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23/03/2012

Les mails du vendredi soir

J'aime beaucoup les mails du vendredi soir. Après le déjeuner, la boîte mail s'assoupit en une douce léthargie annonciatrice du week-end. Un ralentissement progressif du rythme, comme pour reprendre son souffle avant de changer d'activité. Et puis, sur le coup de 17h, ils commencent à apparaître. Timidement pour les premiers, comme en s'excusant de déranger ou de venir si tard. Volontairement pour les suivants,  pour bien montrer que l'on était dans la todolist et que le pari de tout solder avant la fin de semaine est tenu. Fiévreusement, pour les plus tardifs, quand l'on sent qu'il n'est qu'un parmi les dizaines que l'expéditeur se fait fort d'envoyer dans les minutes qui suivent. Et puis passé la fin d'après-midi, arrivent ceux pour qui plus rien ne presse. Ce n'est plus l'urgence qui guide l'action mais le plaisir du temps retrouvé et de celui à venir.

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Marie Toravel - Le train sifflera trois fois

Vos correspondants se situent dans cet entretemps qui a le charme des failles et des interstices. Ils ont échappé à la contrainte, trouvé leur rythme et ils prennent le temps de vous écrire. Les messages sont plus amples, la personnalité plus présente, le rapport au temps qui se ferme et à celui que l'on va ouvrir plus affirmé. Ils ont le goût des départs avec leur part d'inconnu enserré dans des formules qui ne trouvent habituellement pas leur place dans la correspondance. Ils ne sont pas faits que de mots mais traversés de rêveries, de vent, d'océan et d'envie. Ils ne vous envahissent pas, ils vous témoignent simplement le plaisir que peut être l'autre. J'aime beaucoup les mails du vendredi soir.

21/03/2012

Situation (II)

Dans le cadre d'une hypothétique, et néanmoins certaine, réforme de la formation professionnelle, il sera sans doute question de mieux articuler formation initiale et continue. Cet objectif fait partie des 4 qui ont été assigné à la mission conduite par Gérard Larcher pour préparer la dite réforme. Cette idée nouvelle, qui s'inscrit pourtant noblement dans la filiation de Condorcet souhaitant l'instruction à tous les âges de la vie, risque toutefois de s'enferrer dans une impasse. En réalité, l'objectif à poursuivre serait exactement l'inverse  : renforcer la césure entre la formation initiale et la formation continue. Parce que si elles constituent l'envers et l'endroit d'un même continuum, ce n'est ni avec les mêmes personnes, ni avec les mêmes moyens. Et ce serait un erreur de vouloir que l'envers soit l'endroit, ce qui est souvent impossible, notamment chez Romain Laurent.

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Romain Laurent - Human Clock

La formation initiale s'adresse à des jeunes qui ne sont pas en situation de travail. Elle doit leur apporter de la connaissance certes mais également des méthodes, de la capacité à apprendre, de la réflexion. La formation continue s'adresse à des adultes qui sont en situation d'activité ou ont vocation à l'être. Elle doit prendre appui sur les acquis, s'articuler avec les activités et s'insérer dans des moyens diversifiés d'apprentissage. Que certains adultes souhaitent retrouver le système de formation initiale, bien sur. Mais que l'on s'emploie à construire une formation indifférenciée qui ne tienne plus compte de ceux à qui elle s'adresse et ne se préoccupe que d'elle-même et non des situations dans lesquelles se trouvent ceux au service desquels elle se place, constituerait une régression. Publics différents, temps différents, objectifs différents et méthodes différentes : il est plus urgent de conforter les formations initiale et continue dans leur spécificité que de rechercher leur calamiteux rapprochement.

