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27/03/2013

Arroseur arrosé

Licencié pour faute grave, pour cause de harcèlement de ses collaborateurs, un manager conteste son licenciement au motif qu'il était lui-même harcelé. La Cour de cassation reconnaît le double harcèlement et en tire une double conclusion : le licenciement du harceleur est justifié, les faits de harcèlement des collaborateurs étant établis, mais étant lui même harcelé il ne peut être considéré comme ayant commis une faute grave. Il bénéficiera donc d'une indemnité de licenciement et de préavis. Si le salarié se trouve protégé par la faute initiale de l'employeur, il n'en est pas moins mouillé par son comportement, ce qui arrive lorsque la vague est plus haute que la protection.

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Cette version moderne de la première comédie cinématographique, le film l'arroseur arrosé de Louis Lumière, est malheureusement moins comique. Mais elle nous livre deux enseignements. La première est que l'entreprise qui envisage de reprocher une faute à un salarié doit toujours balayer devant sa porte et se demander si elle-même est au dessus de tout soupçon. La seconde est qu'un salarié, même subordonné, demeure responsable de ses actes, surtout lorsqu'ils constituent des délits, le harcèlement faisant l'objet de sanctions pénales.  Les juges évitent ainsi de justifier le harcèlement en cascade tout en démontrant qu'il n'est pas impossible d'être à la fois coupable et victime.

Cour_de_cassation Chambre_sociale 29_janvier_2013.pdf

19/03/2013

Chauve ou Souris

C'est intéressant la chauve-souris. Voyez mes ailes, je suis oiseau, voyez mon poil, je suis souris. Elle n'a pas à choisir la Chauve-Souris. Elle cumule les qualités : une ouïe de sonar, une vision nocturne hors-pair (et non, elles ne sont pas aveugles) et un odorat de compétition. Agaçant les gens qui cumulent comme cela des aptitudes à tout. C'est peut être pour cette raison qu'elles ont longtemps été persécutées et qu'elles continuent à effrayer.

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Albert Penot - La Chauve-Souris - 1880

Elle a agacé ses confères syndicaux à vouloir cumuler les qualités la CGC. En tant qu'unique confédération syndicale catégorielle, elle bénéficie d'un mode de calcul de représentativité qui ne porte que sur le second collège (ou le second et le troisième lorsqu'il en existe trois). Mais pas sur le premier qui regroupe les ouvriers et les employés. Forte d'une représentativité de 35 % calculée sur l'ensemble de l'entreprise, le syndicat CGC d'une société entendait pouvoir signer seule un accord d'entreprise non catégoriel. Saisi par la CGT, le juge s'y oppose : quand bien même son score serait supérieur à 30 % au niveau de l'entreprise, en ayant fait le choix d'être catégorielle, la CGC ne peut signer seule un accord d'entreprise. Pas question de faire sa Chauve-Souris et de calculer des représentativités variables selon les circonstances. Catégorielle tu es, catégorielle tu resteras. Si la décision de la Cour d'appel de Versailles est limpide (CA Versailles), reste à savoir ce que la Cour de cassation dira sur la question.

13/03/2013

Travailler ne suffit pas

Certaines représentations sont tenaces, et qu'elles soient fausses ne paraît avoir aucune importance : elles sont tellement établies qu'elles sont tenues pour évidence et ne soulèvent guère de question. Ainsi de la formation en alternance : à l'école on se forme, en entreprise on travaille. En formation on acquiert la connaissance, la théorie, dans l'entreprise on met en oeuvre, on pratique. Sauf que cette représentation binaire des rapports entre école et entreprise est doublement erronnée. D'abord parce que se former c'est du travail, et si l'on veut se former, il vaut mieux travailler. Ensuite parce que le travail est formateur, dans certaines conditions, celles qui rendent possible l'apprentissage.

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Georges Mazilu - Le peintre et l'apprenti - 2004

Pour avoir oublié que dans l'apprentissage, l'entreprise est un lieu de formation, et pas simplement de travail, EDF a vu le juge requalifier un contrat d'apprentissage en CDI de droit commun. L'entreprise avait eu le tort de se contenter de mettre l'apprenti en situation de travail, sans l'organiser de telle manière que l'apprenti bénéficie d'une formation professionnelle complète, selon les termes du code du travail. Car tel est bien le coeur de la formation en alternance : être organisée à partir d'un travail dont le contenu et les modalités sont organisées de telle manière que le salarié bénéficie d'une réelle formation dans l'entreprise. Merci au juge de nous rappeler qu'en formation on travaille, et qu'en entreprise on se forme.

