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03/04/2013

Des lieux et des hommes

J'étais déjà venu au 19 Bergasse, à Vienne, dans l'appartement que Freud occupa jusqu'en 1938 avant son départ pour Londres. La rue était pavée. De gros pavés rebondis sur lesquels au début du siècle claquaient les fers des chevaux et les roues des fiacres. Des tambourins immuables plaqués au sol. J'avais déjà vu l'oeil de boeuf énorme qui accueille le visiteur sur le palier. J'avais fait jouer l'obturateur à l'intérieur. J'ai recommencé.

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A l'intérieur, je me faisais un plaisir de retrouver le bureau avec les statuettes, le divan, en face du bureau sur sa droite, les étagères chargées de fétiches, objets, statuettes encore, tout un fatras digne d'un cabinet de curiosités. Je constatai que l'on n'entrait plus dans l'appartement par la porte dévolue aux patients, mais par celle réservée à la famille. Agrandissement du musée oblige. Je traversai rapidement les pièces muséales pour aller dans le vestibule puis la salle d'attente.

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Elle ne s'inscrivait pas tout à fait ainsi dans mon souvenir, mais passons à l'essentiel : le bureau ! stupeur en entrant dans la pièce, vide de tout meuble, de tout objet, et dont les murs sont recouverts de photos à l'échelle figurant le bureau dans sa configuration d'avant-guerre. Mais pourquoi donc avaient-ils sortis le bureau et les objets de Freud ? je plongeais dans la documentation remise à l'accueil et découvrit, stupéfait, que le bureau et les statuettes n'avaient jamais été exposées à Vienne. Freud avait évidemment tout emporté à Londres lors de son départ, et ce qui a été préservé s'y trouve encore. Je regardai alors les photos, du bureau de Vienne, de celui de Londres, aucun ne ressemblait à celui de mon souvenir. Ni de près ni de loin. Et ce bureau imaginaire, tel que j'ai cru le voir il y a plus de vingt ans, et auquel j'ai si souvent repensé et que j'ai revisité par la pensée, n'a aucune traduction matérielle. J'aurai pourtant parié plus d'un tonneau de Margaux sur sa présence et sa configuration. Un peu abasourdi, je quitte les lieux, mais en sortant  la sonnette attire mon attention.

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Kafka voisin de Freud ? Me demandant s'il s'agit d'une blague de potache, je retourne voir les boîtes aux lettres, dans le hall de l'immeuble.

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Gertrude Kafka, pas de Franz à l'horizon, simple coïncidence amusante. On aurait pu en rester là. Mais en relisant comment le jeune Hitler construisit, pendant ses années viennoises, son antisémitisme et sa quête du pouvoir, je découvre que la femme du médecin juif d'Hitler, Eduard Bloch, s'appelait Kafka. Et qu'ils eurent un enfant, une fille, prénommée Gertrude. Née en 1903, elle a vécu aux Etats-Unis où elle est décédée en 1992. Clin d'oeil de l'histoire donc. Mais ce hasard là, ajouté au bureau imaginaire, me conduit à penser qu'il y eût entre Freud et l'appartement du 19 Berggasse, une rencontre qui rendit possible l'invention de la psychanalyse.

 

NB1 : je raconte l'histoire à Michèle Boumendil. Elle me rassure : tu ne t'es pas trompé. Le bureau et les statuettes étaient là. Je les ai vus ! du coup j'ai vérifié et revérifié. Jamais le bureau ni les objets ne sont revenus de Londres. Bienvenue chez le docteur Freud Michèle !

NB2 : les psychanalystes ont beau nous avoir prévenu, on continue en France à considérer que les deux preuves pénales les moins contestables sont l'aveu et le témoignage, ces sables mouvants.

31/03/2013

Vienne, ville rétrospective

Séjour à Vienne pendant le week-end pascal, attiré par la rétrospective Max Ernst, 180 oeuvres présentées à l'Albertina. Mais avant d'aller voir les toiles, la moindre des politesses est de partir se perdre dans les rues de la ville, de marcher, marcher, marcher et de regarder, sentir, humer, renifler, zyeuter, baguenauder, traîner et se laisser surprendre. Et ça n'a pas raté. Au détour d'un carrefour, sur une colonne Morris, tentant de confondre son gris avec celui des pavés, mais cela ne suffit pas pour passer inaperçue, une affiche annonçant une rétrospective, décidément, de Saul Leiter. Vienne, ville rétrospective.

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L'exposition se tient à la Kunsthaus, oeuvre de l'architecte, peintre, dessinateur, philosophe, marin, poète et diverses autres choses, Hundertwasser (dont je reparlerai). Les photos sont merveilleuses, avec quelques pépites que je ne connaissais pas, et sont accompagnées de gouaches dont certaines sont d'une extraordinaire qualité. Décidément, voici des gens fort sympathiques qui ne se laissent pas enfermer dans une catégorie. Dans l'exposition, même si tout est splendide, je cherche une photo, LA photo. Mais je ne trouve que ses cousines, tirées de la série intitulée Lanesville (1958).

