser les jours de RTT des salariés en forfaits en jours. Aucun argument n'avait pu ébranler sa conviction. Au premier arrêt de la Cour de cassation qui expliqua le contraire, il parla de cas d'espèce et de juges qui n'avaient rien compris. Au second, il se fit discret. Le même avait soutenu, concernant le DIF, que la loi prévoyant un droit qui s'exerce pendant le préavis, la privation du préavis en cas de faute grave, libérait l'entreprise de proposer le DIF. Ce qui revenait dans les deux cas, à dire au client ce qu'il souhaitait entendre. Surtout, ne pas se mouiller.
La Cour de cassation vient de juger, à propos d'un licenciement pour inaptitude dans lequel le salarié n'est pas en mesure d'effectuer le préavis, que l'inexécution du préavis n'avait aucun effet sur le droit au DIF. Cela paraissait évident au regard des textes et de la finalité du DIF. La solution est identique en cas de faute grave : celle-ci ne privant plus le salarié du DIF depuis la loi du 24 novembre 2009, il était absurde de déduire de l'inexécution du préavis la perte du droit. Maintenant que le juge l'a clairement indiqué, l'avocat ne devrait plus avoir peur de se mouiller, il peut ranger son parapluie.
23:11 Publié dans DROIT DE LA FORMATION | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : droit, travail, dif, inaptitude, faute, grave, avocat, pluie, parapluie, japon
27/06/2013
On vous l'avait bien dit...
...qu'il était inutile d'essayer de faire jouer à la rupture conventionnelle le rôle d'une transaction en insérant dans l'accord une clause par laquelle le salarié s'interdit tout recours ultérieur à propos de la rupture de son contrat de travail mais aussi, tant qu'on y est, pour tout autre motif. La Cour de cassation vient de juger qu'une telle clause est dépourvue d'effet mais que pour autant elle ne remet pas en cause la rupture conventionnelle. Encore raté pour ceux qui croient toujours que l'on peut se protéger d'un contentieux par une petite phrase en bas du contrat.
On peut donc toujours conclure une rupture conventionnelle et assigner ensuite son employeur soit pour contester la validité de l'accord donné (ce qui reste très difficile à établir), soit pour formuler des demandes distinctes de la question de la rupture. En fait, il n'y a qu'un évènement qui protège véritablement de tout contentieux à venir : c'est le contentieux. Le principe d'unicité d'instance interdit en effet de s'y reprendre à deux fois en matière prud'homale. Le meilleur moyen de transiger, de manière définitive, est donc de le faire devant le juge. Mais cela n'empêchera pas certains avocats de continuer à conseiller de faire du droit psychologique, celui qui marche tant que l'autre y croit. En quelque sorte, l'inverse du pari sur l'intelligence. Du coup, quand c'est raté, on va pas pleurer.
23:01 Publié dans DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : rupture conventionnelle, contrat, droit, travail, jurisprudence, négociation, avocat, économie
02/05/2013
Qui vole un oeuf, vole un oeuf
C'était ce soir sur France Info. Le ton du journaliste est très institutionnel. Il présente son interlocuteur comme l'auteur d'un ouvrage de référence sur la rupture du contrat de travail (on ne connaissait pas, mais nul ne peut prétendre être la mesure de toute chose), avocat et maître de conférence associé, adoubé par le privé et le public, les prétoires et l'académie, du solide donc. Et le journaliste n'utilise pas son nom, mais lui donne du maître à tour de bras. Si vous n'avez pas compris que cette parole est parole d'expert, c'est à désespérer. Reste que le plus désespérant est la parole du dit expert, qui disserte sur la faute grave. Mais qu'est-ce qui est incontestablement une faute grave, questionne le journaliste tout soucieux de pédagogie. L'injure et la violence répond l'expert. A ce stade, on peut continuer à ingurgiter les tapas et se laisser aller au Minervois au goût de framboise, de caramel, de vanille et de réglisse qui les accompagne. Et puis soudain, le Bellota manque de m'étrangler.
