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30/06/2008

Licenciements boursiers

L'expression revient fréquemment sous la plume des journalistes et parfois des responsables politiques. Les licenciements boursiers sont ceux auxquels il est procédé pour accroître les profits de l'entreprise au détriment de l'emploi et des salariés. Ces licenciements correspondent à l'exigence de l'actionnaire qui veut obtenir 15 % de rentabilité sur le capital investi au mépris d'un marché qui croît péniblement de 5 % par an, obligeant les dirigeants à réaliser des opérations exceptionnelles pour dégager des marges artificielles, intenables dans le temps. En d'autres termes, la pression financière immédiate obère toute gestion durable et sacrifie les intérêts des salariés. Si l'on ajoute le parachute doré du dirigeant qui a procédé aux opérations dans l'intérêt bien compris de celui qui le paye, le tableau est complet d'un capitalisme financier destructeur à l'opposé d'un capitalisme familial ou d'un capitalisme rhénan soucieux, eux, du moyen et long terme.

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Carsten Svennson - Peintre Danois

Que nous dit le droit du travail sur les licenciements boursiers ?

L’actualité vient nous rappeler, à travers la condamnation le 28 juin 2008 de la société Recyclex (Ex Metaleurop) par le Conseil des Prud’hommes de Lens qui a jugé sans cause réelle et sérieuse le licenciement de 495 salariés, que le droit sanctionne de longue date les licenciements boursiers. Quelques exemples :

- Une fermeture d’usine pour des raisons liées aux nuisances causées à l’environnement n’est pas légalement justifiée (Cass. soc., 13 février 2008, n° 06-44.358 F-D) ;
- Une délocalisation de France en Israël en raison d’incitations financières et fiscales attractives n’est pas un motif économique justifiant des licenciements (Cass. soc., 18 septembre 2007, n° 06-42.401 F-D ) ;
- La simple recherche d’une amélioration de la marge de l’entreprise par la réduction des coûts ne justifie pas des licenciements économiques (Cass. soc., 31 mai 2006, n° 04-47.376 F-P, Geslin c/Sté Catimini) ;
- Un regroupement de fonctions sur un lieu unique pour faire des économies n’est pas un motif de licenciement (Cass. soc.,21 mars 2006, n° 04-45.749 F-D) ;
- De même, le regroupement de la production sur un seul site ne justifie pas à lui seul des licenciements économiques (CA Chambéry, ch. sociale, 21 mars 2006, Fromageries Bell) ;
- Lorsqu’en l’absence de difficultés économiques, la finalité de la réorganisation est de bénéficier d'une réduction importante de charges sociales et de réaliser des bénéfices plus importants, les licenciements ne reposent pas sur une cause réelle et sérieuse (Cass. soc.,10 mai 2000, n° 98-41.066 D, Dedies c/Bertrand) ;
- La réduction des coûts salariaux sans nécessité économique ne peut fonder un licenciement qui ne peut reposer que sur la sauvegarde, et non l’amélioration, de la compétitivité (Cass. soc., 1er décembre 1999, n° 98-42.746 P, SA Miko c/Schaffer).

Ces multiples exemples nous démontrent que d’une part le droit s’est déjà saisi de la question et que d’autre part son traitement médiatique n’a pas grand-chose à voir avec les réalités juridiques : les licenciements boursiers sont bel et bien, et depuis longtemps, illicites.

24/06/2008

De l'art de prévoir l'avenir

On connaît le mot de Pierre Dac : « La prévision est difficile surtout quand elle concerne l’avenir ». Pourtant, l’injonction de prévision se décline à tous les étages de nos systèmes d’emploi et de formation. Le demandeur d’emploi : tenu d’avoir un projet professionnel définissant les emplois qu’il est prêt à accepter, sinon radié. Le salarié : doit décliner ses souhaits d’évolution dans le cadre de son entretien professionnel, sinon sa passivité pourra lui être reprochée comme un manque d’initiative sur son employabilité. L’entreprise : a l’obligation de faire de la GPEC au niveau collectif en négociant et/ou en présentant ses perspectives d’évolution des activités et de l’emploi au comité d’entreprise, mais également au niveau individuel en livrant au salarié son propre diagnostic sur l’évolution de son emploi ou de sa situation dans le cadre de l’entretien professionnel. A défaut, elle ne pourra mettre en cause l’emploi des salariés ou leur compétence.

 

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Chirico - Portrait prémonitoire de Guillaume Apollinaire
(Peint en 1914, ce tableau  présente la silhouette de Guillaume Apollinaire avec un cercle sur le tempe, endroit où le poète recevra un éclat d'obus le 17 mars 1916. Le visage à l'avant du tableau est celui de Chirico lui-même, avec des lunettes noires comme si le peintre ne voulait voir, ou assumer la responsabilité, de sa prémonition) 

Le droit du travail connaît donc une frénésie prévisionnelle qu’il ne craint pas d’assortir de sanctions. Injonction paradoxale à une époque où toutes les évolutions se produisent à un rythme toujours plus rapide et dans lequel la prévision peut relever, au choix, de la prédiction ou de la galéjade mais sans doute pas d’une rationalité scientifique. Qui avait prévu la crise des subprimes, le pétrole à plus de 150 euros, les pénuries alimentaires dans un monde en surproduction agricole, etc.