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Ces photos de Dorothy Weaver, ce nom qui évoque la vague (wave) et le rêve (dream), sont magnifiques mais elles trouvent leur aboutissement dans ce que je tiens pour une des plus belles photos qui existe.

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Cette photo est un film, une peinture, un dessin, une photo, la vie. Elle raconte plus d'histoires que la Bible ou les Mille et une nuits. Celle de la mer, qui offre de son bleu d'éternité des couleurs de Sud à cet univers insituable.  Celle de cette voiture dont on ne sait si elle arrive, se prépare à partir, somnole comme la jeune femme, est abandonnée ou prépare soigneusement sa prochaine virée. Celle d'une herbe qui s'est donnée partiellement au soleil et à ses brûlures de hasard. Celle de cette jeune femme qui dort, ou qui rêve, peut être rêve-t-elle qu'elle dort, peut être s'est-elle assoupie dans l'attente, peut être son corps fait-il repos après s'être énivré d'un autre corps, ou bien se plaît-il à s'offrir, comme la nature, à l'astre solaire chargé de lustrer la peau moirée livrée à ses caresses. Et tout cela ne dit encore rien des secrets de l'image. Saul Leiter lui même disait : "Il me semble que des choses mystérieuses peuvent prendre place dans des lieux familiers". Saul Leiter fête cette année ses 90 ans.

22/03/2013

A qui sociaux ?

Cela fait partie de ces phrases, tellement entendues qu'elles paraissent proférer des évidences et ne méritent plus guère qu'on s'y attarde. A chaque manifestation, chaque mouvement social, il est question des acquis sociaux chèrement acquis par la lutte et qu'il s'agit de défendre. Et toute l'histoire du travail se trouve revisitée par cette antienne : les avancées sociales sont le fruit de luttes qui créent des rapports de force favorables. Sauf que l'on est plus souvent dans le mythe que dans la réalité. Pour s'en tenir au dernier siècle, les acquis sociaux majeurs datent de 1936 (congés payés, semaine de 40 heures), de 1945 (sécurité sociale, comités d'entreprise), de 1968 (augmentation du SMIC, reconnaissance des syndicats dans l'entreprise), de 1982 (39 heures, retraite à 60 ans, lois Auroux) et de 1998 (35 heures). 

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Si le Front Populaire s'est appuyé sur les grèves et occupations d'usine et les accords Matignon de 36 (et encore, les congés payés ne faisaient pas partie des revendications syndicales prioritaires), ce n'est véritablement qu'en Mai 68 qu'il y eût un vrai rapport de force  exclusivement dû à un mouvement social qui aboutit à l'obtention d'acquis sociaux actés par les accords de Grenelle.Dans tous les autres cas, ce que l'on peut désigner comme acquis sociaux résulte soit d'un contexte historique, avec le Gouvernement d'union nationale présidé par le Général de Gaulle en 1945 qui mit en oeuvre le programme du Conseil National de la Résistance, soit de l'arrivée de la gauche au pouvoir. Enfin, jusqu'en 1998 parce qu'il y a peu de chances que 2012, ou 2013, soit à rajouter aux grandes dates de l'histoire sociale.

02/03/2013

Ce n'est jamais l'hiver partout

Tout autour, peu étaient épargnés. Messages d'annulation de rendez-vous, voix cassées qui vous renseignent davantage que les explications qu'elles donnent sur la maladie, épidémies particulièrement féroces cette année, pour accompagner ces vagues de froid et de neige qui jouent à l'éternel retour et rendent l'hiver sans fin. Tel est souvent le lot du mois de février. Cette période où la grisaille est étendue de tout son long et vous écrase comme à plaisir sans qu'aucun signe de quelconques beaux jours ne vous parviennent de la nature. Jeudi, le parc de Sceaux que, l'occasion faisant le larron, je traversais pour saluer les beaux platanes, n'offrait pas grand chose sinon son humidité pénétrante, pour répondre à ce salut. En  ces temps hostiles, deux solutions, deux excès. La débauche, d'activité, de sorties, de repas, d'amis, ou le retrait, l'hibernation, la mise au ralenti, l'assoupissement avant le grand réveil. Plutôt porté sur la première, je me trouvai chanceux de passer au travers des virus et microbes. Lorsqu'à l'occasion d'un ultime excès, le corps me rappela que s'il était humain de vouloir vivre trois vies en une, le corps lui était seul à faire face. Et je me retrouvai au fond du lit, le corps tremblant à la simple vue du gris par la fenêtre. Heureusement, il y a les amis.

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Aux confins de l'Argentine, du Paraguay et du Brésil, vers Iguazu, le soleil est haut, le ciel clair, les nuages et les arbres seules sources d'un répit dans la chaleur humide. Alors ces photos et quelques mots, ces Papeles d'Argentina qui sont la partie émergée de l'immersion profonde d'Alain Garrigue en terre d'Argentine, c'est mieux que les remèdes. Cela vous plonge dans un autre temps, un autre rythme, permet de retrouver celui du corps, et quand on est d'accord avec son corps, cela va tout de suite mieux. Pour ceux qui souhaiteraient profiter du remède, c'est ici.

