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10/01/2011

Temps partiel peu avenant

Au cours des années 90, le temps partiel était considéré comme un outil de la politique de l'emploi et il convenait de l'encourager. Il fut d'ailleurs assorti d'exonérations de cotisations sociales : tout contrat était un emploi, serait-ce à temps partiel. Depuis le début des années 2000, changement de régime : considérant que le temps partiel était plus souvent subi que choisi, le législateur (en l'occurence la loi Aubry de janvier 2000 pour l'essentiel) fit le choix, jamais remis en cause depuis, de rendre plus strictes les règles relatives au travail à temps partiel pour ne pas en faire un outil de flexibilité du travail à disposition des entreprises. Ce renversement de perspective pris, on s'en doute, un certain temps avant d'entrer dans les moeurs. D'où l'occasion pour le juge de s'associer régulièrement à cette oeuvre de cantonnement du travail à temps partiel, qui pour être valide doit rester...partiel.

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Salvador Dali - Hallucination partielle

Dans une décision du 7 décembre 2010, la Cour de cassation décide que le régime des heures complémentaires doit s'appliquer à des heures de travail effectuées par un salarié à temps partiel en application d'un avenant prévoyant une augmentation temporaire de son temps de travail. On connait la manip : une embauche à temps partiel sur une base réduite et puis en fonction des besoins (surcroît d'activité, absence d'un salarié, ...) conclusion d'un avenant qui pendant quelques jours ou quelques semaines augmente le temps de travail. Ce détournement manifeste a déjà été sanctionné par le juge. En l'espèce, un élément supplémentaire est apporté dans la mesure où cette pratique était prévue par la convention collective (secteur de la propreté). Peu importe dit le juge, les règles du Code du travail sur le travail à temps partiel sont d'ordre public et une convention collective ne peut y déroger. Les heures effectuées dans le cadre de l'avenant constituent des heures complémentaires qui doivent donc être majorées à 25 % et doivent également être comptabilisées sur 12 mois et leur moyenne automatiquement ajoutée à la durée contractuelle de base. Rajoutons un risque supplémentaire, si l'avenant conduit à faire travailler le salarié à temps partiel à temps plein, serait-ce pendant une courte période, la requalification du contrat en contrat à temps plein pourrait également être demandée.

Il est donc désormais acquis que l'avenant qui augmente ponctuellement la durée du travail à temps partiel est illicite, indépendamment de la volonté du salarié ou des dispositions de la convention collective. Nouvelle occasion pour le juge de rappeler que le champ du négociable ne s'étend pas à l'infini mais qu'il est borné par les dispositions légales.

Petite remarque en forme de jeu : cherchez la logique qui veut que l'on encourage les heures supplémentaires et dissuade les heures complémentaires. Cadeau surprise à la clé !

 

07/01/2011

Trop tard ? trop tôt !

« Tout est dit, et l’on vient trop tard depuis 7 000 ans qu’il y a des hommes». La formule de La Bruyère pourrait nous convaincre que l’homme ne fait que ressasser et que, au moins pour ce qui concerne les questions fondamentales, l’essentiel est accompli et rare la nouveauté.

Le juge partage ce diagnostic. Le Conseil des Prud’hommes de Nanterre a condamné le fait pour une entreprise d’évaluer ses salariés sur le critère d’innovation au motif que l’on ne créé pas tant que cela de choses nouvelles. Dit par ceux qui sont confrontés tous les jours à la prolifération de textes nouveaux, l’argument pourrait être de poids. Il rejoint le sentiment courant du « rien de nouveau sous le soleil », ou de « rien de neuf, que du vieux » ou encore avec un peu plus de sophistication le « rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme ». Et pourtant, la conviction n'est pas plus emportée que par le médiocre et un peu ranci "si jeunesse savait, si vieillesse pouvait".

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Anne Brérot - Bientôt - 2006

Dans ses Poésies, parues en 1870, Isidore Ducasse, autrement dit le Comte de Lautréamont, inverse la proposition : « Rien n’a été dit. L’on vient trop tôt depuis sept mille ans qu’il y a des hommes ».

Pour éclairer la phrase, sollicitons Descartes le raisonneur : «Il n y a pas lieu de s'incliner devant les Anciens à cause de leur antiquité, c'est nous plutôt qui devons être appelés les Anciens. Le monde est plus vieux maintenant qu'autrefois et nous avons une plus grande expérience des choses". Voilà percé le mystère, rien n’a été dit car ces Anciens étaient un peu jeunes, comme nous le confirme Pascal avec la fulgurance qui le caractèrise : «Ceux que nous appelons Anciens étaient véritablement nouveaux en toutes choses... ».

Il serait bon de s’en souvenir à l’heure où l’on veut faire de tout senior un tuteur et/ou un formateur potentiel.

04/01/2011

Déverouiller ? plutôt tirer le verrou

Pour se faire entendre au milieu de la neige, des trains perdus de la SNCF, des voitures un peu moins brûlées mais peut être pas et des faits divers qui constituent l’essentiel de l’actualité qui doit bien être meublée par ces temps de chômage galopant, bref si vous voulez émerger du brouhaha  médiatique, une seule recette : les 35 heures.

Gérard Longuet fut le premier à s’y essayer sous l’effet de la mauvaise conseillère qu’est la colère de n’avoir pas été nommé ministre. Frappant le premier, il n’a pas lésiné : l’euro ou les 35 heures il faut choisir. Jean-François Coppé s’est dit que sa nomination à la tête de l’UMP ne suffirait pas à faire le buzz et il a pris le relais un œil rivé sur l’audimat : avec l’air sérieux d’un futur candidat et le sourcil légèrement froncé il assure qu’il faudra bien y revenir. Et le dernier à s’y coller est Manuel Valls, qui veut déverouiller les 35 heures au nom de la compétitivité. Si l’horizon à atteindre est le coût du travail chinois, ce ne sont pas les deux à trois heures évoquées qui y suffiront. Mais sa proposition est si peu compréhensible (travailler plus au même prix pour augmenter le pouvoir d’achat : je dois avoir des lenteurs d’après réveillon, mais cela reste bien mystérieux en pratique) qu’elle masque mal que l’essentiel n’est pas là mais de faire la une des gazettes puisque jusque-là, et peut être même après, tout le monde se fichait de sa candidature à la candidature. Ne reste plus qu’à attendre la reprise du sujet par Sarkozy au prétexte stratégique que c’est clivant avec la gauche (entendez : ça fout le b…au PS).

