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21/08/2016

69 fois à l'Est du Sud

Alors, c'est comment l'Australie ?

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Arrrggghhh ! C'est 5 000 km on the Road,

C'est 5 000 fois "Putain, c'est exceptionnel...."

C'est 5 000 photos

Non mais attends, tu l'as déjà faite celle-là, c'est ICI.

Ah ouais, mais non, ça n'a rien à voir, parce que l'Australie c'est

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Beaucoup plus que 5 000 fois  "Hey guys, how're you going ?"

Un arc-en-ciel parfait sur la route de Cap Jervis, qui enjambe la mer et les collines dans une lumière franche et tonique, pendant que Lou Reed s'envole dans "Such a Perfect Day"

Le petit-déjeuner au milieu des kangourous sur Kangaroo Island, île chamanique où les pierres parlent aux arbres qui répètent tout aux animaux qui dansent avec la lune

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Malcolm, vissé depuis 80 balais sur la côte Est qui m'explique en bougonnant que si j'ai pas vu la côte Ouest, j'ai rien vu de la vraie Australie

Les nuages qui s'ouvrent comme la Mer Rouge à notre passage pour révéler les îles Withsundays et tout à coup, comme mille déesses émergeant des profondeurs de la terre, la Grande barrière de corail

L'urgence des surfeurs qui courent sur la plage, dans l'eau et sur leur planche pour se glisser dans les plis de la vie éternelle, car la mer ne meurt jamais

Bruce l'américain, au physique d'acteur américain dont on a oublié le nom, qui importe de la moutarde de Dijon depuis la plage de Mainly

La houle de la mer qui te brasse corps et âme, et l’estomac aussi

Les villes de nulle part, au milieu de nulle part, où la vie n'est pas moins la vie que n'importe où ailleurs

Les murals de Melbourne, comme des livres d'images avec lesquels on peut faire le tour du monde en faisant le tour de son quartier

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Abir, l'allemand d'origine indienne qui vit à Londres, en parfaite cohérence avec son prénom qui signifie « mélange de parfums »,  et  me confiai sa passion pour les films de Godard alors que je lui faisais part du choc que furent les films de Fassbinder. Et tandis que le bateau nous ramenait de Fraser Island, nous nous enthousiasmions pour le panthéisme australien tout en constatant que nous ne pouvions vivre qu'au cœur de la culture de la vieille Europe

La lagune aux pélicans, en forme de bec de pélican, que l'on traverse interminablement, en espérant secrètement que cela ne finisse jamais et effectivement cela ne finit jamais

Le sparkling wine chardonnay pinot noir, première cuvée, qui se boit comme de l'eau de source, avec l'esprit des Dieux en plus

S'asseoir sur le Tropique du Capricorne en pensant au Père Miller et au copain Garrigue, lui envoyer la photo et recevoir en retour celle de cézigue hilare en train de courir un 100 m dans le stade d'Olympie, se dire que depuis l'enfance, on n’a pas trop perdu le fil et qu'il en reste encore des tonnes de conneries sublimes qui nous attendent

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Tous les jeunes français et françaises aux itinéraires singuliers, croisés au détour, qui ont en commun l'énergie, le désir, le pragmatisme et l'idéal

Les années 70 retrouvées sur la plage et dans les rues de Byron Bay, et un peu partout ailleurs aussi, pas seulement comme une mode vintage mais comme un temps qui s'enfuit moins vite

Les roches de fer de Dunk  Island dont l'électricité tellurique demeure, à fleur d'eau, 360 millions d'années après leur expulsion des forges du volcan, ce qui permet de toucher et ressentir les vibrations du temps

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25 jours sans odeur de tabac, où que l’on soit

Philip assis dans son rocking-chair lisant le journal au petit matin et me disant du haut de ses 90 balais : "J'ai une femme active, un chien, un chat et mes pilules pour la journée, je suis un homme heureux"

L'évidence que perdre le lien avec la nature est une mutilation définitive

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Les pubs irlandais affichant fièrement que la bière est la preuve que Dieu a voulu que les hommes soient heureux

Les Polaroïds de Manon, la jeune picarde expatriée à Sydney qui a saisi avec finesse l'Australie et porte d'ailleurs joliment la finesse en bandoulière

Les retraités qui sortent la caravane à la première occasion, et à la dernière aussi, et qui sillonnent les routes et emplissent les caravane-parks.

La troupe de saoudiens hilares qui auraient pu constituer une solide mêlée et qui ont d'ailleurs plaqué un irlandais saoul et excité et l'ont ligoté en trois secondes, ce qui nous a permis de poursuivre le long vol à travers les fuseaux horaires

La roche, le sable, les pierres, la poussière, et les couleurs du temps accumulées qui composent la croûte de la terre au centre du plus vieux des continents

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Les tremblements de terre, quasi-inexistants mais qui empêchent les avions de décoller lorsqu'ils surviennent près des côtes

Toute la littérature élisabéthaine qui semble ressurgir des mers déchaînées du Sud et des falaises rouges fracassées par le ressac. Et les corps naufragés dont la mer n'a que faire

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Les jeunes filles sportives de Port Fairy qui tenaient un salon de thé de grand-mères

 La clairière magique de Qdos et son jardin de sculptures, parmi lesquelles une Alice sautillante qui ouvre en riant les portes des merveilles

Le choc des 14 films en projection simultanées de Manifesto dans lesquels la belle Cate Blanchett joue 14 femmes dont les mots du quotidien sont les manifestes artistiques du XXème siècle. La preuve que la vérité est sous nos yeux, et qu'elle est insupportable

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Avoir fantasmé la Pacific One dans l'Ouest américain, où elle n'existe pas, et la savourer pendant des heures de l'autre côté du Pacifique

Les couleurs et les silences de l'Australie dans les peintures de Nicola  Perkin

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Les eucalyptus partout, mais tout particulièrement le long de la Great Ocean Road

Lentilles Anyway, le restaurant coopératif de Newton à Sydney, où l'on est servi par des volontaires souriants et où l'on paie ce que l'on veut

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Les jeunes lesbiennes déterminées, engagées et décontractées du Nord au Sud et leurs regards clairs

Un dimanche ensoleillé, à Melbourne, qui ressemble à l’ile de la Grande Jatte de Seurat

Les aubes et crépuscules qui se tirent la bourre pour t’en mettre plein la vue

Ange, le rugbyman dont la carrière naissante a été brisée par une vilaine blessure, et qui brûle la vie sans limite pour retrouver ses rêves de gosse

Le jour où je suis devenu un nuage, aussi simplement que l'on se lève le matin pour boire son café. Un nuage bien ancré sur terre.

