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21/10/2011

De l'invention collective à la liberté entravée

Les années 2000 débutent sous les meilleurs auspices pour la formation professionnelle. Si le lourdaud Claude Allègre fanfaronne en se consacrant roi du dégraissage de mammouth, il contribue largement, et pour cela il lui sera beaucoup pardonné, à la création de la VAE en 2002. Pour la première fois depuis la Révolution française, le travail est remis sur un pied d'égalité face à la formation. La révolution pédagogique est totale : il ne s'agit plus d'acquérir des compétences en formation et de les mettre en oeuvre au travail, fini la théorie d'un côté et la pratique de l'autre. Il s'agit dorénavant de reconnaître que l'on développe certaines compétences en formation et d'autres dans le cadre de ses activités. Dans la foulée, les partenaires sociaux, absents de la création de la VAE qui est une innovation étatique, refondent le système de formation continue : l'ANI de 2003, repris par la loi en 2004 est une remarquable création collective. La compétence est placée au coeur des dispositifs, la professionnalisation se substitue avantageusement à la seule formation, le DIF introduit la négociation dans la décision de formation, les outils de gestion de compétences sont mis à disposition des entreprises et salariés. Une belle oeuvre collective.

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Magritte - L'invention collective - 1935

Ce bel élan d'innovation va se heurter au volontarisme d'Etat qui se transformera vite en autoritarisme étatique. Sommés de produire une nouvelle réforme avant que celle de 2003/2004 n'ait produit tous ses effets, les partenaires sociaux remettent l'ouvrage sur le métier et concluent l'accord du 7 janvier 2009. Insuffisant pour l'Etat qui n'a de cesse de restreindre le champ d'autonomie des partenaires sociaux, qu'il s'agisse de l'action du FPSPP ou de celle des OPCA. La pire culture jacobine, celle qui a raison contre la terre entière, sévit de nouveau et ne connaît qu'une vertu aux représentants des entreprises et des salariés : se plier au desiderata du pouvoir en place. On ne saurait mieux créer les conditions pour entraver l'innovation. Dommage, cela avait pourtant bien commencé.

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HISTOIRE DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE-4.pdf

21/07/2011

Chapitre 1 Dans lequel la santé professionnelle du salarié est un secret

La notion de compétence professionnelle du salarié est apparue pour la première fois dans le Code du travail en 1991, lorsque la loi du 31 décembre a créé le bilan de compétences.

Né de la pratique (dans les plans de reclassement du charbonnage puis de la sidérurgie), le bilan de compétences répondait également à une demande syndicale : la création d’un droit  à l’orientation professionnelle que Jean-Paul Murcier, membre de la CFDT, appelait de ses vœux dans un rapport réalisé pour le Comité Economique et Social (1980).

Cette demande s’était heurtée à une opposition patronale, en vertu du principe selon lequel l’employeur doit être le seul juge des compétences de ses salariés.

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René Magritte - Le joueur secret

Les années 80 auront vu une inversion de cette position. C’est le MEDEF (CNPF à l’époque) qui assurera la promotion de la notion de compétences à la fin des années 80. La compétence était à la fois le moyen de régler au niveau des individus les questions que l’organisation ne parvenait pas à prendre en charge collectivement, une approche nouvelle de la notion de qualification et une nouvelle manière d’appréhender le travail à travers les compétences requises pour l’effectuer, ce qui garantissait mieux la possibilité d’identifier des passerelles entre les emplois.

Dans cette logique, le bilan de compétences est un outil d’évaluation mais également d’orientation et  d’aide à la mobilité. Toutefois, le bilan de compétences ayant une dimension personnelle, le législateur le consacrera en l’entourant de garanties : le bilan de compétences est un droit reconnu au salarié, il ne peut y être contraint, il est seul destinataire des résultats.

Avec un droit à un financement tous les 5 ans, le bilan de compétences est au final calqué sur le droit au bilan de santé quinquennal financé par la sécurité sociale. Le bilan de compétences ?  un droit au bilan de santé professionnelle.

