Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

26/08/2011

D'une culture l'autre

Il n'est pas un français pour contester que la cuisine est une tradition française. Peut être un peu moins pour reconnaître que cette tradition existe dans tous les pays et que le rapport à la nourriture, à la manière de la préparer et de la consommer, en dit aussi long sur l'état d'une société que la lecture de son Code pénal (non moins bon révélateur toutefois).

Le succès des émissions culinaires télévisées est à cet égard instructive. On pourrait penser que pour des passionnés de cuisine, la participation à un programme où il s'agit avant tout de cuisiner est une fête, dans la tradition française, mais aussi européenne : si le banquet marque la fin de toute aventure d'Astérix, archétype du héros Gaulois, il emprunte parfois aux maîtres flamands.

bruegel revu par Uderzo.jpg

Le Banquet de Bruegel revu par Uderzo

Mais surprise, les candidats tirent des têtes de six pieds de long, pleurent à tout instant, sont en permanence à fleur de nerfs et vivent névrotiquement le rapport au succès ou à l'échec. Toute mise à l'écart est plus terriblement vécu que le départ d'Eve et d'Adam du paradis. Traversant les siècles, la culpabilité aurait donc poursuivi son terrible office ? pourquoi ce rapport pathologique à l'échec ? problème éducatif ? reste judéo-chrétien ? infantilisme généralisé ? égos déployés à tout va ?

Un début de réponse peut être trouvé outre-atlantique. Dans le même type d'émission culinaire, des Québécois (libres évidemment), apprentis cuisiniers, concourent pour un titre de Chef. Compétition joyeuse, remerciements de ceux qui sont éliminés pour la participation, convivialité. Taux lacrymal quasi-nul, concentration n'excluant pas le sourire, sérieux mariné dans l'humour. Bref, pas encore la bacchanale de Picasso, mais pas loin.

Bacchanale-Picasso.jpg

Picasso - Bacchanale

Pourquoi tant de décalage ? il vient peut être de loin et les peintres, comme souvent, peuvent nous aider. D'où le Caravage a-t-il sorti ce Bacchus triste devant l'abondance de chère ? d'une profonde mélancolie qui habite la vieille Europe et qui en fait la zone du monde à la fois la plus riche et la plus consommatrice d'anti-dépresseurs ?

Bacchus-Caravage.jpg

Caravage - Bacchus

Les Québecois ont fait leur cuisine avec une part de culture greco-latine et une part de culture anglo-saxonne. Le mélange est plutôt savoureux. Il nous permet de ne pas oublier ce que proclamait un grand ripailleur français, François Rabelais, que le rire, et non les larmes, est le propre de l'homme.

le_rire_de_gouarch_m.jpg

Anthony Lelgouarch - Le rire de Gouarch

24/08/2011

Réalités économiques

L'argument est tellement récurrent que n'importe qui pourrait écrire les discours des premiers ministres qui annoncent un plan de rigueur. L'important tient en une phrase : "Il y a des réalités économiques". En réalité, tous les économistes sérieux savent que l'axiome est faux. Il y a une représentation économique des choses serait plus juste. Par exemple, il suffit de changer les normes comptables et vous modifiez la réalité économique. Jean-Marie Messier le savait bien qui a imposé l'EBITDA comme réalité aux analystes avant que ces derniers n'imposent une autre réalité. Mais celui qui connaît le mieux la réalité,  c'est le Yucca.

img_w_yucca1.jpg

Ola Pehrson - Yucca Invest Trading Plant

En 1999, l'artiste suédois Ola Pehrson a connecté un Yucca sur un logiciel de gestion des ordres de bourse. Les mouvements vitaux du Yucca produisent des impulsions électriques qui génèrent des ordres d'achat et de vente sur les marchés internationaux. Après six mois de fonctionnement, le Yucca qui n'a pourtant fait ni Harvard, ni Yale, ni HEC, avait gagné de l'argent. Voilà la réalité économique : un Yucca bien arrosé (il recevait lumière et eau lorsque son compte était positif et demeurait au sec et dans le noir lorsqu'il perdait de l'argent) est plus rentable que nombre d'humains, quand bien même ne ménageraient-ils pas leur peine.

