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21/02/2012

Salarié toujours qualifié

Il y a eu un jour où j'ai réalisé que j'avais des clients plus jeunes que moi. Et depuis quelques temps, je m'aperçois que mes premiers clients ont pris leur retraite. Mais comme j'aime bien la fidélité, je continue à les inviter à déjeuner. Ce qui m'a valu le plaisir de partager un repas avec un ancien directeur de la formation de la fédération du bâtiment.

"Vous savez que je vous cite souvent ?

- ah bon ! et à quel propos ?

- parce que vous avez toujours refusé que l'on parle de BNQ, les bas niveaux de qualification, ceux qui ont contribué à construire, entre autres, l'Arche de la Défense...

- oui je me suis beaucoup battu contre cela, et je note avec satisfaction que l'expression est moins employée

- vous savez qu'un salarié est toujours qualifié même s'il n'est pas diplômé...

- oui c'est le propre du travail, il qualifie alors que l'éducation, hélas, déqualifie parfois puisqu'elle produit des non diplômés. Je vais vous raconter une anecdote...

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Tarsila do Amaras - Ouvriers - 1933

- Allez-y !

- J'ai été auditionné par le Haut Conseil de l'Education, vous remarquerez l'importance du Haut. Comme ils m'ont fait attendre, j'ai vu des ouvriers qui repeignaient le ministère. Ils étaient tunisiens. J'ai  discuté avec eux. Je leur ai demandé où ils avaient appris à peindre, parce qu'ils faisaient un beau boulot. Ils m'ont répondu : "on a pas été à l''école pour ça"...

- Et vous en avez parlé lors de votre audition...

- c'est par ça que j'ai commencé !

Je crois que c'est que j'ai toujours le plus apprécié dans mon activité, c'est de rencontrer des individus engagés. Qui ne partagent pas toujours mes idées, qui sont parfois agaçants comme je peux les irriter, mais avec lesquels au final il y a quelques valeurs à partager dont la première est de ne jamais faire des individus des abstractions mais de les considérer dans leur singulière réalité. Et l'homme qui me raconta cette anecdote est aussi celui qui milita en 2003 pour passer de la notion de qualification à celle de professionnalisation. Paradoxe ? non, bien au contraire, mais ça je m'en expliquerai demain.

19/02/2012

Compétents incompétents

Il n'est pas nécessaire d'être un spécialiste des questions de travail et de formation pour savoir que la compétence n'est ni immuable, ni tout terrain. Dépendante du contexte et de l'évolution des individus, elle n'a rien de l'accumulation linéaire comme le laissait croire le modèle de l'ancienneté et de l'expérience continuée. C'est ainsi que l'on peut régresser. Dans le domaine de la peinture, l'exemple le plus frappant est sans doute celui de De Chirico. Peintre métaphysique et visionnaire dans les années 10, il perd quasiment toute créativité à partir des années 20 et finira par se pasticher lamentablement.

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De Chirico - Mystère et mélancolie d'une rue - 1914

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De Chirico - Le retour d'Ulysse - 1968

Les clubs de football l'ont expérimenté, au grand dam parfois des supporters. Pourquoi vendre un joueur qui vient de réaliser une saison exceptionnelle ? parce que rien ne garantit qu'il effectuera la même et que sa côte est au plus haut. De ce point de vue, la notion de capital humain emprunte moins à l'analyse marxiste d'accumulation du capital qu'à l'option libérale de la valeur fluctuante de l'action. C'est ce qui fait le casse-tête des recruteurs : malgré les expériences réussies, malgré les diplômes accumulés,  le passé ne garantit pas l'avenir. Charme de l'imprévisibilité humaine qui nous offre autant de révélations tardives que de déchéances précoces. Mais pour l'esprit rationnel, cela risque de coincer. Que l'incompétent devienne compétent, passe encore, tout juste, mais passe. Mais que le compétent devienne incompétent est incompréhensible pour qui a une vision linéaire du temps et des individus. Il suffit pourtant de regarder De Chirico ou de se reporter à la chronique d'hier pour constater qu'une campagne électorale créé un contexte néfaste pour la compétence.

18/02/2012

Sérieux ?

La machine a été inventée par Wim Delvoye. Alignement de cuves et de tuyaux, elle reproduit un tube digestif humain. Conçue pour ingérer de véritables aliments, dont des menus conçus spécialement pour elle par de grands chefs, elle les transforme, comme le corps humain, en matière fécale. Si la prouesse technique n'est pas mince, on pourra disserter longtemps sur la valeur artistique d'une machine à produire, osons le terme, de la merde. Les étrons soigneusement emballés dans de petits sacs plastiques sont pourtant vendus 1 000 euros pièce. Comme quoi, le n'importe quoi peut rapporter gros.

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Wim Delvoye - Cloaca original - 2000

C'est sans doute à ce dernier principe, n'importe quoi peut rapporter gros, que pensait François Fillon lorsqu'il a détaillé le projet de référendum sur la formation professionnelle. Objectif ? "récupérer les 30 milliards consacrés à la formation pour les consacrer à la formation des chômeurs". Selon le premier Ministre, il faudrait que les corps intermédiaires qui ont en charge la gestion de ces milliards acceptent de les consacrer à la formation des chômeurs, ce qui permettrait de donner à tous une formation qualifiante. Cette déclaration a été faite sur le mode le plus sérieux. Or, elle l'est beaucoup moins que la machine de Wim Delvoye. Pourquoi ? Il suffit de décomposer les 31,5 milliards de dépenses recensés en 2009 (dernière année connue) :

- 13 milliards de dépense des entreprises pour la formation et l'apprentissage

- 5 milliards de l'Etat pour la formation et l'apprentissage, dont une partie pour la formation des chômeurs

- 4,5 milliards pour les régions dont une grande partie pour la formation des chômeurs

- 6 milliards dépensés par l'Etat, les collectivités locales et l'hôpital pour former leurs agents

- 2 milliards de dépenses de l'UNEDIF et de POLE EMPLOI pour les demandeurs d'emploi

- 1 milliard dépensé par les ménages.