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Fragonard - Le verrou - 1777

Tout le monde aura remarqué que ceux qui pourraient éventuellement se saisir du dossier, le Ministre du travail ou les partenaires sociaux, ont soit évité de relayer ce qui ne le mérite pas, soit répondu de manière technique, et clos le débat. En effet, les 35 heures c’est soit une question de droit du travail, et on voit mal comment la loi seule remettrait en cause les milliers d’accords collectifs conclus sur le sujet dont elle ne peut modifier de manière unilatérale une partie des dispositions sans allumer un gigantesque incendie social, soit une question d’exonérations de charges, et cela fait belle lurette que les exonérations ne sont plus liées à la réduction du temps de travail mais au niveau des salaires. Bref, beaucoup de bruit pour rien. Le problème est que nous ne sommes que le 4 janvier et que si le débat électoral de 2012, dont vous n’aurez pas la faiblesse de penser qu’il n’a pas déjà commencé, se poursuit sur ces bases, il ne restera qu’à prendre conseil auprès de Fragonard, à tirer le verrou plutôt qu’à déverouiller, et ouvrir le rideau de la vie privée pour éviter le débat public. Bonne nuit !

26/12/2010

Réalisme cynique

Plusieurs plaintes ayant été déposées, les laboratoires Servier devront s'expliquer en justice sur la commercialisation persistante du MEDIATOR, dont des études cliniques avaient reconnu la dangerosité. Nul doute que la responsabilité des médecins prescripteurs ainsi que des autorités de santé sera évoquée devant les juges. Longue bataille juridique en perspective avant de savoir si le laboratoire a été d'un réalisme cynique ou d'une bonne foi sans faille. Le réalisme cynique est le nom d'un mouvement pictural chinois né après Tian anmen en 1989 dont Yue Minjun est un des représentants les plus éminents.

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Yue Minjun - Exécution

Je ne connais rien au MEDIATOR ni à la dimension médicale du dossier. Rien à dire sur le fond donc. Sauf un souvenir ancien, plus de quinze ans, à propos des Laboratoires SERVIER. L'affaire avait, à l'époque, été révélée par le Canard Enchaîné. Etaient en cause les pratiques de recrutement du Laboratoire : non seulement discriminantes en fonction de l'origine mais également basées sur des prises de référence personnelles (chaque candidat devant fournir le nom de trois connaissances personnelles qui étaient contactées pour tracer le profil de personnalité du candidat) et dans certains cas sur des enquêtes confiées à d'anciens policiers ou agents des renseignements généraux. Quel rapport avec le MEDIATOR ? aucun a priori, sauf si vous considérez que la manière dont une entreprise gère les ressources humaines n'est jamais anodine et que les pratiques seules témoignent des valeurs d'une organisation.

24/12/2010

Histoire de la clause qui devint un piège

Le Code du travail ne traite pas de la clause de non-concurrence. Son régime est donc bâti par la pratique et régulé par la jurisprudence qui a, au fil des ans, posé les conditions à respecter pour que la clause de non-concurrence soit valide. Tout d'abord les juges ont exigé que la clause soit limitée dans le temps et dans l'espace. Ensuite ils ont vérifié si elle était bien indispensable à la protection des intérêts de l'entreprise : il ne peut y avoir de clause de non-concurrence que si l'activité exercée est concurrentielle et notamment si elle est en relation directe avec le produit fini, le service rendu ou le client, ce qui limite la portée des clauses pour les fonctions supports. Ils ont encore demandé à ce que le salarié ne soit pas privé d'exercer toute activité au regard de ses compétences et de sa qualification. Enfin ils ont exigé que la clause fasse l'objet d'une contrepartie financière. Et en 2007, la Cour de cassation a estimé que cette contrepartie devait être versée après la fin du contrat de travail et pendant toute la période de non-concurrence. Ainsi se refermait le piège sur les entreprises qui avaient prévu une indemnisation en cours de contrat.

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Jack Vettriano - Le piège à touriste

Il était fréquent, avant 2007 et encore après pour les étourdis, de prévoir qu'un complément de salaire serait versé pendant le contrat de travail pour payer par avance la non-concurrence et ne pas avoir à la rémunérer ensuite. Ce complément était souvent exprimé en pourcentage. Dès lors que la Cour de cassation exige, de manière soudaine, que l'indemnisation ait lieu après la rupture, se pose la question de la validité de ces clauses : pas de problème elles sont nulles. Mais si elles sont nulles, les sommes sont versées à tort et l'employeur peut en demander remboursement au salarié, ou tout au moins interrompre le paiement d'une clause sans objet. C'est ce qu'avait jugé une Cour d'appel. A tort nous indique la Cour de cassation soucieuse de verrouiller le piège sur les employeurs qui avaient cru s'acquitter un peu trop aisément d'une contrepartie (Cass. soc., 17 novembre 2010). Et voilà donc l'entreprise tenue de payer un complément de salaire qui a, selon l'argument de la Cour de cassation, le travail comme contrepartie et non la clause de non-concurrence nulle. La prévision est difficile surtout, selon Pierre Dac, quant elle concerne l'avenir et aussi quand elle concerne les revirements de jurisprudence.

23/12/2010

Un mal pour un bien

Maillol était peintre. Né à Banyuls, il pouvait difficilement résister à la lumière du Roussillon, à la douceur du soleil sur les vignes des collines qui ont constitué son premier terrain de jeu. Comme Céline ne vint à la littérature que passé 40 ans, Maillol attendit le même âge pour devenir sculpteur. Le fait déclenchant fut une maladie de l'oeil. La lumière n'irradiait plus de la même manière et la peinture devenait une entreprise difficile, même si Monet ou Matisse sont des contre-exemple. Mais à quoi bon les contre-exemples, c'est soi-même qui est en cause dans ces affaires et non les autres. Grâce à la maladie, si l'on peut dire, il est donc possible d'admirer aujourd'hui les trois graces.

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Les trois grâces photographiées par une catalane

Peut être l'article 84 de la loi de financement de la sécurité sociale nous vaudra-t-il dans l'avenir quelques chefs d'oeuvre inattendus. Pourquoi ? parce que cet article modifie l'article L. 323-3-1 du Code de la sécurité sociale qui permet désormais, avec l'avis favorable du médecin traitant et du médecin conseil de la CPAM, de suivre des actions de formation, d'évaluation, d'accompagnement, d'information ou de bilan de compétences pendant un arrêt maladie et le tout sans perdre les indemnités journalières. Au passage, pour ceux qui considéraient que le DIF pendant un arrêt maladie n'était pas possible, voici une procédure tout à fait légale qui permet son exercice.