Et on la traite comment cette réalité économique là monsieur le premier ministre ?

18/08/2011

Le juge perdu dans la nature

La question des rapports entre nature et culture peut encore appeler des développements qui rempliront les bibliothèques. Peut être ne sera-t-elle jamais tranchée. Pour autant, il importe de rester vigilant lorsque des thèses essentialistes sont proférées sur le ton de l'évidence. La Cour d'appel de Chambéry vient de juger qu'il n'est pas discriminatoire d'exiger, pour un poste de chef de service de traduction en français, que le candidat soit de langue maternelle française. L'argument des juges est ainsi tourné : " Or attendu que les termes native french speaker, qui se traduisent par de langue maternelle française, posent comme critère celui du langage parlé et transmis dès la naissance, lequel, réputé être de ce fait la langue la plus parfaitement assimilée par l'individu dans toutes ses composantes et subtilités, constitue une exigence professionnelle déterminante et essentielle en matière de recrutement d'un chef du service de traduction de l'agence en France d'une compagnie d'assurance anglo saxonne". 

On conseillera aux juges de relire Casanova.

portrait-of-giacomo-casanova-anton-raphael-mengs-1768.jpg

Anton Raphael Mengs - Portrait de Casanova - 1768

 

Et plus particulièrement les mémoires, écrites en français par celui qui était de langue maternelle italienne et qui demeure l'un des plus grands écrivains de langue française. Et si tout cela paraît bien loin au juge, il pourra aussi se plonger dans Becket, Semprun, Kundera ou Dai Sijie. Tous individus qui ont une parfaite maîtrise de la langue dans toutes ses composantes et subtilités. Au passage le juge s'apercevra que la compétence est un acquis et non un attribut.

Pour éviter d'aussi grossières erreurs, le juge peut toujours s'en remettre à Casanova : "L'homme qui veut s'instruire doit lire d'abord, puis voyager pour rectifier ce qu'il a appris" et si le juge lit, il pourra déccouvrir cette autre formule d'un écrivain de langue française d'élection : "Si le plaisir existe, et si on peut en jouir qu'en vie, alors la vie est un bonheur".

Chambery 8 juin 2011.pdf

17/08/2011

Paresse de la comparaison (2)

Certes, avec l'arbre, on se rapproche du vivant. Certes Brassens, entre autres, a célébré l'arbre repère et totémique dont il ne faudrait pas trop s'éloigner pour trouver le bonheur. Mais à ne pas quitter son arbre des yeux, on prend le risque de trouver que la laisse est courte.

330-LE-PORT-D-ATTACHE - 2006 - Home base.jpg

Port d'attache  (Home base) - Gilbert Garcin - 2006

La comparaison entre l'arbre et les hommes est non seulement suspecte mais schizophrénique : rappelons nous que les racines sont enterrées et que lorsqu'il ne reste que la souche c'est que l'arbre est mort, comme les nationaux de souche de tout poil.

Et ni l'arbre, ni la souche, ne verront la mer...à moins que....

405-l-arbre-qui-voulait-voir la mer - Gilbert Garcin - 2009.jpg

L'arbre qui voulait voir la mer - Gilbert Garcin - 2009

...des jambes n'apparaissent, rendant l'arbre plus humain et enfin nomade. La capacité de marche de tout humain est quasiment infinie. La sédentarisation est une mutilation dont l'horizon est le canapé. Cessons donc de comparer les humains à des arbres qui en sont à peu près l'antithèse, car petites ou grandes, c'est sur ses jambes que l'humain avance. Nietzsche et Rousseau, qui pensaient en marchant,l'avaient bien compris.

nietzsche,souche,rousseau,racines,jambes,formation,éducation

16/08/2011

Paresse de la comparaison (1)

Les rapprochements improbables sont souvent source de connaissance nouvelle. Le mariage de la machine à coudre et du parapluie, célébré par Lautréamont, a ouvert à la poésie, c'est à dire à la vérité, d'innombrables voies vers des terrae incognitae.

