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13/10/2012

Enigme du week-end : le bacchus moderne

En ce week-end automnal, voici une scène printanière. Mais que  fait donc ce Bacchus sur son banc entouré de jeunes filles ? et quel est cet enfant qui se cache dans la vigne et que l'on distingue difficilement ? allons y voir de plus près.

La grande détrempe fait de la toile un palimpseste. Les couleurs des temps anciens ont été lavées, épongées, noyées sous les flots déversés sur la peinture. Leur trace colorée s'est effacée mais leur souvenir demeure qui habite les personnages tirés de ce naufrage. Que faire après le déluge ? quelle attitude adopter ? l'enfant, comme à l'accoutumée, ne se pose guère de questions. Déjà, il a bondi dans la vigne qui le soustrait au regard et à la scène. Curieux de tout, il poursuit l'observation et ce faisant persiste en son état d'embryon attentif. L'oeil est vif, le geste assuré, la prise ferme. Le rouge aux joues est amour de la vie et plaisir de la contempler.

Bacchus, après le déluge, embrasse les siècles et s'amuse de celui qui s'offre à lui. Aux temps modernes, le corps est souple et disponible. C'est appréciable et apprécié. Le temps qui défile brouille le regard du Dieu lascif : en toutes époques il y a place pour la lassitude. Eve lui est familière. Jeune fille aux jambes fermes et légères, elle offre la coupe divine que Bacchus boira. Le paradis est loin, le plaisir à saisir, le temps n'est plus un ennemi : il n'est pas question de résister à l'invitation qui va être lancée. Bacchus songe en apercevant Eve qu'il faudra bien un jour écrire un Traité de la cheville, consacré à l'art de poser le pied à terre. Plus efficace que la psychanalyse.

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Martial Raysse - Heureux rivages - 2007

Accourues des collines, voici les belles cavales. Succubes en devenir, comme les Dieux elles veulent du sang. Mais elles ne feront rien pour qu'il coule. Le défi qu'elles lancent à la scène se suffit : elles n'interviendront pas, mais leur présence dit le scandale que constitue le véritable plaisir d'abandon en ce siècle. Mais d'ailleurs ces jeunes filles  sont-elles vraiment présentes ? êtes-vous certain que vos démons sont réels ? elles connaissent la puissance des jeunes filles en fleurs, matinées ici de feu et de fer, et l'affichent en toute crudité.

Bacchus est un Dieu que la modernité réduit au chômage. L'oisiveté et la solitude sont devenues des compagnes faciles. La troupe des pisseuses l'est un peu moins. Bacchus n'en a cure. Eve va bientôt lui tendre la coupe. Il boira le vin et s'établira dans la scène qui perdra peu à peu ses mauvaises spectatrices. Eve, la seule qui reste, aura droit au chapitre. Dans la vigne, un sourire éclaire le visage de l'enfant.

26/08/2011

D'une culture l'autre

Il n'est pas un français pour contester que la cuisine est une tradition française. Peut être un peu moins pour reconnaître que cette tradition existe dans tous les pays et que le rapport à la nourriture, à la manière de la préparer et de la consommer, en dit aussi long sur l'état d'une société que la lecture de son Code pénal (non moins bon révélateur toutefois).

Le succès des émissions culinaires télévisées est à cet égard instructive. On pourrait penser que pour des passionnés de cuisine, la participation à un programme où il s'agit avant tout de cuisiner est une fête, dans la tradition française, mais aussi européenne : si le banquet marque la fin de toute aventure d'Astérix, archétype du héros Gaulois, il emprunte parfois aux maîtres flamands.

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Le Banquet de Bruegel revu par Uderzo

Mais surprise, les candidats tirent des têtes de six pieds de long, pleurent à tout instant, sont en permanence à fleur de nerfs et vivent névrotiquement le rapport au succès ou à l'échec. Toute mise à l'écart est plus terriblement vécu que le départ d'Eve et d'Adam du paradis. Traversant les siècles, la culpabilité aurait donc poursuivi son terrible office ? pourquoi ce rapport pathologique à l'échec ? problème éducatif ? reste judéo-chrétien ? infantilisme généralisé ? égos déployés à tout va ?

Un début de réponse peut être trouvé outre-atlantique. Dans le même type d'émission culinaire, des Québécois (libres évidemment), apprentis cuisiniers, concourent pour un titre de Chef. Compétition joyeuse, remerciements de ceux qui sont éliminés pour la participation, convivialité. Taux lacrymal quasi-nul, concentration n'excluant pas le sourire, sérieux mariné dans l'humour. Bref, pas encore la bacchanale de Picasso, mais pas loin.

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Picasso - Bacchanale

Pourquoi tant de décalage ? il vient peut être de loin et les peintres, comme souvent, peuvent nous aider. D'où le Caravage a-t-il sorti ce Bacchus triste devant l'abondance de chère ? d'une profonde mélancolie qui habite la vieille Europe et qui en fait la zone du monde à la fois la plus riche et la plus consommatrice d'anti-dépresseurs ?

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Caravage - Bacchus

Les Québecois ont fait leur cuisine avec une part de culture greco-latine et une part de culture anglo-saxonne. Le mélange est plutôt savoureux. Il nous permet de ne pas oublier ce que proclamait un grand ripailleur français, François Rabelais, que le rire, et non les larmes, est le propre de l'homme.

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Anthony Lelgouarch - Le rire de Gouarch

25/10/2010

Triste triomphe

Depuis environ une vingtaine d'années, la Cour de cassation a entrepris de redonner toute sa place au contrat de travail. Pour ce faire, elle n'a eu de cesse de consacrer la volonté du salarié face à celle de l'employeur, en élargissant le champ du contrat de travail et en restreignant celui des conditions de travail, selon la distinction posée en 1996 pour marquer les limites du pouvoir de direction.