Cour de cassation - 12 Février 2013.pdf

26/02/2013

Le retour

Le retour a ses ambivalences. Il peut être madeleine de Proust, voyage vers les odeurs, les senteurs, les lieux, les couleurs qui nous ont marqués. Il peut être l'émotion de retrouver ceux que l'on ne devrait jamais quitter. Il peut vous saisir par tous les sens. Mais il y a des retours moins fringands, qui sonnent comme des défaites, de piteux replis sur des cases de départ dont on est plus sûr du tout qu'elles en connaîtront un nouveau. J'ai souvenir d'un pot de départ en l'honneur d'une responsable formation qui avait temporairement remplacé la titulaire, lors de son congé maternité. Le discours qu fit ce jour là le DRH signifiait clairement à la remplacée que ce que l'on appréciat le plus chez elle, c'était ses absences et que l'on regretterait bien fort la remplaçante. Le DRH attribua sans doute aux suites de la maternité, qui perturbe l'équilibre féminin  c'est bien connu, les quelques larmes qu'il aperçut peut être sur les joues de la remplacée, ce qui n'est pas certain tant il n'avait d'yeux que pour la remplaçante.

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Georges Mazilu - Le retour du fils prodigue

Dans l'affaire jugée le 12 février dernier (Cass soc, 12 février 2013, n° 11627.689), le retour des salariés n'avait rien d'une madeleine. L'entreprise avait en effet pour pratique de les convoquer systématiquement à un entretien de retour au cours duquel leur était expliqué les désastreuses conséquences de l'absence en terme d'organisation et surtout de désorganisation. Cet entretien concernant également les absences pour maladie, un salarié considéra qu'il était discriminatoire. A raison selon les juges. Ni le rappel moral, ni la culpabilisation ne sont admissibles dès lors que, comme nous l'avons constaté hier, le salarié ne peut être tenu pour responsable de son absence en l'absence de toute décision de sa part. L'entretien de recadrage, sensibilisation dans le langage de l'entreprise, constitue donc une discrimination. Nouvelle preuve que le droit et la morale font rarement bon ménage.

25/02/2013

Allo docteur ?

Le Gouvernement souhaite supprimer la journée de carence dans la prise en charge des arrêts maladies des fonctionnaires. On saisit mal, en effet, pourquoi des personnes qui cotisent pour garantir leur revenu en cas de maladie devraient en être privés le premier jour. Par souci d'égalité avec le privé, rétorque-t-on le plus souvent, puisqu'un salarié est soumis à une carence de trois jours. Sauf que si l'entreprise a souscrit une prévoyance, ces trois jours sont souvent ramenés à zéro. Résultat, comme souvent, la ligne de partage n'est pas entre public et privé mais entre salariés des grandes entreprises et fonctionnaires et salariés des petites entreprises.

Au-delà de l'égalité, on a pu entendre des commentaires sur les abus des arrêts maladies et voir ressurgir la notion de "faux-arrêts maladie". C'est ici qu'il faut à la fois faire un peu de droit et appeller le docteur.

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Van gogh - Le docteur Gachet

Car en droit, seul celui qui a la capacité de décider est coupable. Or, en matière d'arrêt maladie, le salarié ne décide rien. Seul le médecin peut prendre la décision d'arrêter un salarié pour cause de maladie. Du point de vue du salarié, la notion de "faux arrêt maladie" est donc absurde. Peut être l'est-elle moins du point de vue du toubib. Inutile donc de refaire le procès des salariés et ici, en l'occurence, des fonctionnaires. Si l'on considère qu'il y a des arrêts de complaisance, il faut appeler les docteurs.

19/02/2013

Comme un accord

Dans le Sud, on se tape souvent dans la main pour marquer un accord, et cochon qui s'en dédit ! si la main tapée est insuffisante pour une rupture conventionnelle, pour les juges toulousains, le principe reste le même : dès lors que le consentement est donné librement, la rupture conventionnelle est valable. C'est ainsi que la Cour d'Appel de Toulouse a validé une rupture conventionnelle survenue pendant l'arrêt maladie d'un salarié. Rien en effet ne s'oppose à ce que la rupture intervienne lors d'une suspension du contrat de travail, à la seule exception des congés qui protègent le salarié d'un licenciement. Mais tel n'est pas le cas d'un arrêt maladie.

