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26/11/2012

Le masque du taureau

Il est un mythe dont la longévité paraît éternelle, celui de la durée du travail des cadres. Depuis la loi du 20 août 2008, qui a ouvert le forfait en jours aux non cadres, il n'existe pourtant plus aucune spécificité dans la législation du temps de travail, pour les cadres. Seuls les cadres dirigeants, en qualité de dirigeants, échappent à l'essentiel des règles régissant le temps de travail. Pour le reste, cadres ou non cadres peuvent voir leur durée du travail fixée en heures ou en jours selon leur activité et le droit conventionnel qui leur est applicable. Mais avant 2008, le forfait en jours était réservé aux cadres. Petit malin, du moins le croyait-il, un employeur bombarda cadre un salarié pour lui faire signer dans la foulée une convention de forfait en jours. La Cour de cassation, dans une décision du 21 novembre, censure cet artifice. Etre cadre ne suffit pas : ce qui conditionne le forfait en jours c'est la réalité de l'autonomie. Le masque est insuffisant et celui de taureau ne nous empêche pas de reconnaître Picasso.

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Gjon Mili - Picasso - 1949

 Mais le juge n'a débarassé le salarié de son masque qu'en matière de forfait jours, puisque la condition d'autonomie n'était pas remplie. Pour le reste, le salarié ayant un avenant au contrat qui lui accord la qualité de cadre, l'employeur est tenu de lui verser le salaire et les avantages correspondant. Sous le masque du faux-cadre, le cadre demeure. L'employeur aurait pu s'en douter s'il s'était souvenu que si l'on enlève le masque de Taureau, on voit Picasso et c'est toujours un taureau.

Cass. soc. 21 Novembre 2012 - Cadre au forfait.pdf

21/05/2010

Une autonomie qui fait peur

Cela aurait pu passer pour ces petites mesquineries inutiles qui font des ravages auprès des salariés. Peut être est-ce de l'ignorance. Plus vraisemblablement il s'agit d'une résistance culturelle au dépassement du management par le contrôle et la défiance. De quoi s'agit-il ? de deux situations rapportées par des salariés au forfait en jours. Dans le premier cas, le salarié s'absente une large partie de l'après-midi pour un rendez-vous personnel. Surprise de constater que l'entreprise a retenu une demi-journée de congés payés. Dans le second cas, surprise également après un arrêt maladie : l'entreprise a proratisé les jours de RTT. Dans les deux cas, d'une part l'erreur juridique est manifeste et d'autre part apparaît la difficulté à intégrer véritablement l'autonomie du salarié qui bénéficie d'une durée du travail en jours. Comme le bon passant qui donne une pièce au clochard en lui recommandant, voire en lui faisant promettre, de ne pas s'en servir pour boire, les organisations mettent en place des forfaits jours en déniant au salarié le droit d'utiliser l'autonomie que la loi, et leur statut, leur reconnaît.

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Yves Tanguy - Il faisait ce qu'il voulait - 1937

Pourquoi erreurs ? dans le premier cas parce que le salarié au forfait en jours fixe ses horaires lui-même, qu'il ne peut plus être géré par les horaires mais uniquement par la charge de travail et qu'un rendez-vous personnel dans la journée est une affaire....personnelle. Dans le second cas, parce que les jours de RTT ne sont la contrepartie du travail que pour les salariés qui travaillent plus de 35 heures par semaines et qui récupèrent des jours de RTT. S'ils ne travaillent pas certains jours, les RTT sont proratisées. Ce mécanisme ne peut s'appliquer à des salariés en forfait en jours pour lesquels les jours de RTT ne constituent pas une récupération mais sont tout simplement des jours qui ne peuvent être travaillés en vertu du forfait conclu : si le salarié doit travailler 218 jours, il ne doit pas travailler pendant 147 jours (104 week-ends, 25 congés payés, 11 jours fériés et 7 jours de RTT). Une absence pour maladie n'impacte que les jours travaillés et n'a strictement aucune incidence sur des jours de RTT qui ne sont pas de la récupération. Au-delà de l'erreur, on mesure la difficulté conceptuelle à intégrer le mécanisme du forfait en jours. Les entreprises devraient d'ailleurs raisonner en jours positifs et non négatifs : le problème n'est pas les jours de RTT mais le fait que le salarié doit 218 jours de travail qu'il doit positionner dans l'année, ce qui est tout à fait différent du fait d'aller tous les jours au travail, sauf les jours de congés, fériés ou RTT. Mais constatons le de nouveau, cette incapacité à prendre en compte la nature même du forfait en jours et l'autonomie qui en résulte n'est que la traduction d'un management à l'ancienne qui se paie davantage de mots que de pratiques.