Bien évidemment, entre le gosplan (en russe Госплан, abréviation de Государственный комитет по планированию ou comité étatique pour la planification) et le demain n’est pas écrit, il existe sans doute une ligne d’horizon réaliste ne relevant pas du mirage et qui peut constituer un repère pour l’avenir.

Mais constatons que plus l’avenir nous échappe et plus nous nous contraignons à essayer de le prédéterminer, que le droit du travail n’échappe pas à cette tentation et que plus que d'aléatoires prévisions c’est sans doute la capacité de réactivité qu’il importe de développer.

 

23/06/2008

Le champ du négociable

Peut-on se fier à une convention collective ? non nous répond la Cour de cassation à l'occasion d'un litige relatif à une clause de non-concurence (Cass. soc., 4 juin 2008, n° 04-40.609).

Il s'agit en l'espèce d'un salarié licencié pour faute grave qui demande à bénéficier de l'indemnité de non-concurrence prévue par son contrat de travail. L'employeur la lui refuse conformément à la convention collective qui prévoit que l'indemnité n'est pas due en cas de faute grave. La Cour de cassation censure la décision de la Cour d'appel qui avait donné raison à l'employeur : la clause de non-concurrence doit obligatoirement faire l'objet d'une contrepartie financière versée après le contrat et la négociation collective ne peut remettre en cause ce principe. Le champ du négociable n'est pas ouvert sans limite.

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Van Gogh - Champ à Auvers
 
 Cet arrêt a le mérite de nous rappeler qu'une convention collective, et plus encore un accord collectif conclu au niveau de l'entreprise ou un contrat de travail, peut comporter des clauses qui, étant contraires à la loi ne sont pas applicables. Et ce en dépit du contrôle de légalité réalisé par le ministère du travail avant l'extension de la convention collective : nul n'est infaillible et au final la vérité appartient au juge et non à l'administration.  Chacune des parties à la négociation doit avoir en tête que le champ du négociable reste bordé par les règles d'ordre public et que si l'on peut se sentir engagé par ce que l'on signe, en réalité on ne l'est pas toujours. 

 

20/06/2008

Heures de délégation : le temps libre

La Cour de cassation, présidée pour l'occasion par une Toulousaine, vient de réaffirmer un principe absolu : il appartient aux représentants du personnel de déterminer librement le moment où ils bénéficient de leur crédit d'heures. L'employeur n'a pas à s'immiscer dans le choix du représentant du personnel qui est libre d'utiliser son temps comme bon lui semble. En fait, ce sont deux principes qui ont été rappelés :

- le représentant du personnel peut librement déterminer le moment auquel il prend ses heures de délégation, indépendamment des plages de temps que lui octroit l'enreprise ;

- lorsque des heures liées au mandat sont effectuées en dehors du temps de travail à l'initiative de l'employeur, elles donnent lieu à paiement majoré comme des heures supplémentaires (Cass. Soc. 11 juin 2008, T 07-40.823/1134, Sté DPSA Ile de France c/ M. Mathieu K., F-P+B)  

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Chirico - L'énigme de l'heure 
 
En l'espèce, il s'agissait d'un représentant du personnel travaillant la nuit et prenant fréquemment ses heures de délégation de jour. L'employeur, soucieux de sa masse salariale, établissait des plannings d'activité incluant des absences dans les horaires de nuit pour tenir compte des heures de délégation. Impossible nous dit la Cour suprême : l'employeur ne peut se substituer au représentant du personnel pour fixer la prise des heures de délégations et doit prendre acte du moment où il décide d'utiliser son crédit d'heures. Si le représentant du personnel ne peut prendre ses heures en dehors du temps de travail que dans l'intérêt du mandat, celui-ci est largement entendu et recouvre la possibilité pour un travailleur de nuit de prendre des heures en dehors de ses heures de travail. D'une manière plus générale, les tribunaux sont très réticents à fixer des limites à la liberté d'utilisation des heures de délégation. On a ainsi vu des refus de considérer qu'est une pratique abusive le fait de prendre les heures de délégation tous les vendredi après-midi ou lundi matin, ou encore de prendre 1 heure de délégation systématiquement tous les matins à l'heure où se fait la répartition du travail. Le principe de liberté dans l'utilisation du temps de délégation est donc très largement affirmé, et confirmé une nouvelle fois par la décision du 11 juin.
 