tsio_00065 D'un commun désaccord.jpgThierry SIGG - D'un commun désaccord

Après coup, le salarié contestait la validité de la rupture conventionnelle, signée à son domicile pendant un arrêt maladie. Pour le juge, la circonstance est insuffisante, à elle seule, pour invalder l'accord de rupture (CA Toulouse, 16 novembre 2012). En l'absence de tout abus de l'employeur, la rupture est valide. Car c'est bien cela qu'il convient de vérifier au final : le consentement a-t-il été donné de manière libre et éclairée ou non ? et l'on rappellera en ce domaine que plus le salarié est censé se trouver en situation de faiblesse, plus il sera indispensable de lui demander d'être assisté, préférentiellement d'un représentant du personnel. Ce qui rendra l'accord très difficilement contestable. Remercions tout de même les juges de n'avoir pas suivi l'avis de ceux qui voient dans toute rupture conventionnelle la main du vilan employeur qui étrangle le gentil salarié.

14/02/2013

Planquez les clés !

Elle était restée connectée, et tout est là. Si elle avait été posée négligemment sur le bureau, même tout à côté de l'ordinateur voire en contact avec lui mais sans être connectée, le juge en aurait peut être décidé autrement. Mais voilà, elle était connectée. J'ai toujours été fasciné par la manière dont le droit est capable de modifier radicalement la nature des choses pour bien peu de choses. Ainsi, je trouve d'une grande poésie qu'une statue posée sur un socle soit un meuble, mais qu'elle devienne un immeuble par destination en cas de scellement ou d'insertion dans une niche créée pour elle. Pouvoir ainsi modifier sa nature profonde en fonction de sa destination est une douce invitation au voyage.

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En laissant la clé connectée à son ordinateur, la salariée n'avait sans doute pas conscience que l'objet qu'elle considérait comme personnel, devenait du fait de son insertion dans un ordinateur professionnel, en quelque sorte "professionnelle par destination". Cette qualité autorisait donc l'employeur à ouvrir la clé et consulter les documents y figurant, comme il aurait pu le faire avec l'ordinateur de la salariée sans avoir à procéder à ce contrôle en sa présence. Et les copies qu'il y découvrit étant des documents confidentiels qui n'avaient rien à faire sur une clé personnelle à destination professionnelle (car comme la chauve-souris, la clé peut avoir une double nature), il était fondé à procéder au licenciement. Avis donc à tous les kleptomanes de la copie : planquez vos clés !

Cass. Soc 12 Février 2013 Clé USB.pdf

07/02/2013

Work in progress

J'aime les travaux en cours (comme toute personne qui est toujours en retard me direz-vous, syndrôme de la procrastination) et du coup j'aime les études, esquisses, dessins préparatoires, manuscrits gribouillés, bouts de feuillets noircis à la va vite, petits carnets de notes, cahiers de croquis, bref tout le fatras dans lequel apparaît toute la vie que l'on verra ensuite ordonnée dans l'oeuvre, du moins lorsque le peintre a du talent. Tel est le cas, par exemple, de Gustave Moreau ou d'Ingres, dont les dessins préparatoires fascinent tout autant que les toiles.

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Gustave Moreau - Etude pour Salomé

JD Ingres - Etude pour le Bain Turc

Dans les six mois qui viennent, va s'élaborer le Compte Personnel de Formation, qui sera au DIF ce que le papillon est à la chenille. Lorsque je présente l'ANI du 11 janvier 2013 et les principes qui régiront le Compte, j'ai souvent des réactions de protestation : mais alors on ne sait pas comment ça va marcher, rien n'est calé, c'est incroyable de signer des textes sans savoir où l'on va. Ingres et Moreau savaient-ils où ils allaient lorsqu'ils travaillaient leurs dessins ? ou bien les choses se sont-elles mises en place petit à petit, ou par à coup, ou par rupture ? qui sait ?  On dit parfois que le voyage compte plus que la destination. Dans l'élaboration des droits nouveaux, il ne faut pas oublier la beauté de la construction et considérer qu'elle conditionne souvent la beauté du résultat.

05/02/2013

Découverte

Elle a le sourire coquin et le visage mutin, ses courbes ne manquent pas de grace, et l'on se demande si ce n'est pas en l'honneur de sa nudité qu'elle fût placée au fronton du Palais de la Découverte, qui du coup s'en trouve bien nommé. Mais peut être les visiteurs, en quête de découvertes et non de découvertes, ne lèvent-ils pas suffisamment la tête et de fait se privent du riant visage. Ainsi ne voit-on pas, à l'instar de la lettre volée, ce qui ne demande qu'à s'offrir à nous.