AC027905_lg.jpg

Man Ray - 1935

Pour autant, il est des comparaisons qui loin d'enrichir le propos le réduisent à une superficialité qui fait perdre le sens des mots et donc des choses.

Ainsi, le vocabulaire informatique est utilisé pour décrire à moindre frais la nature humaine : "Ce souvenir est resté gravé sur mon disque dur", "Il faut qu'il change de logiciel parce qu'il ne comprend rien à ce genre de situations", "Il a buggé, il ne sait plus ce qu'il raconte", "J'ai beau répéter les choses, il ne connecte pas", "Lui, je l'ai scanné, j'oublierai pas sa tête". C'est à l'univers de Métropolis que de telles expressions nous ramènent.

metropolis.jpg

La mémoire n'est évidemment pas un disque dur, pas plus que l'inconscient. Et le cerveau est l'exact opposé d'un logiciel. Pourquoi ? en vrac parce qu'aucun élément n'est inerte, parce que la mémoire, l'inconscient et le cerveau vivent, évoluent, se transforment, se modifient. Le souvenir fluctue avec le temps, se perd ou se créé, les modes de penser, de raisonner, d'agir sont façonnés par le temps et les évènements. Bref, du vivant et non de la machine.

Metropolis18.jpg

Non seulement le vocabulaire informatique ne nous apprend rien de l'humain mais il nous en éloigne et nous fait perdre en compréhension. L'homme n'est programmé que pour apprendre : comme on ne se baigne jamais dans le même fleuve, on est jamais exactement le même tous les jours. Votre ordinateru a beau avoir une mémoire vive, il n'en a pas de vivante.

11/08/2011

A quoi sert l'art ?

C'est un classique des sujets de philosophie au bac, et des thématiques récurrentes qui permettent de combler les pages d'été des journaux lorsque l'actualité s'assoupit, à moins que ce ne soient les journalistes. La question se décline avec de multiples variantes : l'art est-il utile ? que vaut une oeuvre d'art ? faut-il subventionner l'art ? l'art pour quoi faire ? etc.

Au lecteur alangui par le soleil d'août, nous éviterons les longues dissertations au profit d'une démonstration par l'image. Si vous regardez ça :

DSCF1795.JPG

Vous risquez fort de devenir ça :

Danser.jpg

Et si la démonstration ne vous suffit pas, vous pouvez comme dans tout bonne copie bachoteuse, ajouter l'indispensable citation de Nietzsche : "Il faut danser sa vie". La suite est dans le mouvement.

10/08/2011

La part d'ombre

L'été, période solaire, est aussi celle des ombres et des pénombres. Plus le soleil est présent, plus l'ombre l'accompagne. Osons la transposition : plus nous sommes présent à nous même, plus notre part d'ombre vient au jour. L'époque n'est plus aux vérités simples et révélées. Dans le monde de la complexité, l'analyse doit intégrer son contraire pour avoir quelque chance de pertinence. Le "penser contre soi-même" de Sartre est plus que jamais d'actualité. Et si le soleil vous inspire quelque méditation ensommeillée, les meilleures, vous pouvez laissez vagabonder votre esprit sur le fait que toute identité est faite de masculin et de féminin, mais que le féminin de l'homme n''équivaut pas au masculin de la femme. C'est clair non ?

DSCF3767.JPG

08/08/2011

L'unilatéral, c'est bon pour les saumons

Sans doute un temps que les moins de vingt ne peuvent pas connaître, et c'est heureux. Le temps de l'unilatéral. Celui du maître qui parle et que l'on écoute. Celui du professeur qui enseigne et que l'on écoute. Celui de la radio qui pénètre dans les foyers pour délivrer une parole extérieure et qui, avec elle, introduit le silence dans les maisons, pour écouter. La radio, et plus encore avec la télévision, c'est la limitation de la parole du groupe familial, donc interne, au profit de la parole externe. Une information, certes, mais aussi une double désappropriation : la perte du rôle d'acteur pour celui de spectateur et la perte de la maîtrise du discours.