Quoi de plus normal ? la maladie n'est pas nécessairement invalidante et si elle empêche le travail elle n'empêche pas toujours la formation et lorsqu'elle est invalidante, il ne s'agit que d'une raison de plus pour anticiper un reclassement.Et il n'est pas exclu que pour nombre de cas, la possibilité de suivre une formation ait également une vocation thérapeutique.

Si la maladie n'est jamais souhaitable, et rarement souhaitée, voici qu'elle pourrait désormais receler des opportunités pour peu que l'on se saisisse de ce texte. Et qui sait, sur le chemin de la formation peut être verra-t-on surgir de manière improbable un clin d'oeil au malade de Maillol.

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22/12/2010

Articulations

On pourrait rapidement règler la question du régime de la rupture conventionnelle pour s'intéresser à celle  de son articulation avec une procédure de licenciement ou une transaction. Allons y donc.

La rupture conventionnelle peut être quasi-totalement sécurisée à deux conditions : que les délais de réflexion soient respectés et la volonté du salarié véritable et que soient passés en revue lors de la négociation, qui doit être loyale, tous les droits en cours dont il convient de règler le solde (congés payés, jours de RTT, DIF, salaires à percevoir, etc.).

Ceci étant fait, venons en aux articulations. Peut-on engager une rupture conventionnelle et, faute d'accord, enchaîner sur un licenciement ? oui à une condition. Que le processus de rupture conventionnelle, comme toute négociation, ait été ouvert et fermé. Ouvert par une première réunion officielle sur le sujet, fermé par un relevé de désaccord actant les positions des parties et l'impossibilité de parvenir à un accord. Pourquoi ? parce que si un licenciement est mis en oeuvre et qu'il doit ensuite y avoir transaction, les discussions relatives à la rupture conventionnelle ne doivent pas être assimilées à des pourparlers transactionnels qui, intervenus avant le litige, conduiraient à la nullité de la transaction. Attention donc à clôturer formellement toute négociation sur une rupture conventionnelle afin de retrouver de la liberté de décision.

En cette période de Noël, la poupée de Bellmer s'impose pour illustrer ce que peuvent être d'harmonieuses articulations.

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Hans Bellmer - Série "La poupée"

L'inverse est-il praticable ? à savoir, est-il possible d'interrompre une procédure de licenciement en  cours pour conclure une rupture conventionnelle ? la Cour de cassation l'exclut, considérant que dès lors qu'il existe un contexte conflictuel, la rupture conventionnelle est impossible En l'occurence, la procédure de licenciement serait considérée comme plaçant le salarié en situation de ne pouvoir exprimer librement sa volonté.

Dernière question, est-il possible de conclure une transaction après une rupture conventionnelle. Oui dans deux cas. Le premier concerne toute autre question que la rupture. En l'absence de litige sur la rupture puisqu'il y a eu accord, il peut y avoir conflit sur une autre question (salaires, heures supplémentaires, etc.). Et c'est sur cette question que doit porter la transaction avec toutefois la conséquence que portant sur des salaires et non sur l'indemnisation d'un préjudice, elle ne bénéficiera pas des exonérations sociales et fiscales liées à la transaction sur une rupture du contrat de travail.

La seconde hypothèse est celle d'une transaction portant sur l'accord de rupture. A priori il s'agit d'un non sens : pourquoi transiger si on s'est mis d'accord ? la conclusion d'une transaction supposerait que l'accord n'ait pas résisté au temps et qu'un litige oppose le salarié et l'employeur, par exemple sur l'absence d'une volonté véritable du salarié. Tel serait le cas d'un salarié qui invoquerait après coup une situation de harcèlement ayant vicié son consentement. Mais comment acter qu'un litige a supplanté l'accord autrement qu'en saisissant le Conseil de Prud'hommes de cette question ? et l'on réservera donc la possibilité de conclure une transaction valable aux litiges dont la preuve se déduit de la saisine d'un Conseil des prud'hommes, offrant alors le choix d'une transaction judiciaire ou extra-judiciaire.

Toutes les questions ayanté été réglées, vous voici disponibles pour construire de belles articulations et apprécier celles de la poupée.

21/12/2010

La preuve par le carnet

Carnet de bord, carnet de vol, carnet de voyage...garder trace ne date pas d'hier ni du totalitaire désir d'universelle et permanente traçabilité. Il est des traces de liberté et non de contrôle, de sublimation et non de fichage, de support de rêverie et non de suivi à la trace pour votre bien, forcément pour votre bien.

Cette manie du carnet se porte parfois sur le temps : aux livres de comptes qui permettent aux historiens de reconstituer le passé, aux journaux personnels qui livrent des éléments de biographie, se superposent parfois des petits agendas dans lesquels l'emploi du temps est scrupuleusement noté. Rendez-vous, activités exercées, lieux visités, tout prend place dans le carnet. Et un jour celui-ci est porté devant le juge à l'appui d'une demande d'heures supplémentaires : constatez par vous même monsieur le Président des heures de travail quotidiennement effectuées. Moins romantique que le carnet géographique des femmes de Corto Maltese peut être, mais pas moins probant.

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Sylvie Galas - Carnet de voyage de Corto Maltese

L'employeur n'y croyait guère : nul ne peut fabriquer artificiellement et unilatéralement une preuve. Le carnet ne peut valoir et fonder une demande. Tel n'est pas l'avis de la Cour de cassation (Cass. soc., 8 décembre 2010). Pour les juges, l'employeur a l'obligation de contrôler le temps de travail des salariés et la preuve s'en trouve donc partagée sur des bases différentes. Au salarié de rapporter par tout moyen, y compris l'agenda personnel ou son journal intime, la preuve de son temps travaillé, à l'entreprsie de fournir ses propres éléments. Et si elle est incapable de fournir quoi que ce soit, la victoire du petit carnet sera scellée.

Mais tout cela ne répond pas à LA question, PANDORA est-elle bien l'aventure et pourquoi Corto Maltese continue-t-il à la chercher alors qu'il l'a trouvée ?

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Arthur Rimbaud : "Arrivée de toujours, qui t'en iras partout"

20/12/2010

Rupture conventionnelle et transaction : halte au bluff !

Il se trouvera bien quelques avocats pour dire : "On vous l'avait bien dit !" et proclamer qu'il faut éviter la rupture conventionnelle et préférer la bonne transaction qui règle toutes vos affaires. Pourquoi ? parce que la Cour de cassation vient de juger le 15 décembre dernier qu'une rupture conventionnelle ne peut interdire au salarié d'intenter une action en justice contre son employeur. Ce dernier avait pourtant pris la précaution d'indiquer dans la convention que le salarié "renonce à toute contestation des conditions et de la rupture de son contrat de travail". Sur cette base, la Cour d'appel avait débouté le salarié de sa demande de rappel de salaires. A tort dit la Cour de cassation, la phrase n'est que bluff et ne peut priver le salarié du droit d'aller en justice.