19/05/2010

Forfait mythique

Le Minotaure, fruit des amours de Pasiphaé et d'un taureau blanc, est un mythe grec dont Jorge Luis Borgès donna une version bouleversante dans sa nouvelle La demeure d'Astérion, nom du minotaure. Loin du monstre sanguinaire et violent dont on protège la foule en l'isolant dans un labyrinthe, le Minotaure de Borgès est un être sensible, prisonnier de sa singularité qui lui confère une conscience aigüe de lui-même et des hommes. Prisonnier volontaire il s'évade dans la mort qu'il s'offre comme une libération à laquelle son meurtrier ne comprend que peu de chose. Quel dessin, mieux que celui de Catherine Huppey, peut figurer le Minotaure de Borgès et contribuer à renverser le mythe du monstreux hybride.

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Catherine Huppey - Le grand Minotaure

Mais les mythes ont la peau dure. Ainsi, le mythe, puisqu'il n'y a jamais eu de réalité juridique en ce sens, du cadre n'ayant pas droit aux heures supplémentaires a trouvé un nouveau souffle dans le forfait en jours. Sans doute le mécanisme est-il mal nommé. Forfait signifie en effet que l'affaire est conlue et qu'il n'y a pas lieu d'y revenir. Tel n'est pas le cas pourtant, sur deux points. Tout d'abord, le forfait ne vaut que pour un nombre de jours. Il n'est pas illimité. En cas de dépassement, le salarié au forfait en jours a droit à des jours supplémentaires, rémunérés avec une majoration de 10 % minimum. De même, comme tout salarié, le bénéficiaire d'un forfait en jours a droit a des contreparties, en temps ou en argent, en cas de déplacement exceptionnel, c'est-à-dire en dehors du périmètre habituel d'exercice des fonctions. Le droit du travail pose donc deux bornes à la notion de forfait : le volume de temps convenu et le périmètre géographique d'exercice des fonctions. Et rappelons, même si peu d'entreprises le pratiquent, que la loi du 20 août 2008 a créé un entretien annuel obligatoire spécifique aux salariés au forfait en jours (C. Trav., art. L. 3121-46). Lors de cet entretien, doivent être abordés la charge de travail, l'organisation du travail, l'articulation vie professionnelle/vie personnelle et la rémunération. Faute de réalisation, le juge pourrait prononcer la nullité du forfait, qui deviendrait à son tour un mythe.

14/10/2009

Le cadre : notion artistique

Paul Duchein est Montalbanais, accessoirement pharmacien et à titre principal peintre et auteur de somptueuses boîtes qui démontrent, s'il en était  besoin, que l'encadrement n'est pas un enfermement mais une ouverture vers le rêve et l'infini. La délimitation de l'espace clos n'est qu'une  manière d'ouvrir les portes de l'imaginaire dans un de ces apparents paradoxes qui charment les surréalistes dont Duchein a toujours été proche. L'art de l'encadrement ou comment l'onirisme peut se déployer sans fin dans un espace contraint.

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Paul Duchein - La chambre d'André Breton - 1991

Les juges sont sans doute admiratifs de l'oeuvre de Paul Duchein et soucieux de réserver à l'artiste la notion de cadre. La Cour de cassation vient en effet, par plusieurs décisions datant de l'été dernier, de poser en principe que des avantages salariaux (jours de RTT, tickets-restaurants, primes...) ne sauraient être réservés aux cadres dès lors que d'autres salariés sont placés dans la même situation au regard de l'avantage en question. En d'autres termes, une différenciation basée seulement sur le statut de cadre est illicite en tant que contraire au principe d'égalité de traitement. Pour justifier la différence, des raisons objectives, basées donc sur la réalité du travail ou des conditions de travail, doivent être identifiées. Par cette jurisprudence, la Cour de cassation met à mal nombre d'accords et de conventions collectives qui réservent certains avantages spécifiquement aux cadres. Pour les juges, l'affaire est claire : laissez les cadres aux artistes, et à Paul Duchein, et basez les différences de rémunération et/ou de statut sur de réelles différences dans le travail. Que salubre est parfois le vent de l'égalité !

05/05/2009

Sortir du cadre ou sortir de soi

L'exercice est un grand classique chez les consultants. Il fait partie de la gamme des exercices qui marchent quasiment à tous les coups. Le point de départ est simple : 9 points formant un carré qu'il faut relier entre eux par quatre traits continus.