Hokusai- Saumon et souris.jpg

Hokusai - Saumon et souris

Le temps de l'unilatéral a duré longtemps. Trop longtemps. Il a correspondu au temps de celui qui commande et de celui qui obéit. De l'ordre descendant et de la légitimité institutionnelle. Et puis vint internet. Premier media généralisé à ne pas reposer sur l'unilatéral mais tout au contraire sur l'implication, la participation, le libre choix, la libre navigation, l'horizontalité, la pluralité. Le premier media qui inverse la pyramide : c'est d'en bas que ça part et que ça se diffuse. Cette culture bouscule l'unilatéral. Elle n'est pas, encore, celle de nos élites. Il faudrait que cela vienne vite car si l'unilatéral est parfait pour les saumons, entre humains cela fait des ravages.

06/08/2011

Horoscope

Les articles de presse les plus lus sur les plages ? les horoscopes, sans discussion. Pour ceux qui n'ont pas opté pour la plage, car ce serait pousser loin le vice que de lire ce blog sur une plage, voici donc votre horoscope de l'été...et des étés suivants. Cet horoscope est valable de manière permanente et pour tous les signes. Il s'exprime ainsi : votre avenir dépend de la manière dont une jeune fille chinoise fera son affaire des toiles de Bacon.

Ce n'est pas clair ? lisez les autres articles que l'horoscope dans la presse et cela vous paraîtra évident.

DSCF1799.JPG

 

05/08/2011

Communication paradoxale

Le paradoxe de la conversation est qu’elle vous met en relation en même temps qu’elle vous isole. Relation avec votre interlocuteur, isolement de votre entourage. Ainsi ce jeune homme assis à l’écart de la foule qui goûte la fraîcheur d’un parc : autiste aliéné par la technologie ou jeune terrien du XXIème siécle en communication constante avec le reste du monde. Eloignement du proche, rapprochement du lointain.

DSCF1540.JPG

L’abolition des distances est aussi celle du temps. La tablette interactive  cohabite parfaitement avec l’instrument traditionnel. Musiques différentes, rapports à autrui multiples, coup de pied aux fesses à aux étiquettes et à l’assignation.

DSCF1547.JPG

Si vous goûtez les paradoxes, vous apprécieriez celui du mobile immobile.

DSCF1557.JPG

Si vous êtes habitués à ces voisins de trottoirs qui vous croisent en parlant seuls, vous demandez-vous quelle nouvelle tout à coup fige les corps, et sans doute l'esprit ?

DSCF1555.JPG

 Toujours plus de communication égale toujours plus de transparence ?  encore faudrait-il ne pas seulement écouter mais entendre, regarder mais voir.  Les sens ne s’usent que si l’on ne s’en sert pas.

DSCF1709 (2).JPG

03/08/2011

Flag

Aux Etats-Unis, on aime le drapeau. Et toute occasion de le montrer est bonne, et même lorsqu'il n'y a pas d'occasion, on le sort quand même.

DSCF2267.JPG

Manhattan

On peut noter d'ailleurs, combien la Stars Banner est fréquemment accompagnée d'un autre drapeau. L'identité américaine est suffisamment forte et solide pour pouvoir être multiple sans que cela ne lui cause d'insupportables maux de têtes ou ne suscite de violentes poussées d'urticaires.

DSCF2461.JPG

Brooklyn

Et si les américains sont fiers de leur drapeau, ils sont encore plus attaché à la liberté et admettent, en  vertu de l'article 1er de leur constitution, qu'il puisse être brûlé par qui ne supporte ni les étoiles ni les raies horizontales (qui grossissent comme chacun sait). 