20/03/2012

En situation

En exergue de ce blog figure la définition la plus courte et la plus juste de la compétence, imaginée par Pierre Villepreux. La compétence définie en deux mots : intelligence situationnelle. Ces deux mots renvoient à deux dimensions. La première, l'intelligence de la situation. Etre compétent c'est d'abord poser le diagnostic juste sur la situation pour en déduire l'action à conduire. Rapidité et fiabilité du jugement sont les piliers de la compétence qui permettront l'acte juste, dont il sera nécessaire de maîtriser la technicité, sans laquelle il n'y a guère de liberté d'agir. Et quant à l'action, Pierre Villepreux a toujours été persuadé que le beau jeu était également le plus efficace (ceux qui ne goûtent pas le rugby en auront l'illustration avec Lionel Messi et l'équipe de Barcelone). L'intelligence de la situation c'est donc la compréhension de la manière dont on doit utiliser les moyens dont on dispose pour agir efficacement, ce qui conduira souvent à la beauté du geste professionnel maîtrisé.

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La deuxième dimension de l'intelligence situationnelle, c'est de se savoir en situation. De ne pas être dominé par le rôle que l'on joue, de ne pas en être dupe, mais de le jouer professionnellement. Et donc d'avoir le recul nécessaire à la réalisation impliquée et distanciée de l'action, car l'engagement ce n'est pas nécessairement de mettre ses tripes sur la table, mais au contraire de savoir en toute lucidité ce que l'on fait et pourquoi on le fait. L'engagement est une volonté qui se sait volonté. C'est en cela que Villepreux est profondément Sartrien : les joueurs sont libres et exercent cette liberté par leurs choix qui sont nécessaires, ils agissent et font les choix en situation, ils sont ce que sont leurs actes car le faire est révélateur de l'être. Et comme Sartre, Villepreux pense que l'homme est à inventer chaque jour.

19/03/2012

Le masque du bon sens

En réponse à une question posée lors de la soutenance de son mémoire, la candidate ose un : "C'est du bon sens !" qui lui paraît relever de l'évidence. Pour qui est persuadé que d'évidence il n'y a pas, la phrase sonne comme une provocation, alors qu'elle se voulait plutôt consensuelle. Le bon sens cela n'existe pas et lorsqu'on le nomme, c'est que l'on renonce à rechercher ce qui se cache derrière l'évidence et que l'on valide sans plus y réfléchir la première construction venue. Le bon sens, c'est un masque qui nous interdit l'accès aux ressorts de nos actions.

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Masque Eskimo - anc. coll. André Breton

Le bon sens a au moins deux défauts. Le premier est la brutalité qu'il renvoie à un contradicteur : "c'est du bon sens !" laisse penser que celui qui n'est pas d'accord est un abruti à peu près complet puisque, comme on le sait, le bon sens est chose la mieux partagée du monde. Le second est de ne pas aller au-delà de l'apparente évidence  et d'occulter le type de logique, de rationalité, de raisonnement qui fonde la solution. Plus de questions sur les soubassements idéologiques, les présupposés, les représentations qui conduisent à prendre pour argent comptant ce qu'impose le bon sens. Et c'est pourquoi, je me suis toujours méfié de ceux qui usaient un peu trop facilement de la référence au bon sens dont il est possible de se demander ce qu'ils entendent ainsi masquer.

17/03/2012

Rame !

C'est une histoire que les consultants se racontent parfois lorsqu'ils se croisent, à défaut d'avoir l'imagination des marquises pour se raconter des histoires de marquises. Il s'agit d'un consultant convoqué par une prestigieuse institution éducative parce que son  bateau a perdu la course d'aviron annuelle des grandes écoles. Le consultant doit trouver la clé du succès. Il scrute le bateau, teste la voix des barreurs et observe les rameurs : il constate qu'à la fin de la course ceux-ci sont essouflés, épuisés. Il conseille donc de corser leur entraînement.

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L'histoire est cruelle pour le consultant, incapable de voir l'évidence et de remettre en cause le fait qu'il y ait trois barreurs pour deux rameurs. Incapable de sortir chacun de son rôle préétabli. Il en va ainsi de l'audit et des auditeurs : entre le manque d'imagination et le refus, ou l'impossibilité, de sortir de schémas préétablis, sous couvert de changements on perpétue ce que l'on affecte de modifier. Allez les rameurs, encore dix longueurs !