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Il en va de même avec le dispositif du congé de formation des jeunes travailleurs. Alors que la loi sur la refondation de l'Ecole Républicaine se propose de doter chaque jeune sorti du système scolaire d'un crédit formation (voir ici), il faudrait peut être signaler aux rédacteurs, que le dispositif existe depuis plus de 40 ans sous la forme du congé formation des jeunes travailleurs. Ce droit, tombé dans l'oubli et totalement inusité, figure aux articles L. 6322-59 et suivants du Code du travail. Il permet à tout jeune n'ayant aucun diplôme de bénéficier d'une absence payée par l'entreprise à hauteur de 200 heures par an pour suivre une formation qualifiante. Plutôt que de créer un nouveau droit, il suffirait de provoquer la (re)découverte de celui-ci pour permettre rapidement l'accès à la formation de milliers de jeunes qui ne manqueront pas  d'aller saluer, en hommage à cette renaissance, la belle découverte.

03/02/2013

Forfait jour, la machine à sous

Ils sont cadres, ils font partie du comité de direction, ils sont positionnés à un niveau élevé dans la convention collective, ils correspondent aux catégories de salariés qui peuvent entrer dans le forfait en jours. A priori, pas de problème donc. Leur travail : suivre l'activité des machines à sous dans le Casino. Ces machines qui furent tantôt autorisées, tantôt interdites, que l'on appelle les Bandits manchots et qui furent parfois transformées, comme cette Gitane, en machine à prédire l'avenir lors de leur période de prohibition. Mais dans cette histoire, la véritable machine à sous ce fût le forfait en jours.

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La Gitane - 1935 -

Si l'un des salariés avait consulté la Gitane, elle lui aurait peut être prédit une rentrée d'argent et que son jour de chance serait le 23 janvier 2013. Ce jour là, la Cour de cassation, infirmant une décision de la Cour d'Appel de Versailles, jugea que dès lors que l'on imposait aux salariés des plannings de présence obligatoire dans les salles de machines à sous, serait-ce en vertu de la règlementation particulière applicable aux jeux de casino, et même si toutes les conditions étaient réunies par ailleurs, il n'était pas possible de les rémunérer sur la base d'un forfait en jours. Pour les entreprises qui ne l'auraient pas compris, le rappel de la Cour de cassation, qui n'est pas le premier, est limpide : le forfait en jours est totalement incompatible avec une prescription d'horaires, des plannings obligatoires ou des obligations de présence. On aurait pu s'en douter, il suffisait de lire la définition de l'autonomie, première condition pour pouvoir conclure une convention de forfait en jours. Au suivant ?

Cass Soc 23 janvier 2013 - Forfait en jours.pdf

15/01/2013

Le DIF, ce phénix

Je vois ce qui m'est caché à tout jamais
Quand tu dors dans la clairière de ton bras sous les papillons de tes cheveux
Et quand tu renais du phénix de ta source
Dans la menthe de la mémoire
De la moire énigmatique de la ressemblance dans un miroir sans fond
Tirant l'épingle de ce qu'on ne verra qu'une fois

 

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Voilà, le DIF tel le phénix se prépare à mourir puis renaître sous la forme du compte personnel de formation. Et si vous voulez savoir pourquoi  l'ANI du 11 janvier 2013 constitue l'acte II de la réforme de la formation professionnelle entamée en 2003, séchez vos larmes pour lire les commentaires ci-dessous.

 

ANI 11 01 2013 ET FORMATION-JPW.pdf

09/01/2013

Gardarem la lingua

C'est vrai que l'affaire remonte loin. De l'ordonnance de Villers-Cotterets, en 1593, qui reste le plus vieux texte juridique en vigueur, à la loi Toubon de 1994, nos législateurs n'ont eu de cesse que d'affirmer la primauté, pour ne pas dire l'exclusivité, de la langue française. Ce centralisme s'est d'abord exercé au détriment des langues régionales et autres dialectes qui font la richesse des terroirs, avant de constituer un rempart contre la mondialisation et  l'anglophonisation. Comme on le voit, le danger vient de partout et la langue française doit manifestement se garder de tous côtés.

