08/11/2012
Petits bricolages
L'entreprise est installée sur un Causse, soit un haut-plateau du Sud-Ouest. Elle emploie des gens du cru. C'est plutôt familial. Et les affaires vont correctement. La production pour l'aéronautique a gonflé les carnets de commande. Et le volume de travail se maintient à un haut niveau. L'embauche est difficile dans ce coin de terroir. Alors il y a souvent des heures supplémentaires. Il y en avait déjà avant la loi TEPA et les exonérations. Il y en aura encore après leur abrogation. Mais on s'habitue à payer en exonération. Alors le dirigeant a imaginé un petit bricolage. Il forme ses salariés. Dorénavant au lieu de les former pendant le temps de travail et de les faire travailler en plus en dehors de l'horaire de travail, il fera l'inverse. Et pendant les heures de formation réalisée en DIF, il versera l'allocation formation (50 % du salaire net exonéré de charges) plus 75 % du salaire habituel, soit au total 125 % pour le salarié. Mais plutôt qu'une heure supplémentaire à 125 % + 50 % de charges, soit 187,50 il se retrouve avec un coût de 75 + 50 % de charges + 50 exonérés soit un total de 162,5. Et voilà comment on économise 25 % de coût salarial en toute légalité. Mieux que TEPA, sans TEPA.
Certains objecteront que l'on ne va pas loin avec de tels petits bricolages. Ils devraient suivre les pérégrinations de l'auteur de ce vélo-bateau-avion-chauve-souris. Sa trapadelle lui permet de voyager dans les rues, dans l'imaginaire et dans la poésie. Il ne faut jamais sous-estimer les petits bricoleurs qui eux au moins n'hésitent pas à mettre l'imagination au pouvoir.
10:29 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES, HISTOIRES DE CONSULTANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tepa, heures supplémentaires, formation, dif, bricolage, poésie, emploi, travail, exonérations, imagination, pouvoir
09/10/2012
L'étau se resserre
Au mois de juin 2011, après un suspens tout relatif et une grande frayeur bien orchestrée, les DRH soufflaient à la lecture de la décision de la Cour de cassation validant le forfait jours. Nous annoncions pourtant déjà qu'il ne fallait peut être pas tant se réjouir du côté des services RH et qu'un train pouvait en cacher un autre (voir ici). Ce train n'a pas manqué de passer et son souffle risque de décoiffer quelques habitudes. Honneur au Sud : la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a décidé le 23 mars 2012 qu'un chef de rayon de chez Décathlon, bombardé cadre et assujetti à un forfait jours, devait percevoir des heures supplémentaires car le forfait était nul. En effet, le chef de rayon était soumis à des horaires imposés et à des jours de présence le samedi et parfois le dimanche choisis par l'entreprise. Rien du cadre autonome donc. D'autre part, son salaire était fixé au tout premier niveau de rémunération des cadres. Rien qui soit en rapport avec les sujétions liées à sa fonction. Le forfait étant nul, le salarié aura droit à 11 h supplémentaires par semaine sur 2 ans, soit un total de plus de 16 000 euros. Et comme les corps de Martina Abramovic et son acolyte se resserrent sur le visiteur de musée qui doit choisir de passer ou pas, de frotter ou non et de faire face à l'homme ou à la femme, l'étau du juge se resserre sur les entreprises qui pensaient trouver dans le forfait un outil permettant d'habiller à bon compte des pratiques qui n'en relèvent manifestement pas, comme c'est le cas pour les chefs de rayon de la grande distribution.