Demain, chapitre 2 : Qui illustre les méritoires efforts du droit pour préserver la possibilité de schizophrénie du salarié

14/06/2011

L'énigme des pierres d'achoppement

Entre un peu de travail le week-end pour absorber ce qui peut l'être du travail en retard et les jours fériés qui n'en sont pas mais que l'on ne travaille pas, on s'y perd un peu. Alors pourquoi pas une chronique de week-end en semaine, avant de reprendre le cours de la réforme des OPCA et du débat sur la négociation et la loi, si l'AEF veut bien publier l'interview qu'elle a réalisée de Jacques Barthélémy sur ce sujet.

Petit intermède donc avec un retour sur les pierres d'achoppement. Les quoi ? les pierres d'achoppement qui font référence au Facteur Cheval. C'est en butant sur une pierre lors d'une tournée à travers champ, que le Facteur Cheval, intrigué par la forme de la pierre, commença le travail qui le conduisit à bâtir son palais à Hauterive. Chacun a ainsi ses pierres d'achoppement qui jalonnent son parcours. Moments où se cristallisent en un jaillissement faussement hasardeux quelques unes des clés de notre existence. En voici une livrée ici.

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Magritte - Les valeurs personnelles

Adolescent, je n'accordai pas un intérêt particulier à la peinture. Les sujets naturalistes m'ennuyaient et la peinture onirique me paraissait peu crédible. Je n'entendais rien à la peinture abstraite. Et puis j'ai découvert, dans une revue pour enfants, cette peinture de Magritte. Dans laquelle j'ai buté. Le thème de la chambre fait certes écho à l'adolescent, mais il y avait autre chose. Le fait que l'on pouvait à la fois peindre de manière réaliste et réaliser une peinture onirique. Que les deux ne s'opposaient pas. Qu'au contraire, c'est dans l'union des contraires que se trouve la voie de l'innovation et du merveilleux. Que la capacité à produire des synthèses à partir d'éléments disparates est une voie de connaissance. Cette révélation demeure. Les pierres d'achoppement font d'excellentes pierres de taille.

10/02/2011

Se parler ou remplir des cases

Petit-déjeuner organisé par DEMOS sur le thème des entretiens individuels. Pour présenter la question, recensement des pratiques dans le domaine : pas moins de 16 entretiens différents identifiés dans les processus RH, et la liste n'est sans doute pas exhaustive. Et parmi eux, trois entretiens obligatoires : l'entretien professionnel, l'entretien avec les salariés en forfait jours et l'entretien de seconde partie de carrière. En attendant le bilan d'étape professionnel promis pour la fin de l'année. Depuis 2004 donc, date de création de l'entretien professionnel, se multiplient les injonctions légales que l'entreprise parle avec ses salariés. On constatera, ce n'est pas un hasard, que dans le même temps se multiplient les obligations de négociation collective : emploi senior, emploi des travailleurs handicapés, égalité professionnelle, pénibilité à venir, etc.

On peut être juriste et considérer que l'intervention législative est un échec : si la loi oblige c'est que le fait manque. Tant d'incitations à se parler individuellement et collectivement constitue un éloquent diagnostic de l'état des relations sociales.

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Magritte - L'art de la conversation

Le pire c'est lorsque l'obligation conduit à adopter un processus formel qui se substitue au dialogue et bâtit peu à peu cette muraille de pierre qui écrase les interlocuteurs. La rigidification du dialogue devient alors exactement l'inverse de l'objectif recherché  telle cette entreprise dans laquelle l'entretien annuel fonctionne en workflow ce qui permet au salarié et à son manager de remplir les cases sans plus avoir besoin de se parler. Mais la RH est satisfaite avec un taux de retour proche de 100 % ce qui permettra de d'affirmer que le dialogue fonctionne. Et l'on constatera que partout où la norme avance, le dialogue recule. Si vous voulez vraiment que vos salariés se parlent, ne leur demandez pas de remplir des cases.

