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13/12/2011

Le casse-tête du droit à la vie de famille

Le juge persiste et signe dans sa volonté de faire du droit à la vie personnelle et familiale un principe de droit du travail opposable aux employeurs. L'intention est louable, mais comme on le sait, sous la plage des bonnes intentions surgissent souvent les pavés de l'enfer. Illustration dans une affaire récente. Un salarié travaille selon des horaires un peu alambiqués mais essentiellement le matin. L'employeur, tel un agent des chemins de fer, lui annonce que ses horaires seront modifiés et prendront dorénavant place essentiellement l'après-midi. Le salarié considère qu'il ne s'agit plus de modifications de ses horaires mais de véritables bouleversements qui modifient son  contrat de travail. Il refuse donc. Saisi de la question le juge répond par un principe : "sauf atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa  vie personnelle et  familiale ou à son droit au  repos, l’instauration d’une nouvelle répartition du travail sur la  journée relève du  pouvoir de  direction de  l’employeur" (Cass. soc., 3 novembre 2011, 10-14.702).

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Lisa Carletta - Famille Beaupoil de Sauveboeuf - 2009

Voilà donc le salarié doté d'un droit à la vie personnelle et familiale et l'employeur sommé de le respecter. Rappelons tout de même que la vie personnelle et familiale du salarié ne peut fonder une décision de l'employeur, au risque de constituer une discrimination. L'entreprise est donc placée dans la difficile situation de tenir compte de ce qu'elle ne saurait connaître : "Cachez ce sein que je ne saurai voir"...mais montrez le s'il devait vous permettre d'en tirer avantage. Et au passage, l'employeur devra adopter des solutions différentes envers les salariés en considération de leur situation personnelle, déclarativement établie, au risque de ne plus maintenir l'égalité de traitement entre les salariés qui ont des personnes à charge, ceux qui n'en ont pas, ceux dont le conjoint travaille ou non, ceux qui n'ont pas de conjoint, etc. A ce stade, les angles coupants qui caractérisent les pavés des bonnes intentions produisent les effets que connaissent bien les coureurs de Paris-Roubaix : foutre en l'air en quelque seconde ce qui a été patiemment construit de longue date. La voie empruntée par les juges n'est pas plus sûre que la tranchée d'Aremberg. Il est à craindre que le juge qui s'y est égaré ne contribue à distribuer de la confusion dans les entreprises et en voulant tracer des frontières protectrices atteigne le paradoxal effet de les abolir. Bon courage en tous cas à ceux qui vont devoir traduire ces jurisprudences en décisions manageriales.

22/07/2011

Chapitre 2 Qui illustre les méritoires efforts du droit pour préserver la possibilité de schizophrénie du salarié

Au début des années 80, les lois Auroux consacrent le salarié citoyen dans l’entreprise. Au début des années 90 l’air du temps est à  l’entreprise citoyenne et le salarié citoyen disparaît peu à peu. Se pose de nouveau la question des libertés publiques dans l’entreprise.

Un rapport sur ce sujet, rédigé par le Professeur Gérard Lyon-Caen en 1992 ouvre la voie à une loi du 31 décembre de la même année qui prévoit qu’une entreprise ne peut, lors d’une procédure de recrutement ou d’évaluation, poser que des questions qui ont un rapport direct et nécessaire avec l’emploi occupé ou proposé (C. trav., art. L. 1221-6 et L. 1222-2). Le salarié au travail et le salarié dans sa vie personnelle doivent donc être disjoints, l'un ayant le droit de demeurer étranger à l'autre. Autrement dit, le comportement personnel ne nous dit rien du comportement professionnel qui seul peut être évalué. Le droit à la schizophrénie est ainsi établi, le salarié n'étant pas une totalité indivise au comportement monolithique. Exit donc les tests de personnalité généraux et les enquêtes de moralité.

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Exit d'une manière plus générale, les processus d’appréciation des personnes, renvoyés vers le bilan de compétences et ses protections. L’entreprise ne peut évaluer que les compétences dont elle se sert ou dont elle a besoin. Toute évaluation doit donc, pour être valide, être contextualisée.

Une autre manière de dire que l’on n’évalue pas les individus mais leur travail ou leur capacité à l’exercer.

Ce droit garanti pour le salarié de pouvoir être autre au travail que dans sa vie personnelle subit aujourd’hui les assauts des réseaux sociaux et autres Web 2.0, qui fragilisent, pour ne pas dire font voler en éclat, la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle.

30/01/2009

Gérer la famille du salarié

Les entreprises se trouvent placées depuis quelques mois devant une injonction paradoxale : le code du travail leur demande de ne pas prendre de décision concernant les salariés en considération de leur situation familiale, faute de quoi la discrimination serait avérée (C. trav., art. L. 1132-1). Mais la cour de cassation n’a de cesse de nous rappeler que l’employeur ne doit pas porter atteinte au droit du salarié à une vie personnelle et familiale. Au mois d’octobre dernier, il a été jugé qu’une clause de mobilité était inapplicable à une salarié en congé parental (Cass. Soc., 14 octobre 2008). Le 19 janvier dernier, la même cour considérait qu’une veuve ayant deux enfants à charge ne pouvait se voir imposer une mutation en application d’une clause de mobilité. Dans les deux cas, il est demandé à l’entreprise de justifier si la contrainte est légitime et proportionnée au but recherché. On comprend la volonté de la Cour de cassation de protéger les salariés de toute mesure arbitraire et de limiter les abus de droits des employeurs. Par contre, on peut sur le plan juridique avoir quelques interrogations sur ce que recouvre le droit à une vie personnelle et familiale.

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Le Greco - Sainte Famille

Le droit étant fait de qualifications et de définitions, il faut se demander ce qu’est une vie personnelle et familiale « normale », c’est-à-dire qui peut faire référence pour le juge. Lorsque l’on constate que la famille de référence, la sainte famille, comprend une mère vierge, un fils qui est le père de sa mère, et un père qui ne l’est pas (pauvre joseph comme dirait Moustaki) on découvre qu’il ne fallait pas attendre les familles recomposées pour s’interroger sur ce qui peut constituer la norme en ce domaine !

Le plus gênant dans ce affaires est peut être que, sous couvert de protéger le salarié, on invite l’employeur à s’intéresser à sa situation de famille…ce qui lui est par ailleurs interdit. Mais si je dois tenir compte dans mes décisions de gestion de la situation familiale du salarié, il est difficile d’imaginer que je vais m’en désintéresser au moment de l’embauche. L’enfer, on le sait, est pavé de bonnes intentions, en voici une nouvelle illustration. La logique voudrait que si l’employeur ne peut s’intéresser à la vie privée et familiale du salarié, ce dernier ne puisse à son tour l’invoquer dans le cadre de son contrat de travail. Dans ce domaine plus que dans d’autres peut être, toute exception au principe fait disparaître le principe lui-même.