Marina Abramovic - Imponderabilia - 1977
Une deuxième couche vient d'être rajoutée par la Cour de cassation elle-même. Dans sa décision du 26 septembre dernier, elle annule le forfait jours d'un cadre qui consacrait un certain temps, et même un temps certain, à son activité professionnelle. La Cour de cassation rappelle que le forfait jours n'est ni un forfait jours et nuits, ni un forfait week-end, ni un forfait toute la journée. Et que l'accord collectif qui met en place le forfait jours doit prévoir des mesures de nature à faire respecter des temps de travail raisonnables. En l'espèce un entretien annuel et des rapports trimestriels de la hiérarchie sur la charge de travail, soit le minimum syndical qui n'existe pas dans toutes les entreprises, ne sont pas suffisants. Le forfait jours doit donc être annulé et des heures supplémentaires payées.
Lorsque l'étau commence à serrer à ce point, cela peut faire mal. Et nul doute que les juges ne s'arrêteront pas en si bon chemin. A tous ceux qui se félicitaient de la survie du forfait jours, il ne reste donc plus qu'à se mettre au travail pour en garantir la validité.
00:26 Publié dans DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : forfait jours, durée du travail, travail, droit, droit du travaill, heures supplémentaires, étau, art, abramovic, jurisprudence, emploi
25/05/2012
Tolérer c'est demander
On connait la boutade de Clémenceau : "La tolérance, la tolérance, il y a des maisons pour cela !". Et c'est une chambre, en l'occurence la chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc., 13 mars 2012, n° 10-26.209), qui nous donne l'occasion de cette révision en rappelant, dans un énième conflit portant sur les heures supplémentaires, qu'il n'est pas nécessaire que l'employeur ait demandé la réalisation de ces heures. Il suffit qu'il ait pu constater qu'elles étaient réalisées et ne soit pas intervenu en vue de les interrompre, pour que l'on considère que cette tolérance traduit une demande implicite. Pas de tolérance dans l'entreprise donc : faute d'intervenir pour réguler les dépassements d'horaires d'un salarié, l'employeur sera tenu de payer des heures supplémentaires. Pas très tolérants avec l'employeur les juges !
Toulouse-Lautrec - Le salon de la rue des Moulins - 1894
Le principe selon lequel "la tolérance vaut demande" a déjà été utilisé par les tribunaux en matière de santé au travail : qui tolère qu'un salarié ne porte pas les équipements de protection individuelle pour travailler, par exemple, est considéré comme ayant demandé à ce que ces équipements ne soient pas portés. En d'autres termes, le juge estime qu'il est dans la nature de l'employeur de manager et que son abstinence est une coupable tolérance. Allez zou ! à la maison !
01:01 Publié dans DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : maison close, clémenceau, durée du travail, heures supplémentaires, droit du travail, toulouse-lautrec
29/06/2011
Pschitt ? pas sûr...
Après une nuit agitée, les DRH ont attendu l'heure dite et le juge délivra son verdict : le forfait en jours est un dispositif validé dans son principe par la Cour de cassation. Toute l'agitation entretenue à plaisir par les juristes gendarmes fait Pschitt et certains risquent de passer pour des clowns qui nous ont mené en bateau.
Pourtant, a bien y regarder, les DRH ne devraient pas se réjouir trop vite. Car le juge en revient à une analyse que l'on ne peut qu'approuver et, au passage, remet en cause une jurisprudence un peu hâtive. Reprenons dans l'ordre. Si le forfait en jours est valide, c'est parce que les garde-fous (cherchez qui sont les fous) posés par le législateur sont suffisants pour éviter les abus. Ils sont au nombre de quatre : la détermination des salariés concernés par la négociation collective, l'accord individuel du salarié, l'autonomie dans l'organisation des horaires et l'organisation d'un entretien annuel spécifique au cours duquel sont abordés la charge de travail, l'organisation du travail, l'articulation vie professionnelle/vie personnelle et la rémunération. Lorsque ces conditions n'étaient pas réunies, la Cour de cassation avait décidé que le forfait jour n'était pas remis en cause mais que le salarié avait droit à des dommages-intérêts. La décision du 29 juin durcit, logiquement, la sanction : si les conditions du forfait jours ne sont pas respectées, le forfait jours n'est pas valide. Et le salarié a droit à des heures supplémentaires. Voici donc les DRH contraints de vérifier les accords individuels et collectifs, de respecter l'autonomie dans l'organisation du travail des salariés en forfait en jours (sans leur demander d'être présents en tant que managers sur des plages horaires fixes) et d'organiser tous les ans un entretien au cours duquel il sera question d'argent. Comme quoi, un train peut en cacher un autre.