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La Cour de cassation a pourtant ouvert une brèche au mois de juin dernier, en indiquant que pour des raisons de sécurité, il était légitime d'exiger qu'un pilote d'Air France sache lire une documentation en anglais sans pouvoir en exiger une traduction (Cass. Soc. 27 juin 2012). La Cour d'appel de Grenoble, dans un arrêt du 5 décembre 2012, fait fi de toute contrainte : pas question pour Danone d'installer un logiciel en anglais dans une de ses sociétés qui, ayant son siège et  ses établissements en France doit nécessairement utiliser des outils en langue française (CA Grenoble, 5 décembre 2012). Impossible donc pour les calandrettes occitanes d'utiliser la langue qu'elles enseignent pour la gestion de leurs salariés. Ceux qui pensent ainsi contribuer à la défense de la langue française par l'érection de digues toujours plus hautes, ne font que conforter la traditionnelle faiblesse des français pour les langues étrangères, au rang desquelles ont peut désormais classer les langues régionales. Cela s'appelle se tromper de combat et persévérer dans l'erreur.

08/01/2013

Le gardien et le tireur de penalty

Lorsque je travaille avec des responsables ressources humaines et qu'ils me parlent des représentants du personnel, je n'échappe pas toujours à la remarque : "De toute façon, ils peuvent tout faire, prendre leurs heures de délégation quant ils veulent, poser toutes les questions, faire durer les réunions, demander des expertises, refuser de voter un avis de comité d'entreprise, et on ne peut rien faire". Et lorsque je travaille avec des représentants du personnel, je n'échappe quasiment jamais à la remarque : " On peut se démener dans tous les sens, utiliser tous les moyens à notre disposition, dans toutes les instances, lorsque l'entreprise a pris une décision, de toute façon elle la mettra en oeuvre et on ne peut rien faire". Bien évidemment, les deux ont raison.

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Ramon Masats - Madrid - 1957

Et je ne peux m'empêcher de penser au moment du tir de penalty : pour le gardien, le tireur est tout près, il est énorme, lui est tout petit et la cage des buts est immense. Pour le tireur, il est très loin, le gardien est immense et la cage des buts minuscule.

Si les RH et les représentants du personnel ont également raison c'est parce que notre législation en matière de droit collectif du travail  s'est construite sur un principe auquel il n'est quasiment jamais dérogé et que l'on peut exprimer ainsi : les représentants du personnel auront d'autant plus de moyens d'actions qu'ils sont dénués de toute capacité d'intervention sur les décisions de l'employeur. C'est pour la même raison, préserver le pouvoir de l'employeur directement issu du droit de propriété et donc conçu comme un droit patrimonial inaliénable, que le droit du travail ne connaît quasiment pas l'avis conforme du comité d'entreprise nécessaire à la mise en oeuvre de décisions de l'employeur. Un tel principe a toujours été refusé à la fois par certains syndicats pour qui ce serait de la cogestion et par les employeurs pour lesquels ce serait une quasi-expropriation (ne plus être maître chez soi). Pourtant, la codécision est un principe largement en vigueur en Allemagne, mais c'est curieux, ce n'est jamais ce principe là que l'on songe à importer lorsque l'on se compare à nos voisins. Et c'est pourquoi le gardien et le tireur continuent à partager l'angoisse du tir du penalty.

19/12/2012

Eloignez-vous !

On habite où l'on veut, ou bien où l'on peut. Etre salarié ne change rien à l'affaire. Les tribunaux ont toujours garanti la liberté du salarié de fixer son domicile où il l'entend, limitant les clauses de résidence à l'existence de conditions objectives et impératives. De ce fait, un salarié peut s'éloigner de son lieu de travail, et puis s'en éloigner encore. Le temps de trajet, conséquence de son choix, est son problème. Mais pas le coût du trajet, qui est aussi celui de l'entreprise.  En effet, depuis la loi du 20 décembre 2008, l'article L 3261-2 du Code du travail oblige l'employeur à prendre en charge 50 % du coût de l'abonnement aux transports publics. L'éloignement du salarié entraîne donc un surcoût pour l'employeur, jugé trop élevé pour une entreprise qui refusa de prendre en charge les 50 % règlementaires au motif que c'était par convenance personnelle que le salarié s'était éloigné. Comme si les convenances personnelles ne devaient pas intervenir dans le choix d'un domicile personnel. Le juge ne pouvait que censurer, et c'est ce qu'il fît.