S'agit-il de prélever ces sommes pour en faire un impôt global destiné à la formation des chômeurs ? d'arrêter de financer la formation des salariés, de supprimer l'apprentissage et de ne plus envoyer en formation aucun fonctionnaire ? et si on le faisait, on disposerait de 10 000 euros par demandeur d'emploi. Comment financer à chacun une formation qualifiante tout en leur assurant un revenu avec cette somme ?

La proposition est tellement invraisemblable que l'on se demande pour quelle raison un Premier Ministre la reprend à son compte sur le ton de l'évidence. Tiens au fait, pourquoi ?

17/02/2012

Solidarité intermédiaire

Les corps intermédiaires n'ont pas bonne presse. J'ai déjà pointé sur ce blog, la défiance exprimée dès loi Le Chapelier envers les corporations et associations. La critique des organisations professionnelles ou syndicales, présentées comme sources de blocage et de conservatisme, trouve un écho dans le rapport Perruchot consacré au financement des organisations patronales et syndicales. Ah qu'il est bon de taper sur l'intermédiaire comme le firent les vignerons du Languedoc au début du siècle !

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Mais ces mêmes vignerons ont aussi inventé les coopératives viticoles, c'est à dire la solidarité des producteurs pour mettre en commun des moyens de fabrication et de commercialisation. On peut même retrouver trace d'une fête qui réunit coopérative de production et coopérative de consommation.

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Les vignerons coopérateurs reçoivent

des sociétés coopératives de consommation

Car la liberté d'association permet la mise en place d'organisations collectives par lesquelles les individus conjuguent leurs intérêts, ce qu'on leur reproche parfois, mais aussi de structurer des représentations collectives entre le citoyen et l'Etat, ce que ce dernier n'apprécie parfois que peu. Qui dit corps intermédiaire dit contrepouvoir. Et toute résistance au changement n'est pas que négative, encore faut-il savoir quel est le changement proposé. Est-il corporatiste, conservateur, passéiste et représentant d'une société bloquée celui qui refuse que le travail du dimanche soit généralisé ou celui qui considère qu'il serait paradoxal que l'on désigne sous le nom de progrès tout changement se traduisant par une réduction de ses droits ?

Dans un Etat de droit, les corps intermédiaires cela s'appelle la démocratie sociale, indispensable contrepoint à la démocratie politique. Il y a plus de deux siècles que Montesquieu nous a expliqué tout cela.

Alors le rapport Perruchot ? loin des caricatures que certains medias en ont donné, il ne s'agit pas d'une dénonciation exclusivement à charge de dérives syndicales. Certes le rapport n'échappe pas à certains a priori mais après tout il constitue une mise à plat sérieuse de la question du financement des organisations patronales et syndicales. Il aurait gagné à rappeler plus systématiquement que les financements reçus sont organisés par la loi, de même que les heures de délégation dans les entreprises et au sein de la fonction publique. Et que, mis à part certains comportements qui relèvent de l'escroquerie, ce qui pose le plus problème c'est manifestement les conflits d'intérêts lorsque les mêmes organisations, voire les mêmes personnes, cumulent des fonctions de pouvoir. Tiens, un peu comme les politiques. Et si on veut bien avoir cette lecture, on pourrait en conclure que les choses iraient un peu mieux non pas s'il y avait moins de corps intermédiaires, mais s'il y en avait davantages avec plus de citoyens impliqués et moins de consanguinités et d'endogamie. Car au final, là se trouve l'exigence.

rapport-perruchot.pdf

16/02/2012

Du passé dépassé

Je n'aime pas particulièrement les peintures de Philippe Pasqua. Chairs à vifs, corps maladifs, personnages passifs. Ces portraits sont à la peinture ce que les livres de Houellbecq sont à la littérature des années 90 : une fin de siècle triste et dépressive qui n'en finit pas de sangloter sur le souvenir du paradis perdu que constituèrent les trente glorieuses. Une peinture qui appartient au passé et qui n'a plus grand chose à nous dire aujourd'hui. Du vu et revu, réchauffé, dépassé pour celui qui est un des artistes les plus en vue d'aujourd'hui.

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Philippe Pasqua - Constance

En 1993, Charles Pasqua lançait le débat sur le droit à la formation différée. A savoir la reconnaissance pour toute personne sortie du système scolaire sans être titulaire d'un diplôme de niveau III (BTS, DUT),  d'un droit de créance sur la collectivité pour reprendre ses études. Les partenaires sociaux ont repris ce droit dans leur accord du 5 décembre 2003 et ont demandé aux pouvoirs publics de le mettre en oeuvre. Les Conseils régionaux y étaient favorables. Et puis rien.

Encore plus tôt, en 1989, Michel Rocard mettait en oeuvre le crédit formation pour que tout jeune sans qualification bénéficie d'une formation et d'un diplôme. L'objectif était de réduire le chômage des jeunes. En 1991, le gouvernement fit le constat qu'il valait mieux mettre les jeunes en situation d'emploi et les accompagner par la formation si nécessaire que de former tous azimuts en étant déconnecté de l'emploi. Les partenaires sociaux ont fait leur ce principe par l'ANI du 7 janvier 2009, la loi l'a repris en créant la Préparation opérationnelle à l'emploi (POE).