20/12/2012

BUGARACH !

C’est donc à Bugarach qu’il faudra être demain, si l’on souhaite échapper à  la fin du monde, ou plutôt si l’on est curieux de savoir ce qui se passera après. Bugarach, que toute la France connaît, et bien au-delà d’ailleurs puisque des journalistes américains et chinois, autant dire nos maîtres à tous,  sont venus s’égarer dans les rues du bourg. Bugarach c’est un village lent et silencieux, planté sur les contreforts d’un pic qui domine les vallées environnantes. Curieuse montagne que ce Pic de Bugarach, point culminant des Corbières sans être rattaché directement à la chaîne montagneuse,  dont la partie sommitale est dix fois plus ancienne que la base. Charmes de la géologie qui nous fait voyager dans le temps.

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Cochongliers ou Sanglochons attendant sereinement

la fin du monde en faisant la sieste

La seule bonne raison d’être à Bugarach demain, je l’ai expérimenté il y a quelques années et elle vaut pour demain comme pour les jours qui suivront. Parti tôt et peu nombreux, nous étions deux, de Toulouse, nous arrivâmes à Bugarach alors que la matinée était peu avancée. Le brouillard faisant obstacle à la montée au sommet, nous trouvâmes refuge dans un restaurant qui, à cette heure là, accepta de nous servir pain, beurre et café. Nous attendions au chaud, la cheminée n’ayant manifestement pas refroidi de la nuit, que la brume daigne libérer la place pour nous ouvrir le chemin de la montagne. Dans la cheminée, un chaudron noir, placé sur la droite du foyer, attira notre attention et nous questionnâmes l’hôtesse. C’était un civet de sanglier qui mijotait depuis la veille, une autre marmite étant dédiée aux haricots et au lard. La concertation dura moins longtemps qu’une négociation sur la flexisécurité ou qu’un débat pour un contre Depardieu. Il ne fût pas nécessaire d’échanger trois mots pour oublier le Pic, son sentier, ses hauteurs et son point de vue et se concentrer sur le choix du vin qui accompagnerait le civet. Une fois le Madiran commandé, il ne restait qu’à attendre midi, cruelle épreuve. Au sortir de la table, civet, haricots, lard et Madiran consommés, il n’était plus question d’ascension mais plutôt de trouver une herbe accueillante au soleil exposé. Et pendant la sieste il fût bien temps de philosopher que pour le sanglier, cela avait véritablement été la fin du monde.

04/12/2012

D'un costume, l'autre

Lorsque l'on veut déposséder l'autre de lui même, on lui retire ses vêtements. Soit pour le laisser nu et démuni, soit pour lui faire revêtir un dépersonnalisant uniforme. Hanna Pesut, photographe canadienne, n'est pas animée de ces mauvaises intentions. Elle souhaitait simplement découvrir l'autre côté du couple par l'inversion des vêtements. Le résultat est parfois troublant.

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Pam et Bruce

Mais il peut aussi être drôle.

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Cam et Jill

L'inversion des rôles auxquels vient de se prêter le Gouvernement ne produit pas le même effet humoristique. Il faut croire que le traumatisme suscité par Jospin disant, à juste titre, que l'Etat ne peut pas tout à propos de Vilvoorde, va hanter nos politiques pendant les générations à venir. Car après le volontarisme sarkozyste le plus souvent dénué d'effet, voici un volontarisme présidentialo-gouvernemental des plus confus. Que l'Etat intervienne pour réguler l'économie, trouver des points d'équilibre avec le social, avoir une action incitative ou nationaliser, pourquoi pas, s'il l'estime nécessaire, il est dans son rôle. Mais à devenir l'interlocuteur des employeurs en lieu et place des syndicalistes qui n'en peuvent mais, il prend le risque d'une grande confusion des genres. On ne se trompe pas impunément de costume.

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Mariko et Sam

Va-t-on convoquer toutes les entreprises qui licencient à Matignon ? Menacer de nationaliser à chaque plan social ?  envoyer un Ministre dans chaque site annoncer aux salariés que l'on s'occupe d'eux ? car là est bien le problème. Comme avant le mois de mai, la communication prend le pas sur l'action et surtout sur l'efficacité. Montrer que l'on fait devient plus important que faire, au risque de faire n'importe quoi. Ce n'est pas en enfilant un costume qui n'est pas le sien que l'on agit juste. Et ce n'est même pas sûr que cela amuse la galerie. Et puisque le souvenir de Jospin paraît si présent, osons un rappel : c'est en voulant adapter son action aux sondages et à l'opinion que Jospin a oublié les principes de sa politique initiale et qu'il a ouvert la voie au 21 avril 2002.