Petit-déjeuner-EntretiensIndividuels.pptx

29/11/2010

Le donné et le construit

Que la formation réponde aux besoins des entreprises. Tel est le credo de nombre de responsables politiques, éducatifs ou de notre système de formation professionnelle. Si l'on prend ce point de départ, les besoins sont une donnée à laquelle les individus, dispositifs, systèmes, institutions doivent s'adapter.

Même si cela était vrai, la notion de besoin serait largement discutable : s’agit-il uniquement de pourvoir les offres d’emploi ? lesquelles ? peut-on les prévoir ? s’agit-il des besoins à deux ans, trois ans, dix ans ? quelle est la durée de l’investissement réalisé ? quelle est la nature de ces emplois ? en préparant à certains emplois est-ce que l'on prépare véritablement l'avenir ? etc.

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Magritte et The Vache

Mais ces questions sont vaines car les besoins ne sont pas un donné mais un construit. Une entreprise a des besoins qui fluctuent en fonction de ses rythmes et cycles de vie, de son environnement, de ses projets, des histoires des salariés qu’elle emploie, etc. Elle vit en perpétuelle interaction interne ou externe. Et dans ces interactions, le niveau de qualification de la main d’œuvre joue un rôle. En d’autres termes, si le système éducatif produit le double d’ingénieur cela aura un impact sur la stratégie et l’organisation des entreprises qui intègreront ce facteur d’une main d’œuvre disponible.

Partir des besoins des entreprises c’est comme partir du poste de travail pour la gestion des compétences. C’est oublier que les organisations sont d’abord faites par les hommes et les femmes qui les dirigent et qui y travaillent et que si l’on modifie le profil de ces dirigeants et travailleurs, on modifier l’entreprise…et ses besoins.

Nos dirigeants devraient se souvenir que ce n’est pas l’homme qui fait la fonction ni la fonction qui fait l’homme mais que les deux sont en interaction. Bref, il devrait redécouvrir l’analyse systémique en lieu et place de la linéarité.

Ceci dit, pour la poule et l’œuf, on a toujours pas de réponse.

27/10/2010

Savoir d'expérience

« Moi je sais de quoi je parle, j’ai l’expérience ». Les sources de la légitimité personnelle sont nombreuses : dans notre pays la légitimité par le diplôme, ou plus encore par l’école fréquentée, est un peu envahissante. Il n’en reste pas moins qu’elle ne cède pas totalement à la légitimité par l’expérience. Bien plus ancienne, elle possède son icône : Saint-Thomas qui y met les doigts pour  constater que le Christ mort est bien ressuscité.

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Le Caravage - L'incrédulité de Saint-Thomas - 1602

Ainsi, seule la vérification « de visu » (« de manu » en l’occurrence pour Saint-Thomas), permettrait d’établir la vérité. L’expérience directe comme seule source valide du savoir. Cette légitimité admise est pourtant discutable car elle fait fi de la transmission et des limites de l’expérience directe, sans parler des autres manières d’accéder au savoir.

 De la transmission il convient d’ailleurs de se moquer : n’est-il pas ridicule l’homme qui a vu l’homme, qui a vu l’homme, qui a vu l’ours, et qui n’a pas eu peur. Coupé de l’expérience sensible immédiate, le savoir s’étiole. L’idée de l’ours n’est pas plus l’ours que la représentation de la pipe par Magritte ne se fume. 

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Magritte - La trahison des images - 1929

Pourtant, la transmission loin d’être une déperdition du savoir peut contribuer à son enrichissement dès lors que l’enseignant n’abreuve pas l’enseigné mais construit un dialogue avec lui. Et à partir de ce cadre, il est possible de s’ouvrir à d’autres formes de savoir (la lecture, l’enquête, la recherche, l’échange, la réflexion, la méditation y compris la méditation poétique qui sont autant de sources de connaissance). C’est pour cette raison que les rugbymen font du tableau noir et des séances vidéos : parce que l’expérience du match est insuffisante à elle seule pour parfaire leur savoir. Merci à eux de nous apprendre que l'expérience est indispensable mais insuffisante. Et qu'un grand entraîneur n'a pas forcément été un grand joueur.