Oksana Mas - oeufs ukrainiens
Le maître du droit vient d'expliquer qu'au rang des fautes graves qui ne se discutent pas figure le vol. Il faut d'urgence reprendre du Minervois. Car il y plus de dix ans que les tribunaux ont cessé de considérer que qui vole un oeuf vole un boeuf et que le vol est sancdtionnable en lui-même, par nature et hors toute considération. Ils jugent régulièrement que qui vole un oeuf ne vole qu'un oeuf et que la faute doit être appréciée in concreto, ce qui fait qu'elle peut relever aussi bien d'une simple faute disciplinaire ne justifiant pas un licenciement que d'une faute lourde, selon les circonstances. La décision de la Cour de cassation de censurer un licenciement pour avoir volé deux hamburgers chez Mac Do, en affirmant que cela ne relevait que du disciplinaire, date toute de même de 2002 ! Voilà donc du joli bobard en direct à l'heure de grande écoute et avec tous les efforts du journaliste pour nous persuader que c'est là parole d'évangile, plutôt que de la daube frelatée. Bon, on se calme et on retourne à la tortilla con patatas y cebollas.
Oksana Mas - Oeufs ukrainiens
22:24 Publié dans DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : licenciement, avocat, france info, journalisme, daube, faute, droit, droit du travail, oeuf
22/10/2012
Le retour des contre-lettres
Après les lettres festives, voici le retour annoncé de missives beaucoup moins ludiques. Il s'agit des contre-lettres, ces contrats occultes par lesquels on s'engage mutuellement sur une opération en général illégale à laquelle on donnera une apparence légale et autre que la véritable intention des parties. Un exemple : il s'agira de se mettre d'accord sur une rupture amiable d'un contrat de travail, tout en lui donnant l'apparence d'un licenciement, assorti d'une transaction dans laquelle chacun recevra ce que la contre-lettre a prévu. Si ces pratiques n'avaient pas totalement disparu depuis la création de la rupture conventionnelle en 2008, leur nombre s'en était trouvé considérablement diminué. Il faut dire qu'il n'était plus besoin d'escroquerie, car c'est bien de cela qu'il s'agissait avec la contre-lettre qui visait à contourner le fisc et l'URSSAF, puisque les mêmes droits (indemnité exonérée et assurance chômage) étaient attachés à la rupture conventionnelle et au licenciement. Plus d'intérêt donc à passer par des pratiques illégales, on pouvait aller au but en terrain découvert.
Gaston Chaissac - Lettre
Mais voila que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 se propose d'instaurer un forfait social (entendez une cotisation supplémentaire) d'un montant de 20 % sur les indemnités versées à l'occasion d'une rupture conventionnelle. Si cette ample ponction avait également porté sur les indemnités de licenciement, on aurait compris que l'on se trouvait face à une mesure destinée à la fois à freiner les ruptures de contrat et à combler le déficit des finances non pas de la belle-mère mais de l'Etat. Mais que non. Il ne s'agit que de taxer les ruptures conventionnelles que certains aimeraient bien interdire car dans leur représentation elle ne sert qu'aux employeurs qui abusent à volonté de la volonté des salariés. Suggérons à tous ceux-la d'aller faire un tour sur le terrain social et de demander leur avis aux principaux concernés. Mais le fait est là : la rupture conventionnelle sera taxée mais pas le licenciement. De ce fait, nous verrons ressurgir les petits arrangements à l'amiable, les accords secrets, les comportements délinquants (appelons les choses par leur nom pénal, c'est toujours plaisant) et autres occulteries de grand chemin. Dans cette affaire, il y aura au moins une catégorie sociale qui trouvera son bonheur : les avocats qui n'étaient guère sollicités pour les ruptures conventionnelles dont la simplicité garantissait l'autonomie de chacun, vont retrouver de l'activité avec les contre-lettres, les procédures de licenciement et les transactions.Il leur sera aisé d'expliquer que le montant de leurs honoraires est moins élevé que le coût du forfait social. Quant aux autres, ils devront soit payer le prix de leur accord, soit revenir à l'illégalité. Et voila comment une fois de plus en voulant faire le bonheur des gens malgré eux, on en revient à leur compliquer la vie.
01:14 Publié dans DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : rupture conventionnelle, forfait social, droit, travail, droit du travail, lettre, chaissac, avocat, transaction, licenciement