En France, on a créé le délit d'outrage au drapeau par un décret du 21 juillet 2010, suite à la publication par la FNAC d'une photo jugée insupportable, au point que les deux salariés organisateurs du concours ont été licenciés pour faute grave. La photo en question était celle-ci :

fnac-nice-drapeau-4452073rgxos_1902.jpg

Comme pour toute oeuvre artistique,  elle peut être discutée pour son esthétique et pour son message. Mais au nom de la liberté d'expression, son existence même ne saurait poser problème. C'est ce que vient de rappeler le Conseil d'Etat, saisi par la Ligue des Droits de l'Homme, d'un recours en annulation du décret du 21 juillet. Si le décret n'est pas annulé, sa portée est largement réduite, pour le moins. Selon le Conseil d'Etat : "ce texte n'a pas pour objet de réprimer les actes de cette nature qui reposeraient sur la volonté de communiquer, par cet acte, des idées politiques ou philosophiques ou feraient oeuvre de création artistique, sauf à ce que ce mode d'expression ne puisse, sous le contrôle du juge pénal, être regardé comme une oeuvre de l'esprit ".

Voilà le pouvoir pris, une nouvelle fois, en flagrant délit d'usage du droit pour de mauvaises raisons, politiciennes, ce qui dessert à la fois la cause politique et la place du droit dans une société démocratique. Et par là même occasion de bons arguments pour les salariés de la FNAC si l'idée leur prenait de contester leur licenciement.

31/07/2011

Toute occasion est bonne

Toute occasion est bonne...pour apprendre. Si DSK avait lu cette publicité sur les murs de New-York, il se serait peut être évité quelques désagréments. On est jamais trop attentif à son environnement. Gare à qui ne voit plus ce qui l'entoure.

DSCF2057.JPG

30/07/2011

Conclusion : Sortir le droit de la compétence des oubliettes

Retracer l’histoire de la compétence dans le droit du travail, c’est identifier 4 oublis :

- l’oubli que le droit du travail sait précisément définir et reconnaître la compétence ;

- l’oubli que c’est avant tout de compétence collective que l’entreprise a besoin alors qu’elle gère essentiellement des compétences individuelles ;

- l’oubli que l’approche par les compétences peut être un levier pertinent pour la négociation collective et l’action syndicale ;

- l’oubli que le droit règle précisément les responsabilités de chacun en matière d’employabilité et que le débat sur « Qui est responsable de l’employabilité des salariés ? » est déjà tranché.

Marcel Marien L'oubli d'être en vie - 1967.jpg

Marcel Marien - L'oubli d'être en vie - 1967

Ces 4 oublis ne pourront faire oublier que la compétence n’a de sens qu’en rapport avec l’exercice d’une activité et que le travail est donc premier, que le problème est moins d’opposer travail et formation que de les articuler pour construire des parcours de professionnalisation, que la formation n’est pas l’avenir des services formation mais plutôt les moyens diversifiés du développement professionnel et que la notion de compétence posera demain des problèmes juridiques nouveaux qui ne pourront être saisis avec les outils anciens lorsqu’elle aura fait voler en éclat les frontières entre qualification contractuelle et qualification personnelle, entre temps de travail et temps personnel et entre compétences personnelles et compétences professionnelles. Mais cette histoire là reste à écrire. C’est celle d’un droit de la formation qui aura muté en un droit de la compétence et dans lequel l’accès à la formation sera un moyen, parmi beaucoup d’autres, de développer ses compétences, c'est-à-dire de gagner en autonomie sur le plan professionnel et partant sur le plan personnel.

29/07/2011

Chapitre 7 Qui voit la médaille du travail devenir parchemin

Les médailles du travail récompensent l’ancienneté. Dans un modèle de la compétence, elles ne produisent que peu de sens, hormis la fidélité à l’entreprise. En effet, autant l’expérience peut professionnaliser, autant elle peut être source de déqualification. De ce point de vue, voir en chaque senior un tuteur potentiel est une absurdité : toute expérience ne fait ni ne vaut compétence.