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Le constat permanent qu'ici la nature et les animaux sont les véritables résidents des lieux, et te rappellent que tu fais aussi partie de la chaîne alimentaire

Le médecin à qui l'on rapportait les quatre motivations des médecins en France : "Money, Money, Money and Money", qui n'a pas souri et a simplement répondu : "It's human"

Traverser les grandes régions minières en écoutant Le chercheur d’or, d’Arthur H

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La démonstration quotidienne, si besoin était, que cool et professionnel vont très bien ensemble, et que l'un sans l'autre, cela redevient du travail ou du n'importe quoi

Loïc, venu ici sans diplôme et sans parler anglais, et qui a obtenu son visa en se rendant indispensable, exemple parmi d'autres que la mondialisation n'est pas le pré carré des upper-class

Les voiles de l'Opéra de Sydney qui s'illuminent soudainement et se parent de vert et jaune pour fêter l'ouverture des jeux Olympiques

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Goûter aux vins des vallées du Sud et boire de la géologie, de la géographie, de l'histoire, de l'aventure humaine, de la météo et du plaisir

Attaquer la Bruce Highway  avec les premières notes de Dancing in the Dark, rajuster ses lunettes noires et souhaiter que la route soit encore longue

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Les hautes, très hautes, fougères arbustives qui allègent la forêt tropicale de leurs ajours dentellés

Le crocodile blanc, scotché sur la berge d'une rivière poisseuse et qui se foutait bien de nos têtes ahuries

Les refrains lancinants de Blackstar, et la voix troublante de David Bowie, à la hauteur des paysages

Les dizaines de chauve-souris géantes qui finissaient d'obscurcir le ciel en fin d'après-midi par leur vol en rangs serrés

Les dingos, les koalas et les cassowaries qui étaient très beaux sur les photos annonçant leur présence

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Les trains de cannes à sucre fraîchement coupées qui sillonnent les grandes plaines du Queensland, serpentant au milieu des champs touffus qui attendent leur tour

Philip que je saluai le matin en lui demandant des nouvelles du temps et qui me répondait : "Demande à la fenêtre"

Les villages qui ne sont pas construits autour d'Eglises mais de stations-service

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L'impossibilité d'avoir un regard sur les jeux olympiques : où que l'on soit dans le monde, chaque pays ne montre que ses nationaux

Le chat Friday qui appréciait l'efficacité de Gigi, aussi redoutable businesswoman que lesbienne affirmée et revendiquée

Le rapide constat que la culture aborigène et la culture occidentale sont incompatibles ce qui suppose soit une partition soit une disparition, les deux étant à l'œuvre

La pleine lune qui nous avait donné rendez-vous à notre arrivée et provoqua notre départ avec un jour de retard

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L'ivresse permanente des premières fois qui te fait devenir nouveau, comme la vigne donne chaque année un raisin nouveau

La longue liste des animaux qui n'ont pas d'autre prédateur que l'homme

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Les peintures de Masson dans ce pays tellurique qui l'aurait enivré et qu'il a peint très exactement sans jamais l'avoir vu

Les baleines sauteuses, qui vont en nombre pair, et les requins de cinq siècles, toujours vifs

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L'intégralité de la gamme des rouges uniquement en regardant autour de soi, et aussi les verts, et les bleus et les jaunes et le noir. Couleurs primaires pour une terre primordiale

Cette heure, entre chien et loup, où surgissent tous les animaux

Le soleil et la lune, face à face, un petit matin clair entre mer et montagne

L'impromptue et improbable nuit passée chez un chinois dans cette ville où tout le Pacifique et l'Océan Indien semblait s'être donné rendez-vous

Le sentiment profond que l'Australie, ce n'est plus si loin

Ta main qui trouve la mienne sans hésitation en plongeant dans la grande barrière de corail et les multitudes colorées de poissons et coraux qui nous regardent un instant, et nous qui les voyons toujours

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10/08/2016

Nostalgie

Tout voyage est une nostalgie. Peut être de part sa fin annoncée. Peut être parce que l'on sait que l'on ne repassera jamais dans ce coin là, que l'on ne regardera jamais plus cette rue, ce ciel, cette lumière, ces gens que l'on croise et ceux avec lesquels on échange quelques mots. 

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Cette nostalgie, inhérente au voyage, elle vous saisit plus profondément à la vue d'un rémouleur des temps pas encore post-modernes. 

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Où lorsque vos pas croisent une station service qui ne sait pas encore que les années 70 sont terminées. 

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La nostalgie, dans sa version superficielle, c'est un peu de vintage et les couleurs de son enfance. 

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Et de manière plus profonde, ce qui vous a marqué, avec lequel vous vivez et qui contribue à vous changer tous les jours. 

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On n'est pas à Londres, mais le propre de la nostalgie est d'abolir temps et distances. Alors on peut être persuadé que c'est bien ici que les Pink Floyd ont enregistré leur meilleur album. 

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C'est également ici que l'on joue sa vie comme on joue on flipper : on gagne, on perd, mais toujours on espère s'en refaire une petite...gratuite !

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Pourquoi les années 80 ont-elles cette odeur de 70 alors qu'elles en furent la négation presqu'absolue ? 

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Et pourquoi ces vallons, battus par l'Océan Indien, sont-ils absolument semblables aux grands plateaux de l'Alentejo ? parce qu'ils suscitent tous deux l'envie de s'y établir, de mener une vie chamanique et d'écrire, ou alors parce qu'ils inscrivent en vous, irrémédiablement, un peu de saudade, une tenace nostalgie ?

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23/07/2016

Quant tu aimes il faut partir...

C'est un conseil de Blaise Cendrars, qui ne tenait pas en place et n'avait guère besoin de justifications pour tailler la route. Peut être la crainte de perdre la liberté pour une belle geôlière, comme le chantait Moustaki. Reste la solution d'embarquer la susdite, et le tour est joué. 

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Le paradoxe, c'est que ce blog pourrait bien s'en trouver revitalisé. Blaise Cendrars savait bien que l'envie d'écrire et l'envie de départ étaient les deux faces d'un même désir. Bon, assez causé, on y va. 

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20/05/2016

Le droit et la littérature

Confronté à Deep Blue, l'ordinateur d'IBM, Kasparov a perdu. Confronté à AlphaGo, l'ordinateur de Google, M. Lee a perdu. Dans le premier cas, la force du calcul, dans le second la puissance du calcul mais également la capacité à adapter ses choix (plutôt qu'à apprendre).  Parallèlement, le déferlement des robots "intelligents", au rang desquels la voiture qui se gare seule et conduit à votre place, renvoie l'individu à ses impuissances face à la technologie. Si ce monde là vous affole, vous effraie, vous ennuie ou vous révolte, offrez vous un petit plaisir : prenez un texte au hasard et soumettez le au traducteur de Google. Vous devriez être rassurés. Car lorsqu'il s'agit de littérature, la machine rend les armes et ses concepteurs n'en peuvent mais. Vainqueur aux échecs et au jeu de Go, quand la machine pourra-t-elle produire un quatrain de cette beauté : 

Nous promenions notre visage

(Nous fûmes deux, je le maintiens)

Sur maints charmes de paysages,

O soeur, y comparant les tiens.