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Fragonard - Blind man's bluff (colin-maillard) - 1751

Le problème est que le bluff est identique lorsqu'une telle phrase figure dans une transaction. De manière régulière, les juges acceptent des demandes de salariés qui ont conclu des transactions comportant une clause qui précise que "revêtue de l'autorité de la chose jugée, la présente transaction interdit au salarié de saisir les tribunaux pour tout différend né ou à naître relatif à l'exécution ou à la rupture du contrat de travail". Comme dirait Jacques Chirac, ces clauses juridiquement tournées n'engagent que ceux qui y croient. Bluff ou droit psychologique, au choix, et dans tous les cas ignorance, on y croit pas trop, ou mauvaise foi du rédacteur. En effet, la Cour de cassation juge de manière constante que la transaction et ses effets sont limités au règlement des litiges qu'ils listent. De ce fait, un salarié peut saisir le juge pour faire valoir ses droits relatifs à des souscriptions d'action même s'il a signé une transaction comportant la mention "les parties renoncent de la manière la plus expresse à formuler toute réclamation que ce soit pour quelque cause que ce soit" (Cass. soc., 8 décembre 2009). Raté. Ou encore, la Cour suprême a permis à un salarié ayant transigé sur la rupture de son contrat en reconnaissant dans la transaction n'avoir plus aucun litige d'aucune nature lié à l'exécution ou à la rupture du  contrat de travail, de réclamer un complément d'indemnité conventionnelle de licenciement (Cass. soc., 2 décembre 2009). Encore raté. Et l'on pourrait multiplier les exemples.

Le principe est pourtant simple : il n'existe pas de clause valide qui sécurise totalement l'entreprise contre un recours du salarié. Après une rupture conventionnelle, le salarié peut saisir le juge pour des heures supplémentaires ou du harcèlement, mais il peut également le faire après une transaction indemnisant la rupture du contrat de travail. Le désistement total d'instance est trop chose trop grave pour qu'on l'accepte sans modération, et puis manifestement les juges n'aiment pas le bluff. Peut être, par contre, aimeraient-ils jouer à colin-maillard chez Fragonard, et en l'espèce ils le méritent bien.

19/12/2010

Exception culturelle

La France est le pays de Descartes, donc celui de la raison. Cette affirmation se vérifie devant les tribunaux chez qui la colère a mauvaise presse et l'insulte plus encore. Lorsqu'un salarié insulte son responsable ou un collègue, le juge considère systématiquement que le licenciement est justifié. Pas la peine d'argumenter que ce type d'insulte est courant dans le milieu, que l'on est en France et qu'un peu de gauloiserie n'est pas grave, ni même d'invoquer Nougaro ("on se traite de con à peine qu'on se traite..."), l'insulte est un comportement grave qui doit être sanctionné comme tel. L'insulte est d'ailleurs un comportement qui, si elle est répétée, constitue un fait de harcèlement. Rappelons nous que devant Salomon, ce n'est pas la mère qui crie sa colère à qui l'on donne raison mais celle qui garde son calme et propose de donner l'enfant pour qu'il soit sauvé. La colère est mauvaise conseillère, on connaît le proverbe ou, comme le dit Montaigne : "Il n'est passion qui ébranle tant la sincérité des jugements comme la colère".

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Nicolas Poussin - Le jugement de Salomon - 1649

Et puisqu'il est question de Montaigne, remarquons que 50 ans avant le "Vérité en deça des Pyrénées, erreur au-delà" de Pascal, il avait déjà fait le constat que les lois s'accordaient aux moeurs et aux lieux : "Quelle vérité est-ce que ces montagnes bordent, mensonge au monde qui se tient au-delà ?". Le tribunal supérieur de Madrid, après celui de Catalogne en 2009 qui avait pris une position similaire, considère qu'en ce contexte de crise et de tension sur l'emploi, le fait de traiter son chef de "Hijo de puta" est certes répréhensible, mais pas au point de justifier un licenciement. De même, le tribunal supérieur d'Andalousie n'a pas validé le licenciement d'un salarié qui bouscule son patron car il craignait d'être licencié. Comportement à replacer dans le contexte économique dont les excès pourraient en justifier d'autres ? exception culturelle dans un pays latin où les relations humaines peuvent aussi rapidement monter en température qu'elles redeviendront cordiales par la suite ?

Ayons dans tous les cas une pensée pour le difficile métier de juger qui consiste à tracer des frontières stables entre les situations, ce qui ne peut qu'aboutir au final à une perception d'injustice. L'insulté pourra s'étonner de devoir continuer à travailler avec l'insulteur, le licencié pourra s'offusquer que l'on mette sur le même plan un emploi et un revenu et un échauffement sans lendemain et compréhensible. Notre perception serait-elle la même suivant que nous serions l'un ou l'autre, juge en deçà des Pyrénées ou juge au-delà ?

17/12/2010

Le prix du silence

Sur les 17 millions de salariés du secteur privé, environ 800 000 font l'objet d'un licenciement au cours d'une année. Soit un taux légèrement inférieur à 5%. Si l'on excepte les licenciements collectifs pour motif économique (soit une minorité puisque l'intégralité des licenciements économiques ne représente qu'un tiers du total, l'essentiel étant constitué de licenciements pour motifs personnels), tous les autres donnent lieu à un entretien préalable entre l'employeur et le salarié. Se pose alors la question de la conduite à tenir lors d'un tel entretien. La réponse est simple : le silence toujours, le questionnement parfois.

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Max Ernst - Les yeux du silence

La finalité de l'entretien obligatoire au licenciement est double : informer le salarié de manière directe sur son licenciement, mais la lettre de convocation n'exclut pas toujours l'effet de surprise, et d'autre part permettre au salarié de présenter ses arguments et éventuellement de faire changer l'entreprise de décision. Sauf que dans la très grande majorité des cas, lorsque l'entreprise a convoqué un salarié à un entretien préalable, elle sait déjà qu'elle va le licencier. A quoi sert alors de se défendre ? à rien si ce n'est fournir à l'entreprise l'occasion de tester ses arguments de licenciement et d'anticiper sur un éventuel contentieux en tenant compte dans  la lettre de licenciement des objections du salarié. Parfois, on constate que l'entreprise a modifié le motif invoqué, qui est différent dans la lettre de licenciement de celui invoqué lors de l'entretien. Le risque ? un mois de salaire maximum, à titre de procédure irrégulière, alors que le risque pour un licenciement injustifié est de 6 mois de salaire minimum lorsque le salarié a deux ans d'ancienneté.