Depuis 2002, la Validation des Acquis de l’Expérience a mis l’activité au même niveau que la formation pour l’accès à la certification. Dorénavant, c’est moins l’ancienneté que l’on trace que les compétences développées dans l’activité.

botticelli07.jpg

Botticelli - Portrait d'un jeune homme tenant une médaille

Reste à mettre en place les moyens pour que l’expérience se traduise en compétence, ce qui n’a rien d’automatique. Pourtant, selon l’Université de Princeton, sur l’ensemble de sa carrière professionnelle on acquiert 70 % de ses compétences par son travail, 20 % par ses collaborations avec autrui et 10 % par la formation formelle. Reste aux services formation à se préoccuper des 90 % et ne pas considérer qu’ils ne  sont  responsables que des 10 %.

28/07/2011

Chapitre 6 Quand les organisations syndicales s'éveilleront

La question de la compétence est appréhendée par le droit quasi-exclusivement sous l’angle de la compétence individuelle et du rapport individuel de travail.

Or pour une organisation, la compétence individuelle n’est rien si elle ne contribue pas à une compétence collective. Cette dimension là n’est que peu prise en compte.

De la même manière, beaucoup d’organisations syndicales voient dans les compétences un cheval de Troie susceptible de remettre en cause  le couple formation/qualification. Effectivement, la notion de compétence fait du travail le point de départ (principal moyen de développement de compétences) et le point d’arrivée (évaluation de la compétence) du processus de professionnalisation. Une rupture culturelle avec la qualification par la formation.

girodet-effet-de-lune-endymion-1793.jpg

Anne-Louis Girodet - Le sommeil d'Endymion - 1793

Certes, des classifications prennent déjà en compte la notion de contenu d’emploi et les compétences réellement exercées.  Mais plus comme une conséquence, reconnaître le niveau de compétences, que comme un point de départ. Viendra peut être le jour où la négociation portera sur le contenu des emplois, leur enrichissement et la mise en place d’organisations du travail qualifiantes. Mais pour cela il faudrait sortir de l’opposition entre le vil travail et la noble éducation et considérer que la professionnalisation se situe dans l’articulation de différents moyens de développement des compétences, la formation n’étant que l’un d’entre eux. Désacraliser la formation serait, et cela paraîtra paradoxal pour beaucoup, rendre service aux salariés.

27/07/2011

Chapitre 5 Dans lequel la compétence prend son temps

Le premier dispositif de coinvestissement  (l’entreprise finance la formation, le salarié prend sur son temps personnel) a été introduit dans le code du travail en 1991. Il n’a guère fonctionné, tant est forte la culture de la formation pendant le temps de travail.

Mais le DIF a bousculé les limites du temps : depuis 2004 il est possible de convenir d’une formation se déroulant en dehors du temps de travail. La compétence se trouve découplée du rapport de travail et du contrat lui-même. Le temps personnel peut être mobilisé pour un objectif, l’acquisition de compétences, qui profite tant au salarié qu’à l’entreprise.

Le temps dévoilant la vérité - Charles Dauphin.jpg

Charles Dauphin - Le temps dévoilant la vérité - 1655

Le champ ainsi ouvert sera étendu par la loi du 24 novembre 2009 au CIF : il est désormais possible d’effectuer un congé individuel de formation sans prendre de congé. Les organismes qui financent le CIF peuvent prendre en charge des formations réalisées intégralement en dehors du temps de travail.

Perturbant tous les repères traditionnels, le développement de la formation sur le temps personnel, qui ne peut s’effectuer que sur décision du salarié ou avec son accord, permet d’ouvrir un espace de négociation en dehors du temps de travail. Et dans ce domaine également, on voit la compétence remettre en cause la ligne de partage entre le personnel et le professionnel.