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Francis Picabia - Littérature

Les hommes politiques l'oublient souvent (De Gaulle et Mitterrand le savaient) et d'ailleurs de plus en plus : le droit c'est de la littérature. Aussi, toutes les tentatives de créer de l'automatisme (depuis les peines planchers de Sarkozy jusqu'au barème des indemnités pour licenciement injustifié de Macron et Valls) dans le droit sont vouées à l'échec. Parce que la nature même du droit, son essence, est littéraire. Et que la littérature n'est pas calculable, encore moins lorsqu'elle s'applique aux comportements humains. C'est ce qui rend le métier de juge si complexe et interdit toute perspective de mettre une machine à sa place. Car le jour où il n'y aura plus de pouvoir du juge, aussi irritant soit-il parfois, il n'y aura tout simplement plus de droit. 

01/05/2016

Ah oui, c'est comme l'autre là...

C'était un de mes premiers travaux sur l'évaluation. Il s'agissait de dispositifs individualisés, en tout cas présentés comme tels. Et je devais évaluer. J'ai commencé par prendre une feuille blanche, un stylo (ça fait un peu daté, mais c'est comme ça) et lister toutes les possibilités d'évaluation. Je suis arrivé à 10 : la satisfaction, la mesure d'écart par rapport au cahier des charges, le benchmark, l'évaluation sommative, l'évaluation acquisitive,  les compétences utilisées, la réunion des conditions de réussite, l'amélioration de la performance, les effets non prévus, les dynamiques générées. Je présente le tout à un collègue qui me dit : "Ah, tu as pris le modèle de Kirkpatrick et tu l'as détaillé...". Le modèle de qui ? Kirkpatrick j'en avais jamais entendu parler, j'avais juste pris ma feuille et essayé de faire un peu de logique. 

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Alain Garrigue - Babylone Spirit - 1997

De temps à autres, des zigues se plantent devant les tableaux d'Alain Garrigue, regardent mais voient sans doute peu car il a droit à des : "Ah ouais, tu fais des couronnes comme Basquiat, comme des petits chapeaux, et des têtes de mort aussi, ah c'est pas mal, ça rappelle vraiment Basquiat...". C'est fort Basquiat, un génie, pas de problème. Mais Alain quand il peint ses toiles, les génies, les pas génies et tous les autres, c'est pas trop la question. T'es quand même face à la toile, avec la peinture, les éponges, les raclettes, les grattoirs, les pigments, le papier, la térébenthine, et tout ce qui traîne dans les fioles, les pots, les bassines, les boîtes, les tables, les planches, les torchons et tout le bordel qui encombre l'atelier. T'es pas plus avec Basquiat qu'avec Picasso, Klee ou De Kooning. Bien sûr que tu es gorgé de tout lorsque tu peins ou que tu écris ou que tu prends n'importe quelle décision à la gomme, mais sur le moment, ta  seule préoccupation c'est de faire un truc qui se tienne, qui soit cohérent avec ce qui fais que t'es planté là et  tu te fous bien, au moment où tu le fais, de savoir si ça a été fait ou non et si le premier rigolo qui passe va te parler de Basquiat ou d'un autre. Et puis il suffit de bien regarder et ça se voit :  le chapeau c'est celui d'Henry Miller, parce qu'on a toujours fantasmé de lui soulever le galure pour savoir ce qu'il avait dans la tête. Et ça nous fait bien marrer parce qu'avant de savoir ce qu'il y a dans une tête, t'as quand même le temps d'en dessiner, des petits chapeaux !

23/02/2016

P comme....PROFESSIONNALISATION

Défie toi du bœuf par devant, de la mule par derrière

et du moine de tous côtés (Miguel de Cervantes)

 Le cuisinier Ting dépeçait un beuf pour le prince Wen-houei.

On entendait des « houa » quand il empoignait de la main l’animal, qu’il retenait sa masse de l’épaule et que, la jambe arqueboutée, du genou l’immobilisait un instant.

On entendait des « houo » quand son couteau frappait en cadence, comme s’il eût exécuté l’antique danse du Bosquet ou le vieux rythme de la Tête de lynx.

-C’est admirable ! s’exclama le prince, je n’aurais jamais imaginé pareille technique !Le cuisinier posa son couteau et répondit :

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Beauté du geste (Catherine Huppey) 

Ce qui intéresse votre serviteur, c’est le fonctionnement des choses, non la simple technique. Quand j’ai commencé à pratiquer mon métier, je voyais tout le boeuf devant moi. Trois ans plus tard, je n’en voyais plus que des parties. Aujourd’hui, je le trouve par l’esprit sans plus le voir de mes yeux. Mes sens n’interviennent plus, mon esprit agit comme il l’entend et suit de lui-même les linéaments du boeuf. Lorsque ma lame tranche et disjoint, elle suit les failles et les fentes qui s’offrent à elle. Elle ne touche ni aux veines, ni aux tendons, ni à l’enveloppe des os, ni bien sûr à l’os même. (…)Quand je rencontre une articulation, je repère le point difficile, je le fixe du regard et, agissant avec une prudence extrême, lentement je découpe. Sous l’action délicate de la lame, les parties se séparent avec un « houo » léger comme celui d’un peu de terre que l’on pose sur le sol. Mon couteau à la main, je me redresse, je regarde autour de moi, amusé et satisfait, et après avoir nettoyé la lame, je le remets dans le fourreau. (…)

Tchouang Tseu (Traduction : Jean-François Billeter)

31/08/2015

Rappel

"Bon ben faut y aller là...

- hum....qu'est ce que tu dis ? ....aller où....?

- Comment ça aller où ? le travail, les clients, les travaux à rendre, je te connais tu dois déjà être en retard...

- t'as raison, j'ai toujours du retard de lecture, surtout que je viens de dégotter des Manchette du tonnerre et que je veux relire Ada ou l'ardeur...

- Quoi ? Ada ou l'ardeur ?

- Oui, parfait pour la liaison été-automne, solstice, exaltation, nostalgie juste ce qu'il faut, du solaire avec une brume légère...

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- Non mais la formation, les réformes, le CPF, les clients, le blog, la loi Rebsamen, la qualité, la certification...

- Mais ne pourrait-on envoyer un billet à l'égal de celui de Van dans Ada : "Papa, J'ai eu une petite prise de bec avec un inconnu que j'ai giflé et qui m'a tué, en duel, près de Kalougano, désolé, Van" ;

- Tu es sérieux ?

- Toujours...

- Mais c'est la rentrée...