Sur la seconde partie de la décision,  la Cour de cassation rappelle que lorsque le représentant du personnel doit prendre ses heures en dehors du temps de travail du fait de l'employeur, les heures doivent lui être payées en heures supplémentaires. Il en est ainsi lorsque l'employeur fixe les réunions du CHSCT en dehors des plages d'activité des membres désignés de cette instance.
 
En pièce jointe, l'intégralité de la décision de la Cour de cassation. 
 

 
 

 

16/06/2008

Défaut de cohérence

Deux dispositions législatives nouvelles sont en voie d’être adoptées. La première concerne la rupture conventionnelle du contrat de travail (voir chronique du 13 juin 2008) et la seconde l’offre raisonnable d’emploi (voir chronique du 23 mai 2008). Or ces deux textes recèlent une contradiction majeure sur la nature du régime d’assurance chômage qui peut faire douter des capacités de discernement et de cohérence de nos députés.

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Jérome Bosch - Extraction de la pierre de folie 

 

Avec le nouveau régime de la rupture conventionnelle du contrat de travail, les partenaires sociaux et le législateur à leur suite, ouvrent à un salarié qui quitte volontairement l’entreprise un droit à bénéficier de l’assurance chômage. Cet accès volontaire à l’indemnisation démontre que l’assurance chômage ne vise pas simplement à couvrir un risque, la perte involontaire d’emploi, mais permet à un salarié de bénéficier de prestations en contrepartie de ses cotisations. On se rapproche du régime de la retraite : toute cotisation ouvre un droit à prestation. Certains diraient qu’il s’agit de salaire différé.

Avec le régime de l’offre raisonnable d’emploi, au contraire, le législateur considère que le fait de ne pas accepter d’occuper un emploi doit conduire à la suppression de l’indemnisation. Ici, le régime d’assurance chômage est exclusivement considéré dans sa dimension assurantielle : si  je participe au sinistre, je perds le droit à indemnisation.

Il faut bien avouer que ces deux conceptions ne sont guère compatibles et qu’il faudra expliquer au chômeur à qui l’on retire son indemnisation parce qu’il a refusé un emploi à une heure de son domicile pourquoi on indemnise le salarié qui part volontairement de son entreprise avec en prime une indemnité exonérée d’impôt et de cotisation. Trouver de la cohérence à ce qui n’en a guère ne sera pas exercice facile.

13/06/2008

La rupture conventionnelle : un faux-ami ?

La loi sur la modernisation du marché du travail rénove le régime de la rupture conventionnelle. Jusque-là, ce mode de rupture dont le code du travail ne prévoyait pas précisément le régime, était assimilé à une démission quant à ses conséquences : le salarié donnant son accord pour quitter l'entreprise, il n'avait pas droit à percevoir une indemnité et n'était pas pris en charge par l'assurance-chômage. De ce fait, mais aussi souvent pour éviter des licenciements économiques ou pour contourner les régles restrictives en matière de mise à la retraite, on a vu proliférer ces dernières années les "faux" licenciements avec transaction à la clé pour permettre au salarié de percevoir une indemnité exonérée de charges et d'impôts et de percevoir l'assurance chômage.

Conscients de ces dérives, les partenaires sociaux ont négocié un nouveau régime de rupture destiné à donner un cadre juridique adapté à ces pratiques illicites. Comme pour la période d'essai (voir chronique précédente) il s'agit d'éviter l'illégalité en tenant compte des pratiques et en faisant évoluer le droit pour redonner un cadre légal. L'intention est louable et les employeurs ont d'autant plus consenti à la négociation qu'ils considèrent que la rupture conventionnelle clôt de meilleure manière le litige que la transaction, ce qui est vrai : alors que les juges remettent en cause la transaction de plus en plus souvent, notamment si le salarié démontre que des négociations ont précédé le licenciement, il sera très difficile de remettre en cause une rupture conventionnelle établie selon un process qui offre des garanties pour le salarié et l'imprimatur de l'administration. 

Toutefois, à l'usage, cette nouvelle rupture conventionnelle pourrait se révéler pour les entreprises et les salariés un faux-ami.

 

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Au rendez-vous des amis - Max Ernst - 1922
 
Faux-ami pour les entreprises d'abord : avec le nouveau régime très favorable de la rupture conventionnelle, quel salarié va continuer à démissionner, sauf s'il est en partance pour une opportunité plus favorable (et encore). L'intérêt sera d'amener l'entreprise à la négociation. Combien de salariés, par ailleurs, vont saisir l'occasion de cette nouvelle rupture pour proposer à l'entreprise de négocier sur leurs départs. D'autant que si la loi fixe un plancher d'indemnité de départ, l'indemnité légale de licenciement, il n'y a pas de plafond et les limites d'exonération sont fixées très haut (2 ans de salaire). Le risque pour l'entreprise est de se retrouver à gérer ....des files d'attente de salariés qui souhaitent partir et qui vont voir-là une opportunité d'autant plus intéressante que le chantage à la productivité (baisse maîtrisée des activités...) devrait faire son apparition.