On sait de longue date que la formation ne créé pas l'emploi, ce qui a manifestement échappé à quelques uns, et qu'elle est plus efficace lorsqu'elle s'effectue en situation d'emploi plutôt que de chômage. Et l'on en a conclu que c'était l'articulation entre l'activité et la formation qui était pertinente plutôt que leur juxtaposition. Bref tous ces débats ont déjà eut lieu et ont été tranchés.

Remettre au goût du jour la formation des demandeurs d'emploi comme préalable à l'emploi sans se préoccuper du droit à la formation différée, c'est faire comme Philippe Pasqua, agir en faisant comme si tout cela n'avait pas déjà été posé et réglé il y a 25 ans. Quelqu'un peut-il les réveiller ?

15/02/2012

En route vers le silence

Si l’on souhaite que plus personne n’entende rien, il y a deux méthodes : le silence et le vacarme. Mais si l’on se dote d’un indicateur quantitatif, avec le vacarme il est possible de considérer que beaucoup de choses, énormément de choses, se sont dites.

Le dialogue social obligé est un vacarme. Après les accords seniors et avant les accords pénibilités, les accords égalités professionnelles occupent DRH et syndicalistes. Tous les bilans en témoignent : négociation formelle, créativité atone, portée réduite, habillage de pratiques existantes, l’impact de la négociation est faible. Mais quantitativement, on peut brandir des chiffres : les centaines d’accords conclus, les milliers d’entreprises couvertes, les millions de salariés concernés. Loin d’être revigoré par cette déferlante conventionnelle, le dialogue social en sortira affaibli : beaucoup de vacarme, peu d’effets.

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Nonne au collier de silence

Quand on est fatigué du vacarme, il reste le silence. Tel risque d’être l’avenir du dialogue social lorsque, fatigués de négocier des accords vides de contenu et sans portée, habitués à se voir pendant des heures sans résultat, les partenaires en viendront à préférer le silence. Ils pourront alors se dire qu'il y a deux manières de tuer le dialogue social : l'empêcher ou faire semblant de l'encourager.

14/02/2012

Tout va bien, on se quitte ?

Les décisions de Cour d'appel s'accumulent en des sens opposés et la Cour de cassation devra bientôt trancher en posant une solution de principe : est-il possible ou non de conclure une rupture conventionnelle alors qu'il existe un litige entre l'employeur et le salarié ? La Cour d'appel de Riom a répondu par la négative en janvier 2011 estimant que lorsque le salarié est en litige avec son employeur, il ne peut librement négocier. Plus pragmatique, sans doute parce que plus au sud, la Cour d'appel de Montpellier a rappelé le 16 novembre 2011 qu'aucun texte n'interdit de conclure une rupture conventionnelle dans un contexte litigieux et que les débats parlementaires n'ont pas évoqué de réserve particulière  à ce sujet. De la position de la Cour de cassation dépend donc l'avenir de la rupture conventionnelle homologuée comme forme de séparation amiable.

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Edvard Munch - La séparation

Il n'y a que des juges, certains du moins, pour considérer que la rupture conventionnelle ne sera utilisée que dans le cadre d'une cordiale entente des parties : "Tout va bien entre nous, quittons nous". En réalité, la rupture conventionnelle vient souvent conclure une dégradation des relations ou constitue une alternative satisfaisante à une démission ou un licenciement. En vertu de quel principe interdirait-on aux parties de constater qu'elles ont des relations conflictuelles et que la meilleure solution est de ne pas les prolonger ? le seul contrôle que doivent exercer les tribunaux est celui de la volonté du salarié. Le consentement du salarié était-il libre ou non ? sachant que la loi organise tout le processus de rupture selon des modalités qui garantissent la validité de l'accord du salarié. Si l'on considère que tout litige constitue par principe et par nature une pression insupportable sur la volonté du salarié qui lui interdit de conclure un accord conventionnel de rupture, alors cela signifie que la volonté du salarié est entièrement soumise au rapport de subordination dès lors qu'il existe un conflit d'intérêts avec l'employeur. Ce faisant, en pensant protéger le salarié, on le considère comme un individu qui ne peut agir de manière responsable et dont la volonté est inévitablement alterée par le contrat de travail lui même. Pas sur que ce soit un service à rendre aux salariés que de les considérer comme aliénés par la moindre situation conflictuelle.

13/02/2012

Mais qu'est-ce que secte ?

La Miviludes (mission de lutte contre les sectes) vient de publier un guide intitulé "Savoir déceler les pratiques sectaires dans le domaine de la formation professionnelle". Secte et formation c'est comme les francs-Maçons, le sexe et l'argent : des maronniers pour hebdomadaires qui souhaitent doper leurs ventes. Avec la Miviludes, on se dit que ce sera plus sérieux. A la lecture du guide, on s'aperçoit que ce n'est pas gagné. De la même manière que la Miviludes peine à définir la secte ou la dérive sectaire de manière précise, les indicateurs qui nous sont fournis pour déterminer la dérive sectaire en matière de formation souffrent tous d'une grande imprécision quand ce n'est pas d'un degré de généralité tel qu'ils en deviennent inopérant sinon ridicules. Ainsi, la secte pourrait se reconnaître à son discours antisocial ! Bernie, fais gaffe !