26/07/2011

Chapitre 4 Dans lequel l'incompétence est une mesure à quatre temps

Tout le contentieux de l’incompétence s’organise autour de quatre questions auxquelles l’entreprise doit apporter réponse :

Le travail du salarié est-il insuffisant ?

L’entreprise peut prescrire au salarié un  résultat à atteindre et des procédures ou des comportements à respecter dans le cadre des activités exercées pour atteindre ce résultat. Elle doit donc évaluer le travail et caractériser l’insuffisance : par rapport aux objectifs fixés, par rapport aux autres salariés, par rapport au salarié lui-même sur une période antérieure, par rapport à des normes professionnelles, des consignes internes, etc.

Le contexte permettait-il d’atteindre les objectifs ?

L’entreprise doit vérifier que le contexte externe permettait d’atteindre les objectifs fixés ce qui revient à vérifier que ce contexte a bien été pris en compte lors de la détermination des objectifs et qu’il n’a pas évolué négativement au cours de la période de référence.

les-quatres-elements-jan-van-kessel-1626-1679.jpg

Jan Van Kessel - Les quatre éléments

L’entreprise a-t-elle favorisé l’atteinte du résultat ?

Un salarié ne travaille jamais seul. Il intervient au sein d’une organisation. Il appartient à celle-ci de favoriser au plan collectif les résultats qu’elle demande au plan individuel. Autrement dit, il est impossible d’évaluer le travail d’un salarié sans évaluer en même temps l’organisation dans laquelle il travaille.

Le salarié avait-il les capacités pour exercer ses activités ?

Dernière question : l’entreprise a-t-elle correctement conduit le diagnostic sur les capacités du salarié et un éventuel besoin de professionnalisation (entretien professionnel) et quels sont les moyens qu’elle a mis en œuvre pour professionnaliser le salarié et lui permettre d’exercer correctement ses activités si le diagnostic a révélé un besoin.

Si la réponse à ces 4 questions est positive, l’incompétence du salarié est juridiquement établie puisque aucune autre cause n’a pu être trouvée au résultat insuffisant.

25/07/2011

Chapitre 3 Où il est prouvé que l'irresponsabilité est dans la nature du salarié

Dès 1988, et de manière explicite en 1992 avec l’arrêt Expovit, la Cour de cassation pose en principe que, tenu d’exécuter de bonne foi le contrat de travail, l’employeur a l’obligation d’adapter le salarié à l’évolution de son emploi. Cette obligation sera reprise par la loi Aubry de février 2000 sur les 35 heures et figure aujourd’hui à l’article L. 6321-1 du Code du travail.

Les juges reviennent à la source : le salariat se définit comme le travail subordonné, quelle que soit l’indépendance  dont peut jouir le salarié au plan technique, voire organisationnel pour les salariés en forfaits jours.

affiche-L-Esclave-libre-Band-of-Angels-1957-2.jpg

Etant subordonné, le salarié ne peut porter la responsabilité de son employabilité. Il revient donc en premier lieu à l’employeur de réaliser un diagnostic sur les besoins de professionnalisation du salarié (entretien professionnel) puis de mettre en œuvre un plan d’action si nécessaire. Ce plan d’action ne se résume pas à la formation. L’employeur a l’obligation d’adapter et de veiller à la capacité du salarié à occuper un emploi, pas une obligation générale de formation. Il peut donc s’acquitter de son obligation par l’enrichissement des tâches, le développement de la polyvalence, le compagnonnage, le tutorat, la mise à disposition de ressources, etc.

Si l’entreprise n’a pas assumé ses responsabilités, impossible de mettre en cause celle du salarié : l’incompétence ou l’insuffisance professionnelle ne peuvent être reconnues que si l’entreprise a mis en œuvre tous les moyens qui sont à sa charge.

Par contre, dès lors qu’elle s’est acquittée de ses obligations, il appartient au salarié de faire tous les efforts pour acquérir les compétences requises et pour les mettre en œuvre. Le salarié n’est donc irresponsable qu’à hauteur du manquement de l’entreprise à ses obligations.