On ne saurait trop conseiller à un salarié donc de ne pas faire de l'entretien un moment autre que technique et de réserver sa verve et ses arguments pour le contentieux à venir, si telle est son intention. Par contre, quelques questions obligeant l'entreprise à préciser les circonstances, faits, motifs et qui seraient notés par le conseiller du salarié permettraient éventuellement d'apporter des éléments de fait, au-delà de ceux invoqués dans la lettre de licenciement, susceptibles de nourrir le contentieux.

On l'aura compris, dans la majorité des cas, se défendre lors d'un entretien préalable est contreproductif, sauf si le salarié estime, et souhaite, que l'entreprise peut changer d'avis. Le cas n'est pas le plus fréquent, ce qui fait le prix du silence.

14/12/2010

De l'inconvénient d'avoir plusieurs chambres

Eric Rohmer avait choisi de compléter le titre de l'un de ses films, "Les nuits de la pleine lune", par un très moral proverbe champenois : "Qui a deux femmes perd son âme, qui a deux maisons perd la raison". Est-ce le fait d'avoir plusieurs chambres qui a fait perdre à la Cour de cassation le fil du raisonnement ? on peut le craindre en prenant connaissance d'une décision rendue le 9 décembre dernier. La deuxième chambre civile condamne un représentant du personnel a rembourser à la sécurité sociale les indemnités journalières perçues pendant un arrêt maladie. Motif ? le salarié a continué à exercer son mandat, certes en dehors de ses heures obligatoires de présence à domicile, mais la Cour a jugé que les heures de délégation, assimilées à du temps de travail effectif, constituaient une activité non autorisée et donc incompatible avec l'arrêt maladie. Surprise lorsque l'on sait que la Cour de cassation, mais la chambre sociale, a toujours jugé que la suspension du contrat, y compris la maladie, ne suspend pas le mandat. Et que la Cour de cassation toujours, mais la chambre criminelle, a déjà condamné pour délit d'entrave un employeur qui n'a pas convoqué un membre du comité d'entreprise à une réunion au motif qu'il était en arrêt maladie. Voici donc des chambres qui ne communiquent guère, ou plutôt qui ne se sentent pas liées par ce qu'il se passe dans la chambre d'à côté. Les juges ont trop de savoir vivre.

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Dorothea Tanning - La chambre d'amis

Plus exactement, chacun enfermé dans sa chambre juge à l'aune de son périmètre et se soucie peu de cohérence. A moins que le défaut de cohérence ne résulte plus naturellement de deux droits différents : le droit de la sécurité sociale et le droit du travail. En réalité, ce n'est pas la première fois qu'un tel conflit survient à propos de représentants du personnel qui exercent leur mandat pendant un arrêt maladie : le contentieux de droit du travail est favorable au salarié, pas celui de la sécurité sociale. Reprenons calmement :

1) L'arrêt maladie ne signifie pas que le salarié soit grabataire et doive s'abstenir de toute activité. Cela signifie simplement que l'état de santé est incompatible avec le travail, pas nécessairement avec tout travail. Une jambe cassée m'interdit de conduire un véhicule, pas de rédiger une chronique de droit du travail (je vais bien, merci, c'est un exemple).

2) Le mandat n'est pas lié au travail effectif. Il peut s'exercer pendant des temps de congés (congés payés, congé parental, etc.).

3) La question est plutôt celle du cumul d'indemnisation : peut-on cumuler des heures de délégation avec des indemnités journalières ? c'est ceci que censure la chambre civile et uniquement. Il ne faut donc pas conclure de la décision que les représentants du personnel ne peuvent exercer leur mandat pendant un arrêt maladie.

Que faire en pratique ? deux possibilités : ne pas rémunérer les heures de délégation au prétexte qu'elles ne peuvent être du temps de travail effectif étant incompatible avec l'arrêt maladie. Et le salarié conservera ses IJ. Le problème survient en cas d'accident du travail : c'était d'ailleurs le cas en l'espèce et la sécurité sociale refusa l'accident du travail. Deuxième solution : faire autoriser l'activité liée au mandat par le médecin traitant. Cela semble être la bonne solution. Dans une affaire jugé le 28 avril dernier, la chambre civile a rejeté le pourvoi (pour des raisons de forme certes) d'une caisse primaire contre la décision d'une Cour d'appel qui avait validé le fait qu'un salarié, à la fois musicien et enseignant, soit en arrêt de travail du fait d'une tendinite pour son activité de musicien mais poursuive ses activités d'enseignement dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique.

Et nous voilà donc conduits par le jeu cumulé des chambres, à demander aux médecins le droit de poursuivre, ou pas, l'exercice d'un mandat de représentation du personnel. Et que pense-t-on de cette solution dans les chambres ?

13/12/2010

Le harcèlement ne fait pas de fumée

Les clients s'en grillent une petite, puis une autre. Le patron laisse faire : l'ambiance et le confort de la clientèle n'ont pas de prix, pas même celui de la santé des salariés. Un barman s'en émeut et quitte l'entreprise avant de saisir le Conseil des prud'hommes, demandant la requalification de sa démission en rupture aux torts de l'employeur pour l'avoir exposé au risque de tabagisme passif. L'employeur se défend : un peu de fumée ne peut faire de mal, l'atteinte à la santé est inexistante et d'ailleurs les analyses fournies par le salarié ne montrent qu'un faible taux de nicotine dans le sang. Tout cela n'est donc que prétexte de la part d'un barman indélicat qui saisit grossièrement une occasion de taper juridiquement dans la caisse en partant. Le raisonnement du juge est souvent tortueux à l'instar des volutes de fumées : pour la Cour d'appel, en l'absence d'impact constaté sur la santé du salarié, le hold-up judiciaire n'aura pas lieu. Erreur affirme la Cour de cassation. La seule exposition au risque constitue une faute suffisante pour que le salarié rompe son contrat de travail et demande des dommages et intérêts, qu'il aura d'ailleurs la liberté de convertir en cartouches de cigarettes. Bashung l'avait prédit : vos luttes partent en fumée !