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On lit encore qu'est un indice de dérive sectaire une réinterprétation des notions juridiques du droit du travail destinée à contredire tant les textes que la jurisprudence. Hum ! cela voudrait dire que la DGEFP par sa lecture des textes relatifs aux OPCA connaît une dérive sectaire ? (mesdames et messieurs de la DGEFP, JE PLAISANTE !). On note également comme indice de dérive la répartition du coût de la formation entre l'entreprise et le salarié, ce qui fait de quasiment tous les FONGECIF des complices actifs, et cet indicateur mystérieux "la demande de DIF formulée par un salarié déjà sensibilisé par un organisme sectaire" qui impose à toutes les entreprises de faire cocher aux salariés la case "non sensibilisé par une secte" sur toute demande de DIF, comme l'on coche NON à la case "terroriste"  lorsque l'on entre aux Etats-Unis. Parmi les indicateurs de dérive on trouve également la fatigue durable voire chronique, ce qui est l'état de tous les apprentis qui suivent le Master RH de la Sorbonne au bout de quelques mois, ce qui me conduit à m'interroger sur les véritables objectifs de Jean-Emmanuel Ray.

Alors bien sur il est aussi écrit qu'aucun critère n'est suffisant seul (ouf !) et qu'ils n'ont pas tous la même valeur (mais ils ne sont pas hiérarchisés pour autant).

La Miviludes devrait se rappeler que la qualité du droit tient à la qualité des définitions et des indicateurs associés et que le propre du  discours sectaire est d'utiliser des formules génériques dans laquelle chacun va pouvoir projeter ce qui lui convient.

Pour les curieux, le guide est téléchargeable ci-dessous et pour tout le monde un petit réveil matinal en musique. Bon lundi à toutes et à tous.



Miviludes - Formation Professionnelle.pdf

11/02/2012

Radiation

Pas la peine d'en rajouter sur le référendum relatif à l'assurance-chômage qui n'a guère de sens au plan de la gouvernance du social, du droit du travail ou de la faisabilité technique. Juste l'occasion de rapporter une anecdote qui date de l'été dernier. Un ami DRH s'inscrit à POLE EMPLOI avant l'été. Fin juillet, coup de fil attentionné :

- vous savez que vous pouvez partir en congés si vous voulez ?

- je ne savais pas, mais je comptais partir quinze jours dans ma famille...

- il n'y a pas de raison que les demandeurs d'emploi ne puissent pas partir. Vous pouvez vous absenter pendant trois semaines sans impact sur votre situation...

- bon, voilà les dates auxquelles je serai absent...

- c'est enregistré, merci.

Dans la première semaine d'absence, convocation par mail à un entretien à POLE EMPLOI sous peine de radiation. Comme quoi, consulter ses mails pendant les congés n'est pas qu'un vice de work alcoholic et peut s'avérer utile. Coup de fil furibard :

- vous vous foutez de moi ? vous venez m'informer que je peux m'absenter et dès que je le fais vous me convoquez ?

- nous sommes désolés, c'est un envoi automatique, le robot qui envoie les mails n'a pas du prendre en compte les dates. Pourtant elles sont saisies, je ne comprends pas...

Ah ces radiations administratives incompréhensibles et innocentes.

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Innocent radiation

Le nombre de radiations administratives oscille en 40 et 50 000 par mois, soit plus de 500 000 par an. Il paraît qu'il y a peu d'erreurs. Mon ami n'a pas eu de chance, voilà tout. Ou plutôt si : pendant ses congés, il a croisé un vieux copain qui l'a mis sur un recrutement en cours. Il a été embauché en septembre. Du coup, grace aux congés, il est radieux et radié.

09/02/2012

Machines autodestructrices

Liaisons Sociales en fait le thème de son dernier numéro d'Entreprises et Carrières : les accord seniors génèrent de la frustration, notamment avec les entretiens de mi-carrières, entendez des plus de 45 ans, qui ne sont pas ou plus faits et lorsqu'ils le sont c'est à la stupéfaction des seniors à qui on les a proposés :

"Comment envisagez-vous votre avenir professionnel ?

- c'est plutôt à vous de me le dire...

- Ah mais non, je suis là pour vous écouter...

- Certes, mais ce n'est pas moi qui décide de mes missions, de mon évolution possible dans l'organisation, de mon parcours...

- Mais cet entretien a pour objectif de vous permettre d'exprimer vos souhaits...

- Et quelles sont les décisions qui pourraient en résulter...

- Ah ça ! ...."

Et voilà comment les entretiens de mi-carrière frustrent le bénéficiaire et le manager : rien à décider, rien à proposer, mais un entretien à tenir et la pression des RH pour les réaliser effectivement, d'ailleurs c'est écrit dans l'accord senior qu'il faut les faire, donc allez-y. Ou comment faire de la RH autodesctructrice.

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Jean Tinguely - Machine autodestructrice - 1960

En 1960, Tinguely créé un hommage à New-York : une machine autodestructrice, installée dans les jardins du Moma, préfigurant la ville carnassière qui s'autodétruit et renaît sans cesse, New-York la ville du mouvement perpétuel, illustration constante de la destruction  créatrice de Schumpeter.

Les ressources humaines ressemblent parfois à ces machines autodesctructrices, lorsqu'elles agissent selon leurs logiques, ou contraintes, propres, sans se soucier des utilisateurs. Ce qui donne : j'étais obligé de faire un accord senior, je l'ai fait, maintenant la suite n'est plus de mon ressort. Et ce discours peut être tenu sur l'égalité professionnelle hommes-femmes, sur la pénibilité, sur les travailleurs handicapés, sur la GPEC, etc. Les ressources humaines produisent du formel sur des obligations légales et ensuite, bon courage les managers mais surtout ne venez pas nous chercher, nous on a fait notre job, à vous de jouer maintenant. Et pas question de renacler, vous seriez des résistants au changement ou des rebelles à la contrainte qui s'impose à tous. Allez, après ça, expliquer aux managers que la fonction RH a de la valeur ajoutée ou qu'elle peut servir à autre chose que leur compliquer la vie. Ils vous répondront invariablement que le service Ressources Humaines ressemble pour eux à une machine autodestructrice et que le RH ferait mieux de s'abstenir d'agir, ce serait toujours ça de pris. Tout ceci n'empêche pas des RH de considérer qu'ayant rempli leur obligation, ils ont fait ce qu'il fallait. Et peu importe les conséquences sur les opérationnels. C'est à celà que l'on mesure la capacité d'autodestruction et que l'on voit les limites d'une politique qui consiste à faire de l'obligation légale l'alpha et l'oméga des politiques RH. Pour aboutir à ce résultat, autant laisser les acteurs sociaux se débrouiller entre eux, ce sera moins machinal et moins destructeur.