Cour de Cassation - Arrêt 29 juin 2011 et communiqué de presse.pdf
16:20 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES, DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : forfait jour, cour de cassation, jurisprudence, cadres, durée du travail, heures supplémentaires, droit du travail, droit
21/12/2010
La preuve par le carnet
Carnet de bord, carnet de vol, carnet de voyage...garder trace ne date pas d'hier ni du totalitaire désir d'universelle et permanente traçabilité. Il est des traces de liberté et non de contrôle, de sublimation et non de fichage, de support de rêverie et non de suivi à la trace pour votre bien, forcément pour votre bien.
Cette manie du carnet se porte parfois sur le temps : aux livres de comptes qui permettent aux historiens de reconstituer le passé, aux journaux personnels qui livrent des éléments de biographie, se superposent parfois des petits agendas dans lesquels l'emploi du temps est scrupuleusement noté. Rendez-vous, activités exercées, lieux visités, tout prend place dans le carnet. Et un jour celui-ci est porté devant le juge à l'appui d'une demande d'heures supplémentaires : constatez par vous même monsieur le Président des heures de travail quotidiennement effectuées. Moins romantique que le carnet géographique des femmes de Corto Maltese peut être, mais pas moins probant.
Sylvie Galas - Carnet de voyage de Corto Maltese
L'employeur n'y croyait guère : nul ne peut fabriquer artificiellement et unilatéralement une preuve. Le carnet ne peut valoir et fonder une demande. Tel n'est pas l'avis de la Cour de cassation (Cass. soc., 8 décembre 2010). Pour les juges, l'employeur a l'obligation de contrôler le temps de travail des salariés et la preuve s'en trouve donc partagée sur des bases différentes. Au salarié de rapporter par tout moyen, y compris l'agenda personnel ou son journal intime, la preuve de son temps travaillé, à l'entreprsie de fournir ses propres éléments. Et si elle est incapable de fournir quoi que ce soit, la victoire du petit carnet sera scellée.
Mais tout cela ne répond pas à LA question, PANDORA est-elle bien l'aventure et pourquoi Corto Maltese continue-t-il à la chercher alors qu'il l'a trouvée ?
Arthur Rimbaud : "Arrivée de toujours, qui t'en iras partout"
12:44 Publié dans DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : corto maltese, pandora, carnet, heures supplémentaires, preuve, droit du travail, durée du travail
22/06/2010
Faire acte de silence
Les heures supplémentaires toujours. L'entreprise avait pourtant pris les devants et explicitement indiqué qu'il ne saurait y avoir d'heures supplémentaires effectuées, sauf autorisation préalable de l'entreprise. Ce qui est son droit le plus strict. Mais voilà, un salarié rend des fiches de pointage nombreuses dans lesquelles apparaissent des heures supplémentaires. Et se prévaut du silence de l'employeur qui avait pris connaissance de ces fiches pour demander des heures supplémentaires. Bingo ! la Cour de Cassation (Cass. soc., 2 juin 2010, 08-40.628) fait droit au salarié et considère que le silence de l'entreprise vaut accord tacite.
08/06/2010
Champagne !