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Gina et Claudio

03/12/2012

Tu ne tweeteras point

On sait qu’il est très difficile d’avoir une concentration effective pendant des plages de temps longues. On le sait depuis longtemps, et de manière scientifique. Pour autant, on continue à exiger qu’un élève soit attentif 8 heures par jour, un salarié totalement productif pendant au moins le même laps de temps et parfois beaucoup plus. Peut-on, dès lors, reprocher à un juge de s’endormir pendant un procès  ou d’envoyer des tweets à un de ses collègues pour lui signifier qu’il s’ennuie et qu’il n’écoute plus et surtout pas ce prévenu qui l’agace ? la conversation ayant été suivie par un journaliste, le scandale éclate déclenchant une enquête administrative et la demande du condamné d’être rejugé. Faut-il se féliciter que la faute des juges soient ainsi éventée ?

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Honoré Daumier - Les gens de justice

 Ce n’est pas certain. D’une part parce qu’avant les tweets, les juges se contentaient, si l’on peut dire, de s’échanger plus ou moins discrètement des petits papiers au  contenu identique. La pratique n’est pas nouvelle, seule la technologie a changé. Ensuite parce qu’il est bien hypocrite de penser que les juges ne sont que blocs de concentration pendant tout un procès. Si l’on remet en cause la justice pour un tweet, va-t-on se  mettre à surveiller les assoupissements, abaissements de paupières trahissant le sommeil, les regards rêveurs vers le plafond (réflexion ou absence ?), la consultation des notes (le juge écoute-t-il ou bien lit-il le dossier ? et s’il le découvrait ?) et plus généralement toute activité qui paraîtra parasitaire. Qui le premier exigera que les juges portent un bip signalant le défaut d’attention que des électrodes bien placées sur le cortex pourraient nous signaler ?

Laissons cela. On peut comprendre celui qui fût jugé, on peut regretter l’immaturité numérique des juges, mais pas la peine d’en faire une énième cause d’indignation bouffie de bonne cause et de droit au respect. La justice est rendue par des hommes et des femmes, aux humains comportements et les défauts de la justice sont bien souvent ceux de ses serviteurs. Quelle découverte !

25/09/2012

Il s'est passé quelque chose

Le premier juge avait considéré qu'il existait un chaînon manquant. Que si sur le papier on avait pu théoriquement reconstituer un scénario, matériellement il n'était pas prouvé. Et que faute d'établir scrupuleusement le lien entre la cause et l'effet, il n'était pas possible de condamner. Ce fut la relaxe. Le second juge n'eût pas ces scrupules et pris un autre parti. En premier lieu, il écarta toutes les autres hypothèses : ailleurs, c'était plus que les chaînons qui manquaient. Une fois éliminées les autres causes, il en vint à considérer la plus probable comme celle qu'il fallait retenir, car les autres l'étaient moins qu'elle. Difficile de condamner pénalement sur cette approche statistique. Fallait-il donc encore acquitter ? le juge se souvint peut être des trente et un morts, des dix mille blessés, des traumatisés à vie. Ce jour-là il s'était passé quelque chose de jamais vu et la justice ne pouvait se borner à dire son incapacité à rapporter les preuves formelles de la vérité. Pour tous ces gens, il fallait une décision.

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Alors le juge, la tête emplie du dossier mais aussi d'images, décida que peu importait le chaînon manquant. En dernière considération, l'état de l'usine, les manquements à la sécurité, l'absence de mobilisation des moyens à hauteur de ceux que le groupe aurait pu dégager, tout cela faisait du directeur un coupable. Pas d'avoir craqué lui-même l'allumette, mais d'avoir créé un environnement dans lequel la moindre allumette pouvait déclencher une catastrophe. La décision du premier juge était fondée en droit, il n'est pas certain que celle du second juge ne la soit pas également. La Cour de cassation nous le dira. En attendant, personne ne peut oublier qu'il y a onze ans, il s'est passé quelque chose, comme dirait Juliette qui débuta à Toulouse.


podcast

22/09/2012

La corrida, ce sous-ensemble

Comme on sait qu'il n'y a pas de vide juridique, on en conclu que le droit dispose toujours d'une réponse pour toutes les questions qui lui sont posées. Tel est bien le cas. Ainsi le Conseil constitutionnel a du trancher la question de la légalité de la corrida, notamment en ce qu'elle échappe à la qualification pénale d'actes de barbarie sur les animaux. Au-delà de considérations sur la possibilité pour le législateur de moduler les règles en fonction des situations, le Conseil constitutionnel valide le raisonnement des aficionados, lequel est souvent mal compris. Les juges font valoir que la corrida peut être pratiquée dans les régions où existe une tradition locale et une culture taurine. Ce qui scandalise ceux qui traduisent cette position par le fait que la pratique pourrait justifier le droit et au final que le droit coutumier l'emporterait sur le droit construit. La pratique, même la plus contestable, dicterait ainsi sa loi interdisant tout progrès. Ce n'est évidemment pas de cela qu'il s'agit. La référence à la culture taurine a une dimension beaucoup plus large, que l'on peut illustrer par les peintures de Catherine Huppey qui n'a pourtant jamais assisté à une corrida.