- Non c'est demain...

- Demain ce sont les enfants...

- C'est bien ce que je dis".

14/08/2015

Des éclipses

Quand Monica Vitti

Au coeur de l’insomnie

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Nous rappelle

À nos éclipses

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On aura beau dire

On aura beau faire

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On en pourra pas nous retirer

Cette élégance des temps endormis

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Là-bas

En Atlantide.

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Jérome Leroy, Des éclipses, extrait d'Un dernier verre en Atlantide, Ed. de la Table ronde.

11/08/2015

Washington Square

Toutes les villes des Etats-Unis ont leur Washington Square, comme les villes françaises ont leur hôtel Terminus ou Au Lion d'or (l'esprit français, que voulez-vous). Mais celui de New-York a le pouvoir d'arrêter le temps dans la ville qui ne s'arrête jamais et qui connaît mieux l'argent que le temps. On y a même implanté un arc romain, alors que les villes historiques se sont toutes dotées de colonnes grecques pour essayer de donner un peu d'épaisseur temporelle à un pays qui fait tellement l'histoire qu'il ne peut s'empêcher de s'en raconter, des histoires et surtout la sienne. Bref, le Washington Square est une enclave magique, le point G de la grande pomme. 

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Dimanche soir, il y avait séance d'écriture collective. Chacun pouvait raconter une histoire, son histoire ou une autre histoire, en une page et une affiche. Toutes les histoires font ensuite une histoire qui fait un livre. J'en ai retenu deux. La première est celle des deux filles aux troubles alimentaires qui redécouvrent le paradis et la liberté. 

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La seconde est celle d'un jeune homme qui s'apprête à partir à Paris, et qui serait prêt à partir n'importe où ailleurs, parce qu'il aime une fille extatique. 

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La liberté et l'amour nous conduisent assez naturellement au trouple que rien ne trouble (pour ceux qui méconnaissent le trouple, voir ici). 

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Les Roméo new-yorkais ne miaulent pas sous les balcons de leur Juliette, ils apportent leur petit tabouret pour  le shooting de leur star personnelle. A vous décomplexer Blanche-Neige et les 7 nains !

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Des guitaristes des années 70, des artistes en herbe, en bois, en fer blanc et en carton pâte, des rêveuses en tous genres, des transgenres et d'étranges gens, des amis de passage, des avis partagés, des ravis allongés, des fumées sans feu, un peu de diable par la queue et je ne vous dis pas tout, vous n'avez pas rêvé, vous êtes au Washington Square. 

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10/08/2015

De l'énergie et pas qu'à revendre

Quel que soit l'intérêt et le charme de toutes les villes américaines, pas une ne dégage l'excitation, l'énergie, les vibrations, de New-York. Nougaro l'a chanté à sa manière, mais ici pas de doute, ça pulse. 

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A tous les étages, et à tous les coins de rue. 

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Evidemment, la chauve-souris de Gotham City s'y met aussi. La moindre des choses. 

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Bien sur, le trop plein d'énergie conduit souvent au n'importe quoi. 

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Mais la ville de l'image, du mouvement, et donc du cinéma, sait aussi se faire littéraire et vous plonger à tout moment dans un roman de James Ellroy. Des grandes envolées aux bas-fonds, le désir de tout trace souvent une ligne droite. Ici, c'est direct, c'est pas du Ronsard, c'est de l'amerloque. 

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25/07/2015

Variations d'été

Bon, pour le premier numéro de Liaisons Sociales, ce sera le 31 juillet. Mais d'ici là, on se sera plongé dans d'autres lectures, d'autres découvertes. La biographie de Rothko par Annie Cohen-Solal, pour débuter, car les chemins de l'été nous conduiront vers la chapelle Rothko, sous le soleil du Sud. 

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Et comme lire c'est aussi relire, pour aller dans le pays qui n'a pas d'histoire et où le pragmatisme règne, rien de mieux que de franchir à nouveau le seuil du jardin avec le promeneur éternel, André Hardellet.

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Sur la route de l'été, il y aura aussi la ville des murals, celle des graffeurs, des peintres de la rue, des artistes de la nuit, des clandestins au grand jour. Du coup, Arturo Perez Reverte et ses enquêtes artistiques s'imposait. 

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Et pour finir, est-il nécessaire de justifier un détour par la Grèce et ses conditions de vie réelles, loin des fantasmes et de la propagande financière, dont le dernier exploit est d'avoir réussi à substituer à l'Europe politique le seul projet de zone euro économique. Si l'on doutait que la politique était déliquescente, on pourra vérifier que les démocraties ne sont que le cache-sexe de vieilles monarchies où règne le monarque des temps modernes : l'argent. 

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28/05/2015

En direct du rivage des Syrtes

Le livre m'avait profondément marqué en mon adolescence. La forteresse au bout du désert. La réalité tremblante comme une oasis au milieu des dunes, comme un rêve, un mirage, un rivage. Le vrai temps retrouvé, quand plus rien ne le rythme. L'incapacité à s'établir dans l'inaction, l'impossibilité de vivre sans attente, le désir du désastre. Tout ceci écrit au rythme du sable qui glisse, invisible, le long de la vallée. Le rivage des Syrtes, comme une fin d'adolescence. Mais pourquoi tout d'un coup ce souvenir alors qu'il est question du COPANEF et de sa nouvelle décision...de ne pas décider ? Peut être parce que le charme du temps suspendu n'opère que lorsque c'est sa propre vie qui est en jeu, et beaucoup moins lorsque l'on joue avec celle des autres. 

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Le COPANEF a en effet, lors de sa séance du 26 mai dernier, décidé de différer à nouveau la question de l'inscription sur la liste nationale interprofessionnelle du CPF, les certifications figurant à l'inventaire établi par la CNCP. On pensait pourtant que le fait que de nombreux COPAREF et CPNEFP aient commencé à piocher largement dans l'inventaire constituerait une indication forte de l'intérêt de ces certifications et que le souci d'égalité d'accès primerait. Il n'en est rien. La prochaine échéance pour traiter de cette question est fixée au 7 juillet. D'ici là, l'attente se poursuit sur le rivage des Syrtes. 

29/01/2015

Des chiffres et des lettres

Dans "L'Esprit de Philadelphie" (2013), Alain Supiot analyse le passage d'un monde régi par les lettres ("Au commencement était le Verbe") à celui des nombres. Autrement dit, la substitution du calcul à la loi. La différence essentielle est que la loi, qui est littérature, suppose un travail de qualification, d'analyse, d'interprétation et laisse ouverte la question du sens. A l'inverse, le nombre construit un monde calculable, rationnellement établi et figé dans la vérité de l'équation. Avant lui, sous une autre forme, Rimbaud disait déjà la même chose (la poésie est un raccourci vers la vérité) : 

 Oh ! la science ! On a tout repris. Pour le corps et pour l'âme, — le viatique, — on a la médecine et la philosophie, — les remèdes de bonnes femmes et les chansons populaires arrangées. Et les divertissements des princes et les jeux qu'ils interdisaient ! Géographie, cosmographie, mécanique, chimie !...
     La science, la nouvelle noblesse ! Le progrès. Le monde marche ! Pourquoi ne tournerait-il pas ?
     C'est la vision des nombres. Nous allons à l'Esprit. C'est très certain, c'est oracle, ce que je dis. Je comprends, et ne sachant m'expliquer sans paroles païennes, je voudrais me taire.