14/03/2012

Ne coupez pas les ponts !

Il fut un temps, pas si lointain, où le statut des individus, voire leur situation personnelle, déterminait leur possibilité d'accès à la formation. Selon que vous étiez jeune, senior, handicapé, femme isolée, licencié économique, bénéficiaire des minimas sociaux, travailleur migrant, ancien détenu, etc., des dispositifs de formation spécifiques étaient à votre disposition. Mais impossible de poursuivre un projet de formation si le statut ou la situation devait changer avant qu'il  puisse être initié. On ne compte plus les cas de personnes qui sont restées au chômage pour pouvoir se former ou ont du renoncer à leur projet parce qu'elles avaient repris une activité, voire parce que leur situation personnelle avait changé (l'amour parfois se présente sans prévenir).

Pour mettre fin à ces absurdités, a été développée par les pouvoirs publics et les partenaires sociaux la notion de parcours professionnel. Et tous nos dispositifs, notamment avec la loi du 24 novembre 2009, ont tenté de s'organiser autour de cette notion de parcours qui consiste à raisonner en terme de projet et non de statut, à construire des ponts entre les statuts pour donner de la continuité à l'action.

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Monet - Pont japonais à Giverny

Revenir à une approche de la formation en ciblant exclusivement les demandeurs d'emploi, c'est se replacer quinze ans en arrière, couper les ponts et segmenter à nouveau les individus en fonction de leur statut. C'est encourager les gens qui veulent se former à devenir chômeurs et ceux qui le sont déjà à le rester. Le raisonnement par le statut, infantile pêché français, a encore frappé. Alors que même les tribunaux reconnaissent aujourd'hui la notion de parcours, déterminer des possibilités d'accès à la formation en repartant du statut est une régression considérable. Si l'on veut décloisonner, il ne faut pas couper les ponts.

13/03/2012

De l'engagement

La CGT a officiellement exprimé sa position pour la prochaine élection présidentielle en indiquant pour qui elle ne voterait pas. Le même jour, Laurence Parisot dans une interview aux Echos, annonçait tout aussi clairement, même s'il ne s'agit pas d'un communiqué du MEDEF, pour qui elle ne voterait pas. Si les positionnements politiques ne surprennent guère, leur expression a suscité force commentaire. Les vieilles rengaines sur la politisation des syndicats sont rebrandies. Les représentants de la démocratie sociale doivent-ils prendre position lorsqu'il s'agit de démocratie politique ? en droit, s'il est interdit à un syndicat de poursuivre des objectifs politiques, l'intervention politique est reconnue comme un moyen de défendre les intérêts des adhérents. L'engagement n'est donc pas une fin mais peut être un moyen.

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Ai Weiwei

D'ailleurs, tout le monde devrait se réjouir que chacun souhaite et puisse s'engager. La démocratie se porte mieux lorsque les citoyens s'engagent que lorsqu'ils négligent de le faire. Et l'engagement d'un seul peut parfois faire des émules à l'exemple d'Ai Weiwei.

Non l'engagement n'est pas un problème, sauf si l'on considère qu'il est impossible d'avoir des relations, de travailler efficacement, voire de cotoyer ceux qui ont d'autres engagements que les notres. Cette vision ostracisée de la société où l'on ne pratiquerait que l'entre soi endogamique est une véritable plaie. Je me souviens qu'un des premiers à me faire confiance lorsque j'ai débuté mon activité, était un représentant patronal à la réputation sulfureuse, autrement dit il fleurait l'extrême-droite. En réalité, il baignait dans des cultures de droite très diversifiées dont il faisait une anarchiste synthèse personnelle tout en aimant l'ordre et le cérémonial. Mais cela il m'a fallu du temps pour le découvrir. La vérité d'un individu n'est quasiment jamais dans son apparence.