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Catherine Huppey - Combat 2

Par leur décision, les magistrats (que l'on renonce à désigner par le terme de "Sages" que les jounalistes emploient par facilité et que rien ne justifie) rappellent que pour pouvoir exister, la corrida ne doit être qu'une partie d'un ensemble bien plus vaste. La culture taurine c'est la présence du taureau dans l'histoire, dans les traditions, dans l'économie, dans les moeurs et au final dans la vie des populations. C'est l'élevage,  les manifestations autres que la corrida (abrivados, courses, encierros...), une littérature, une gastronomie car l'on mange du taureau, un mode de vie, une imprégnation des fêtes et traditions populaires, les ferias, et au final un élément de l'identité locale. En ce sens, il n'est pas contradictoire, au contraire, de défendre la présence de l'Ours dans les Pyrénées et le maintien des corridas dans les terres du Sud. C'est ce message que délivre le juge, dans le langage qui est le sien. C'est dire si le Président du Crac (Comité radicalement anti-corrida) est loin du sujet lorsqu'il estime que cette décision consacre la dictature tauromachique puisqu'un petite nombre impose sa loi au plus grand nombre. Le juge lui a exactement expliqué le contraire, encore faut-il prendre la peine d'entendre ce qu'il dit.

17/08/2012

Nadejda

Aujourd'hui jugement des Pussy Riot, pour avoir chanté une prière anti-Poutine dans une église orthodoxe. Détenues depuis 5 mois elles risquent trois ans de camp, selon les réquisitions du procureur.

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L'occasion d'avoir une illustration de ce que peut signifier l'engagement en certains lieux de la planète.

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Nadejda Tolokonnikova

L'occasion aussi de se souvenir que Georges Moustaki chantait : "Nadejda, Nadejda, en russe ça veut dire espérance'.

25/07/2012

Double regard

Il est toujours possible de voir une ville à la manière dont Yann Arthus-Bertrand voit le monde : de haut, en couleur, avec effet spectacultaire garanti et en guise de commentaire quelques statistiques qui achèvent de faire disparaître l'humain du paysage. Ici par exemple, vous êtes monté en 40 secondes au 94ème étage et vous pouvez apercevoir l'ancienne plus haute tour du monde, avant que la Chine et le Moyen-Orient n'entrent dans la compétition, sachant que vous êtes vous même au sommet de la plus haute tour du monde d'appartements.

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Une fois redescendu, le spectacle est un peu différent. Vous pourrez par exemple constater qu'en 2012 il y a toujours des noirs avec des chapeaux coloniaux qui chargent les valises des blancs et ferment pour eux la portière.

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Vous pouvez également être frappé par le nombre d'obèses dans les rues, de tous âges y compris très jeunes. Dans ce temple de la consommation qu'est Chicago, et plus globalement les Etats-Unis, l'obésité est un symbole facile mais bien réel de ce trop plein de tout qui finit par vous déposséder de vous même et devient un handicap.

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Dans le dernier film de Leos Carax, Holy Motors, Michel Piccoli prononce cette phrase : "On dit que la beauté est dans l'oeil de celui qui regarde" à laquelle Denis Lavant répond : "Mais alors s'il n'y a plus personne pour voir ?".

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Rashid Johnson, exposé au Musée d'Art Contemporain de Chicago, y voit. Double. Parce que l'on se voit aussi à travers le regard des autres. Je vous fais face, mais mon côté droit est le gauche pour vous. Lequel est le vrai ? Le plus troublant est que ses doubles portraits sont parfois ceux d'une même personne, parfois pas. Une autre manière d'exprimer le Je est un autre de Rimbaud et de créer un lien entre un jeune français de province du 19ème siècle et un citadin noir américain. Comme quoi la singularité n'est pas fondamentalement incompatible avec la mondialisation. Il s'agit juste de savoir depuis où et sous quel angle on souhaite aller y voir.

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09/07/2012

Au rythme de la technique

A l'heure où l'on range les minitels dans des cartons qui prendront le chemin de l'oubli dans un coin des caves et greniers, à l'heure où trois ministres se mobilisent parce qu'un opérateur téléphonique a brutalement cesser de relier les conversations entre elles, à l'heure où l'on découvre que nous évoluons au rythme de la technique, prenons le temps du retour arrière. Il y a 25 ans, lorsqu'un client me demandait de manière urgente une consultation, j'avais le temps de l'écrire, de l'imprimer, de la poster et d'attendre qu'elle soit reçue pour en reparler. Un bon rythme. Puis, les clients m'ont demandé de leur faxer le document et me rappelaient lorsqu'ils l'avaient lu. Aujourd'hui ils me demandent de leur envoyer le document par mail tandis que nous parlons et le lisent pendant que nous finissons de parler. A chaque évolution technique, l'homme est un peu plus expulsé du temps de circulation de l'information.