08/02/2012

Ratio d'espoir

La formule est de Jean-Marie Luttringer, qui n'a pas découvert le modèle allemand ces dernières semaines et a pris le temps de l'étudier. Elle nous offre ce mélange d'utopie et de réalisme qui nourrit souvent toute projection de soi dans le futur. Le ratio d'espoir c'est la capacité d'un système à offrir des opportunités à ses utilisateurs. En France, on a l'habitude d'utiliser une autre expression, celle d'ascenseur social, qui exprime bien notre goût de la verticalité et de la sélection. L'ascenseur il est souvent central, c'est donc un bon outil jacobin, il est de capacité limité, ce qui justifiera que certains attendent leur tout plus longtemps que d'autres,  il dessert tous les étages, ce qui constitue une fausse égalité puisque tous les étages n'ont pas les mêmes avantages, et il tolère l'exception des chambres de bonnes pour lesquelles il faut emprunter l'escalier de service. Il exclut donc un peu, mais pas trop pour que cela reste acceptable.

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Tim Eitel - Die Öffnung - 2008

Le ratio d'espoir du système dual allemand, ce système d'apprentissage qui attire les deux tiers d'une classe d'âge, est élevé mais pas pour ses qualités propres. Il est élevé parce que les processus de recrutement, de formation et d'évolution dans les entreprises allemandes permettent à un apprenti d'envisager d'exercer plus tard une fonction de direction, les postes n'étant pas trustés par les étudiants issus des grandes écoles. Ce n'est donc pas à l'intérieur du système d'apprentissage que se trouve la clé de son succès, mais dans les pratiques des entreprises. On peut réformer autant que l'on veut le système d'apprentissage en France, tant que le passage par l'apprentissage ne sera pas une voie normale et banale d'accès  à toutes les fonctions dans l'entreprise, il continuera d'être fréquenté majoritairement par les exclus du système scolaire. Et l'on pourra toujours, lors des multiples colloques et manifestations de promotion de l'apprentissage, poser la question aux intervenants et responsables en tribune : "Lesquels d'entre vous ont fait le choix positif de faire passer leurs enfants par l'apprentissage ?". C'est pourquoi, avant de réformer sans fin l'apprentissage, il faut peut être s'intéresser à son ratio d'espoir et se souvenir qu'en Allemagne, puisque la comparaison est à la mode, la loi sur l'apprentissage date de 1969 et qu'elle n'a pas véritablement été réformée depuis, ce qui est peut être la deuxième clé de son succès.

07/02/2012

Pas touche les congés !

La Cour de Justice des Communautés Européennes poursuit son travail d'harmonisation des droits des salariés au niveau européen. N'en déplaise à ceux qui ne voient dans l'Europe qu'une machine bureaucratique dont la boussole est constituée par la concurrence, le libre-échange et les marchés financiers, il se trouve quelques juges à  Luxembourg pour rappeler que l'Europe ce sont aussi des règles et garanties en matière sociale qui doivent bénéficier à tous les européens. Dans une affaire jugée le 24 janvier dernier (CJUE, aff. 282/10, Dominguez), la Cour rappelle que tout salarié doit bénéficier de 4 semaines de congés payés par an, et que ce droit n'est pas conditionné, dans les textes européens, par le fait d'avoir travaillé. Impossible donc de proratiser les congés payés d'un salarié qui, pendant la période de référence, a eu un congé maladie. Vous rentrez de congé ? prenez vos congés !

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Robert Doisneau - Congés payés

C'est déjà la CJUE qui avait rappelé que les congés maladie ne pouvaient faire perdre des jours de congés payés acquis et qu'il fallait les reporter au-delà de la période de maladie. Voici une nouvelle étape : les congés payés ne sont pas la contrepartie du travail mais un droit inaliénable auquel doit avoir accès tout salarié, quand bien même n'aurait-il pas travaillé. Il va donc falloir reparamétrer les logiciels de gestion de la paie et arrêter de proratiser les congés payés des salariés malades. Au passage, ceux qui persistent à proratiser les jours de RTT des salariés en forfait jour lorsqu'ils sont malades et que la Cour de cassation avait déjà rappelé à l'ordre, trouveront ici l'illustration que le droit a repos peut être indépendant du travail. Ce n'était pas ainsi que l'on raisonnait jusque-là, il va falloir s'y habituer.

06/02/2012

Talent singulier

Vendredi soir était soirée de remise des diplômes aux étudiants du Master Ressources Humaines de Paris 1 La Sorbonne dirigé par Jean-Emmanuel Ray. J'aime ces cérémonies protocolaires sans l'être trop où tous les moments passés de la formation deviennent des bons moments. Le plaisir des étudiants façonne celui des formateurs.

En introduction de la cérémonie, débat sur les Talents. Le grand mot est laché, et tellement laché d'ailleurs que tout le monde peine à le rattraper pour le définir. Qu'est-ce que le talent ? un état ? un construit ? une compétence particulière ? relève-t-il du magique ? de l'insaisissable ? est-ce cette capacité, plusieurs fois évoquée, à dénouer les situations ? le talent serait donc orienté solution ? Je proposerai une définition un peu différente qui distingue le talent de la compétence et de la performance, auxquelles il ne saurait être ramené.

