14/11/2012
Il est interdit d'interdire (l'alcool)
En ces temps où la plus triviale pornographie cohabite sans difficulté avec la morale la plus plate, où l'on mettra bientôt des photos de foies cirrhosés sur les bouteilles de vin après avoir habillé les paquets de cigarette de reproduction de poumons cyanosés, bref en une période où il ne manque pas de prétendants à décréter ce qui est bon pour vous, l'employeur pensait sans doute que sa décision ferait l'unanimité. Il avait en effet inscrit dans le règlement intérieur que toute consommation d'alcool était interdite dans les locaux de l'entreprise, y compris à la cantine. L'inspecteur du travail, soucieux des libertés des salariés, refusa qu'une clause aussi générale soit introduite dans le règlement intérieur. Saisi d'un recours, le Directeur régional du travail, tout empreint du sens du bien public, conforta l'employeur. Mais le juge veillait et la Cour administrative d'appel puis le Conseil d'Etat donnent raison à l'inspecteur du travail : il est interdit d'interdire totalement. Ce n'est donc pas demain que l'on videra la dernière bouteille.
Studio Manasse - La dernière bouteille - 1930
Pour fonder leur jugement, les magistrats constatent tout d'abord que le Code du travail n'interdit que les boissons autres que le vin, la bière, le cidre, le poiré et l'hydromel (R. 4228-20). Ce qui permet de satisfaire quelques goûts. Ensuite que l'employeur ne peut, par le règlement intérieur, apporter de restrictions aux libertés individuelles que proportionnées au but recherché. Or, l'interdiction totale est excessive pour la protection de la santé des salariés. Car s'il existe un tabagisme passif qui justifie que fumer soit interdit en tout lieu de l'entreprise, on peine à imaginer un alcoolisme passif. Si des interdictions partielles peuvent être justifiées, pas de raison donc de mettre toute la restauration d'entreprise au régime aquatique forcé. Et puisque le produire français est à l'honneur, voici réaffirmée l'occasion de faire réviser leur géographie aux salariés en leur proposant de découvrir les différents vignobles parmi lesquels, bien évidemment, ceux du Sud-Ouest tiennent une place éminente. Et non, nous n'en sommes décidément pas à la dernière bouteille. Santé !
17:59 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : alcool, travail, droit, règlement intérieur, jurisprudence, vin, conseil d'etat, droit du travail, ressources humaines
03/08/2011
Flag
Aux Etats-Unis, on aime le drapeau. Et toute occasion de le montrer est bonne, et même lorsqu'il n'y a pas d'occasion, on le sort quand même.
Manhattan
On peut noter d'ailleurs, combien la Stars Banner est fréquemment accompagnée d'un autre drapeau. L'identité américaine est suffisamment forte et solide pour pouvoir être multiple sans que cela ne lui cause d'insupportables maux de têtes ou ne suscite de violentes poussées d'urticaires.
Brooklyn
Et si les américains sont fiers de leur drapeau, ils sont encore plus attaché à la liberté et admettent, en vertu de l'article 1er de leur constitution, qu'il puisse être brûlé par qui ne supporte ni les étoiles ni les raies horizontales (qui grossissent comme chacun sait).
En France, on a créé le délit d'outrage au drapeau par un décret du 21 juillet 2010, suite à la publication par la FNAC d'une photo jugée insupportable, au point que les deux salariés organisateurs du concours ont été licenciés pour faute grave. La photo en question était celle-ci :
Comme pour toute oeuvre artistique, elle peut être discutée pour son esthétique et pour son message. Mais au nom de la liberté d'expression, son existence même ne saurait poser problème. C'est ce que vient de rappeler le Conseil d'Etat, saisi par la Ligue des Droits de l'Homme, d'un recours en annulation du décret du 21 juillet. Si le décret n'est pas annulé, sa portée est largement réduite, pour le moins. Selon le Conseil d'Etat : "ce texte n'a pas pour objet de réprimer les actes de cette nature qui reposeraient sur la volonté de communiquer, par cet acte, des idées politiques ou philosophiques ou feraient oeuvre de création artistique, sauf à ce que ce mode d'expression ne puisse, sous le contrôle du juge pénal, être regardé comme une oeuvre de l'esprit ".