Faux-ami pour les salariés ensuite car la tentation risque d'être forte, notamment en cas de besoin de capital, d'essayer de négocier un départ avec l'entreprise dans de bonnes conditions....sans prendre en considération le fait que l'accès à l'emploi se fait plus facilement depuis un autre emploi que depuis le chômage et que la prime immédiate est parfois un chèque sur l'avenir.
 

Avant de se précipiter sur la mesure, il est donc important de prendre le temps de la réflexion et de déterminer quels objectifs l'entreprise va poursuivre sur ce dispositif nouveau  qui va nécessiter un temps d'appropriation. Dans cette réflexion, il faudra prendre en compte le taux de turn-over souhaité, le message que tout départ peut s'acheter, l'effet de prolifération, etc. Décidément, il n'est vraiment pas évident que la vie des DRH s'en trouve simplifiée.

En pièce jointe, les nouvelles dispositions du Code du travail avec les commentaires :
 
La Rupture Conventionnelle.doc
 

 

 

12/06/2008

L'essai transformé

Le dilemne est toujours le même : faut-il tenir compte des fraudes et faire des textes spécifiques pour tenter de les éviter ou bien faut-il s'en tenir aux textes généraux et les faire respecter ?

Les partenaires sociaux ont choisi, dans l'ANI du 11 janvier 2008 la première hypothèse. Constatant que 30 % environ des CDD et contrats d'intérim sont des contrats de pré-recrutement, illicites il va sans dire, les organisations patronales et syndicales ont décidé d'augmenter la durée des périodes d'essai pour favoriser le recours direct au CDI. 

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Les Essais de Michel de Montaigne - 1595 (édition posthume)
 
Le pari du CDI sera-t-il gagné ? à voir. Dans l'attente, le régime de la période d'essai se trouve largement modifié. En pièce jointe, les nouvelles dispositions commentées de la partie du nouveau code du travail consacréé à la période d'essai. L'avenir nous dira si cet essai est véritablement transformé.
 
 

11/06/2008

Le CHSCT, nouvel épouvantail des DRH ?

Le CHSCT deviendrait-il le cauchemar des employeurs ? plusieurs décisions de la Cour de cassation prises ces derniers mois témoignent de la montée en puissance de cette instance, trop souvent déconsidérée dans l'esprit des représentants du personnel eux-mêmes et des employeurs.

Dans la première affaire, la Cour de cassation indique : "Ayant relevé que les modalités et les enjeux de l'entretien étaient manifestement de nature à générer une pression psychologique entraînant des répercussions sur les conditions de travail, la cour d'appel a exactement décidé que le projet de l'employeur devait être soumis à la consultation du CHSCT" (Cass. soc., 28 novembre 2007, n° 06-21.964). Doit donc être soumis pour consultation au CHSCT, avant la consultation du comité d'entreprise qui est  également obligatoire, un projet d'entretien d'appréciation qui  débouche sur des décisions en matière de rémunération ou d'appréciation de la compétence professionnelle pouvant donner lieu à prise de décisions individuelles. 

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Epouvantail en Andalousie. Photo Rosa Dausset
(revue Supérieur inconnu N°1, 1995)
 

Dans la deuxième affaire, la Cour de cassation considère que "L’obligation de sécurité de résultat à laquelle est soumise l’entreprise, lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs. Elle lui est interdit, dans l'exercice de son pouvoir de direction, de prendre des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés (Cass. soc., 5 mars 2008, n° 06-45.888). Un CHSCT peut ainsi demander au juge de bloquer un projet de réorganisation pouvant avoir des impacts négatifs sur la santé des salariés.

Dans le droit fil de l'extension du champ de la santé au travail, les pouvoirs du CHSCT s'étendent donc à de multiples secteurs : lieux de travail, matériels et produits utilisés par les salariés, durée et organisation du travail, process et ergonomie des postes de travail, organisation du travail,  management et climat social, relations clients, etc.  Nous sommes loin de l'ancienne approche étroite de l'hygiène et de la sécurité envisagée quasi-exclusivement du point de vue des risques corporels immédiats.

Les DRH découvrent ainsi que le CHSCT dispose souvent de leviers d'action plus efficaces et plus nombreux que le comité d'entreprise lui-même. Le CHSCT sera un véritable épouvantail lorsque les membres du CHSCT eux-mêmes l'auront eux aussi découvert. 

03/06/2008

Modifier la qualification ou modifier les fonctions

Une salariée initialement embauchée en qualité d'assistante de direction a pris en charge la création du centre de documentation interne. A la suite de l'informatisation de son poste et de l'embauche d'un informaticien pour exercer les fonctions qu'elle occupait l'employeur lui a proposé de retrouver son ancien poste d'assistante. Devant le refus de la salariée, l'employeur la licencie pour faute grave.