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Matta - O tableau noir - 1991

La seconde limite est dans le credo de nos sens. Ce que nous voyons, ce que nous percevons, ce que nous entendons, ce que nous touchons, ce que nous goutons passe à l’inévitable tamis de notre personnalité : tel palais éduqué au goût n’aura pas la même sensation que celui qui ne prend guère le temps d’apprécier les aliments rapidement engloutis. Et l’on comprend que l’expérience directe condamne au relativisme à l’infini et qu’il faut dépasser la perception individuelle pour parvenir à une quelconque vérité. En d’autres termes, la vérité de chacun  est le meilleur ennemi non seulement de l’établissement de quelques certitudes mais également de la production du savoir. La connaissance, en effet, ne peut croître et se développer que si chacun accepte d’amener son expérience personnelle dans le débat pour mieux apprendre à la dépasser. Jésus l’avait d’ailleurs compris qui répondit à Saint-Thomas l’incrédule : “Parce que tu m’as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru !” ».

10/12/2008

DRH, un métier impossible

D’après Freud, il existe trois métiers impossibles : soigner, éduquer, gouverner. Il aurait pu rajouter à la liste :être responsable des ressources humaines, sauf à considérer que cette fonction regroupe en fait les trois métiers précédents.

Quels rapports entre le soin, l’éducation et le pouvoir ? et entre ces métiers et la GRH ? le premier est qu’il s’agit de métiers qui ne sont jamais finis :la guérison, la civilisation, le vivre ensemble sont fondés sur des équilibres fragiles qui doivent en permanence être consolidés. Le second est que le résultat dépend au moins autant d’autrui que de soi-même, l’impossibilité ici prenant la forme de la nécessaire humilité du soignant, de l’éducateur ou du dirigeant qui ne sont jamais aussi assurés que lorsqu’ils connaissent les limites de leur action. Le dernier est peut être que dans ces trois domaines le savoir scientifique est insuffisant et qu’il faut passer par le savoir de l’artiste.

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Magritte - La tentative de l'impossible - 1928

Un métier jamais fini, exercé avec humilité et basé sur des savoirs professionnels auxquels il faut donner une âme, voilà effectivement une définition possible de la gestion des ressources humaines qui nous permet d’exercer ce métier impossible.

Pour ceux qui souhaiteraient avoir une illustration de ce que peut être un métier impossible, il est possible de lire la pièce jointe.


21/11/2008

Pour quel métier êtes-vous fait ?

L'orientation professionnelle fait l'objet d'une des tables rondes mises en place par le Gouvernement dans le cadre de la réforme de la formation professionnelle. Le besoin d'orientation est immense en France et n'est pas satisfait. Le bilan de compétences n'a su occuper cette place vide, par défaut de diversification des prestations qui, trop souvent, travaillent sur le personnel et non véritablement sur le professionnel. La question "pour quel métier êtes-vous fait ?" prend souvent le pas sur la question : "quelles activités pouvez-vous ou souhaitez vous exercer ?". Dans le premier cas on part de la personne, dans le second cas on part de l'activité. S'agissant d'orientation professionnelle, la seconde démarche  paraît préférable en ce qu'elle n'établit pas un diagnostic définitif sur un individu. Comment gérer une personne qui a du mal à assumer des fonctions en ressources humaines dans une entreprise et qui vient vous voir en vous expliquant que le bilan de compétences a révélé qu'elle était faite pour les ressources humaines ?

Est-on véritablement fait pour une activité ?

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De Chirico - Le chant d'amour - 1914

Magritte a modifié totalement sa peinture en découvrant la toile de De Chirico "Le chant d'amour" : "Mes yeux ont vu la pensée pour la première fois" a-t-il dit en voyant l'oeuvre. Nos activités, et plus largement nos vies, sont faites de rencontres imprévues qui peuvent en modifier profondément le cours. Plutôt que de céder à la tentation de se rassurer en essayant vainement de mettre de la cohérence là où il n'y en a souvent pas, pourquoi ne pas accepter que les parcours de chacun ne soient pas linéaires et prédéterminés ? chacun de nous est atypique.