Voilà le pouvoir pris, une nouvelle fois, en flagrant délit d'usage du droit pour de mauvaises raisons, politiciennes, ce qui dessert à la fois la cause politique et la place du droit dans une société démocratique. Et par là même occasion de bons arguments pour les salariés de la FNAC si l'idée leur prenait de contester leur licenciement.
06:26 Publié dans DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : drapeau, outrage, conseil d'etat, politique, liberté, usa, new york, jurisprudence, licenciement, droit, droit du travail, droit d'expression
08/04/2011
Coup de balai
Il est toujours agaçant de lire, dans les bonnes revues juridiques, des références à des circulaires anciennes qui restent éternellement citées comme si elles étaient immuables. Il est vrai que les lois sont modifiées, mais les circulaires restent.
Le Conseil d'Etat, dans une décision du 23 février 2011, nous rappelle opportunément qu'un vigoureux coup de balai a été donné aux circulaires par le décret du 8 décembre 2008. Ce texte prévoit que toutes les circulaires antérieures au 1er mai 2009 et non reprises sur le site circulaires.gouv.fr sont considérées comme abrogées. Et hop, balayées les proses bureaucratiques !
En matière de formation professionnelle, nombre de revues et ouvrages continuent de citer la circulaire de 1972 sur l'imputabilité des actions de formation ou celle de 1986 sur la définition de l'action de formation. Il faudra se résoudre à se passer de ces textes, qui ne figurent pas sur le site gouvernemental et ne sont donc plus opposables aux entreprises, aux OPCA ou aux organismes de formation.
Voilà un coup de balai bienvenu : un décret de 3 articles qui annule plusieurs dizaines de milliers de pages de circulaires, pour le coup on en redemande. Car le volume ne fait pas le bon droit que l'on reconnaît souvent à la concision et la précision de l'écrit. En d'autres termes, moins de textes et plus de droit.
01:22 Publié dans DROIT DE LA FORMATION, DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : droit, circulaire, conseil d'etat, balai, droit du travail, formation
29/09/2010
Vérité multiple
Le Conseil d'Etat a apporté sa pierre, le 23 juillet 2010, à la construction jurisprudentielle relative au harcèlement moral. Si la juridiction administrative a eu à se prononcer, c'est en raison de la qualité de membre du comité d'établissement de l'assistante sociale dont le licenciement était demandé pour des faits de harcèlement à l'encontre d'assistantes maternelles placées sous son autorité. Ce licenciement a été autorisé par le tribunal administratif mais censuré par la Cour administrative d'appel sur la base d'attestations nombreuses faisant état des qualités professionnelles de l'intéressée et de son souci constant de l'intérêt des enfants. Le Conseil d'Etat censure cette décision : on peut être un excellent professionnel et commettre par ailleurs des faits de harcèlement moral. En l'occurence, la question de la compétence de la salariée n'avait pas de rapport direct avec la question posée, à savoir s'il existait ou non des faits de harcèlement.
Ben Vautier - La vérité est multiple
Dans le Quatuor d'Alexandrie, Lawrence Durrell raconte une même histoire vue par 3 personnages différents qui nous permettent non pas de dire de manière un peu simpliste à chacun sa vérité, mais plutôt qu'il n'est pas contradictoire que la vérité puisse recevoir plusieurs visages. Ainsi, être un excellent professionnel ayant le souci de son activité et de sa finalité n'est pas une garantie absolue s'agissant des pratiques manageriales. On savait que l'individu n'était pas monovalent, on sait gré au juge de le rappeler à l'occasion.