03/12/2012
Tu ne tweeteras point
On sait qu’il est très difficile d’avoir une concentration effective pendant des plages de temps longues. On le sait depuis longtemps, et de manière scientifique. Pour autant, on continue à exiger qu’un élève soit attentif 8 heures par jour, un salarié totalement productif pendant au moins le même laps de temps et parfois beaucoup plus. Peut-on, dès lors, reprocher à un juge de s’endormir pendant un procès ou d’envoyer des tweets à un de ses collègues pour lui signifier qu’il s’ennuie et qu’il n’écoute plus et surtout pas ce prévenu qui l’agace ? la conversation ayant été suivie par un journaliste, le scandale éclate déclenchant une enquête administrative et la demande du condamné d’être rejugé. Faut-il se féliciter que la faute des juges soient ainsi éventée ?
Honoré Daumier - Les gens de justice
Ce n’est pas certain. D’une part parce qu’avant les tweets, les juges se contentaient, si l’on peut dire, de s’échanger plus ou moins discrètement des petits papiers au contenu identique. La pratique n’est pas nouvelle, seule la technologie a changé. Ensuite parce qu’il est bien hypocrite de penser que les juges ne sont que blocs de concentration pendant tout un procès. Si l’on remet en cause la justice pour un tweet, va-t-on se mettre à surveiller les assoupissements, abaissements de paupières trahissant le sommeil, les regards rêveurs vers le plafond (réflexion ou absence ?), la consultation des notes (le juge écoute-t-il ou bien lit-il le dossier ? et s’il le découvrait ?) et plus généralement toute activité qui paraîtra parasitaire. Qui le premier exigera que les juges portent un bip signalant le défaut d’attention que des électrodes bien placées sur le cortex pourraient nous signaler ?
Laissons cela. On peut comprendre celui qui fût jugé, on peut regretter l’immaturité numérique des juges, mais pas la peine d’en faire une énième cause d’indignation bouffie de bonne cause et de droit au respect. La justice est rendue par des hommes et des femmes, aux humains comportements et les défauts de la justice sont bien souvent ceux de ses serviteurs. Quelle découverte !
10:39 Publié dans DES IDEES COMME CA | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tweet, juge, justice, procès, tweeter, humain
16/08/2011
Paresse de la comparaison (1)
Les rapprochements improbables sont souvent source de connaissance nouvelle. Le mariage de la machine à coudre et du parapluie, célébré par Lautréamont, a ouvert à la poésie, c'est à dire à la vérité, d'innombrables voies vers des terrae incognitae.
Man Ray - 1935
Pour autant, il est des comparaisons qui loin d'enrichir le propos le réduisent à une superficialité qui fait perdre le sens des mots et donc des choses.
Ainsi, le vocabulaire informatique est utilisé pour décrire à moindre frais la nature humaine : "Ce souvenir est resté gravé sur mon disque dur", "Il faut qu'il change de logiciel parce qu'il ne comprend rien à ce genre de situations", "Il a buggé, il ne sait plus ce qu'il raconte", "J'ai beau répéter les choses, il ne connecte pas", "Lui, je l'ai scanné, j'oublierai pas sa tête". C'est à l'univers de Métropolis que de telles expressions nous ramènent.
La mémoire n'est évidemment pas un disque dur, pas plus que l'inconscient. Et le cerveau est l'exact opposé d'un logiciel. Pourquoi ? en vrac parce qu'aucun élément n'est inerte, parce que la mémoire, l'inconscient et le cerveau vivent, évoluent, se transforment, se modifient. Le souvenir fluctue avec le temps, se perd ou se créé, les modes de penser, de raisonner, d'agir sont façonnés par le temps et les évènements. Bref, du vivant et non de la machine.
Non seulement le vocabulaire informatique ne nous apprend rien de l'humain mais il nous en éloigne et nous fait perdre en compréhension. L'homme n'est programmé que pour apprendre : comme on ne se baigne jamais dans le même fleuve, on est jamais exactement le même tous les jours. Votre ordinateru a beau avoir une mémoire vive, il n'en a pas de vivante.
22:35 Publié dans DES IDEES COMME CA, FRAGMENTS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : metropolis, man ray, photo, cinéma, ordinateur, comparer, machine, homme, humain, vocabulaire informatique