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Le fil qui relie les hommes, ancêtre de l'onde

A ceux qui glosent sans fin sur la génération Y et ces jeunes zappeurs incapables de se concentrer plus de trois minutes sur un même sujet, on rappellera juste que toute génération vit avec son temps, qui n'est pas celui de la précédente. Sollicités de toute part, comment pourraient-ils échapper à la prodigieuse accélération technologique qui nous saisit entièrement ? dans son livre intitulé "La lenteur" Kundera écrit que "La vitesse est la forme d'extase dont la technique a fait cadeau à l'homme". Pas facile dans ces conditions de trouver l'extase dans la lenteur. Essayez quand même, c'est l'été.

05/07/2012

Eté

C'est l'été et quelques orages ou pluies d'été ne nous gâcheront pas le plaisir. L'été c'est le moment d'échapper à la morosité, à la dette, à l'austérité, aux éléments de langage et aux désagréments de tous ordres. Comme on est pas aux Etats-Unis et que le harcèlement moral ou sexuel n'est pas constitué lorsque l'on invite un collègue d'un autre sexe à prendre quelques minutes au soleil, n'hésitez pas.

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Mais si vous préfèrez le silence et la fréquentation des auteurs qui sont quasiment devenus vos amis, c'est bien aussi. Dans tous les cas, passez à l'acte, et vite. La rentrée c'est demain.

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29/06/2012

L'Europe, plein Sud !

Les banquiers et financiers anglo-saxons ont soudainement décrété la guerre au Sud. Et voici que l'on invente la notation des Etats et que l'on distribue les mauvaises notes au Sud, et voici que l'on pratique des taux usuriers pour ceux qui refusent de renoncer à ce qu'ils sont et voici comment l'on souhaite imposer l'homo-economicus comme seul horizon possible à la vie de l'homme. Pour tout cela, il est sain et recommandé de saluer que la finale de l'Euro de football se joue entre l'Espagne et l'Italie et que les Allemands si fiers d'avoir fait plier les Grecs soient invités à devenir spectateurs, ce qui nous évitera l'image d'une Angela Merkel se réjouissant à chaque but allemand comme s'il s'agissait d'un clou supplémentaire sur le cercueil des Eurobonds.

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Nicolas De Stael - Méditerranée - 1954

Pour dire cela autrement, laissons la parole à Edgar Morin :

"La logique du Nord est aveugle aux réalités du Sud qu’elle considère comme arriération, archaïsme, paresse. La pensée du Nord est faite pour traiter les problèmes d’organisation techniques, pratiques et quantifiables, c’est-à-dire, la prose de la vie. Or la vie humaine ne comporte pas que de la prose. La prose c’est ce que nous faisons par obligation, par contrainte, pour gagner nos vies – et nous la gagnons, souvent, en la perdant. La prose nous fait survivre. Mais vivre, c’est vivre poétiquement, c’est-à-dire dans l’amour, dans la communion, dans la réalisation de soi, dans la joie – à la limite dans l’extase. Je reprends ici la parole de Hölderlin : « Poétiquement l’homme habite la terre ». En fait, nous habitons la terre prosaïquement et poétiquement. Mais comme la prose tend à envahir nos vies, n’est-il pas la mission de la pensée du Sud que de rappeler le caractère essentiel de la poésie du vivre? D’autant plus qu’il y a des arts de vivre au Sud, art de vivre sur la place publique, art de vivre extroverti, art de vivre dans la communication, art de vivre qui comporte l’hospitalité, art de vivre qui maintient les qualités poétiques de la vie."

Et voilà pourquoi il faut soutenir le Sud. Arriba España !

28/06/2012

Personnel et collectif

Le raisonnement binaire par opposition est tellement fréquent (blanc ou noir ? thé ou café ? droite au gauche ? émotionnel ou rationnel ? Paris ou Province ? mer ou montagne ? slip ou caleçon ? viande ou poisson ? et l'on en passe...) qu'il est réjouissant de constater que les opposés peuvent également s'exprimer sans se nuire mais tout au contraire en jouant vis à vis de l'autre le rôle d'exhausseur de goût. Hier soir, Cécilia Bartoli, cette quintessence de l'Europe dans ce qu'elle a de plus joyeux dans le plaisir et le goût de vivre, donnait un récital dans le Théâtre Royal du Chateau de Versailles. Il y a 15 jours, au même endroit mais dans la Galerie des glaces, elle chantait Haendel. Beaucoup de cantatrices peuvent vous faire ressentir la grâce, Cécilia Bartoli va au-delà. Elle use de la liberté que lui confère son exceptionnelle technique pour jouer de sa voix, de son corps, de ses yeux, de ses tenues. Vous avez l'impression qu'elle regarde individuellement chacun des spectateurs présents. Le lieu ne l'impressionne pas qui devient sien dès qu'elle y pénètre. Impossible de ne pas être porté et emporté. Le plus admirable est cette manière d'exercer de manière toute personnelle son art : ce que vous voyez, vous êtes persuadé de ne jamais l'avoir vu auparavant.