L'engagement devrait être un acte aussi normal et banal que le fait de cotoyer avec plaisir ceux qui pensent autrement que nous. Manifestement nous n'en sommes pas là et ici j'adresse un salut personnel à Marc Ferracci qui refusa la semaine dernière un débat avec moi parce que j'avais osé écrire tout le mal que je pensai du rapport sur la formation professionnelle qu'il a coproduit pour l'Institut Montaigne (voir ici). Et au plaisir d'une prochaine rencontre, avec un peu d'engagement !

12/03/2012

Réveil

Après deux ans de négociation, des assoupissements, un peu de léthargie et quelques autres chats à fouetter également, les partenaires sociaux ont conclu le 17 février dernier un accord sur la modernisation du paritarisme et son fonctionnement. Il n'était que temps. Après plusieurs décennies de paritarisme, les partenaires sociaux actent enfin des principes de gouvernance destinés à garantir la transparence de la gestion, son efficience et ses résultats. Certes l'effort vient tard, il est timide puisque limité aux organismes nationaux interprofessionnels,  mais il a un goût de printemps pour la démocratie sociale qui en a bien besoin.

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Johann Heinrich Fussli - Le réveil de Titania - 1781

Avec ce texte, nous aurons des administrateurs qui cumuleront moins de mandat, qui seront en activité ou auront moins de 70 ans, qui seront formés, qui rendront compte, qui adopteront des règles de fonctionnement transparentes, qui mettront en place des audits internes et externes, qui s'attacheront à la qualité des services rendus aux bénficiaires et qui se doteront de capacités d'évaluer l'impact des actions conduites.

On peut se demander pourquoi tout ceci, qui semble tomber sous le sens, a demandé deux ans de négociation et n'a pas été fait depuis longtemps. Mais après tout, ce n'est plus la question du jour. Apprécions l'hirondelle et laissons lui annoncer le printemps.

Projet ANI Paritarisme.pdf

11/03/2012

Aller chercher ailleurs l'imagination

Marcel Storr vécut au 20ème siècle. Enfant abandonné, maltraité au point d'en être rendu presque sourd, souffrant de troubles psychiatriques, il a bâti des cathédrales. Sur le papier. Illettré, s'exprimant peu, travaillant comme cantonnier à la ville de Paris, affecté au Bois de Boulogne, Marcel Storr a dessiné et peint avec minutie des architectures flamboyantes mises au point avec une rare minutie et une technique toute personnelle que Storr appliqua méthodiquement à chacune de ses peintures. Qui eût croisé Marcel Storr n'aurait pu imaginer ce qu'était son imaginaire.

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Marcel Storr - Sans titre

Il y a bien longtemps que l'on sait que l'imagination n'est pas au pouvoir. Il serait temps que le pouvoir lui même en prenne acte et s'emploie davantage à créer les conditions pour que l'imagination de  chacun puisse s'exprimer plutôt que de s'échiner à rejouer, sous différentes formes, le recours à l'homme providentiel.

Dans le champ de la formation professionnelle, les propositions les plus sérieuses et qui mériteront d'être approfondies lorsque les feux de la campagne présidentielle seront éteints, n'auront sans doute pas été formulées par les aspirants au pouvoir mais par les acteurs sociaux. C'est ce que rappelle la secondre chronique des "Carnets de campagne" écrite avec Jean-Marie Luttringer pour l'AEF.

Sinon, vous avez jusqu'à la fin du mois pour aller admirer les oeuvres de Marcel Storr au Pavillon Carré de Baudoin dans le 20ème.

Carnets de campagne - 2.pdf

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10/03/2012

PUB !

Il devait initialement s'intituler FORMATOR, sur le modèle du STRATEGOR, MERCATOR, ILLUSTRATOR et autres PUBLICITOR. J'aimais plutôt bien le côté espagnol que cela pouvait procurer à l'ouvrage, tout en trouvant la formule un peu trop martiale. Les responsables éditoriaux ont finalement opté pour un très sage Le grand livre de la formation. Ce faisant, ils permettent à l'ouvrage de s'inscire dans une grande tradition : en effet, on trouve aussi bien Le grand livre des recettes que celui des hamsters, des légumes oubliés ou encore d'Hermes Trismegiste. Il y a donc désormais également Le grand livre de la formation.