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En effet, les dispositions du code du travail visent le coût du déplacement entre la résidence habituelle et le lieu de travail, sans fixer aucune condition relative à la distance géographique. Dès lors, quel que soit le lieu choisi par le salarié, le coût de 50 % du transport collectif s'impose à l'employeur (Cass. Soc, 12 décembre 2012). Voilà qui encouragera peut être quelques salariés à aller voir ailleur si l'herbe est plus verte, car l'éloignement des métropoles est encore le meilleur levier pour faire baisser le coût de l'immobilier, et si en plus l'entreprise participe aux coûts supplémentaires de trajet, il est possible au final d'être gagnant dans l'affaire. A vos indicateurs de chemins de fer !

Cass Soc 12 décembre 2012 Frais de transport.pdf

13/12/2012

Vie privée, vie publique

L'employeur ne peut s'intéresser à la vie privée de ses salariés. Cela constituerait une discrimination puisque la situation de famille fait partie de la liste des 18 discriminations prévues par le Code du travail (art. L. 1132-1). Mais la vie privée du salarié peut être opposée à l'employeur, qui la découvrira donc à cette occasion. Dans une affaire jugée le 12 octobre dernier, la Cour de Cassation a une fois de plus confirmé que la vie privée du salarié constituait un casse-tête pour les entreprises qui auront sans doute du mal à se repérer dans les règles à appliquer, notamment en matière de mobilité.

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Il s'agissait d'une salariée dont le contrat de travail comportait une clause de mobilité. Son entreprise la mute de la Rochelle à Niort en application de cette clause. La salariée refuse, invoquant notamment que son mari est entrepreneur à La Rochelle. La Cour d'appel valide le licenciement par l'entreprise pour non-respect de la clause de mobilité. Pas la Cour de cassation qui censure au motif que la mutation portait atteinte au droit de la salariée à une vie personnelle et familiale. Passons sur l'inégalité fondamentale, discriminatoire, qu'une telle décision porte en germe : la situation de famille d'un salarié permettra de justifier ou non une décision puisqu'ici une salarié célibataire n'aurait pu s'opposer à la clause de mobilité. Et constatons que ce que l'employeur n'a pas le droit de connaître ni de considérer, par principe, il doit le prendre en compte lorsque le salarié l'invoque. A multiplier ainsi les injonctions contradictoires à l'encontre des employeurs, il n'est pas certain que l'on contribue à l'atteinte de l'objectif recherché. Car qui pourra légitimement expliquer à un employeur qu'il ne doit pas tenir compte de la situation de famille d'un salarié et ne poser aucune question à ce sujet, si c'est cette situation qui détermine le champ de sa capacité de décision ? les juges sont-ils naïfs à ce point ? toujours est-il qu'ils viennent de se tirer une balle dans le pied et peut être, contrairement aux apparences, dans celui des salariés qui ont parfois déjà bien du mal à protéger leur vie privée.

Cass. soc., 17 octobre 2012.pdf

06/12/2012

Il va falloir s'y habituer

Il n'est pas rare que l'environnement se modifie sans que l'on en prenne véritablement conscience. Si notre propre quotidien n'évolue pas, ou peu, il est tentant de considérer que rien ne change non plus ailleurs. Manifestement les employeurs n'ont pas encore intégré la portée des positions prises par la Cour de cassation en matière de maintien de l'employabilité du salarié. Mais les décisions commencent à s'accumuler et à créer un paysage nouveau auquel il va bien falloir s'habituer, comme devront prochainement s'habituer au mariage gay même ceux qui ne souhaitent pas y recourir (rassurons les, il s'agira d'une liberté et non d'une obligation).

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New-York - 2011

Dans l'affaire jugée le 21 novembre dernier, un magasinier reprochait à son employeur de ne l'avoir formé que 5 jours en trente ans d'activité. La réponse de l'employeur tient en deux arguments : d'une part l'obligation d'adapter le salarié ne m'oblige pas à faire des formations inutiles et la formation de 5 jours était suffisante, et d'autre part le salarié ne fait état d'aucun préjudice résultant de l'absence d'autres formations. Perdu. Lorsqu'un emploi ne nécessite que très peu de formation et qu'il est tenu pendant une longue période, l'entreprise doit permettre au salarié cantonné à des tâches répétitives de préserver une employabilité plus large (C. trav., art. L. 6321-1). Et d'autre part, le fait de ne pas avoir été formé constitue en lui-même un préjudice. On pourra trouver la jurisprudence rigoureuse, elle n'est que la conséquence d'un contenu d'emploi restreint et non évolutif. Et il va falloir que les entreprises s'y habituent car, dans ce domaine comme d'autres, il n'y aura pas de retour en arrière.