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Crédit photo : Italians do it better

La manière dont Cécilia Bartoli associe la salle et les musiciens à sa toute personnelle manière de chanter est déjà une éclatante démonstration que l'individuel et le collectif ne s'opposent guère que chez ceux qui le veulent bien. Mais il y a autre chose. A la fin du concert, tandis que les spectateurs quittaient déjà la salle, les musiciens se sont regardés puis se sont embrassés en se remerciant. Comme l'on remercie à la fin d'un travail collectif tous ceux qui y ont participé. Comme un formateur ou un enseignant pourrait remercier à la fin de chacune de ses interventions ceux qui ont partagé ce temps de travail. Comme l'on remercierait tous ceux qui font l'effort de participer à un collectif et d'y exprimer leur personnalité sans que cela n'ait besoin de se faire au détriment d'autrui. Cécilia Bartoli, ou l'exhausseuse d'énergie.

18/06/2012

Allez les filles !

Il y aura dorénavant 155 femmes à l'Assemblée nationale, contre 103 précédemment, ce qui fait passer le taux de représentation des femmes de 18 à 27 %. La France y gagnera plusieurs places dans les classements internationaux, passant notamment devant l'Italie, le Canada ou le Royaume-Uni, même si elle reste loin des pays nordiques (Suède, Finlande, Danemark voire plus près de nous les Pays-Bas) dans lesquels la proportion de femmes au Parlement s'établit autour de 40 % ou plus. Il semblerait également que les femmes élues soient plus jeunes que les hommes qu'elles remplacent. Reste à voir si cette nette progression se traduit dans les différentes fonctions de l'Assemblée (Présidence, Commissions, Questure, etc.), mais il serait étonnant qu'elle reste sans effet.

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Degas - Jeunes spartiates provoquant des garçons

Même si les études sont peu nombreuses sur le sujet, on peut constater que lorsque la sociologie d'une profession se modifie, ses pratiques également. Ainsi pour une justice devenue majoritairement féminine, comme la profession d'avocat ou le corps des inspecteurs du travail pour ne pas parler de la fonction ressources humaines. Prenons date pour constater dans 5 ans, au terme du mandat de la nouvelle Assemblée, si le fait d'avoir 50 % de femmes en plus dans l'hémicycle a eu un impact tant sur les textes votés que sur les modalités de leur élaboration. Allez les filles !

11/06/2012

Quand c'est pas facile, c'est bon aussi !

Il y a des situations que l'on maîtrise. Elles ne sont pas nécessairement simples, mais on est en confiance. Sûr de sa technique, de ses capacités, de ses émotions. Dans la fluidité et le plaisir de l'action. Dans la beauté du geste. On est tellement bien que l'on se regarde presque faire. Et on apprécie. Plaisirs multiples, impression un peu folle que l'on sait pourquoi on est là, que le monde a sa cohérence, sa logique, son évidence et que l'on en fait partie. Il est des situations dont l'harmonie nous porte et nous conforte. Elles sont belles comme le retour du soleil après l'orage et le  sentiment de calme et de sérénité, au milieu du vent qui houspille les nuages qui traînent, avant que ne se dévoile le grand ciel bleu dans lequel on s'inscrit tout entier.

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Place du capitole - Dimanche 10 juin 2012

Et puis il y a aussi les situations que l'on ne maîtrise pas totalement. Où rien ne se passe exactement comme prévu. Où il faut se battre à chaque seconde, contre tout ce qui résiste bien sûr mais surtout contre soi-même. Car on a perdu la fluidité. On attend en vain que l'autan se lève et balaie le ciel. Aucun souffle ne nous porte. Il faut prendre son envol, mais chaque pied, chaque jambe est comme englué dans la tourbe lourde et pesante. Et pourtant il faut s'y arracher.

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Chaque effort semble être le dernier, mais il y en aura bien d'autres. Ce n'est pas qu'affaire de volonté, c'est très loin du qui veut peut. Pour comprendre cela il faut remonter tout au bout de la condition humaine. C'est le combat originel, la lutte avec l'ange lorsqu'il ne nous reste plus rien, sauf peut être la bienveillance de l'ange.

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A tout instant, on peut avoir le sentiment que l'on y arrivera pas, que cela ne passera pas. Le corps est trop usé, déjà un peu brisé et il faut le solliciter encore. L'envie, la volonté, le désir...on est déjà bien au-delà de tout cela, et les gestes paraissent mécaniques, comme s'ils ne dépendaient plus que de la force d'inertie initiale qu'aucune régénérescence ne viendra relayer. Une fatigue immense se dresse comme un à pic infranchissable. Et puis tout d'un coup c'est fini, et on a réussi quand même.

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On ne sait pas si c'est la joie promise à laquelle on ne pensait même plus, si c'est le soulagement que ce soit fini, si c'est un paradis retrouvé, une lucidité claire comme l'air marin qui est de retour, si c'est parce que tout s'arrête que l'on peut goûter le temps, si l'on retrouve tout d'un coup tout ce que l'on avait perdu et que l'on ne retrouvait plus parce qu'on avait peur de le perdre. On ne sait plus grand chose, on sait juste que quand c'est pas facile, c'est bon aussi.