Les juges du fond ont considéré que le licenciement était fondé sur une cause réelle, le changement de service ne constituant pas une rétrogradation, le contrat de travail de la salariée n'étant pas modifié aussi bien du point de vue statutaire que du lieu d'exercice de son activité ou de sa rémunération. Décision que censure la Cour de cassation qui retient qu'il appartenait aux juges de rechercher si le changement de fonction imposé à la salariée n'entrainait pas une diminution de ses responsabilités et l'accomplissement de tâches inférieures à sa qualification (Cass. soc., 18 avril 2008, n° 07-41.222).

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Yun - Refus (photographie retravaillée)
 
 L'analyse des juges est en fait la suivante : toute modification de la qualification d'un salarié est une modification du contrat de travail. Le passage du poste d'assistante de direction à celui de responsable du centre de documentation est une modification du contrat. Cette modification n'a pas été formalisée mais peu importe, une modification tacite est valable si elle est favorable au salarié. Lorsque l'entreprise demande à la salariée de reprendre ses anciennes fonctions, il s'agit de nouveau d'une modification de la qualification professionnelle. Peu importe que le salaire et le lieu de travail ne soient pas, eux, modifiés. Dès lors la salarié peut refuser ce retour arrière en estimant qu'il est moins favorable. Dans un tel cas, le licenciement ne peut avoir lieu pour faute, tout au plus pour la raison qui a conduit à proposer la modification mais jamais pour cause de refus de cette modification.
 

28/05/2008

Les trois piliers du harcèlement

Comme on le sait, le droit c'est avant tout des qualifications et des définitions. La décision de la Cour de cassation rendu le 8 avril 2008 en matière de harcèlement moral nous fournit l'occasion de le vérifier en identifiant les trois conditions pour que le harcèlement soit caractérisé. En l'occurence, les salariés avaient été victimes d'une mise au placard (retrait d'attributions, rétrogradation, puis privation d'activité avec disparition de l'organigramme), à l'origine d'une dégradation sévère de leurs conditions de travail et d'un syndrome anxio-dépressif. Est donc justifiée, la condamnation pénale de l'auteur des faits (Cass. crim., 8 avril 2008, n° 07-86.872). 
 
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Edvard Munch - Vampire - 1894
 
L'article 1152-1 du Code du travail définit le harcèlement moral comme des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Trois éléments sont donc nécessaires pour que le harcèlement moral soit constitué : des agissements répétés (mise au placard, retrait de missions, etc.), une dégradation des conditions de travail (qui résulte de "l'effacement professionnel" organisé par l'auteur des faits) et un impact sur les droits, la dignité, la santé ou l'avenir professionnel (ici un constat d'une dégradation de l'état de santé).
 
Il convient de rappeler ces trois éléments afin que toute situation de conflit ou de difficulté ou simplement d'exercice de la fonction manageriale ne soit pas trop rapidement assimilée à du harcèlement, ce qui permettra d'autant mieux de sanctionner les situations qui correspondent parfaitement à la définition légale.
 
 
 

14/05/2008

Ne pas former tue

 La protection de la santé des salariés fait l'objet d'une sévérité accrue de la part des tribunaux, notamment depuis 2002 et la réforme de la législation relative à la santé au travail. 

La responsabilité de l'entreprise  peut être engagée, en cas d'accident du travail ou de maladie professionnelle,  soit au plan civil soit au plan pénal notamment lorsque l'accident est grave a fortiori lorsqu'il est mortel.

 

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 La cour de cassation, dans un arrêt en date du 15 janvier 2008 rappelle la responsabilité de l'employeur en ces termes : 

"La cour d'appel qui relève notamment, au titre des manquements à l'origine de l'accident, que la notice d'utilisation que la prévenue reconnaissait avoir eu en sa possession soulignait la nécessité impérieuse, pour le conducteur de la nacelle, d'une formation à la sécurité spécifique à ce type de matériel, et que la victime de l'accident n'avait pas bénéficié de la formation qui lui aurait permis de se rendre compte du péril qu'il y avait à déplacer la nacelle en tournant le dos au sens de marche de l'engin, comme elle l'avait fait, et à remplacer « au pied levé », avec l'autorisation de son employeur, le salarié devant lui apporter, aide et assistance par un parent, intérimaire électricien, dont le concours avait été inadapté, a justifié sa décision (condamnation pour homicide involontaire)." (Cass. crim., 15 janvier 2008, n° 07-80.500).

Si la formation n'est pas le seul moyen de prévention des risques, elle en constitue un des moyens privilégiés. Rappelons qu'une partie des activités de formation de l'entreprise doit constituer une réponse au diagnostic en matière de santé qu'est le document unique d'évaluation des risques professionnels. A défaut, la responsabilité de l'entreprise en cas d'accident sera quasi-systématiquement retenue. 

02/05/2008

Comment faire du droit ?