Mais la Cour de cassation a également opposé le contrat individuel au contrat collectif en multipliant les possibilités pour le salarié de refuser l'application d'un accord collectif dès lors que celui-ci touchait à son contrat de travail. Il n'est pas illogique que la volonté collective ne puisse systématiquement contraindre la volonté individuelle et que le contrat qui confère la qualité de salarié soit garanti dans son contenu. Mais jusqu'à présent les juges considéraient que certains éléments, dont l'organisation du travail, relevaient par principe de régimes collectifs et non individuels. Par une surprenante décision en date du 28 septembre 2010, la Cour de cassation affirme que l'instauration d'une modulation du temps de travail constitue une modification du contrat qui nécessite l'accord exprès du salarié. Voici donc l'individu royalement couronné qui ne peut se voir contraint par le contrat collectif, même régulièrement négocié et même dans un domaine par nature collectif.

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Caravage - Bacchus - 1593

Cette promotion de l'individu n'est pas lubie des juges. Elle s'inscrit dans le mouvement plus large d'individualisation des relations de travail et de dilution du collectif. A ce titre, elle peut rappeler comment au 15ème siècle les peintres flamands ont introduit l'individu réel, et non plus l'individu symbole d'idées le dépassant, dans la peinture (sur ce thème, voir le très beau livre de Tzvetan Todorov "Eloge de l'individu"). Ce mouvement se poursuivra à la Renaissance, trouvant sans doute son apogée avec Le Caravage dont les dieux ont figure humaine. Et pourtant, cette chair incarnée est bien triste. L'individu saisi dans toute sa réalité physique et sa banalité quotidienne se trouve  bien seul, coupé du collectif. Cette opposition est présente dans le tableau du Caravage où le corps très académique tranche avec le visage plus elliptique. Quatre siècles plus tard, le débat n'est toujours pas clos. La jurisprudence de la Cour de cassation, qui rend extrêment complexe et délicate désormais la négociation et l'application d'un accord d'annualisation du temps de travail, semble imposer la prééminence du contrat individuel sur le contrat collectif. Aussi paradoxal que cela paraisse, cette affirmation de la volonté individuelle porte en elle-même un affaiblissement du salarié en le conduisant malgré lui vers une contractualisation individuelle de l'ensemble de sa situation de travail qui le laisse en position isolée de négociation face à l'employeur. Quant à ce dernier, il se trouve contraint de conduire des dizaines de négociations individuelles pour pouvoir mettre en oeuvre une négociation collective. Au final, cet émiettement du champ du négociable ne satisfera personne. Triste triomphe pour le contrat.

07/07/2010

Manger

Il est souvent question d'appétence pour la formation ou d'appétit de formation. Autrement dit de désir dont le rapport à la nourriture est souvent une traduction manifeste. Mais la formation elle-même est-elle susceptible de susciter le désir ? de donner de l'appétit ? sur ce champ nourricier, osons une analogie. Il est des formations qui livrent des recettes et d'autres qui apprennent à cuisiner. Les premières sont souvent très appréciées et ont des résultats immédiats mais une péremption rapide. Les secondes sont plus frustrantes sur l'instant mais à effets durables. Détails.

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Nicolas Poussin - La nourriture de Bacchus
La formation recette est celle qui apprend à sélectionner les ingrédients, livre les secrets de la préparation, fournit les temps de cuisson, donne les variantes possibles et enseigne la reproduction. Elle séduit par l'immédiateté de son résultat. Elle est montrable et valorise celui qui apprend. Toutefois, à la troisième invitation, le convive peut se lasser et le cuisinier aussi. Il faut d'autres recettes. La formation, à terme, créé donc la dépendance et non l'autonomie. Vite, que le cuisinier me montre autre chose.
La formation qui apprend la cuisine prend son temps. Elle parle des mets : légumes, condiments, viandes, poissons, coquillages, agrumes, arômes, piments, épices, herbes...Elle parle des méthodes : cuissons, macérations, émulsions, saisies, marinades...Elle parle de mélanges : assortiments, goûts, saveurs, correspondances, oppositions, mariages. Elle vous livre les conditions de la production, vous ouvre les voies et chemins, vous outille pour l'aventure mais ne vous tient pas la main et refuse de vous inviter à reproduire. Elle a, comme le cuisinier, l'exigence de la création. Le goût de l'autonomie et de la liberté. Elle ne garantit pas la satisfaction immédiate de l'invité mais créé les conditions de la surprise.
Mais foin d'oppositions : pour libérer tous les désirs, la formation prendra soin d'apprendre la cuisine tout en suggérant quelques recettes. Bon appétit !

05/03/2010

Fruits et légumes

Le décret et l'arrêté ont été publiés le 3 mars 2010 au journal officiel. Est-ce le printemps qui a ainsi saisi le ministre  ou le lobby des marchands des quatre saisons ? toujours est-il qu'il est dorénavant possible d'utiliser les tickets restaurants chez des détaillants en fruits et légumes afin d'acquérir, nous dit le texte, des fruits et légumes immédiatement consommables permettant une alimentation variée. Vite, à vos tickets, les belles marchandes printanières vous attendent.

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Julio Romero de Torres - La primavera 1925

Mais n'oubliez pas que le ticket-restaurant permet aussi d'aller au restaurant et que la convivialité est un plaisir, à défaut duquel comme Bacchus vous pourriez vous ennuyer et vous perdre dans la contemplation de vos légumes et fruits surabondants.

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Le Caravage - Bacchus

En gérant bien vos coupons, vous pourrez peut être inviter la marchande, ou le marchand, à partager votre repas et multiplier les plaisirs. Vite à vos tickets !
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Julio Romero de Torres - Naranjas y limones 1928