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08/01/2013

Le gardien et le tireur de penalty

Lorsque je travaille avec des responsables ressources humaines et qu'ils me parlent des représentants du personnel, je n'échappe pas toujours à la remarque : "De toute façon, ils peuvent tout faire, prendre leurs heures de délégation quant ils veulent, poser toutes les questions, faire durer les réunions, demander des expertises, refuser de voter un avis de comité d'entreprise, et on ne peut rien faire". Et lorsque je travaille avec des représentants du personnel, je n'échappe quasiment jamais à la remarque : " On peut se démener dans tous les sens, utiliser tous les moyens à notre disposition, dans toutes les instances, lorsque l'entreprise a pris une décision, de toute façon elle la mettra en oeuvre et on ne peut rien faire". Bien évidemment, les deux ont raison.

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Ramon Masats - Madrid - 1957

Et je ne peux m'empêcher de penser au moment du tir de penalty : pour le gardien, le tireur est tout près, il est énorme, lui est tout petit et la cage des buts est immense. Pour le tireur, il est très loin, le gardien est immense et la cage des buts minuscule.

Si les RH et les représentants du personnel ont également raison c'est parce que notre législation en matière de droit collectif du travail  s'est construite sur un principe auquel il n'est quasiment jamais dérogé et que l'on peut exprimer ainsi : les représentants du personnel auront d'autant plus de moyens d'actions qu'ils sont dénués de toute capacité d'intervention sur les décisions de l'employeur. C'est pour la même raison, préserver le pouvoir de l'employeur directement issu du droit de propriété et donc conçu comme un droit patrimonial inaliénable, que le droit du travail ne connaît quasiment pas l'avis conforme du comité d'entreprise nécessaire à la mise en oeuvre de décisions de l'employeur. Un tel principe a toujours été refusé à la fois par certains syndicats pour qui ce serait de la cogestion et par les employeurs pour lesquels ce serait une quasi-expropriation (ne plus être maître chez soi). Pourtant, la codécision est un principe largement en vigueur en Allemagne, mais c'est curieux, ce n'est jamais ce principe là que l'on songe à importer lorsque l'on se compare à nos voisins. Et c'est pourquoi le gardien et le tireur continuent à partager l'angoisse du tir du penalty.

29/06/2012

L'Europe, plein Sud !

Les banquiers et financiers anglo-saxons ont soudainement décrété la guerre au Sud. Et voici que l'on invente la notation des Etats et que l'on distribue les mauvaises notes au Sud, et voici que l'on pratique des taux usuriers pour ceux qui refusent de renoncer à ce qu'ils sont et voici comment l'on souhaite imposer l'homo-economicus comme seul horizon possible à la vie de l'homme. Pour tout cela, il est sain et recommandé de saluer que la finale de l'Euro de football se joue entre l'Espagne et l'Italie et que les Allemands si fiers d'avoir fait plier les Grecs soient invités à devenir spectateurs, ce qui nous évitera l'image d'une Angela Merkel se réjouissant à chaque but allemand comme s'il s'agissait d'un clou supplémentaire sur le cercueil des Eurobonds.

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Nicolas De Stael - Méditerranée - 1954

Pour dire cela autrement, laissons la parole à Edgar Morin :

"La logique du Nord est aveugle aux réalités du Sud qu’elle considère comme arriération, archaïsme, paresse. La pensée du Nord est faite pour traiter les problèmes d’organisation techniques, pratiques et quantifiables, c’est-à-dire, la prose de la vie. Or la vie humaine ne comporte pas que de la prose. La prose c’est ce que nous faisons par obligation, par contrainte, pour gagner nos vies – et nous la gagnons, souvent, en la perdant. La prose nous fait survivre. Mais vivre, c’est vivre poétiquement, c’est-à-dire dans l’amour, dans la communion, dans la réalisation de soi, dans la joie – à la limite dans l’extase. Je reprends ici la parole de Hölderlin : « Poétiquement l’homme habite la terre ». En fait, nous habitons la terre prosaïquement et poétiquement. Mais comme la prose tend à envahir nos vies, n’est-il pas la mission de la pensée du Sud que de rappeler le caractère essentiel de la poésie du vivre? D’autant plus qu’il y a des arts de vivre au Sud, art de vivre sur la place publique, art de vivre extroverti, art de vivre dans la communication, art de vivre qui comporte l’hospitalité, art de vivre qui maintient les qualités poétiques de la vie."

Et voilà pourquoi il faut soutenir le Sud. Arriba España !