 Pour illustrer la chronique du jour, un cavalier bleu, qui traverse la campagne au galop. La lumière semble matinale : a-t-il aperçu de nouveaux horizons, de nouveaux chemins qui justifient la cavalcade ?

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Kandinsky - Le cavalier bleu - 1903  
 

Laissons un instant le cavalier à sa course et poursuivons la chronique du jour. Le nouveau Code du travail est donc arrivé. Mais pour pouvoir l'utiliser il faut faire du droit. Comme toute discipline le droit a ses méthodes, ou plutôt sa méthode puisqu'il n'y a qu'une seule manière de faire du droit. Cette méthode tient en quatre étapes :

- l'analyse des faits ;

Et non, faire du droit ce n'est pas se précipiter dans les textes pour chercher où peut bien se trouver la réponse à la question que l'on se pose. C'est d'abord répondre à la question : de quoi s'agit-il ? quels sont les faits caractéristiques de la situation que l'on souhaite traiter. A quoi peut se réduire la situation ? on l'aura compris, il s'agit d'analyser, de synthétiser et de caractériser. S'agissant de droit ou privilégiera les faits matériellement incontestables.

- la qualification ;

Opération de base du travail juridique. Le droit ne connaît pas la réalité et il ne l'appréhende qu'à travers des catégories ou qualifications dans lesquelles il est nécessaire de faire entrer les situations. Par exemple : pour rompre un contrat de travail pourra utiliser le licenciement, la démission, la rupture négociée, la mise à la retraite, etc. Pour faire évoluer la situation du salarié, deux qualifications possibles seulement : la modification du contrat ou la modification des conditions de travail. Etc. Toute situation entre nécessairement dans une qualification : il faut s'y faire le droit à réponse à tout. La preuve en est qu'aucun juge prud'homal ne refusera de juger en expliquant qu'aucun texte ne correspond à la situation. Si c'est le cas, il trouvera la qualification adéquate. Par exemple : pas d'internet dans les règles sociales ? on applique le droit de la correspondance privée. Le vide juridique, contrairement aux idées reçus, n'existe pas.

Pour cette deuxième étape de la méthode juridique, trois questions : quelles sont les qualifications possibles (ici il s'agit d'identifier leur liste exhaustive), à quoi correspond chaque qualification (qu'est-ce que c'est ?), quels en sont les indicateurs opérationnels (à quoi on la reconnaît ?). Par exemple : qu'est-ce que la modification du contrat de travail, à quoi la reconnaît-on ? ce qui permet ensuite de savoir si la situation de départ peut ou non entrer dans la qualification.

- le choix de la qualification ;

Ce choix peut avoir une double nature : il peut s'agir de choisir entre deux qualification qui pourraient toutes deux s'appliquer. Par exemple un salarié qui quitte l'entreprise pour prendre un emploi ailleurs sans prévenir l'employeur est à la fois démissionnaire et auteur d'une faute qui justifie un licenciement. Que vaut-il mieux ? prendre acte de la démission ou licencier pour faute grave ? le choix n'est pas qu'une affaire juridique. Il s'agit de peser, à tous points de vue, les avantages et inconvénients que l'on tirera de la situation. La seconde nature du choix est que la balance avantage/inconvénient peut parfois faire préférer la solution la moins assurée juridiquement, voire la solution qui n'est pas conforme au plan juridique mais qui va offrir plus d'intérêts que de désagréments pour des risques que l'on estime non rédhibitoires. Le droit n'est pas une science exacte qui conduit vers la bonne réponse : c'est une champ de liberté, et donc de responsabilité, qui exige de faire des choix.

- l'application de la règle correspondant à la situation ;

Cette dernière étape pourrait sembler la plus aisée. Il n'en est rien. Le droit étant de la littérature, la lecture de la règle, son interprétation et sa mise en oeuvre peuvent laisser place à des incertitudes que seul le juge est à même de lever. Faisons un raccourci : en droit du travail l'employeur a toujours raison dans sa manière d'appliquer la règle...jusqu'à ce qu'un juge lui dise qu'il a tort. Et si l'on prend la précaution de s'inquiéter de la position du juge par une analyse minutieuse de la jurisprudence, la faculté de celle-ci à opérer des revirements inattendus ne nous permettra pas de nous sécuriser à 100 %. Acceptons le, le droit ne nous offre que rarement des garanties totales en cas ce contentieux. Et le juge ne jugeant que des cas particuliers, le revirement ne lui posera guère de problème de conscience.

En conclusion nous constatons : que le droit a réponse à tout mais que l'on n'est sur de rien en choisissant une manière d'interpréter et d'appliquer les textes. Mais qu'il n'y aura que le juge pour dire, au final, si l'on avait tort ou raison.