28/05/2012

Petite poucette

Michel Serres, à 80 ans passés, est-il retombé en enfance ? gageons plutôt qu'il n'en soit jamais totalement sorti et que cette survivance de l'enfant en lui l'a préservé de bien des aigreurs, ressentiments, rancoeurs et autres joyeusetés qui habitent celles et ceux qui pensent systématiquement que c'était mieux avant. Les déclinistes de tout poil, les oiseaux de mauvaise augure, ceux qui confondent leur lente disparition annoncée avec celle du monde dans lequel ils vivent, ceux qui n'ont de cesse de peindre à leur image décrépite leur environnement, tout ceux là n'aimeront pas le dernier livre de Michel Serres rédigé sous forme de lettre à Petite Poucette. Pourquoi ce nom ? pour la dextérité avec laquelle la jeune fille se sert de ses pouces sur son smartphone, mais également parce qu'il appartient à cette jeune génération d'inventer elle-même les moyens de trouver son chemin dans ce monde nouveau que la technologie bouleverse à chaque instant. Pas question de crier "Pouce" pour Petite Poucette qui devra faire son chemin.

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César - Pouce

Bien sur, il y a le soleil, l'envie du dehors, tant de choses à faire, bien sur. Mais si vous prenez le temps, oh peu de temps car s'adressant à Petite Poucette le livre est synthétique. Non pas de crainte que Poucette ne zappe ou qu'elle soit incapable de lire comme l'annoncent régulièrement ceux qui ont encore besoin d'affirmer qu'eux savent lire en pointant du doigt ceux qui prennent d'autres chemins (messieurs les censeurs, bonsoir !), non juste parce que Petite Poucette est soumise à mille sollicitations, mille tentations, mille envies et bien plus de désirs. Alors oubliez les grincheux, investissez 9,50 euros pour vous procurer l'ouvrage de Michel Serres et volez une heure à votre emploi du temps : il ne vous reste plus qu'à lire en dégustant.

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16/05/2012

Faire son miel

...de tout. Faire son miel de tout, c'est considérer qu'il y a toujours assez de légumes pour faire une soupe, suffisamment de bouts de ficelles pour tresser une corde, une rue à découvrir à chaque carrefour, une vie entière derrière chaque visage, une phrase importante dans chaque livre ouvert au hasard, un soleil caché derrière chaque nuage, c'est croire à sa chance et être convaincu que tout est à découvrir toujours. Faire son miel de tout, c'est du récup'art, du détournement, un joyeux mélange, pas mal de désordre et des découvertes à profusion. Faire son miel de tout c'est se faire la malle du vieux grenier.

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Vick Muniz - Autoportrait

Vick Muniz est un brésilien qui fait son miel de tout : papiers collés, confiture, chocolat, jouets d'enfants, pigments, tous les matériaux, tous les objets, toutes les feuilles des arbres sont autant de pinceaux pour composer des portraits, des paysages, des scènes urbaines. Cet autoportrait aux jouets d'enfants est un pied de nez à l'adulte, ce que tous les enfants comprendront. On peut voir ses oeuvres en Avignon.

Dominique Rolin faisait son miel de tout. Parfois le miel se dérobait mais elle savait qu'il reviendrait. Il est toujours revenu, jusqu'à hier où c'est elle qui s'en est allé.

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07/05/2012

Une autre musique

En 1985, Barclay ne renouvelle pas le contrat de Claude Nougaro. Son dernier album est décevant. Sa carrière paraît derrière lui, lentement déclinante. Ses succès de demain seront ceux d'hier et l'on imagine guère qu'il puisse en être autrement. De la chanson française un peu datée et puis voilà. Nougaro, on connaît merci ça va. Tout ce qu'il pourrait encore produire, on se doute qu'on aura le sentiment de l'avoir déjà entendu. Donc c'est fini. Sympathique, succès d'estime certes, mais il a fait son temps. C'était en 1985. Nougaro vend alors sa maison parisienne et part à New-York, rencontre des musiciens, hume l'énergie de la ville, s'en fout plein la tête et plein les muscles, rentre en studio, prend plaisir avec les musiciens et balance Nougayork. Comme un défi claqué dans le vent, comme une humilité assumée qui permet toutes les audaces, comme une vie nouvelle, comme un changement qui n'en est pas vraiment un pour qui connaît l'animal mais qui étonne ceux qui l'ont approché sans jamais le rencontrer vraiment. Nougayork !


La preuve, si elle était nécessaire, que l'on ne connaît jamais la vérité d'un individu ; la preuve, si elle était nécessaire, que le potentiel de chacun est toujours un peu au-delà de ce qu'il paraît, même pour soi même ; la preuve, si elle était nécessaire, que le pronostic basé sur le passé ne sait rien de l'avenir ; la preuve, si elle était nécessaire, que demain n'est pas écrit par hier ; la preuve, si elle était nécessaire, que celui qui ose la liberté se dégage l'avenir ; Nougaro avoir de nouveau du succès ? on rêve ! après Nougayork, il y en aura encore trois autres. Bon lundi à tous.