Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

04/09/2014

Allez les bleues !

C'est un principe de base lorsque l'on veut faire du droit : ne jamais oublier que l'on ne fait du bon droit qu'avec des définitions précises. Si vous consultez le Littré pour avoir la définition du travail, vous constaterez qu'il est défini par un assujettissement. Notion que retient le droit du travail qui pose comme critère du travail non pas le travail lui même (au sens de réalisation d'une activité) mais la soumission à une autorité, en l'occurrence celle de l'employeur. On peut donc parfaitement travailler en ne faisant rien, ce que nombre de veilleurs de nuit éprouvent tous les jours, toutes les nuits plutôt, eux qui exercent un travail pénible. C'est sur cette base que la Chambre criminelle de la Cour de cassation vient de condamner une société de travail à domicile pour travail dissimulé parce qu'elle refusait de payer comme temps de travail le trajet des salariés entre deux clients (Cass. Soc., 2 septembre 2014, voir ci-dessous). La question se pose de la même manière, avec la même solution, pour des formateurs qui animeraient le matin chez un client et l'après-midi chez un autre (un prof de langues par exemple qui se déplace pour donner des cours individuels chez plusieurs clients). 

IMG_9661.jpg

Outil de travail du formateur entre deux clients,

plus connu sous l'appellation "une bleue"

Car si le Code du travail prévoit que le trajet entre le domicile et le lieu de travail habituel n'est pas du temps de travail effectif, il n'en va pas de même du trajet entre deux lieux de travail, que la Cour de cassation considère de longue date comme du temps de travail effectif. C'est cependant, à ma connaissance, la première fois qu'une entreprise est condamnée sur cette question au plan pénal, le refus de retenir la qualification de temps de travail aboutissant à la caractérisation du délit de travail dissimulé. Le prix à payer pour avoir oublié que l'on ne travaille pas lorsqu'on travaille effectivement mais lorsque l'on est sous l'autorité de l'employeur, ce qui est nécessairement le cas lorsqu'on prend sa "bleue" pour aller d'un client à l'autre. Allez les bleues !

Cass. Soc. Temps de trajet.pdf

19/12/2012

Eloignez-vous !

On habite où l'on veut, ou bien où l'on peut. Etre salarié ne change rien à l'affaire. Les tribunaux ont toujours garanti la liberté du salarié de fixer son domicile où il l'entend, limitant les clauses de résidence à l'existence de conditions objectives et impératives. De ce fait, un salarié peut s'éloigner de son lieu de travail, et puis s'en éloigner encore. Le temps de trajet, conséquence de son choix, est son problème. Mais pas le coût du trajet, qui est aussi celui de l'entreprise.  En effet, depuis la loi du 20 décembre 2008, l'article L 3261-2 du Code du travail oblige l'employeur à prendre en charge 50 % du coût de l'abonnement aux transports publics. L'éloignement du salarié entraîne donc un surcoût pour l'employeur, jugé trop élevé pour une entreprise qui refusa de prendre en charge les 50 % règlementaires au motif que c'était par convenance personnelle que le salarié s'était éloigné. Comme si les convenances personnelles ne devaient pas intervenir dans le choix d'un domicile personnel. Le juge ne pouvait que censurer, et c'est ce qu'il fît.

DSCF0526.JPG

En effet, les dispositions du code du travail visent le coût du déplacement entre la résidence habituelle et le lieu de travail, sans fixer aucune condition relative à la distance géographique. Dès lors, quel que soit le lieu choisi par le salarié, le coût de 50 % du transport collectif s'impose à l'employeur (Cass. Soc, 12 décembre 2012). Voilà qui encouragera peut être quelques salariés à aller voir ailleur si l'herbe est plus verte, car l'éloignement des métropoles est encore le meilleur levier pour faire baisser le coût de l'immobilier, et si en plus l'entreprise participe aux coûts supplémentaires de trajet, il est possible au final d'être gagnant dans l'affaire. A vos indicateurs de chemins de fer !

Cass Soc 12 décembre 2012 Frais de transport.pdf

05/02/2009

Liberté et responsabilité

La date avait été choisie symboliquement : la loi Auroux du 4 août 1982 souhaitait règlementer les libertés dans l’entreprise, comme la loi du 4 août 1792 avait aboli les privilièges. Il s’agissait, moins que de privilèges, de réglementer l’arbitraire patronal et de faire du salarié un citoyen dans l’entreprise. Il en est résulte cette formule, dont la tournure littéraire nous ramène au 18ème siècle dont l’esprit nous manque tant : un règlement intérieur ne peut contenir de dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

La Cour de cassation a de plus en plus recours à cette formule, notamment pour établir la frontière entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Le 12 novembre dernier, elle a jugé que les clauses de résidence, qui obligent le salarié à fixer son domicile dans une zone prédéterminée, n’avaient de validité que si la nature de l’activité imposait une telle sujétion (Cass. soc., 12 novembre 2008, n° 07-42.61). Elle vient plus récemment de décider qu’un règlement intérieur peut prévoir l’interdiction pour un éducateur spécialisé de recevoir à son domicile personnel les enfants dont il s’occupe à titre professionnel (Cass. Soc., 13 janvier 2009, n° 07-43.282). Cette restriction est justifiée par la nature de l’activité.

 

Regnault_-_Liberteoulamort1795.JPG
Regnault - La liberté ou la mort - 1794

La question des libertés est toujours problématique, et l’on oublie parfois que le rôle premier du droit est d’en être le garant et non de contraindre. Contrairement à l’image qu’il a parfois, le juriste n’est pas celui qui empêche de faire, il est celui qui garantit que les libertés pourront s’exercer. Rappelons ces principes de base de la déclaration des droits de l’homme : la liberté est le premier des droits de l’homme (article 2) et tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché (article 5).


Pour en revenir à la décision de la Cour de cassation du 13 janvier 2009, le juge ne devrait pas oublier qu’en tant que gardien des libertés, il lui appartient de ne pas présumer la culpabilité de l’éducateur qui reçoit à son domicile et que cette restriction à l’entretien de relations personnelles au-delà de la vie professionnelle nous paraît problématique en ce qu’elle sanctionne un risque et non des faits. Et que le risque en question sonne comme une condamnation a priori. Soit l’exact inverse de la liberté qui seule permet que s’exprime pleinement la responsabilité. Sous couvert de bon sens, le juge nous paraît ici aller à contresens.