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Dans cet ouvrage collectif de 534 pages, votre serviteur a rédigé le début, une introduction sous forme d'histoire de la formation professionnelle continue, et la conclusion qui présente l'évolution du droit de la formation vers un droit de la compétence. Entre ces deux chapitres introductif et conclusif, vous trouverez les contributions d'une quinzaine d'auteurs venus d'horizons différents. Il n'est pas interdit de les lire aussi.

09/03/2012

De l'assurance et de l'assistance

Le droit c'est de la littérature dont la qualité tient souvent à la justesse des mots employés. Que les termes soient confus, mal définis et les idées ne manqueront pas de l'être également.

Il est régulièrement question, tous les 5 ans environ, d'assistanat. En droit, les régimes d'assistance reposent sur la solidarité publique et ont pour caractéristique de distribuer des ressources sans tenir compte de la qualité de cotisant, ou non, à un régime. L'assurance, a contrario, est un droit que l'on s'ouvre à hauteur des cotisations que l'on verse.

 Les garanties sociales mises en place à la Libération ont évolué en empruntant aux deux systèmes.

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Relèvent par exemple de l'assistance, les allocations familiales. Relève de l'assurance, l'indemnisation du chômage. Rappelons que ce régime  est financé par les cotisations salariales et patronales et qu'il ouvre des droits strictement proportionnels aux durées de cotisation. Comme l'assurance maladie ou l'assurance retraite qui exigent des durées de cotisation pour que les droits soient ouverts. Mais à l'inverse de la CMU, du RSA ou des allocations familiales qui sont versés en fonction d'une situation et non de contributions. Droit à une assurance d'un côté, accès à la solidarité de l'autre.

On suggèrera donc à ceux qui font le pari de la vérité, de réserver l'appellation d'assistés à ceux qui perçoivent des allocations non conditionnelles, et donc en premier lieu aux familles, et de rappeler que les chômeurs qui perçoivent une indemnisation sont titulaires d'un droit acquis en contrepartie de leur travail. A défaut, il y aurait soit incompétence, soit démagogie, mais en tout état de cause guère de vérité.

07/03/2012

De la formation obligatoire

Ce sont les chiffres qui tournent en boucle dans la campagne présidentielle : 10 % des chômeurs suivent une formation, ce qui serait un scandale. Pas qu'ils se forment, qu'ils soient si peu. Autre indignation : 500 000 emplois ne sont pas pourvus alors que près de 3 millions de personnes sont sans emploi. Il suffirait donc d’obliger les chômeurs à se former, puis de les obliger à prendre les jobs non pourvus, et l’affaire serait faite. Et au besoin, en appeler au peuple si tous les incompétents qui gèrent le système à leur seul profit résistent à  cette opération de bon sens.

Bon sens ? allons y voir de plus près. Remarquons au passage que même si la recette proposée était efficace, elle ne règlerait rien pour 2,5 millions de personnes. Mais elle n’est même pas efficace. Pourquoi ? parce qu’elle repose sur des agrégats macro-économiques et des abstractions qui n’ont aucune réalité. L’emploi et les individus ce ne sont pas des chiffres mais des lieux, des activités, des personnes, des vies. Bref, ce n’est ni mécanique, ni mathématique.

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Metropolis

Des lieux : moins les niveaux de ressources sont élevés, moins la mobilité géographique est possible car elle revient à  couper les personnes de leur réseau de relations familiales, amicales, sociales et à rendre le coût de leur vie beaucoup plus cher. Dans un strict raisonnement économique et pour les plus bas salaires, a moins d’augmenter celui-ci de 50 % on perd de l’argent en prenant un emploi ailleurs que sur son lieu de vie.

Des activités : parmi les emplois non pourvus, il y a à la fois les emplois temporaires (saisonniers) qui ne sont pas pourvus parce que les salaires ne permettent pas de couvrir les coûts à exposer (déplacement, hébergement…), les emplois qui nécessitent une qualification qui ne s’acquiert pas en quelques mois ni en une année, les emplois pour lesquels la balance rétribution-contribution ne s’équilibre que difficilement voire pas du tout ou encore les emplois que ceux qui pourraient y avoir accès ne souhaitent pas occuper, car le travail demeure une liberté et ne saurait devenir une obligation qu’au prix d’un changement de régime politique.