02/05/2011

Trois manières d'être français

Les responsables du football français auraient envisagé des quotas discriminatoires. C’est peu dire que l’affaire fait grand bruit, jusque sur ce blog, plutôt adepte du ballon ovale. Bon allez d’accord. Il ne s’agit pas de limiter le nombre de noirs et d’arabes dans les centres de formation et sélections nationales, mais de limiter le nombre des binationaux. Qu’ils soient à 99 % noirs et arabes et que cela constitue très précisément une discrimination indirecte telle que définie par les tribunaux européens et français n’est qu’une pinaillerie de juriste coupé de la réalité du foutebol.

Clameurs, protestations, démentis, les intéressés s’insurgent, s’excusent et s’expliquent : il n’est pas normal que des joueurs formés en France, sélectionnés dans des équipes de France de jeunes puissent ensuite jouer pour une autre sélection nationale à l’âge adulte : « Cela me gêne énormément » dit Laurenc Blanc qui fut un temps présenté comme Monsieur Propre et pas seulement pour son son nom ou son teint.

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Nicolaes De Staël - Footballeurs 1952

Osons quelques rappels : d’une part cette possibilité offerte aux binationaux est une règle internationale qu’il conviendrait peut être de respecter plutôt que de la contourner. Et si elle n’est pas adaptée, il faut la changer. D’autre part que le foot est un sport professionnel et que la formation est financée dans ce cadre. Sa proposition, étendue au-delà du ballon rond, reviendrait donc à déclarer que tout étudiant formé dans une Université ou Ecole française ne peut travailler que pour des entreprises françaises ou plus généralement pour la France, puisqu'il se trouve des politiques pour utiliser le fumeux concept "d'entreprise France" qui doit donner des boutons  à Colombey. On mesure le degré d’absurdité mais surtout de fermeture d'une telle proposition.

Ce repli étroit sur la nationalité qui, autre rappel, fait partie de la liste des discriminations visées par le Code du travail et les conventions internationales, est décevant de la part d’un entraîneur qui se veut également éducateur. Si ses multiples activités lui laissent un peu de loisir, proposons  à Laurent Blanc de méditer sur la manière dont Julia Kristeva définit son identité : « Une citoyenne européenne, de nationalité française, d’origine bulgare et d’adoption américaine ». Et félicitons Francis Smerecki, le seul à avoir dénoncé en pleine réunion le caractère discriminatoire de la mesure envisagée. Mais voyons, Smerecki, ce ne serait pas un peu étranger ça ? mais si, c'est même polonais et ce n'est pas loin de mériter la béatification. Bonne semaine à tous.

06/07/2010

Jeu de mains...

La main de Thierry Henry qui avait qualifié abusivement la France pour la Coupe du monde a été qualifiée de tricherie et de scandale. La main de Luis Suarez, qui à la dernière seconde du match Ghana-Uruguay sauve son équipe d'un but tout fait a également suscité la polémique. Une différence de taille existe pourtant entre les deux. La première est illégale et n'a pas été sanctionnée et la seconde est légale puisqu'elle a été sanctionnée selon les règles : expulsion du fautif et penalty. Sauf que le penalty fut raté et que l'Uruguay se qualifia sur une faute d'antijeu qui n'a rien à envier à celle de Thierry Henry. Une illustration supplémentaire que légal et moral ne font pas toujours bon ménage.

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Israel Galvan dansant avec les mains
Que faire alors ?  on pourrait se référer au rugby : lorsqu'une faute volontaire empêche un essai tout fait, un essai de pénalité est accordé. Faut-il alors créer le but de pénalité ? le plus simple serait que les footballeurs se mettent au rugby, dans lequel on le sait le jeu de mains est un jeu...de toulousains. La qualité de toulousain sera volontiers conférée à Israel Galvan, et le fait qu'il soit né à Séville importe peu : on peut être à la fois sévillan et toulousain, et des tas d'autres choses encore, lorsque l'on sait ainsi jouer avec ses mains.
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Comme nombre de sportifs, Galvan sait que l'esthétique va de pair avec l'efficacité. Le geste le plus beau est souvent le plus efficace. Oublions donc les mains des footballeurs au profit de la beauté du geste.

14/06/2010

Banalité du Football

Enfermé dans ses particularismes, réels ou supposés, chacun peut oublier que ce qui le relie à ses bien nommés semblables est plus important que ce qui l'en différencie. Et même si l'on considère que c'est cette particularité qui fait l'individu singulier. Appliqué au domaine du droit, ce comportement conduit à oublier le droit commun pour ne plus voir que la règle spéciale ou particulière. Or, lorsqu'il tente d'apporter réponse à une situation, le juriste doit d'abord s'interroger sur la règle générale avant de vérifier s'il n'existe pas une règle spéciale. Récapitulons : toute situation est singulière mais je commence par lui appliquer les principes et règles de droit commun, avant de chercher s'il existe une règle spéciale qui doit être prise en compte, auquel cas il faut également vérifier la validité de cette règle spéciale. C'est cette méthode que la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) vient de rappeler au monde du football. Comme beaucoup d'autres, le milieu du football est enclin à produire ses propres règles et à considérer qu'elles seules lui sont applicables. Mais nul ne saurait échapper à la règle commune, sinon ce ne serait pas très bon signe pour la démocratie qui s'est substituée, paraît-il, au régime des princes il y a quelques centaines d'années.