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Ce qui est frappant aujourd'hui c'est que la demande faite au juriste n'est pas une demande du monde des lettres, mais de celui du calcul. On voudrait une règle certaine, débarrassée du doute, qui produise un résultat aussi mécaniquement que toute opération comptable à sa solution. L'usage littéraire de la règle, qui ouvre des espaces de décision, qui propose des analyses sociologiques de la réalité, qui crée de la responsabilité, de la décision et du choix, s'efface devant la rationalité du computer qui doit produire un compte exact. Ne cherchons pas ailleurs la fallacieuse recherche de sécurité juridique qui n'est jamais qu'une tentative à peine masquée d'annihilation du droit. Et pour vérifier que l'économie mathématique, et son outil le chiffre, ont pris le pas sur la loi humaniste, et son outil les lettres, il suffit de constater la prétention des économistes à établir qu'il existe des "lois économiques" (ce qui faisait bien rigoler Bernard Maris) que l'on nous révèle comme autant de lois naturelles. Car la religion du chiffre a de nombreux apôtres. On ne pourra nous empêcher de penser qu'il s'agit là d'un culte mortifère. 

30/12/2014

A l'Ouest

Pour clore cette année résolument orientée à l'Ouest, et par empathie pour cette entrée dans l'année 2015 qui doit être celle de tous les changements pour la formation professionnelle, le cabinet Willems Consultant se déplace un peu plus à l'Ouest. L'adresse administrative est, à compter de ce jour, la suivante : 

 

WILLEMS CONSULTANT

31 rue Gauthey

75017 PARIS

Passer de l'écrivain-philosophe Diderot au mathématicien-ingénieur des ponts et chaussées Gauthey pourrait paraître manquer de fantaisie. Ce serait oublier qu'Emiland Gauthey fût le rédacteur d'un Traité de la construction des ponts, sa spécialité, qui fit autorité. Et que pour un consultant, faire des ponts, entre les individus et les organisations, entre les personnes qui souvent s'ignorent, entre des disciplines que personne ne songe à relier entre elles,  conditionne la construction de solutions novatrices. Et après tout, que fait l'expert en génie civil que de traduire en oeuvres très concrètes des théories mathématiques incompréhensibles pour la plupart, comme le juriste bâtit des solutions opérationnelles en sollicitant autant que nécessaire la règle de droit et les théories qui la soutiennent ? voyons donc un signe positif dans ce voisinage nouveau avec celui qui inventa aussi une langue graphique universelle proche de la sténographie. 

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Pour les clients, les rendez-vous concernant les projets gourmands, étudiés, complexes, raffinés, prestigieux, ambitieux, rétros, traditionnels, classiques, pharaoniques ou linéaires, seront donnés au Wepler, déserté par les grisettes qui le fréquentaient du temps d'Henry Miller, encore qu'il faudrait aller y voir de plus près, ce que nous ferons. 

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Pour les clients qui ont des projets créatifs, extravagants, robustes, populaires, fraternels, amicaux, exubérants, téméraires, insolites, joueurs ou perdus d'avance, rendez-vous sera pris au Libre Echange qui invite  à toutes les audaces. 

Et pour tout le monde, rendez-vous l'année prochaine. 

12/10/2014

Juste une histoire : les miroirs

La pièce est aveugle et octogonale. Un lit a été placé face à la porte, un fauteuil à son pied. Une cheminée habille l’une des parois. L’âtre est foyer de lumière et de chaleur. Quelques chandeliers, posés à même le sol, maintiennent à distance l’obscurité. Il n’y a rien d’autre. Du moins, si l’on s’en tient à l’espace entre les murs, celui que l’on habite. Car sur les murs, ils sont disposés par dizaines. Le plus petit est semblable à un médaillon. Le plus imposant occupe la partie  haute d’une des huit surfaces murales.  Toutes les formes sont présentes, sphère, carré, rectangle, losange, hexagone et autres figures géométriques encadrant les surfaces le plus souvent planes, quelque fois convexes et exceptionnellement concaves des miroirs qui  recouvrent les murs du lieu. En de rares interstices, apparaît la tenture rouge sur laquelle ont été posées les froides surfaces polies. Les cadres sont en bois de toutes sortes et toutes couleurs, des plus ornementés aux plus sobres. Leurs courbes, droites et arabesques parcourent les miroirs dans un infini jeu de renvoi, donnant à la pièce l’allure d’un kaléidoscope qui, tel une plante carnivore de taille monstrueuse, avale sans cesse et sans répit ce qui s’offre à lui.

 Le feu de la cheminée par exemple, qui danse en mille éclats dans le reflet des verres et embrase le lieu sombre et clos. Ou le sol de tomettes bordeaux, semblable à celui de la Tour de Montaigne, qui s’incline puis se redresse selon l’endroit où le regard se porte.  Car  chaque mouvement, du corps ou des yeux, transfigure la pièce dans son ensemble, chaque image se dissolvant en d’innombrables facettes qui se répercutent en tous points de la pièce et font retour vers d’autres images qui elles mêmes en génèrent de nouvelles.

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Sommes nous ici au cœur de l’espace et du temps, au point d’abolition de la matérialité au profit d’une projection infinie, symbole de l’éternel retour ? ou alors en un lieu de torture, toute personne prenant place dans le fauteuil au centre de la pièce voyant son image se fragmenter jusqu’à lui faire perdre tout contact avec elle-même au point de douter de la réalité de son existence ?  ou dans une nouvelle caverne platonicienne pour ceux qui penseraient que les images d’eux-mêmes, complaisamment renvoyées par les miroirs, constituent bien la réalité ? ou dans un éternel jeu de dupe entre la perception, les apparences et l’existence matérielle de toute chose ? à moins qu’il ne s’agisse d’une illustration du poème de François Villon : « Je reconnais tout sauf moi-même » ?