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MANET  - Olympia - 1863

La talent n'est pas la compétence. Techniquement, bien des peintres auraient pu produire ou sauraient copier ce tableau de Manet. Mais qui d'autre aurait été capable de le créer ? de poser le corps blanc dans cette tranquille nudité, avec ce regard qui vous somme de regarder vraiment et qui créera le scandale. Car ce n'est pas la nudité qui choqua, mais le regard d'Olympia. Le talent c'est cette manière singulière que Manet met en oeuvre pour nous déshabituer de voir une représentation de la femme et vérifier si nous sommes capable de regarder vraiment une femme, cette femme.

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Julieth MARS TOUSSAINT - Olympia - 2006

Le talent ce n'est pas la performance, en l'occurence le prix atteint par le tableau de Manet ou celui de Julieth Mars Toussaint. Le talent c'est cette capacité singulière, mise en oeuvre ici par Julieth Mars Toussaint,  à réinterpréter, et non à copier, un chef d'oeuvre pour lui ajouter une dimension nouvelle. C'est une manière personnelle d'accomplir un travail, c'est donc une appropriation. Dit autrement, c'est l'utilisation de ses compétences en résonnance avec une biographie et un environnement. Une manière toute personnelle de faire. C'est irrémédiablement lié à l'individu, c'est la marque personnelle de chacun. En cela, chacun dispose d'un talent, d'une manière personnelle de réaliser ce qu'il doit. Et si l'on peut posséder les mêmes compétences ou atteindre la même performance, il est impossible d'avoir le même talent qui est donc irréductiblement singulier.

03/02/2012

L'essai, c'est pas immédiat

Picasso disait : "Je ne cherche pas, je trouve". Quand on trouve directement, on ne fait pas d'essai. Si on ne fait pas d'essai, le résultat est immédiat. Pas de reprise, pas de remord, du définitif. C'est ainsi que Picasso nous offre une tête de taureau qui fait un lien direct entre les peintures pariétales de la préhistoire et la civilisation du Sud, en utilisant cet objet tant prisé dans le Nord : le vélo.

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Picasso - Tête de taureau - 1942

Mais lorsque l'on fait des essais, cela signifie que l'on prend le temps, que le premier jet ne sera pas le bon et que le définitif ne sera pas immédiat. C'est ce dont aurait du se souvenir cet employeur qui a recruté un agent de sécurité, a prévu une période d'essai d'un mois et a arrêté l'essai, et partant le contrat, au bout de deux jours. Au motif que deux jours étaient suffisants pour apprécier le comportement et la présentation du salarié. Trop court a jugé la Cour de cassation le 11 janvier dernier (Cass. soc., 11 janvier 2012, n° 10-14.868) qui a alloué au salarié trop rapidement remercié 8 000 euros pour le préjudice subi. Il n'est pas possible de prévoir un mois pour tester le salarié et considérer que deux jours suffisent. On en concluera que lorsque la période d'essai est de trois mois renouvelable, difficile d'y mettre fin sans avoir laissé  le temps au salarié de prendre ses marques et d'avoir véritablement exercé sa fonction. Avec l'essai, il faut savoir prendre son temps.

02/02/2012

Pêcheuses de lune

La vague de froid coule sur les campagnes comme un Tsunami silencieux qui enferme les hommes dans les maisons et libère les espaces. Le gel s'abat sur la nature et la fige. L'immobilité gagne les humains, même les animaux se font discrets. Le ciel est clair, le froid n'en est que plus vif. Comment dans ces conditions suivre l'actualité ? l'engagement nécessite ces moments de distanciation. Lorsque le flot des agitations multiples s'est retiré, poussé par un froid toujours plus présent, c'est le moment. Il est possible d'aller à la rencontre des pêcheuses de lune.

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Paul Chabas - Blonde au crépuscule

Les pêcheuses de lune apparaissent peu. Par nuit claire elles sont dans les lacs, sous les reflets. Elles effraient les hommes, illuminent les enfants, peu de femmes les voient. Ephémères lucioles, elles vous offrent ce qu'elles ont de plus précieux : le temps. A chacun de le préserver lors de son retour, demain, dans l'actualité.

01/02/2012

Allez les OPCA, un peu de fantaisie !

Fantaisistes. Ainsi sont qualifiées par le DGEFP, Bertrand Martinot, les analyses juridiques qui ont critiqué l'action de l'Etat, et non l'Etat comme il l'affirme trop rapidement, dans la réforme des OPCA. Fantaisistes donc. Pourquoi ? parce que. Et n'attendez pas que l'administration vienne argumenter avec des fantaisistes. Pas de temps à perdre.Il faudrait au moins prendre celui de lire Antonio Machado : "On ment plus qu'il ne faut par manque de fantaisie : la vérité aussi s'invente".

Mais le plus inquiétant est sans doute que le DGEFP révèle une nouvelle fois la manière dont il conçoit le droit : un simple outil de pouvoir. Qui a le pouvoir peut dire le droit et c'est à la capacité d'imposer ses décisions que l'on reconnaît celui qui a raison. Cette confusion entre pouvoir et droit est la marque d'une certaine manière de gouverner qui porte en elle les germes de l'échec. Car les logiques juridiques finissent toujours par rattraper l'action politique. On sait pourtant de longue date que le pouvoir n'est qu'un dérivé du droit dont il procède, du moins en démocratie. Lorsque le pouvoir impose sa règle malgré le droit, l'Etat de droit recule et celui qui porte le plus atteinte à l'Etat ici est moins celui qui dénonce que celui qui s'affranchit unilatéralement des règles qu'il a le devoir de respecter.