Cass. soc. 21 novembre 2012 - Obligation d'adaptation.pdf

26/11/2012

Le masque du taureau

Il est un mythe dont la longévité paraît éternelle, celui de la durée du travail des cadres. Depuis la loi du 20 août 2008, qui a ouvert le forfait en jours aux non cadres, il n'existe pourtant plus aucune spécificité dans la législation du temps de travail, pour les cadres. Seuls les cadres dirigeants, en qualité de dirigeants, échappent à l'essentiel des règles régissant le temps de travail. Pour le reste, cadres ou non cadres peuvent voir leur durée du travail fixée en heures ou en jours selon leur activité et le droit conventionnel qui leur est applicable. Mais avant 2008, le forfait en jours était réservé aux cadres. Petit malin, du moins le croyait-il, un employeur bombarda cadre un salarié pour lui faire signer dans la foulée une convention de forfait en jours. La Cour de cassation, dans une décision du 21 novembre, censure cet artifice. Etre cadre ne suffit pas : ce qui conditionne le forfait en jours c'est la réalité de l'autonomie. Le masque est insuffisant et celui de taureau ne nous empêche pas de reconnaître Picasso.

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Gjon Mili - Picasso - 1949

 Mais le juge n'a débarassé le salarié de son masque qu'en matière de forfait jours, puisque la condition d'autonomie n'était pas remplie. Pour le reste, le salarié ayant un avenant au contrat qui lui accord la qualité de cadre, l'employeur est tenu de lui verser le salaire et les avantages correspondant. Sous le masque du faux-cadre, le cadre demeure. L'employeur aurait pu s'en douter s'il s'était souvenu que si l'on enlève le masque de Taureau, on voit Picasso et c'est toujours un taureau.

Cass. soc. 21 Novembre 2012 - Cadre au forfait.pdf

20/11/2012

La Cour enfonce le clou

Chaque décision de la Cour de cassation en matière de forfait en jours, est un clou supplémentaire sur le cercueil des espérances de ceux qui voyaient dans ce dispositif un forfait tous horaires permettant de s'affranchir de toute règle légale et de gérer la durée du travail comme bon leur semble.

Dans une décision du 31 octobre dernier, les magistrats rapellent une nouvelle fois que la loi a posé quatre conditions légales à la validité du forfait en jours : un accord collectif, un accord individuel, une réelle autonomie dans l'organisation du temps de travail et un dispositif de suivi et de régulation de la charge de travail, dont un entretien annuel spécifique. Tous ces points donnent lieu à litige mais, le management en France étant ce qu'il est, c'est bien souvent le motif de défaut d'autonomie qui est invoqué. Après la jurisprudence Décathlon, la Cour de cassation confirme son contrôle sur la réalité de l'autonomie du salarié et estime que lorsque l'entreprise fixe le planning de travail, elle ne peut prétendre que le salarié est autonome, même si elle ne prescrit pas ses horaires. Aïe, le clou.

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Amie Dicke

Dans une deuxième décision, la Cour de cassation devait se prononcer sur le cacul du forfait en jours lorsque le salarié bénéficie de jours de congés conventionnels. Faut-il déduire les congés conventionnels du forfait fixé à 217 jours comme le prétendait l'organisation syndicale à l'origine du recours, ou bien simplement les déduire du nombre de jours de travail théorique, comme le prévoit la convention de la métallurgie ? pour les tribunaux, qui suivent l'argumentation du syndicat, les congés conventionnels doivent être déduits du nombre de jours inclus dans le forfait, sinon cela reviendrait à priver le salarié de cet avantage supplémentaire. Ce qui confirme que les jours d'absence, comme les jours de maladie, ne doivent être déduits que des jours travaillés et sont sans incidence sur les jours non travaillés (en clair, les jours appelés à tort de RTT ne doivent pas être proratisés et sont fixés de manière définitives - voir ici). Beaucoup d'entreprises ont encore du mal à intégrer ces logiques de décompte des absences des jours travaillés, mais on peut faire confiance à la Cour de cassation pour continuer à enfoncer le clou.

Cass. soc. 31 octobre 2012 Forfait jours - Absence d'autonomie.pdf

Cass. soc., 11 juillet 2012, Forfaits en jours - Jours conventionnels de congés.pdf

15/11/2012

Encore des lyonnaises !