 Le plus souvent, la pièce est vide. Une ombre, régulièrement, se glisse vers la cheminée et ravive les flammes qui dansent dans la profondeur des miroirs. Puis elle s’éclipse. La chambre aux mille et trois miroirs se referme alors sur elle-même et ses images. Jusqu’à ce que soudain, après un lent cheminement à travers couloirs, passages, portes dérobées et diverses antichambres, un homme aux gestes lents et précis ne surgisse. Son regard n’embrasse jamais la pièce dans son ensemble. Il est fixé sur quelque point particulier : l’arête du bois de lit, le manteau de la cheminée, un pied du fauteuil, une tommette disjointe. L’homme se dirige invariablement vers le fauteuil et s’y assied. Alors il relève la tête et projette son regard au plus lointain écho des miroirs. Cet après-midi encore, Léonard de Vinci est au travail.

 Juste une histoire.

05/10/2014

Juste une histoire: Bien venus

Les corps blancs et nus s’allongent un à un sur la roche noire. Les jambes, torses, bras, nuques, pieds, fesses, têtes, se tordent , se ploient, se segmentent pour occuper les irréguliers hexagones de basalte qui forment la Giant’s Causeway. La mer d’Irlande offre un décor gris, vert, noir et marron. Les nuages  défilent si bas qu’on pourrait les toucher, bousculés par un glacial vent du Nord, laissant à l’occasion apparaître des pièces de ciel bleuté. La lumière est satinée, comme avant une éclipse. Devant moi, plusieurs centaines de corps, debout, avancent lentement vers la place assignée. Le froid rétracte les chairs et les peaux.  Dans les espaces laissés par la mer et le vent, se glissent quelques rires, de joyeuses paroles, du moins peut-on le supposer au ton des voix, car ici on parle toutes les langues. Se parler semble plus important que se comprendre.

J’avise un groupe hilare qui fait bloc contre les rafales :

« Excusez moi, vous pourriez  m’indiquer pourquoi vous êtes venus ?

-       Ah oui, bien sur…c’est le hasard….on a participé à la photo prise à Aurillac il y a quelques années. On ne se connaissait pas, et depuis on guette les annonces de Spencer Tunick et on se retrouve…»

Un grand blond, qui a gardé ses lunettes et ses bras serrés sur sa poitrine, me regarde un instant. Je saisis l’occasion :

« Et vous, pourquoi êtes vous là ?

-       je suis photographe à Bruges, je suis sur toutes les photos, même si on ne me voit jamais… »

Derrière moi, de jeunes potaches gloussent un peut trop fort. J’interromps leur prépubère excitation :

« Pourquoi êtes vous là ?  

- t’es ouf ou quoi mon pote…on a fait les JMJ, c’est super, y a plein de filles mais elles prennent leur kiff à discuter. Ici on a pensé que ce serait plus direct… ».

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Je suis passé de groupe en groupe, remontant la foule compacte qui avait déjà oublié sa nudité et se pliait bien volontiers aux demandes jaillies du portevoix que brandissait un assistant monté sur son échelle de spectacle.

Inlassablement, je questionnai et l’on me répondait. Les locaux, qui défiaient avec ostentation le froid, car c’était le leur, et qui ne pouvaient pas ne pas être là, les collègues de travail qui avaient fait un pari avec ceux qui n’étaient pas venu, les militants du naturisme qui venaient promouvoir leur mode de vie pour le bonheur de tous, les touristes venus pour la Chaussée et qui se retrouvaient dénudés, les fidèles qui étaient de tous les évènements, ceux qui étaient là parce qu’ils trouvaient que dans leur vie il n’y en avait guère, d’évènements, ceux qui étaient venus pour pouvoir dire qu’ils étaient venus, ceux qui, déçus, étaient là pour être sur la photo et avaient compris qu’on ne les y verrai pas, les familles venues des quatre coins de la planète ronde se retrouver un temps, les solitaires rassurés par l’anonymat du nombre que renforçait la nudité, les bandes festives, pressées d’en finir avec la photo, le froid et l’attente, dont la patience s’alimentait de promesses de pubs irlandais, les accros aux réseaux sociaux qui guettaient tous les rendez-vous et se résignaient à être des milliers d’happy few, la génération 68 qui continuait à faire acte politique, les amoureux des métros bondés qui vivaient comme dans un rêve leur immersion dans la foule, les altermondistes qui, après de longs débats, avaient conclu que l’esthétique ne devait pas être abandonnée aux bourgeois, les naturophiles, les urbanophobes, les sociologues émus par la concrétisation charnelle de leurs recherches sur les mouvements sociaux, les journalistes infiltrés, les fascinés de la diversité humaine, et ceux qui  venaient au contraire vérifier « qu’on est tous faits pareil »,…

Une jeune femme aux seins impertinents et à la voix qui ne l’était pas moins interrompit mon recensement d’un questionnement brutal :

« Je m’appelle Szasza, je vous regarde questionner tout le monde, mais vous, vous êtes là pour quoi exactement ?

- je suis venu pour savoir pourquoi les gens sont venus».

 Juste une histoire. 

27/09/2014

Juste une histoire : l'in(tro)spection

Le train du matin l’avait déposé sur un quai peu fréquenté avant de poursuivre son tortueux  cheminement dans la vallée que la brume dévoilait peu à peu, comme si la journée débutait sans conscience du temps et de l’après. L’homme qui l’attendait ne prît pas la peine de vérifier son identité, il le salua avec déférence et l’accompagna jusqu’à la voiture qui les mena, avec une lenteur cérémonieuse, au cœur d’un vallon que les montagnes environnantes encadraient sévèrement et qu’occupait presque entièrement des bâtisses de briques rouges et noires dont les cheminées alimentaient sans fin le brouillard matinal de leurs fumées grisâtres.

Lorsqu’il sortit de la voiture il  se trouva face à une délégation toute masculine, plus immobile encore que les sapins des montagnes, ce qui se vérifiait aux membres des cinq hommes, rigides malgré le vent qui commençait à s’engouffrer dans la vallée comme pour accélérer son réveil. Une main toutefois se tendit et des lèvres s’entrouvrirent : « Muller, Directeur, à votre service ». La phrase avait été prononcée d’un trait, comme un seul mot. Le ton n’incitait pas à la réponse, il n’y en eût donc pas. Aucune explication supplémentaire n’étant nécessaire, le groupe se dirigea vers les ateliers de l’imposante usine métallurgique. A l’intérieur, les bruits qui n’étaient lors de l’entrée sur le site que de lointains échos d’une probable activité humaine, devenaient fracas et vacarmes de pistons, presses, marteaux pilons, treuils, chaînes, wagonnets, scies, ébarbeuses, tours, fraiseuses et autres machines outils qui emplissaient le vaste espace dans un rigoureux ordonnancement tracé par de non moins rigoureux ingénieurs. La chaleur des fours à métaux semblait donner plus d’ampleur encore aux frappes métalliques qui se succédaient sans relâche jusqu’à former un bruit continu. Il devenait difficile de se parler, mais comme l’on ne se parlait guère, personne n’y prêta attention. Après quelques minutes, le groupe s’arrêta devant la seule machine à l’arrêt de l’usine. Le directeur montra au visiteur d’un geste sec un élément de la presse à forger.