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La rigueur de la Cour suprême n'est que la conséquence de l'obligation de sécurité de résultat, inlassablement affirmée et développée depuis 2002 et les arrêts fondateurs concernant l'amiante. La force de cette jurisprudence donne quelques idées à ses plus fins connaisseurs. Un avocat quitte un cabinet dans lequel un responsable harcèle un de ses collègues. Ce climat de harcèlement l'expose à un risque qui le conduit à démissionner et à réclamer indemnisation du préjudice subi. Après le tabagisme passif, voici donc présenté au juge le harcèlement passif, ou l'altération de la santé par l'exposition aux fumées d'un harcèlement non directement subi. La Cour de cassation fait la leçon de droit à l'avocat : si peut être reconnue dans l'entreprise une organisation du travail harcelante, cela ne signifie pas pour autant que tous les salariés s'en trouvent harcelés par principe. Il est nécessaire d'établir un harcèlement directement subi (Cass. soc., 20 octobre 2010).

Ainsi partirent en fumée les prétentions de l'avocat qui ne put même pas, pour soulager son dépit, s'en griller une au café du coin.

03/12/2010

Femmes de...

C’est une histoire d’avant Monica Lewinski. Elle met en scène Hillary Clinton, retournant dans son village natal et s’arrêtant à une station service. Le pompiste, boyfriend des jeunes années, lui dit : « Tu te rends compte, si tu étais restée avec moi, on serait tous les deux dans cette station ! ». Et Hillary de répondre : « Si tu étais resté avec moi, tu serais Président des Etats-Unis ». Femme de ou Mari de ? l’actualité met sous les projecteurs, ou plutôt exactement retire de sous les projecteurs, les femmes de. Après Anne Sainclair et Béatrice Schonberg, Audrey Pulvar est interdite d’antenne, au moins pour les émissions politiques. Scandale ? machisme ? éthique ? conflit d’intérêt ? contentons nous ici de relever ce que dit le droit du travail en pareil cas.  

Mais avant, souvenons nous que Willem De Kooning est le mari d’Elaine de Kooning.

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Elaine De Kooning - Sunday Afternoon - 1957

Le principe est simple : la situation de famille ne peut être prise en compte pour prendre des décisions à l’encontre d’un salarié. Cette règle figure à la fois dans l’article L. 1132-1 relatif aux discriminations et dans l’article L. 1142-1 relatif à l’égalité professionnelle hommes-femmes.

A tout principe son exception. L’article L. 1133-1 prévoit que des différences de traitement qui répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante sont possibles dès lors que l’objectif est légitime et l’exigence proportionnée. Résultant de la loi du 27 mai 2008, cette large ouverture à la dérogation, puisque visant potentiellement les 15 motifs de discrimination listés par le Code du travail, pose de redoutables problèmes d'interprétation, le législateur n'ayant donné aucune indication sur ce que pouvait recouvrer la notion d'exigence professionnelle essentielle (EPE pour les juristes avertis ignares en nucléaire). Est-ce une exigence essentielle de la profession de journaliste de ne pas avoir comme compagne, ou compagnon, une femme ou un homme politique ? on mesure la voie douteuse dans laquelle nous engage la réponse à cette question : l’incompatibilité concerne-t-elle la relation suivie ou l’escapade d’un soir ? la relation amicale et la passion furieusement sexuelle doivent être traités pareillement ? prendre un verre sans objectif professionnel d’interview est-il un acte déontologiquement répréhensible ? et l’on s’aperçoit que la notion d’exigence professionnelle essentielle est bien délicate à définir, sauf à rouvrir une police des mœurs et généraliser, mais peut être est-ce déjà le cas, les écoutes téléphoniques et autres traçages internautiens.

Qu’en penserait Max Ernst, vous savez le mari de Dorothea Tanning ?

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Dorothea Tanning - Chambre 202

Décision hasardeuse et codification peu heureuse, voilà qui laisse la place à bien des débats. A propos de laisser la place, l’émission d’Audrey Pulvar sur I-Télé a été remplacée par une émission dont le titre est « L’info sans interdit ». Et ce n’est pas une blague.

22/11/2010

Diable !

L'affaire à fait le tour des medias ce week-end : le licenciement pour faute grave de salariées pour des propos échangés sur Facebook à propos de leur manager. Rappelons tout de même que tout ceci se passe au sein d'un service ressources humaines et qu'il s'agit d'une cadre chargée du recrutement qui appelle quasiment au harcèlement moral de la DRH par ses collègues. Suffit-il d'assortir l'appel de smileys et ricanements pour que l'on soit dans la petite plaisanterie de machine à café sans importance ? tel n'est pas l'avis du Conseil des prud'hommes de Boulogne-Billancourt qui considère, après un départage toutefois, que les propos sont graves et sanctionnables. Les salariées plaidaient le caractère privé de l'échange, tenu un samedi soir sur une page Facebook dite "privée". Mais le juge constate que la page en question est accessible aux amis des amis, en d'autres termes à tout le monde puisque l'ami Facebook on  commence par l'admettre comme ami avant de le connaître. Et les salariés consternés de découvrir que leur comportement enfantin n'est pas assorti de l'enfantine irresponsabilité qui devrait aller avec. Pan sur les fesses des "adulescents" peut conscients qui ont oublié que  sur le net Facebook s'écrit souvent Face de bouc, visage du diable qu'il ne faut donc pas s'étonner de voir surgir.

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Clovis Trouille - L'adoration du bouc

Et voilà qui nous ramène à la seconde affaire qui a fait le tour des medias ce week-end, les déclarations du pape sur le préservatif. Ici, point besoin d'un long discours pour voir surgir le diable, il suffit de s'en remettre aux talents du dessinateur Schot. Bon lundi  à tous.

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Schot - Benoît XVI

16/11/2010

Le bagage lent de l'esprit

C'est ainsi que Michel Leiris, dans "Glossaire, j'y serre mes gloses", définit le langage. La première publication du "Glossaire..." est accompagnée d'une explication : "le sens usuel et étymologique d'un mot ne peuvent rien nous apprendre sur nous mêmes, puisqu'ils représentent la fraction collective du langage, celle qui a été faite pour tous et non pour chacun de nous. En disséquant les mots que nous aimons sans nous soucier de suivre ni l'étymologie, ni la signification admise, nous découvrons leurs vertus les plus cachées et les ramifications secrètes qui se propagent à travers tout le langage(...) alors le langage se transforme en oracle et nous avons là (si ténu qu'il soit) un fil pour nous guider, dans la Babel de notre esprit".

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J.W Godward - Oracle de Delphes - 1899

Parmi les définitions des mots donnés par Leiris, relevons :

SAVEUR - C'est la douceur des laves ; LEVRES - On les lit comme des livres ; UNITE - Nudité : nid de l'éternité ; EMMERDANT - Le mal de mer et le mal de dent ; AVENTURE - Les mâtures aveugles sont avides de vent  ; et pour nos amis juristes CLOISON - Le cloître ou la prison, une loi ; UNIFORMITE - Inutile monotonie de la norme figée.