On se souvient de Florence, Céline et Sandrine, les trois juges du TGI de Lyon qui ont condamné la Caisse d'Epargne pour un système de management générateur de stress (voir ici). Voici maintenant un nouveau trio lyonnais, ou plutôt un nouveau trio de lyonnaises, magistrates à la Cour d'Appel de Lyon : Nicole, Hélène et Marie-Claude. Les prénoms laissent deviner une moyenne d'âge un peu supérieure aux précédentes, mais quant aux décisions, ça décoiffe tout autant. Pour la première fois, une faute inexcusable est reconnue à l'encontre d'une entreprise de travaux publics en raison du décès, suite à un cancer, d'un salarié chargé de la pose d'enrobés (bitume). La société a, un peu maladroitement, essayé de se défendre par un discours assez général sur les conditions de travail dans les travaux publics et le fait que finalement pour poser du bitume il faut nécessairement l'approcher et être exposé au soleil puisque ces activités se réalisent essentiellement pendant les périodes d'été. Le trio de magistrate n'a guère entendu ces arguments, renvoyant l'entreprise à ses obligations.

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Lucas Cranach - Les trois Grâces

Voilà dix ans que toute entreprise doit élaborer un document unique d'évaluation des risques professionnels. Lequel consiste en un diagnostic exhaustif des risques auxquels sont exposés les salariés du fait de leur activité. Le point clé du jugement est le refus de l'entreprise de produire ce document en justice, ce que les trois magistrates ont traduit comme une absence totale de travail d'évaluation, d'où l'inexorable faute inexcusable. Les motivations des juges constituent à ce titre un rouleau compresseur qui n'a rien à envier à ceux qui aplanissent les enrobés. Voilà des années que j'attends, et ces décisions ne font qu'attiser mon impatience, qu'un sociologue se penche sur les évolutions de jurisprudence depuis que les femmes ont remplacé les hommes sous les robes noires. Après la justice de classe, on découvrirait peut être une justice de sexe.

CA Lyon - 13 novembre 2012.pdf

14/11/2012

Il est interdit d'interdire (l'alcool)

En ces temps où la plus triviale pornographie cohabite sans difficulté avec la morale la plus plate, où l'on mettra bientôt des photos de foies cirrhosés sur les bouteilles de vin après avoir habillé les paquets de cigarette de reproduction de poumons cyanosés, bref en une période où il ne manque pas de prétendants à décréter ce qui est bon pour vous, l'employeur pensait sans doute que sa décision ferait l'unanimité. Il avait en effet inscrit dans le règlement intérieur que toute consommation d'alcool était interdite dans les locaux de l'entreprise, y compris à la cantine. L'inspecteur du travail, soucieux des libertés des salariés, refusa qu'une clause aussi générale soit introduite dans le règlement intérieur. Saisi d'un recours, le Directeur régional du travail, tout empreint du sens du bien public, conforta l'employeur. Mais le juge veillait et la Cour administrative d'appel puis le Conseil d'Etat donnent raison à l'inspecteur du travail : il est interdit d'interdire totalement. Ce n'est donc pas demain que l'on videra la dernière bouteille.

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Studio Manasse - La dernière bouteille - 1930

Pour fonder leur jugement, les magistrats constatent tout d'abord que le Code du travail n'interdit que les boissons autres que le vin, la bière, le cidre, le poiré et l'hydromel (R. 4228-20). Ce qui permet de satisfaire quelques goûts. Ensuite que l'employeur ne peut, par le règlement intérieur, apporter de restrictions aux libertés individuelles que proportionnées au but recherché. Or, l'interdiction totale est excessive pour la protection de la santé des salariés. Car s'il existe un tabagisme passif qui justifie que fumer soit interdit en tout lieu de l'entreprise, on peine à imaginer un alcoolisme passif. Si des interdictions partielles peuvent être justifiées, pas de raison donc de mettre toute la restauration d'entreprise au régime aquatique forcé. Et puisque le produire français est à l'honneur, voici réaffirmée l'occasion de faire réviser leur géographie aux salariés en leur proposant de découvrir les différents vignobles parmi lesquels, bien évidemment, ceux du Sud-Ouest tiennent une place éminente. Et non, nous n'en sommes décidément pas à la dernière bouteille. Santé !

CE 12 Novembre 2012 - Caterpillar.pdf