Mais il faudrait également rappeler au DGEFP ce qu'est une fantaisie. En convoquant Glenn Gould et Bach par exemple.


Glenn Gould - Chromatic Fantasy - J.S BACH

On peut constater, comme le dit Philippe Sollers, que : "La fantaisie et la liberté d'imagination ne s'acquièrent pas comme ça, il y faut du temps, de l'obstination, de la sévérité, de la rigueur, des mathématiques, de la raison".

Si les OPCA ont subi la réforme de la formation et l'étroite vision fiscale de l'administration sur leur action, c'est justement par manque de fantaisie, c'est à dire d'imagination créative, de la part de ceux qui ont été chargés de piloter le processus. Et notamment l'incapacité à penser la réforme au-delà d'une régulation financière de son fonctionnement : il est vrai que du côté de Bercy la fantaisie n'est pas la culture de référence.

Si les OPCA ne veulent pas subir la prochaine réforme, on ne peut que leur conseiller de faire preuve d'un peu, et même de beaucoup, de fantaisie. S'ils l'osent, l'avenir leur appartient.

Les OPCA ont de l'avenir, si....pdf

31/01/2012

Jouons au maître d'école

Le vrai maître d'école lit véritablement les travaux de ses élèves. De manière attentive, non blasée, curieuse, ouverte et sans a priori. Confiant, exigeant, bienveillant. Tout l'inverse de l'aigri, revenu de tout et surtout de lui-même, qui lit en diagonale, survole, ne voit que ses préjugés et cherche à  conforter ses a priori par une lecture orientée plutôt que de déceler toutes les promesses que peut receler le texte. Jouons donc à ce maître d'école en analysant la lettre que Nicolas Sarkozy vient d'envoyer à Gérard Larcher pour lui demander de faire des propositions de réforme de la formation professionnelle. Que dirait le correcteur de la copie ?

Une première question s'imposerait : les 4 objectifs proposés sont-ils atteignables et compatibles ? rapprocher l'enseignement professionnel des besoins de l'économie, développer la promotion sociale, former ceux qui en ont le plus besoin et accompagner les salariés, chacun de ces objectifs pourrrait à lui seul mobiliser l'intégralité des moyens aujourd'hui consacrés à la formation professionnelle. Alors ? s'agit-il d'augmenter les moyens ou de répartir la pénurie ? si en amour il ne faut pas craindre de trop embrasser, l'étreinte ne s'en trouvera que meilleure et non affaiblie, il n'est pas certain que la même recette fonctionne en matière de politique de formation.

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Magritte - Le maître d'école

La deuxième remarque  porte sur l'utilisation d'arguments contradictoires : la décentralisation est une bonne chose, mais la politique de l'emploi relevant de l'Etat ce n'est pas une bonne chose ; le dialogue social c'est une bonne chose, mais vu ses résultats ce n'est pas une bonne chose. Aïe, une chose et son contraire dans une même phrase alors qu'il s'agit de définir une mission claire pour le rapporteur, la copie devrait être revue. La bienveillance conduit à considérer qu'il fera le tri lui-même.

Et la troisième remarque, pour s'en tenir à l'essentiel, c'est que l'action publique a pour principal défaut d'être peu lisible, ce qui la rend inefficace. Un esprit mal intentionné pourrait entendre peu visible et donc inefficace pour être portée au crédit de ceux qui la conduisent. Ce qui n'est pas exactement la même chose que l'efficacité.

Suggérons donc à Gérard Larcher, qui sait manier le paradoxe puisqu'il est à la fois l'auteur d'une loi qui oblige à saisir les partenaires sociaux avant toute réforme en matière sociale et à ce titre chantre du dialogue participatif et celui qui a fait placarder sur les murs de Paris "Le Sénat c'est moi", de ne pas s'en tenir à la lettre mais d'aller à la rencontre de ses interlocuteurs sans a priori, confiant, exigeant et bienveillant. Il pourra peut être dans ces conditions s'apercevoir que la question est mal posée ce qui lui permettra, lui aussi, de jouer au maître d'école et de corriger la copie. Et une question bien posée dans une matière importante, cela n'a pas de prix mais une grande valeur.

Lettre de mission Larcher - Réforme de la formation.pdf

29/01/2012

A bicyclette

Saluons le retour du froid par une proposition de loi sympathique signée Philippe Goujon (UMP), président du groupe "Pour le développement de l'usage du vélo". La mesure s'inscrit dans le cadre du Plan national vélo, et oui on ne vous dit pas tout, on vous cache même l'essentiel. Outre des incitations pour les entreprises à mettre à disposition des salariés des vélos gratuits, le Plan national vélo, copié lui sur la Belgique et non pas sur l'Allemagne, propose la création, mais si, d'une niche fiscale pour les cyclistes : une indemnité kilométrique pour les salariés qui se rendent à vélo au travail, exonérée d'impôt et de charges sociales. Et payée par l'entreprise. Mieux que la défiscalisation des heures de travail supplémentaires, celle des heures de trajets supplémentaires, le vélo étant tout de même plus lent que les transports motorisés, surtout pour ceux qui manquent un peu d'entraînement. Juste un regret toutefois : que l'argent soit considéré une fois de plus comme l'exclusif facteur de la motivation. Alors que l'on aurait quand même pu évoquer les autres avantages de la circulation à bicyclette.

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"- Vous êtes sérieux avec vos histoires de bicyclettes ?

- Tout à fait...

- Et passer une chronique sur la bicyclette alors que l'on annonce la TVA sociale, vous trouvez ça logique ?