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Avant de s’approcher, l’homme sortit de sa sacoche un carnet et un crayon. Il nota quelques phrases, s’approcha de l’endroit désigné, regarda longuement les tôles, leur assemblage, les éléments amovibles, prît le temps de faire quelques dessins, de rédiger encore plusieurs paragraphes, sans se soucier des cinq hommes qui, dans son dos, attendaient sans un geste qu’il eût terminé. Une fois le travail d’examen achevé, le visiteur  ne se retourna pas immédiatement. Il fixa son regard sur la presse et l’image du bras de l’ouvrier écrasé par le piston aveugle s’ancra dans son esprit. Alors il revînt au groupe. Les bruits assourdissants lui étaient déjà familiers et il s’aperçût à peine qu’ils avaient quitté le bâtiment, traversé la cour et repris leur posture initiale devant la voiture. De nouveau Muller, Directeur, s’approcha de lui et indiqua combien il était indispensable de remettre rapidement en route la presse car le manque à gagner s’accumulait et, comme il avait du le constater, la machine ne présentait aucune défaillance, l’accident survenu étant dû à l’inattention coupable d’un ouvrier qui n’était pas parmi les meilleurs. Le visiteur salua Muller, Directeur, et monta dans la voiture. Sur le quai de la gare, il n’y avait guère de voyageurs, toute présence humaine semblant s’être dissipée, comme la brume matinale. Le trajet du retour fût mis à profit pour rédiger le rapport qu’il dicterai demain à son bureau en distinguant les recommandations pour l’usage du matériel, la proposition de modification de la classe de risque dans laquelle se trouvait l’entreprise et le montant de l’indemnisation de l’ouvrier amputé. Lorsque tout ceci fût noté, Franz Kafka prit une inspiration et sortit de sa sacoche une nouvelle pochette de feuillets manuscrits, sur laquelle figurait un titre « La métamorphose ». 

Juste une histoire. 

20/09/2014

Juste une histoire : une belle journée

Pas possible. Ce n’était pas possible. Emmanuel avait refait tous les calculs, vérifié toutes les séries statistiques, intégré tous les aléas, soumis à l’épreuve de la modélisation toutes ses hypothèses, plongé dans l’ensemble des bases de données qui lui étaient accessibles, soit l’intégralité des bases documentaires officielles plus un nombre significatif de bases non officielles dont même le plus paranoïaque des complotistes ne pouvait soupçonner l’existence, il avait vraiment tout envisagé et il en était certain : ce qui était en train de se produire n’était tout simplement pas possible. Et quand ce n’est pas possible, c’est impossible. Et pourtant c’était en train de survenir.

Suite à la énième annonce de baisse des minimas sociaux, de suppression de prestations en matière de santé, de logement, de famille et d’éducation, suite au plan de modernisation de l’appareil productif, autrement dit la liquidation de milliers de salariés qui  ne demandaient qu’à travailler encore, comme avant, et à qui il allait falloir expliquer que tout est précaire, même la vie et surtout le travail fourni par d’autres et qu’il faudrait désormais se prendre en main parce que les modes de production avaient changé, on prévoyait même d’aller jusqu’à dire qu’il y avait d’autres manières de tirer parti de leur valeur ajoutée sans que plus personne ne voit là une analyse qui ait un lien quelconque avec le marxisme, terme qui était devenu quasiment synonyme de ringardise à l’issue d’une discrète mais tenace guerre idéologique comme les aiment les publicitaires non seulement parce que leur travail les amuse mais en plus parce qu’il est fortement rémunérateur, suite donc aux réformes indispensables pour sauver notre modèle social qui commencent toujours par le liquider, Emmanuel et ses semblables, c’est à dire les gens qu’il avait fréquenté dans sa jeunesse et avec qui il travaillait, eurent la surprise de constater que les quelques manifs attendues s’étaient changées en révolte de rue, que la révolte de rue prenait un tour insurrectionnel et que des barrières étaient tombées sans qu’on ait prévu que cela puisse arriver. Et à propos d’arriver, Emmanuel entendait de plus en plus distinctement les cris, slogans, rires et hurlements de la foule qui avait investi le Ministère dont la mise à sac avait commencé.

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 Emmanuel  se concentra sur quelques souvenirs malgré l’appréhension qui le gagnait et que seule l’incrédulité maintenait à un niveau supportable. Il avait étudié la psychologie des foules, lu La Boétie et la servitude volontaire, et deux convictions s'étaient ancrées en lui. Celle que plus on est nombreux moins on est intelligent, proposition non réversible pensa-t-il en souriant, et celle que plus il y a foule et moins la manipulation a besoin d'être sophistiquée. Mais ces pensées rationnelles ne lui seraient d’aucun secours lorsque des épaules fortes exploseraient la porte de son bureau et que des mains plus larges que sa tête s’abattraient sur son corps qui tentait par divers subterfuges, dont l’abstinence alimentaire, de ressembler à un corps sportif. A ce moment là, il aurait été logique d’avoir peur.

Mais avant de céder à la panique, Emmanuel eût un doute rationnel et passager : avait-il intégré la probabilité qu’un manipulateur de foules surgisse brusquement, non repéré par le système, non fiché par les RG, inconnu au bataillon, et que soudain, la suppression du RMI pour tous ceux qui refusaient les travaux d’intérêt général ou peut être une autre des mesures de régulation budgétaire ait suscité une prise de conscience individuelle conduisant à un mouvement collectif ? il avait pourtant vérifié pour tous les pays, avec toutes les données disponibles, que si les conditions sociales se détérioraient mais restaient en dessous d’un certain seuil de dégradation (vous croyez pas que je vais vous filer le taux non plus !) et qu’une part de la population  (toujours pas de taux, secret d’Etat) continuait à avoir plus à perdre qu’à gagner, il n’y avait JAMAIS de réaction sociale dangereuse, au-delà des quelques soubresauts habituels que l’on sait parfaitement canaliser, lorsqu’on ne les suscite pas pour offrir un défouloir qui est le vrai garant de la résignation.

Alors qu’est-ce qui avait foiré ? pourquoi cette foule qui s’approchait de son bureau et qu’il imaginait déjà lui faire un mauvais sort ?

 Il n’eût pas le temps de répondre à cette question. Le radio réveil branché sur BFM économie venait d’ouvrir ses vannes et d'interrompre le sommeil d’Emmanuel. Il était 6h30 du matin. Il avait plutôt bien dormi, pas de transpiration intempestive, le rythme cardiaque était régulier, aucun souvenir d’un mauvais rêve, mais avait-il seulement rêvé ? pas le temps de se poser vraiment la question, la douche, un café, un jus de carotte et direction le Ministère, il ne fallait pas être en retard à la réunion interministérielle programmée pour décider des derniers arbitrages en matière d’économies à réaliser sur les prestations sociales. Dehors, le soleil matinal offrait la promesse d’une belle journée. 