Les soirées étaient peut être ennuyeuses. La répétition n'a pas été vécue dans le plaisir. Ou bien les cocktails dinatoires ont-ils désavantageusement arrondis la silouhette du salarié. Il est vrai que manger debout n'est pas conseillé et que les appétizers rivalisaient de sauce et ce crème. On ne sait d'où vint le mécontentement du visiteur médical qui consacrait ses soirées à des réunions scientifiques organisées sous forme de cocktails mondains et professionnels. Toujours est-il qu'il réclama des heures supplémentaires pour le temps passé à dévorer petits fours et tenir conversation. L'employeur refusa au motif que le salarié était libre de ses mouvements, sans que l'on sache au juste quelle ampleur il accordait au mouvement. Sans surprise la Cour de cassation a donné raison au salarié : le cocktail était une obligation professionnelle, il devait entrer dans le calcul du temps de travail (Cass. soc., 19 mai 2010).
01:59 Publié dans DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cocktail, droit du travail, temps de travail, heures supplémentaires, visiteur médical, jurisprudence
19/05/2010
Forfait mythique
Le Minotaure, fruit des amours de Pasiphaé et d'un taureau blanc, est un mythe grec dont Jorge Luis Borgès donna une version bouleversante dans sa nouvelle La demeure d'Astérion, nom du minotaure. Loin du monstre sanguinaire et violent dont on protège la foule en l'isolant dans un labyrinthe, le Minotaure de Borgès est un être sensible, prisonnier de sa singularité qui lui confère une conscience aigüe de lui-même et des hommes. Prisonnier volontaire il s'évade dans la mort qu'il s'offre comme une libération à laquelle son meurtrier ne comprend que peu de chose. Quel dessin, mieux que celui de Catherine Huppey, peut figurer le Minotaure de Borgès et contribuer à renverser le mythe du monstreux hybride.
00:05 Publié dans DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : forfait jours, cadre, durée du travail, heures supplémentaires, déplacements, indemnités, minotaure
21/10/2008
Le temps des nomades
L'entreprise est implantée à Paris mais son siège social se trouve à Vancouver, au Canada. Les réunions au siège sont nombreuses et nombreux également les salariés qui font le trajet Paris-Vancouver, lequel s'ajoute à quelques autres trajets en Europe et au-delà. Lorsque les salariés se rendent à Vancouver, l'entreprise prend des billets d'avion au départ de Paris le Dimanche, avec un retour le samedi, ce qui permet une semaine de travail complet au Canada.
Il y a quelques mois, des mouvements d'humeur se sont fait jour : les salariés considéraient que l'aller-retour pris sur le dimanche et le samedi revenait à leur enlever un week-end de repos. Ils auraient souhaité un départ lundi et un retour vendredi, ou bien une indemnisation pour ces jours de repos en moins. Question récurrente de la part des salariés nomades dont la situation d'errance régulière pose de manière permanente la question du temps de travail.
08:57 Publié dans HISTOIRES DE CONSULTANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nomade, temps de travail, errance, déplacement, heures supplémentaires, repos
25/08/2008
La fuite en avant
Le Gouvernement a publié le 21 août dernier un bilan de la loi TEPA : 40 % d'heures supplémentaires en plus au premier trimestre 2008 par rapport au premier trimestre 2007, six millions de salariés concernés, 8 milliards d'euros distribués aux entreprises et aux salariés. Un succès donc.
L'anecdote qui suit ne peut, bien évidemment, être mise en balance avec le bilan chiffré, mais elle est bien réelle : devant une commission de surendettement, un salarié expose sa situation difficile. La commission pense trouver une solution, il suffirait d'augmenter un peu les revenus pour améliorer la capacité de remboursement et rendre viable un plan d'étalement des dettes acceptables. Contact est pris avec l'employeur : est-il possible sinon d'augmenter le salarié du moins de lui procurer du travail supplémentaire ? l'employeur conciliant accepte de jouer le jeu. Il est confié au salarié des activités de maintenance qu'il n'effectuait pas jusque-là, payées en heures supplémentaires dans le cadre de la loi TEPA. Tout est donc parfait, sauf que...
11:29 Publié dans HISTOIRES DE CONSULTANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tepa, heures supplémentaires, licenciement, surendettement, ressources humaines