Des personnes : tout pédagogue a le choix entre le désespoir et le fou-rire lorsqu’il entend parler de formation obligatoire. Si l’on pouvait former les individus malgré eux, Freud n’aurait pas parlé de l’éducation comme d’un métier impossible. Sans engagement personnel, pas de formation et pas de résultat à la formation. Et la volonté individuelle ne se décrète pas.

Des vies : le plus triste dans l’affaire c’est, selon l’expression de la Ministre en charge de la formation professionnelle, le fait que « flécher les jeunes vers les métiers en tension » puisse être considéré comme une manière normale de parler des individus et de leur vie. Et ça, ce n’était pas obligatoire.

06/03/2012

Des lois pour les filles

Il y a quelques années, une photo de Nan Goldin sur laquelle une fillette jouait nue, avait provoqué la polémique et surtout la mise en examen du Commissaire de l'exposition "Présumés innocents" organisée à Bordeaux. Après des années de procédure, la Cour de cassation a conclu l'affaire par un non lieu.

Le débat ressurgit à la fois par la contestation des concours de minimiss et par le rapport parlementaire sur l'hypersexualisation des enfants. Parmi les recommandations, l'inévitable retour à l'uniforme envisagé comme un masque et non comme un repère (voir ici). Et au final proposition de légiférer sur la manière décente de s'habiller. Cela ne vous rappelle rien ?

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Henry Darger - Vivian Girls

Une loi a déjà été votée concernant l'habillement des femmes : celle sur la burqa, pardon celle sur la dissimulation du visage dans l'espace public, puisqu'il ne saurait être question de faire une loi uniquement sur les femmes. Début de l'hypocrisie persistante. En effet, si le rapport de Chantal Jouanno est consacré aux enfants, en réalité il est surtout question des fillettes et des adolescentes. Sous couvert de lois générales, voilà un pays qui propose que le législateur se préoccupe de la manière dont les filles et les femmes s'habillent, dans leur strict intérêt cela va de soi.Trop habillée d'un côté, insuffisamment de l'autre, faisons confiance à la prochaine très masculine assemblée parlementaire pour nous indiquer avec précision la longueur et la couleur de la jupe.

Rappelons qu'au 1er janvier 2012, la France était classée 131ème sur 134 pays en matière d'égalité salariale. Aucun rapport ? non, bien sur.

04/03/2012

Intelligence

Dans tous les pays, sous tous les régimes, les peuples sont plus intelligents que leurs gouvernants. Michel Serres, parmi d’autres, ne cesse de le répéter sans être entendu.

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Car dans tous les pays, sous tous les régimes, les dirigeants pensent qu’ils sont plus intelligents que le peuple.

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Et le pire c’est que dans tous les pays, sous tous les régimes, une majorité du peuple continue à croire à cette fable.

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03/03/2012

Enigme du monde d'avant

En 1966, Jean-Luc Godard tourne Masculin/Féminin, avec Chantal Goya et Jean-Pierre Léaud. Aux deux tiers du film, trois cartons apparaissent à la manière de films muets avec ces textes : Ce film pourrait s’appeler/Les enfants de Marx et de Coca-Cola/Comprenne qui voudra.

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Peut-on, comme cette peinture cubaine, en  conclure que si Che Guevara et Marylin avaient eu un enfant, il aurait été Andy Wharol ?

Comprenne qui voudra (un indice : sur la peinture, Marylin a un petit côté Thatcher).

02/03/2012

Uniformes uniformes

La culture française a le désolant réflexe de  raisonner par le statut. C’est le prisme primordial auquel nulle question ne saurait échapper. Lorsqu’il est question de l’uniforme à l’école, le débat tourne autour de l’égalité de statut que l’uniforme est censé garantir.