Tout juriste doit respecter les quatre étapes ci-dessus pour garantir son raisonnement. Tout non juriste prendra soin de questionner l'expert sur cette base. Ne jamais demander : que dois-je faire ? mais toujours aller jusqu'aux 4 questions : comment caractériser la situation ? quelles qualifications envisageables ? quelle qualification conseillée et pourquoi ? quelle règle à appliquer avec quels risques d'interprétation différente en cas de contentieux ?

 Une fois la méthode acquise revenons au cavalier bleu de kandinsky : ce dernier était juriste. Il a donc du appliquer la méthode juridique  à de nombreuses reprises. En conclueriez-vous que, tel le cavalier bleu apercevant des horizons nouveaux, Kandinsky s'est détourné de sa carrière juridique pour emprunter les chemins de l'abstraction en peinture ? ou plutôt qu'il est possible de retrouver des éléments de la méthode dans le tableau ci-desous et que Kandinsky n'a pas totalement oublié sa culture de base  ?

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Kandinsky - Jaune rouge bleu - 1925 
 
Si l'on peut penser que dans ce tableau le soleil à rendez-vous avec la lune, il est aussi permis d'y voir avec la même rigueur que la méthode juridique, la démonstration que la peinture a réponse à tout, qu'elle peut être interprété de multiples manières et que le peintre a toujours raison...jusqu'à ce qu'un exégète lui démontre ce que lui même n'avait pas vu. Comme pour le droit, le risque est toujours présent. 

 

01/05/2008

Nul n'est censé ignorer le nouveau code du travail

Etait-ce du second degré ? décider de l'entrée  en vigueur du nouveau code du travail en ce 1er mai de défilés unitaires et d'anniversaire de mai 68 manifeste peut être la volonté du législateur de démontrer ce qui n'est pas une évidence, à savoir qu'il peut avoir de l'humour.

Ne cherchons pas trop loin, la date initiale était plus précoce, et la date du 1er mai tient surtout au retard pris. Toujours est-il qu'en ce premier mai les 16 Millions de salariés du secteur privé sont dotés d'un code tout neuf, entièrement réécrit mais, nous dit-on, à droit constant.

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L'édition 2008, la 70ème pour Dalloz, est, comme le printemps et la végétation, en retard.
 
Dissipons immédiatement un malentendu : le droit étant de la littérature, il ne peut y avoir de réécriture à droit constant. La forme impacte nécessairement le fond. Le nouveau code aura donc des incidences sur l'application du droit et les magistrats ne pourront pas longtemps aller chercher dans le code ancien les dispositions y figurant pour être certains que la nouvelle version est bien du droit constant. Un tel mode de raisonnement reviendrait à appliquer deux codes. Or il n'en existe plus qu'un, réécrit.
 
Le travail de réécriture, s'il présente sans doute des défauts ou des choix discutables, s'il a fait passer sans autre forme de procès plusieurs dizaines de dispositions de la loi au règlement, ce qui permet au Gouvernement de modifier des règles sans passer par le Parlement, s'il peut susciter le doute sur certaines simplifications n'a manifestement pas été conduit avec une intention maligne dissimulée derrière un prétendu travail de simplification. La bonne foi a largement présidé aux travaux auxquels les syndicats ont été associés même s'ils n'ont pas joué dans la réécriture le premier rôle.
 
Par contre, la réécriture intégrale, le nouveau découpage du code, le passage à des articles à 4 chiffres, etc. perturbent l'expertise du juriste qui doit remettre l'ouvrage sur le métier, mais on doute que cela lui soit nocif. Et puis, le nouveau code étant plus facile à appréhender pour le néophyte, même s'il ne faut rien exagérer quant à sa lisibilité, il peut contribuer à un meilleur dialogue entre spécialiste et béotien.
 
De l'avis général toutefois, il faudra de longues années pour que l'on prenne toute la mesure de ces nouvelles tables de la loi, au fur et à mesure que leurs dispositions seront invoquées devant les tribunaux. Faut-il moins de temps pour appréhender totalement les tables de la loi que nous fournit René Magritte ?
 
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Magritte - Les tables de la loi - 1966 
 

 

21/04/2008

Surveiller et punir

Par deux décisions du 18 mars 2008, la Cour de cassation a précisé les conditions dans lesquelles l’entreprise peut contrôler l’activité des salariés.

Dans la première affaire, il s’agissait d’un salarié d’EDF soupçonné par son employeur de travailler dans le restaurant de son épouse pendant ses heures de service. L’employeur a demandé à des cadres de l’entreprise d’aller déjeuner dans le restaurant en question et de prendre des photos du salarié fautif. Le licenciement qui s’en suit est injustifié : les salariés ont agi sans faire connaître leur qualité et ont procédé à un contrôle dissimulé donc illicite. L’entreprise aurait du envoyer un huissier qui, après avoir décliné sa qualité, aurait pu constater que le salarié participait à l’activité du restaurant.