- Oui, parce que je ne suis pas très calé en économie. Quand l'Espagne à un SMIC à 748 euros et 20 % de taux de chômage, la Grèce un SMIC à 862 euros et qu'elle est en faillite et que le Luxembourg a un SMIC à 1 750 euros avec un triple A et le plus fort pouvoir d'achat d'Europe, je me dis que la question de la compétitivité ne se joue pas sur 2 % d'allègements de charges sur le travail. Surtout que dans le Plan national vélo il y a une autre mesure : elle concerne les services de réparation de bicyclettes, il est proposé d'instaurer une TVA réduite pour favoriser le développement de cette activité. Alors du coup, l'augmentation de 1,6 % de la TVA, je comprends pas non plus. C'est pour ça que j'en parle pas."

Sur ce, bon lundi.

26/01/2012

Ceci n'est pas un demandeur d'emploi

François Fillon a précisé la mission confiée à Gérard Larcher pour réformer (!) la formation professionnelle, et de manière radicale je vous prie. Le premier objectif est d'orienter la formation vers ceux qui en ont le plus besoin et notamment les demandeurs d'emploi. Si le Premier Ministre s'intéresse à l'art, il doit pourtant connaître la différence qu'il y a entre la représentation et la chose représentée. Il pourrait donc s'interroger sur le sens de sa première priorité et se poser deux questions : pourquoi les demandeurs d'emploi auraient-ils plus besoin de formation que les salariés ? qu'est-ce qu'un demandeur d'emploi ? S'il avait répondu à ces questions, il n'aurait peut être pas tout mélangé, comme il aurait discerné en un coup d'oeil que ceci n'est pas une femme.

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Dan Roarty - The Blue project

Sans doute le Premier ministre n'a-t-il guère le temps d'affiner son regard. Dommage car la pertinence s'en ressent. Tout d'abord demandeur d'emploi n'est pas un état mais une situation. Dont la durée est très variable : chaque  mois des dizaines de milliers de personnes entrent et sortent de POLE EMPLOI. Par ailleurs, le niveau de qualification des demandeurs d'emploi est aussi hétérogène que celui des salariés. Entre un demandeur d'emploi qualifié dans un bassin d'emploi dynamique et le salarié non qualifié dans un bassin d'emploi sinistré, on se demande, pas longtemps, lequel a le plus besoin de formation. Il faudrait enfin sortir du raisonnement en terme de statut pour approcher la réalité : s'il y a 17 millions de salariés, toutes les situations de salariat ne sont pas comparables, loin de là. Opposer les salariés, qui auraient moins besoin d'être formés, et les demandeurs d'emploi, qui doivent l'être plus, cela relève de ce fameux bon sens qui produit les pires énormités. Ont besoin de formation ceux pour lesquels la formation peut être un plus dans leur parcours, dans l'environnement qui est le leur. Mais voilà, lorsque l'on veut piloter par le haut, tout ceci est trop microscopique pour être considéré et l'on orientera donc les fonds de la formation vers les demandeurs d'emploi du moment sans se poser plus de questions. Ceci n'était pas un commentaire de l'actualité.

25/01/2012

Le sens des perles

On connait la peinture de Gabrielle d'Estrée et sa soeur, la duchesse de Villars, attribuée à l'Ecole de Fontainebleau. Le pincement, délicat, du sein serait la manière de désigner la favorite du roi Henri IV. Une autre peinture présentant les deux soeurs, moins connue, existe au Musée des Beaux-arts à Lyon. Ici, ce n'est pas la main, mais le collier de perles qui désigne la favorite. Les perles symbole de féminité (comme Vénus elles sont nées de l'écume), mais aussi de luxe...et de luxure. Ce qui n'épuise pas la signification de la perle, parfois utilisée dans la peinture comme symbole de l'innocence, un moyen détournée de révéler l'âge de la dame ou encore le nombre de ses amants. Dans la peinture, il est rare que les perles ne parlent pas.

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Il n'y a pas que dans la peinture que les perles sont présentes. Les textes de loi en recèlent quelques unes qui ne manquent pas de nous éclairer sur les intentions de leurs auteurs. Suite à diverses affaires de gestion contestée de comités d'entreprises (EDF, Air France, SNCF...), surgit l'inévitable proposition de loi pour garantir la transparence et prévenir toute malversation. Objectif louable mais l'on oubliera pas, et en matière juridique plus qu'ailleurs, que le diable adore se glisser dans les détails. On peut ainsi lire dans le projet que l'employeur arrête les comptes avec le secrétaire. Si tel était le cas, le comité d'entreprise changerait de nature. Il deviendrait cogéré par l'employeur et la délégation salariale qui porteraient chacun responsabilité des comptes. Or, le comité d'entreprise est une instance dont la gestion n'est pas paritaire. La qualité de Président ne renvoie pas à celle d'un Président de société ou d'association. Il s'agit essentiellement d'un Président de séance chargé d'organiser et d'animer les réunions qu'il convoque. Pour le reste, et de jurisprudence constante, l'employeur ne peut participer à la gestion du CE. Comment arrêter les comptes et engager sa responsabilité si l'on ne gère pas ? nouvelle illustration de lois hâtives, en réaction à l'actualité, non préparées ou pire très mal préparées et s'affranchissant de tout principe. Ou comment mettre à mal le droit en faisant du mauvais droit. Sur ce point, on est curieux de voir la portée que pourrait avoir l'article suivant, le dernier du projet : "Le comité d'entreprise exerce exclusivement les attributions qu'il tient de la loi". Compte tenu du large périmètre de compétences défini par la loi en matière économique et sociale ou de gestion des activités culturelles et sociales, cette volonté restrictive devrait être à peu près totalement dépourvue d'effet. Deux perles en sept articles, c'est un bon score.