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Nicolas De Stael - Parc des Princes

On se souvient de l'arrêt Bosman qui, le 15 décembre 1995, mit fin à la limitation du nombre de joueurs communautaires par équipe au nom de la libre circulation des travailleurs, devenue depuis la libre circulation des citoyens. Une manière comme une autre, mais plutôt concrète, de faire l'Europe. Le rappel du droit commun intervient de nouveau dans une affaire jugée le 16 mars 2010 qui opposait l'Olympique Lyonnais à un jeune joueur parti à Newcastle après sa sortie du centre de formation. Dans un tel cas, la Charte du football prévoit le versement d'une indemnité au club formateur. La CJUE vient de rappeler l'application du droit commun des clauses de dédit formation à une telle situation. De ce fait, l'indemnité à verser doit être proportionnelle aux frais engagés par le club formateur et ne peut être uniquement une pénalité ou des dommages intérêts destinés à sanctionner un comportement. Mais déjà certains s'émeuvent, le juge lui-même n'ayant d'ailleurs pas été insensible à l'argument, qu'une telle décision n'encouragera pas les clubs à former mais plutôt à aller "piller" les centres de formation de clubs plus naïfs. Ceux-là découvrent que lorsqu'une entreprise forme ses salariés ce n'est jamais uniquement pour elle-même. Il leur reste à découvrir que pour conserver quelqu'un dans l'entreprise, il existe d'autres moyens que la sanction financière en cas de départ.

21/11/2009

Jeu de mains, jeu de toulousain

Une précédente chronique avait déjà souligné qu'à mélanger droit et morale, on fait du mauvais droit et on fragilise la morale que l'on veut défendre. Le débat qui agite la France depuis mercredi et envahit jusqu'à cette chronique, est de savoir si le match de Football entre la France et l'Irlande doit être rejoué. Combien de voix se sont élevées (pas vrai Attali ?) pour dire combien il fallait avoir honte et demander à rejouer le match. Combien d'amalgames douteux : en vrac la marseillaise, l'identité nationale, l'honneur, la morale entre autres sont convoqués pour condamner, vociférer, s'indigner. Signe de la confusion intellectuelle qui règne quand même souvent dans ce pays.

Faisons un peu de droit puisque tel est notre plaisir : le football a décidé de confier le respect des règles du jeu à un trio d'arbitres. Il a refusé de faire appel à la vidéo. L'erreur éventuelle de l'arbitre fait partie des règles. Elle peut concerner des actions déterminantes ou anodines. L'arbitre, en droit, à toujours raison puisque sa décision n'est pas susceptible d'appel. Comme le juge, la loi lui confère à un moment donné la possibilité de dire la vérité, serait-elle contraire aux faits. Comme l'employeur fait sa loi sous le contrôle du juge, le footballeur peut utiliser ses mains sous le contrôle de l'arbitre. Shiva n'est pas interdite de football.

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Shiva - Metropolitan Museum of Art

Même s'il peut y avoir de la beauté sans les mains...
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Buste - Metropolitan Museum of Art

...il est nécessaire de rappeler l'adage rugbystique : "Jeu de mains, jeu de toulousain". Certes, nous sommes au rugby. Mais en ce domaine la règle est claire : la vidéo peut être utilisée pour arbitrer mais uniquement dans deux cas : en cours de match pour valider ou non un essai (et pas pour une action située dans le champ de jeu), après le match pour des brutalités qui n'auraient pas été sanctionnées (et non pour revenir sur des décisions d'arbitrage). Constatons que la règle est différente et les conséquences également. Plutôt que de vociférer, la seule question qui vaille concernant Frane-Irlande est de savoir s'il faut modifier une règle qui peut aboutir à des décisions d'arbitrage sur des actions de but ou si l'on adopte la règle du rugby (vidéo uniquement pour valider ou invalider les buts marqués). En l'occurence, si la règle avait été celle du rugby, il n'y aurait pas eu but, la France aurait été éliminée et l'on parlerait depuis mercredi de la nullité des joueurs et de leur entraîneur ce qui rehausserait le débat.

Mais concluons qu'il serait dommage de se priver de la possibilité d'utiliser ses mains, qui contribuent largement à la grâce de la vie, qui peut surgir en n'importe quel lieu et à tout moment.

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Instant de grâce dans un Coffee Shop