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Casse-tête pour les participants : mais où est le truc ? comment y arriver. Solution :
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Sortir du cadre, s'autoriser est en effet la première conclusion que l'on tire de l'exercice. Donnez-vous le droit à la créativité. En réalité, la démonstration prend sa pleine puissance lorsqu'un participant dit : "Mais on ne savait pas que l'on pouvait déborder !'. Qui vous l'a dit ? jamais telle consigne n'a été donnée. Seulement qu'il fallait faire quatre traits continus. Bonne occasion pour s'interroger sur les limites que l'on se fixe à soi-même. Bien souvent, ce ne sont pas les règles qui constituent les contraintes les plus importantes, mais les codes intériorisés.
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Friedrich Schröder-Sonnenstern - Le poisson enchanté - 1954

Le couple qui est dans le poisson enchanté sait-il qu'il est dans le poisson ? connaît-il la liberté de Jonas qui est à l'extérieur ? imagine-t-il seulement que Jonas peut exister ? voilà quelques questions qui vont au-delà de simplement sortir du cadre. Il faut aussi parfois sortir de soi.

27/03/2009

NIAO, qu'es aquo ?

Est-il passé inaperçu ou bien les DRH font-ils l'autruche ?  signalé sur ce blog dès le 1er septembre 2008, l'entretien annuel obligatoire avec les salariés au forfait jours est loin d'être mis en place dans les entreprises. Il ne reste pourtant que cinq mois avant la première échéance annuelle. Rappelons les dispositions légales :

Art.L. 3121-46.-Un entretien annuel individuel est organisé par l'employeur, avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l'année. Il porte sur la charge de travail du salarié, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur la rémunération du salarié.

Toute entreprise, dès lors qu'elle compte un ou des salariés en forfait jours, doit donc mettre en place un entretien annuel au cours duquel seront abordés la compatibilité des objectifs avec le volume de jours, la durée du travail effective, les contraintes éventuelles de l'activité sur la vie personnelle (notamment les déplacements) et, cerise sur le gateau, la rémunération individuelle et son rapport avec la durée réelle du travail. C'est donc une véritable Négociation Individuelle Annuelle Obligatoire (NIAO) que créé la loi du 20 août 2008 dont est issu le nouvel article L. 3121-46. Porte ouverte au dialogue donc sur le temps et l'argent.

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Jan Svankmajer - Possibilité du dialogue - 1982

Quels sont les enjeux ? si l'entretien a lieu, que le salarié évalue la quantité de travail, par exemple 10 heures par jour en moyenne pendant 218 jours soit 2180 heures, et s'aperçoive qu'en taux horaire il est moins bien payé qu'un collègue qui fait 1607 heures par an (soit 35 heures en moyenne). Et si l'entretien n'a pas lieu, une possible annulation du forfait en jours, ce qui conduirait sur la base du calcul précédent, à devoir au salarié plus de 500 heures supplémentaires par an....sur cinq ans maximum. Pour finir de réveiller les DRH autruchiens suggérons leur un cauchemar : qu'une organisation syndicale agisse au nom d'un groupe de cadres pour demander une revalorisation salariale significative sous peine d'agir en contentieux pour l'annulation systématique des forfaits jours. On fait le calcul ou on prolonge le sommeil ? reste la possibilité d'agir et de mettre en place les entretiens.

02/02/2009

Primum vivere, deinde philosophari

Par deux décisions sans lien apparent entre elles rendues le même jour, la Cour de cassation fait un peu de pédagogie sur l’application du droit. Dans une première affaire, elle considère qu’un cadre dirigeant ne peut avoir cette qualité du seul fait qu’il est désigné comme tel par un accord collectif : il faut vérifier si ses conditions réelles d’emploi remplissent les conditions de la définition légale du cadre dirigeant à savoir un large pouvoir, une rémunération parmi les plus élevées et une liberté quasi-totale d’organisation de son temps (Cass. soc., 13 janv. 2009, n° 06-46.208). Dans la deuxième affaire, un administrateur de société avait conclu un contrat de travail avec cette même entreprise. Contrat nul dit la Cour d’appel car conclu avant la création de la société. Erreur répond la Cour de cassation, l’existence d’un contrat de travail dépend uniquement des conditions dans lesquelles se réalise la prestation et non de la dénomination donnée à la convention ou de la date de signature du contrat (Cass. soc., 13 janv. 2009, n° 07-40.077). On pourrait appeler cela un retour à la réalité. Dans les deux cas, la Cour de cassation nous rappelle que le fait prime et que faire du droit c’est d’abord observer la réalité avant d’aller se perdre dans les règles.

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Sonia Delaunay - Blaise Cendrars - Prose du Transsibérien


Blaise Cendrars aimait la réalité, et c’est en elle qu’il allait se perdre avant d’écrire livres et poèmes. Etre capable de côtoyer toutes les classes sociales avec le même plaisir, de voyager en cabine de luxe sur un transatlantique ou de bourlinguer en fond de cale sur un cargo, être à la fois un gentlemen et un voyou, un poète et un engagé de la première heure dans la première guerre mondiale…bref éprouver le plaisir total de la vie n’a jamais empêché la pensée de se développer, bien au contraire. Vivre c’est penser à condition, comme le rappelle la Cour de cassation, de le faire dans le bon ordre : primum vivere, deinde philosophari.