Juste une histoire.

19/09/2014

Finkielkraut, le réel et le droit

Alain Finkielraut a des obsessions et elle ne sont guère joyeuses : la disparition du monde classique, la fin de la littérature, la remise en cause de l'ordre établi, l'irruption de comportements qu'il ne comprend guère, l'envahissement par la technologie et quelques autres sombres idées fixes. On le remarquera, l'optimisme n'est chez lui ni un naturel, ni une volonté. Et d'ailleurs les optimistes technophiles comme Michel Serres le désespèrent. Parmi les leitmotivs de Finkielkraut, comme chez tous les déclinistes, l'idée fortement ancrée que tous ceux qui ne pensent pas comme eux sont dans le déni du réel. Réalité le recul du niveau des élèves, la prolifération des femmes voilées, les parisiens scotchés à leur smartphone et à candycrush dans le métro,...toutes occasions de vérifier qu'il a bien raison de penser ce qu'il pense. Sauf qu'à ne voir que les smartphones il ne voit plus le reste. Le fait que la proportion de lecteur de livres papiers soit plus importante chez les personnes ayant le plus de technologie (ordinateur, smartphone, tablette...) que chez les autres lui demeure étrangère. Bref une réalité certes, mais très parcellaire. Très classiquement, et malgré ses dénégations, Finkielkraut n'a pas franchi le cap de penser contre lui-même, mais n'est pas Sartre qui veut. 

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Robert Capa - Homme réel mourant pour des idées

Mais ce soir, il n'était même plus question de réel. S'embarquant sans béquille ni lumière sur des terrains inconnus, voici que Finkielkraut nous annonce que le CDI est une protection telle que les entreprises ne peuvent embaucher car elles savent qu'il leur sera impossible de se séparer d'un salarié incompétent et que s'il venait à un chef d'entreprise l'hasardeuse idée de procéder à un tel licenciement, il se retrouverait illico aux prud'hommes. Rappelons donc un petit morceau de réalité : chaque année plus de 800 000 salariés sont licenciés, dont les deux tiers pour motif personnel, le plus souvent lié à une faute ou une insuffisance. Et sur ces deux tiers, le taux de contentieux est inférieur à 25 %, soit environ 180 000 contentieux par an pour 18 millions de salariés. Un taux de 1 % de conflictualité judiciaire. Finkielkraut, comme tous les pseudos-réalistes, cherche ses clés sous la lumière du lampadaire et il est persuadé que ce qu'il voit est identique à ce qu'il ne voit pas, ou plus. Autrement dit, il est persuadé que ce qu'il connaît lui permet de juger de ce qu'il ne connaît pas. Ce qui on en conviendra, n'est pas très réaliste. 

06/09/2014

Juste une histoire

Une chenille hilare et un rien hystérique, beuglant à pleins poumons un de ces tubes que toute oreille sensée n’aurait pas osé concevoir, ce qui confirme au passage que la raison et les affaires ont à peu près le même rapport que les groseilles et la mousse au chocolat,  la chenille ondulante donc composée d’un assemblage hétéroclite quoi que remarquablement homogène d’adultes consentants, passait pour la cinquante-huitième fois devant Antoine qui n’y prêtait plus aucune attention, préoccupé qu’il était des auréoles blanches qui venaient d’apparaître simultanément au niveau des aisselles, des plis ventraux et des biceps de sa chemise noire. Antoine aurait pu, s’il avait eu les quelques secondes nécessaires, se demander s’il fallait se résigner à ne plus taper dans les piles de « slim » et opter pour des formats plus amples lors des achats groupés de liquettes tous les trois ans, ou s’il était plus judicieux de reprendre cette hygiène de vie qui réduisait assez vite la masse graisseuse et permettait de gagner du temps avant que la transpiration n’imbibe le coton. S’il avait disposé de ces quelques secondes, et d’une poignée d’autres en bonus, il aurait également pu se persuader qu’il ne fallait jamais oublier d’enfiler  un maillot de corps, même avec une chemise noire. Mais toutes ces remarques judicieuses et totalement opérationnelles ne trouvèrent jamais le chemin des pensées d’Antoine, car un des anneaux de la chenille, monté sur talons de dix-huit mètres avec un chapeau sur la tête venait de lui éclater un tympan en lui hurlant sous les cheveux :

« Antoine avec nous, Antoine avec nous…. »

Dans un réflexe tellement animalier qu’il en tira quelque fierté lorsqu’il repensa plus tard à la scène, Antoine porta ses mains à ses oreilles ce qui évita au second tympan d’exploser comme une vulgaire centrale de Fukushima lorsque la chenille entière reprit :

« Antoine avec nous, Antoine avec nous… ».

Nous étions au mois de septembre, et Antoine en était à son cent soixante deuxième service en soirée depuis la nouvelle année, le quatrième consécutif cette semaine, et il n’avait qu’une idée en tête : est-ce que son pantalon tiendrait jusqu’à la fin de la semaine ou est-ce qu’il allait falloir en repasser un autre.

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Mais cette question là non plus ne serait pas tranchée ce soir puisqu’avant qu’elle soit totalement formulée par des synapses qui se faisaient un plan vintage et s’efforçaient de ressembler à du bubblegum mode yankee, à savoir de la pâte élastique malaxée par de puissantes et viriles machoîres totalement concentrées sur leur fonction destructrices, un éméché à la cravate oblique et au reste qui ne l’était pas moins, fonça sur lui et s’adressant à son nez, point le plus proche de la bouche carnivore qui dévorait les mots qu’elle tentait d’expulser de son gosier dans un paradoxe qu’Antoine n’eût guère le temps d’apprécier, lança comme on boit cul sec :

« Antoine, décoince ! viens avec nous,  faut jamais perdre une occasion de s’éclater… »

L’attention d’Antoine resta concentrée sur ce dernier mot : éclaté.

La bouche pleine de dents qu’Antoine pouvait maintenant détailler vociférait toujours :

« Antoine, tu fais un métier formidable, tu peux faire la fête avec tes clients, te prives pas, soit pas con Antoine… »

Antoine eût le flash soudain d’une petite main grassouillette s’emparant de la dernière part d’omelette norvégienne et prenant soin de racler au passage les restes de glace fondue et de chantilly qui maculaient les bords d’un plat qu’Antoine agrippa comme s’il s’agissait de la dernière bouée du Titanic, mais qui n’était plus banalement qu’un commode alibi pour filer en cuisine. Il serait bien temps ensuite de savoir comment en ressortir.

Juste une histoire.