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Plus de marques, plus de sigles sur les vêtements, no logo. Pas de distinctions sociales mais un même vêtement égalitaire. Par l’uniforme on tente de faire croire que la société est uniforme et que les classes n’existent pas. Piège traditionnel de l’égalité formelle républicaine qui est la fille de l’hypocrisie religieuse : autrement dit, pourvu que les apparences soient sauves, le reste importe peu. Moyennant quoi, et sans que ce soit contradictoire, on utilisera aussi l’uniforme pour marquer les différences de castes : l’habit du polytechnicien, comme celui de l’académicien, distingue l’élite du reste du peuple.

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Pourquoi alors la vision de tous ces écoliers en uniforme, à Cuba, ne choque-t-elle pas ? la finalité n’est-elle pas, ici aussi, d’égaliser les statuts ? Peut être, mais l’on a davantage l’impression qu’il s’agit moins de gommer des différences sociales moins marquées que de mettre l’enfant en situation d’écolier. L’uniforme, c’est le vêtement professionnel de celui qui va apprendre. C’est la  césure entre le familial et le scolaire. Comme chaque profession a sa tenue, l’écolier a la sienne. L’affirmation positive de l’uniforme paraît plus présente que sa version négative. Libre interprétation ? préjugé ou parti pris ? influence de la légère érotisation des ces shorts-jupes qui font ressortir le galbe des cuisses adolescentes ? peut être, mais au final aucun doute sur le fait que l’uniforme cubain n’est pas l’uniforme français.

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29/02/2012

Vivre c'est philosopher

Primum vivere, deinde philosophare : d’abord vivre, ensuite philosopher. La devise semble conçue pour les pays où tout fait défaut, comme un hommage éternel à la pyramide de Maslow : besoins primaires et secondaires relèveraient d’une distinction quasi-naturelle. On sait bien que cet ordre naturel est une construction de l’esprit qui ne demande qu’à être invalidée. Ainsi, les enfants qui ont souffert de carences affectives ont un avenir plus compliqué que ceux qui ont souffert de carences alimentaires.

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Que la pyramide de Maslow soit une fumisterie n’est ni une surprise, ni une nouveauté, juste un rappel de la vigilance élémentaire : se défier de ceux qui déclarent ne vouloir que votre bonheur et ne jamais oublier que le bonheur peut évidemment se décliner collectivement mais que les conditions en sont d’abord personnelles.

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A Cuba, l’impression est tenace que faute d’argent la priorité a été donné au temps et qu’à défaut de consumérisme,  la musique, la danse, la lecture et l’amour occupent les corps et les esprits.

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Et que vivere et philosophare ne s’opposent guère. Pas étonnant, le propre de l’humain est de rendre synonymes vivre et philosopher.

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28/02/2012

A la marge

Dans les rues de La Havane, les traces sont multiples. Celles du passé bien évidemment puisqu’il est en grande partie le présent. Celle d’une économie administrée avec ses magasins aux pâles rayons et ses files d’attente. Celle de la débrouille, de l’invention et du parallèle, partout. Quand l’officiel est insuffisant pour vivre, l’officieux se déploie quasiment sans réserve, et l’imagination devient sans limite.

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Dans un paradoxe étonnant, toute activité peut témoigner de l’échange, de la solidarité, de la gratuité, mais devenir également une activité économique et pas seulement à destination des étrangers.

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Mais toujours, ce qui frappe, c’est la capacité sans limite d’imagination, d’invention et de débrouillardise. Les petites combines qui améliorent l’ordinaire et exaspèrent le visiteur qui demeure engoncé dans son habitus, sont autant de bouffées d’oxygène, et pas seulement économiques. Car c’est toujours dans les marges de tout système que se construisent les espaces de liberté.