Alice dirait qu'il n'est pas en notre pouvoir de faire dire aux mots autre chose que ce qu'ils veulent dire. Et pourtant si. Quelques exemples pour montrer que l'usage courant n'est pas l'usage juridique et que cette dissociation peut être source d'incompréhension.

REPOS : en langage usuel, immobilité, sommeil, quiétude. En droit du travail, temps pendant lequel on ne travaille pas (mais qui peut être un temps actif, éveillé ou de stress...ou de formation). Ainsi est on en repos pendant les deux heures de transports  qui nous ramènent à domicile.

TEMPS DE TRAVAIL EFFECTIF : en langage usuel, temps pendant lequel on travaille effectivement. En droit du travail, temps pendant lequel on se tient à la disposition de l'employeur. Ainsi peut-on être au placard en travail effectif ou dormir pendant du travail effectif (veilleur de nuit).

PLANS DE DEPART VOLONTAIRES : en langage usuel il s'agit d'un oxymore. Comment programmer des départs s'ils sont volontaires ? en droit du travail, proposition de départs négociés excluant les licenciements.

Il n' est pas étonnant  dès lors que le droit soit incompréhensible à qui l'aborde avec les définitions usuelles. Pas étonnant non plus que le débat juridique porte souvent sur ce que les mots veulent dire. Et comme le sens des mots n'est jamais qu'une synthèse de signification multiples et évolutives, la discussion demeure non seulement possible mais également souhaitable. Car les pays dans lesquels les mots ont le même sens pour tous est inévitablement une dictature.

Pour terminer sur une note plus légère : FIANCEE - Au fil des ans défi lancé.

 

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Elle fait au miroir de l'abîme sa toilette étrange de fiancée

12/11/2010

Droit braconnier

Le braconnier a rarement bonne image. Il faut dire que le chasseur d'ivoire qui décime les éléphants, le traqueur de fourrures rares, le marchand d'espèces protégées ne sont guère plus fréquentables que recommandables. Foin du braconnage organisé donc. Mais il est d'autres types de braconniers. Historiquement, le braconnier  chasse illégalement sur les terres du seigneur. Il est donc celui qui n'accepte pas l'ordre établi. Rappelons que le privilège de chasse fut aboli le 4 août 1789 avant d'être rétabli en 1844. Le braconnier chasse sans titre et à ce titre il connaît la forêt, la nature, les espèces, les animaux, mieux que personne. Mais surtout, il s'écarte des chemins forestiers, des routes de campagne, il défriche de nouveaux espaces, ouvre de nouvelles voies, emprunte des passages détournés dans lesquels nul n'ose s'aventurer et créé une nouvelle géométrie des forêts qui ne sont pas sa propriété mais qui constituent son domaine et son terrain de jeu. Comme le rêve est une fenêtre ouverte sur l'inconscient, le braconnage est un rêve à l'invisible réalité.

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Marie-Laure Messir - Bulle nocturne

Mais si le braconnier est celui qui s'affranchit des règles, que peut signifier l'oxymore droit braconnnier ? tout simplement que l'innovation, en droit comme en d'autres domaines, peut passer par la transgression et qu'il est parfois nécessaire d'aller aux limites de la règle pour la faire évoluer. Qui ne s'autorise à sortir des allées forestières ne connaîtra jamais la forêt. Qui s'applique à appliquer le droit en devient au mieux le serviteur, au pire l'esclave. Penser la règle, c'est souvent penser contre la règle, c'est à dire confronter le droit aux autres sources de décision, de pouvoir, de régulation, de légitimité. La règle de droit réduite à elle même, c'est le chemin des promeneurs du dimanche qui tiennent leur chien en laisse et considèrent avec méfiance tout champignon. Le braconnier c'est celui qui s'autorise à entrer dans le bois, à vivre avec les arbres et tous les habitants de la forêt et à apprendre à connaître animaux et champignons plutôt que de s'en défier. Bref, une autre manière d'exprimer le très juste "Que juriste, pas juriste". Mais à quoi reconnaîtra-t-on les bons braconniers et ceux qui ne sont toujours pas fréquentables ? car si chacun s'institue braconnier n'est-ce pas la fin de l'Etat de droit ? proposons quelques critères : le braconnier fréquentable ne nie pas la loi, il la connaît très bien, il ne la conteste pas globalement mais seulement en certains de ses effets, il est soucieux des conséquences de ses actes, et il agit artisanalement. Et peut être un dernier critère : le braconnier indéfendable est celui qui méprise ou menace le garde-chasse, le  plus fréquentable braconnier n'est pas l'ennemi du garde-chasse, car il sait ce qu'il a en commun avec lui. Car on peut à la fois aimer le garde-chasse et le braconnage, n'est-ce pas Constance ?

10/11/2010

Assurés, pas assistés

Lundi, je concluais la chronique en écrivant qu’en matière de recul du collectif on n’avait pas tout vu. Il n’aura pas fallu longtemps. Reprenant une proposition de David Cameron qui souhaite que les chômeurs effectuent un travail d’intérêt général en contrepartie de leur indemnisation, plusieurs voix s’élèvent pour que la même mesure s’applique en France. Le Figaro en fait un article et trouve trace de cette proposition dans le programme de Nicolas Sarkozy. Qu’attend-on alors pour demander une contrepartie à ceux qui reçoivent des revenus du système social ?  l’oisiveté n’est-elle pas mère de tous les vices ?

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La dérive qui pointe sous cette question vient de loin. Mais commençons par le début. Le régime d’assurance chômage n’est pas un régime d’assistance chômage. Tout demandeur d’emploi doit son indemnisation aux cotisations qui ont été versées à l’occasion de son travail. Il s’agit donc d’un droit et non d’une aumône. Certes lorsque le salarié bascule en allocation de solidarité en fin de droit celle-ci est payée par l’impôt. La belle affaire : pour être y prétendre, il faut avoir travaillé 5 ans dans les dix dernières années. Et à cette occasion avoir payé des impôts qui ont financé, notamment, l’allocation de solidarité de demandeurs d’emploi. Chacun son tour en quelque sorte, c’est ce que l’on appelle la solidarité. Et, faut-il le rappeler, les indemnités d’assurance chômage sont assujetties à impôt. En somme, demander un travail en contrepartie de l’assurance chômage, c’est comme demander de travailler pendant les congés payés.