22/07/2011

Chapitre 2 Qui illustre les méritoires efforts du droit pour préserver la possibilité de schizophrénie du salarié

Au début des années 80, les lois Auroux consacrent le salarié citoyen dans l’entreprise. Au début des années 90 l’air du temps est à  l’entreprise citoyenne et le salarié citoyen disparaît peu à peu. Se pose de nouveau la question des libertés publiques dans l’entreprise.

Un rapport sur ce sujet, rédigé par le Professeur Gérard Lyon-Caen en 1992 ouvre la voie à une loi du 31 décembre de la même année qui prévoit qu’une entreprise ne peut, lors d’une procédure de recrutement ou d’évaluation, poser que des questions qui ont un rapport direct et nécessaire avec l’emploi occupé ou proposé (C. trav., art. L. 1221-6 et L. 1222-2). Le salarié au travail et le salarié dans sa vie personnelle doivent donc être disjoints, l'un ayant le droit de demeurer étranger à l'autre. Autrement dit, le comportement personnel ne nous dit rien du comportement professionnel qui seul peut être évalué. Le droit à la schizophrénie est ainsi établi, le salarié n'étant pas une totalité indivise au comportement monolithique. Exit donc les tests de personnalité généraux et les enquêtes de moralité.

schizophrenie.jpg

Exit d'une manière plus générale, les processus d’appréciation des personnes, renvoyés vers le bilan de compétences et ses protections. L’entreprise ne peut évaluer que les compétences dont elle se sert ou dont elle a besoin. Toute évaluation doit donc, pour être valide, être contextualisée.

Une autre manière de dire que l’on n’évalue pas les individus mais leur travail ou leur capacité à l’exercer.

Ce droit garanti pour le salarié de pouvoir être autre au travail que dans sa vie personnelle subit aujourd’hui les assauts des réseaux sociaux et autres Web 2.0, qui fragilisent, pour ne pas dire font voler en éclat, la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle.

21/07/2011

Chapitre 1 Dans lequel la santé professionnelle du salarié est un secret

La notion de compétence professionnelle du salarié est apparue pour la première fois dans le Code du travail en 1991, lorsque la loi du 31 décembre a créé le bilan de compétences.

Né de la pratique (dans les plans de reclassement du charbonnage puis de la sidérurgie), le bilan de compétences répondait également à une demande syndicale : la création d’un droit  à l’orientation professionnelle que Jean-Paul Murcier, membre de la CFDT, appelait de ses vœux dans un rapport réalisé pour le Comité Economique et Social (1980).

Cette demande s’était heurtée à une opposition patronale, en vertu du principe selon lequel l’employeur doit être le seul juge des compétences de ses salariés.

le joueur secret.jpg

René Magritte - Le joueur secret

Les années 80 auront vu une inversion de cette position. C’est le MEDEF (CNPF à l’époque) qui assurera la promotion de la notion de compétences à la fin des années 80. La compétence était à la fois le moyen de régler au niveau des individus les questions que l’organisation ne parvenait pas à prendre en charge collectivement, une approche nouvelle de la notion de qualification et une nouvelle manière d’appréhender le travail à travers les compétences requises pour l’effectuer, ce qui garantissait mieux la possibilité d’identifier des passerelles entre les emplois.

Dans cette logique, le bilan de compétences est un outil d’évaluation mais également d’orientation et  d’aide à la mobilité. Toutefois, le bilan de compétences ayant une dimension personnelle, le législateur le consacrera en l’entourant de garanties : le bilan de compétences est un droit reconnu au salarié, il ne peut y être contraint, il est seul destinataire des résultats.

Avec un droit à un financement tous les 5 ans, le bilan de compétences est au final calqué sur le droit au bilan de santé quinquennal financé par la sécurité sociale. Le bilan de compétences ?  un droit au bilan de santé professionnelle.

Demain, chapitre 2 : Qui illustre les méritoires efforts du droit pour préserver la possibilité de schizophrénie du salarié