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24/02/2012

Du sens des choses

Je me souviens d'un responsable d'un service formation qui prenait un malin plaisir à me citer des articles du Code du travail. Ce faisant, il pensait faire du droit. Il en connaissait plein. Il les savait par coeur et les utilisait souvent. La citation du numéro lui conférait un sentiment de toute puissance qui s'affichait largement sur son visage et que confortait l'impuissance de ses interlocuteurs à faire face à cette redoutable précision. Mais la précision extrême est une des stratégies possibles pour tenter de masquer l'incompétence. En réalité, jamais cet homme n'a fait du droit. Pour deux raisons. La première est que le fait de comprendre tous les mots d'une phrase ne garantit pas d'en saisir le sens. La seconde est que cette phrase ne s'éclaire peut être qu'au vu des intentions qui ont présidé à sa création mais également articles qui l'entourent et à quelques principes dans lesquels elle s'insère.

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Thomas Hirschhorn - Concretion

Aucun des éléments utilisés par Thomas Hirschhorn n'est incompréhensible : des mannequins, du ruban adhésif, des traverses de bois. Le sens de CONCRETION est-il pour autant évident ? et peut être faudrait-il prendre connaissance des 19 autres oeuvres qui ont été présentées lors de l'exposition CONCRETION pour donner un sens à cette troupe qui se rigidifie sous nos yeux. Car le durcissement, de la pensée, des relations, du monde, est la thématique proposée. Mais isoler un élément de son contexte rend plus difficile d'en saisir la signification.

La Cour de cassation a illustré cette exigence d'élargissement du regard pour la compréhension du sens dans une décision du 25 janvier 2012. Une salariée prend un congé parental le 1er février suite à un congé maternité, et envoie un courrier à l'employeur pour l'en informer le 7 février alors que le Code du travail prévoit une information un mois à l'avance. L'entreprise procède au licenciement pour absence injustifiée. A tort nous disent les tribunaux. La salarié remplissait les conditions pour bénéficier du droit au congé parental, qui était donc de droit, et avait informé l'employeur par d'autres moyens. L'envoi tardif du recommandé ne constituait donc pas une faute grave. Le manquement de la salariée à une exigence précise d'un texte n'est donc pas une faute dès lors que l'on redonne à ce texte sa véritable portée au regard de la finalité du droit et de son mode d'exercice. Pour qui veut véritablement comprendre le sens des choses, on conseillera donc non pas d'être imprécis, mais de préférer la vision globale à la vision à courte focale.

Cass Soc. 25 janvier 2012 conge parental.pdf

22/02/2012

Carnets de campagne

La campagne présidentielle est un tintamarre quotidien, on l'a déjà constaté. Période de foisonnement, si elle vire parfois au concours Lépine, elle contient également son lot de propositions qui ont été longuement travaillées dans ces groupes d'expertise qui gravitent autour des candidats. S'y ajoutent les positions officielles prises par différentes instances, dans tous les domaines. La formation professionnelle est, ce n'est pas la première fois, un champ dans lequel les propositions poussent plutôt bien. Mais lorsque l'on sème à tout va, les herbes folles cotoient les belles plantes et d'étranges hybrides ne manquent pas d'apparaître.

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Comme disait un ancien Président : "Sur le long terme, il y a l'histoire et le droit". Si l'on oublie ces deux piliers de notre culture, on perd inévitablement de la cohérence et on créé soi-même les conditions de l'inefficacité. La loi la plus simple créé une complexité redoutable lorsqu'elle n'entre pas en cohérence avec les principes juridiques qui régissent le champ dans lequel elle intervient. Et l'on ne parle même pas d'une loi complexe qui pertubera à l'infini le domaine dans lequel on lui a demandé de se déployer sans guère prêter d'attention au contexte.

Pour que l'histoire et le droit ne soient pas ignorés, Jean-Marie Luttringer et moi-même tiendrons des Carnets de campagne, publiés dans l'AEF, qui permettront de confronter les différentes propositions aux principes juridiques qui structurent le champ de la formation professionnelle et au-delà celui de l'éducation, du marché du travail, des relations sociales, de la gestion des ressources humaines ou encore du droit de la concurrence.

La première chronique présente les objectifs et méthodes de ces Carnets de campagne 2012.

Carnets de campagne.pdf