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La  véritable perversion du raisonnement est de faire un lien direct entre les risques couverts par les régimes sociaux au sens large, et la contribution de chacun. Sur ce principe, il faudrait refuser l’accès aux services publics à ceux qui ne paient pas d’impôt. Et ceux qui paient des impôts sans jamais aller à l’hôpital ou scolariser des enfants à l’Education nationale pourraient demander remboursement d’une partie de leur imposition au nom d’un nouveau bouclier fiscal qui voudrait que chacun ne finance que ce dont il profite et que chacun ne profite que de ce qu’il finance.  Allons encore plus loin, la même dérive est à l’œuvre lorsque l’on veut facturer au promeneur égaré le coût de l’hélicoptère qui le récupère en montagne. A quand la facture des pompiers sollicités en cas d’incendie parce qu’on a imprudemment mal réparé l’électricité ?  Autant dire qu’à ce stade, il n’y aurait plus guère de société.

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Mais ne perdons pas espoir, Benoist Apparu s’est prononcé contre l’application du  travail d’intérêt général. Sursaut moral ? conscience civique ? pas du tout, simplement « organiser trente heures de travail mensuelles pour deux ou trois millions de chômeurs c’est trop compliqué ». Sur ce coup là, perdu !

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09/11/2010

Au Loup !

L'affaire Baby Loup revient à la une des medias avec, hier, l'audience devant le Conseil des Prud'hommes de Mantes-La-Jolie. Rappelons l'affaire : au retour d'un congé parental, une salariée d'une crèche se présente voilée. La directrice lui rappelle le principe de neutralité religieuse inscrit dans le règlement intérieur et lui demande de travailler sans voile. La salariée refuse, elle est licenciée. La Halde est saisie, les prud'hommes également et l'affaire s'emballe. Et cet emballement, comme souvent, nous plonge dans l'idéologie et nous éloigne du droit. S'indignent à l'unission des tenants de la laïcité, des féministes, des xénophobes qui n'acceptent les voiles que pour les femmes dans les Eglises ou devant le Pape, des racistes de tout poil, etc. Curieux assemblage a priori, mais devant la confusion des arguments il ne faut pas s'étonner de la confusion des genres. Et la nouvelle présidente de la Halde, loin de remettre de la rationnalité dans le débat, ce qui est après tout sa fonction,  d'encourager le délire argumentaire en invoquant pour justifier son avis sa propre histoire personnelle. A force de crier au loup, on finit par ne plus s'entendre et par ne plus rien y  comprendre.

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Annabelle Guetatra - Sans titre - 2009

Mais revenons au droit. Que disait l'avis si critiqué de la Halde qui considérait le licenciement illégitime ? trois choses. La première est qu'une entreprise privée n'est soumise à aucune principe de neutralité religieuse. La deuxième est que tout salarié jouit d'une liberté religieuse à condition de ne pas faire de prosélytisme et de ne pas se soustraire à ses obligations contractuelles pour des raisons religieuses. Depuis longtemps, il est admis que le seul port d'un insigne ou vêtement religieux n'est pas en soi du prosélytisme. Et la troisième que tout employeur a la possibilité d'apporter des restrictions aux libertés individuelles pour des raisons objectives et par des décisions proportionnelles. En l'occurence, la crèche Baby Loup n'avait pas à faire figurer la neutralité religieuse dans son règlement intérieur ni à licencier au motif du non respect de cette neutralité que seule la loi pourrait consacrer. Elle devait règler la seule question qui vaille : le port du voile est-il incompatible avec la fonction de directrice adjointe d'une crèche compte tenu de la nature des fonctions correspondantes ? des questions de cette nature, les tribunaux en ont déjà tranché plusieurs : l'opératrice sur un plateau téléphonique ne peut être licenciée pour cause de port du voile, mais la salariée qui s'occupe d'enfants autistes et refuse de se déshabiller pour les surveiller pendant la baignade si. Ce que nous dit le droit, c'est que le problème ne doit pas être posé en terme de religion. Raté. Et le pire est encore peut être à venir quand on entend la présidente de la Halde dire qu'il y a un vide juridique, ce qui n'existe pas, et Manuel Valls proposer une loi pour interdire le voile dans les crèches. A mal poser les questions, il ne faut pas s'étonner que l'on donne de mauvaises réponses et qu'au final on aboutisse à exactement l'inverse que l'objectif recherché.

Pour qui préfère savoir de quoi il est question avant de s'indigner, l'avis de la Halde sur ce sujet :

AvisHalde-ReligionetTravail.pdf

Et un exemple de courrier adressé à un employeur sur une affaire similaire :

Halde-neutralitédansl'entreprise.pdf

08/11/2010

Le collectif, c'est moi

Le droit du travail peine souvent à appréhender le collectif. Bien sur la loi reconnaît les droits collectifs. Mais leur support est souvent le sujet individuel : ainsi le droit à la négociation collective est un droit individuel exercé collectivement. Pourquoi cette personnalisation du droit ? En grande partie parce que le sujet de droit est l'individu, le support du droit le contrat de travail et que le collectif n'atteint jamais ce niveau d'incarnation. La collectivité de travail est protéiforme, mouvante et jamais stabilisée. Comme l'on ne se baigne jamais dans le même fleuve, on n'est jamais, ou très rarement, face au même collectif, alors que l'individu est un sujet stable de droit.

Cette consécration juridique du sujet s'accorde à l'évolution historique des sociétés occidentales. Le XXème siècle a vu l'individu s'extraire du collectif, s'affirmer, s'autonomiser et demander reconnaissance pour lui-même et non pour son groupe d'appartenance. Il en est résulté une personnalisation plus forte des relations et une mise sous tension corrélative plus importante des individus. Peu de domaines ont échappé à ce mouvement, ainsi que nous le confirme Gérard Larcher.

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L'affiche est placardée sous les arcades de la rue de Vaugirard, face à l'entrée du Palais du Luxembourg. Double stupéfaction en la découvrant. Tout d'abord l'expression "coeur de métier" empruntée au langage managerial paraît bien peu appropriée pour le Sénat qui n'est ni une entreprise, ni une organisation composée de professionnels. La fonction élective n'est pas un contrat de travail et le Sénat n'est pas un site de production de ces choses curieuses que l'on appelle les lois. Le mandat sénatorial devrait plutôt être un métier de coeur qu'un coeur de métier, et l'on s'inquiète de cette inversion des valeurs. La deuxième surprise est que si l'on a pas le nez collé sur l'affiche, seuls sont lisibles les mots "Le coeur de métier du Sénat c'est : Gérard Larcher". La photo est d'ailleurs là pour nous le rappeler. Surprise car on pensait l'homme plus humble et plus soucieux de la nature de sa fonction. Et l'on se dit que si même lui en vient à s'auto-promouvoir dans la plus pure langue de bois manageriale, c'est qu'en matière de recul du collectif, on a sans doute pas encore tout vu.