En effet, le recours à un huissier ne constitue pas un moyen de surveillance et ne nécessite pas l'information préalable du salarié (Cass. Soc., 10 octobre 2007). Il est donc possible de demander à un huissier de contrôler l’activité d’un chauffeur-livreur qui effectue des livraisons sans facture, sans informer le salarié au préalable de l’intervention de l’huissier.

Si l’entreprise a recours à un huissier, et c’est la deuxième décision du 18 mars 2008, celui-ci doit agir dans le strict cadre de ses fonctions et ne pas mettre en œuvre de stratagème. En l’occurrence, pour  confondre une vendeuse suspectée de prélever des fonds sur les achats réglés en liquide, l’huissier a demandé à plusieurs personnes de procéder, dans la  journée, à des achats payés en espèces, avant de venir contrôler la caisse le soir après la fermeture. La Cour de cassation invalide le licenciement pour faute grave de la vendeuse : l’huissier doit s’en tenir à des constats matériels et ne peut organiser des situations à l’insu du salarié.

 

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Jeremy Bentham - Le panopticum - Projet pour une surveillance permanente dans les prisons
 

On rappellera qu’en matière de surveillance, le Code du travail impose l’information préalable du salarié sur les moyens de surveillance et de recueil des données (C. trav., art. L. 121-7 et L. 121-8). Trois dispositifs n’entrent pas dans cette obligation :

-        -  Le contrôle hiérarchique n’a pas à faire l’objet d’information préalable ;

-        - La vérification de relevés téléphoniques, ou la traçabilité des connexions du salarié, contrairement à l’enregistrement des conversations, n’est pas un système de surveillance nécessitant une information préalable  (Cass. Soc., 20 janvier 2008) ;

-      - Les systèmes de surveillance vidéo qui ont pour objet la sécurité générale et non la surveillance des salariés et qui peuvent être utilisés comme mode de preuve à l’encontre des salariés (Cass. Soc., 19 avril 2005).

EnEnfin, notons que la CNIL assimile la géolocalisation permanente à une filature illicite, et que les moyens de contrôle à distance de l'activité des salariés doivent être proportionnés à l'objectif recherché. 

 

 

17/04/2008

Forfait jours, toujours

Le forfait en jours n'en finit plus de mobiliser les juges : deux décisions rendues le 26 mars 2008 viennent encore le rappeler.

 Dans la première affaire, l'entreprise a directement appliqué un accord collectif à des salariés pour les placer d'office en régime de forfait en jours, sans leur faire conclure un avenant au contrat de travail. Le forfait dans ces conditions n'est pas valide et le salarié peut demander des heures supplémentaires ( Cass, soc., 26 mars 2008, n° 06-45.999 FS-PBR).

Dans la seconde affaire, l'entreprise a conclu une convention de forfait en jours avec un cadre technique, alors que l'accord n'incluait pas cette catégorie dans les salariés pouvant signer des conventions de forfait en jours : impossible donc d'appliquer ce régime au salarié malgré son accord Cass, soc., 26 mars 2008, n° 06-45.999 FS-PBR).

Les enjeux financiers étant très  important, on rappelle une nouvelle fois les conditions du forfait en jour :

- qu'un accord collectif ait défini les catégories de salarié concernées ;

- que l'accord collectif ait prévu les modalités de suivi de la charge de travail des salariés (et que ces modalités soient appliquées) ;

- qu'une convention individuelle soit conclue avec le salarié ;

- que l'autonomie du salarié dans l'organisation de son temps de travail soit effective.

 

Si l'une de ces conditions vient à manquer, la remise en cause du forfait sera obtenue sans aucun problème par le salarié qui, se retrouvant en régime horaire sur la base de 35 heures semaines, peut commencer à faire le compte des heures supplémentaires qui devront lui être payées par l'entreprise.

 Si le forfait en jours simplifie la gestion du temps de travail, c'est à condition qu'il soit régulièrement conclu.

 

 

 

09/04/2008

Les déplacements habituels

La Cour de cassation a rendu le 12 mars 2008 un arrêt, non publié, concernant un litige entre l'AFPA et un formateur. Le salarié souhaitait que soient pris en compte en tant que travail effectif ses déplacements pour assurer des formations dans différents lieux. La demande du salarié était fondée sur le fait que ses déplacements correspondaient à un trajet supérieur à son trajet habituel pour se rendre de son domicile à son lieu de rattachement administratif. La Cour d'appel avait fait droit à la demande du salarié, suivant son argumentation. La Cour de cassation censure cette décision.

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Pierre Ducordeau - 1974 - Tableau en déplacement
 
 La réglementation sur les temps de déplacement a été modifiée par la loi Borloo du 18 janvier 2005. Suite à différentes décisions de la Cour de cassation reconnaissant que le temps de trajet d'un salarié pouvait constituer un temps de travail effectif, le législateur posa deux principes : 
- le temps de trajet domicile travail ne constitue pas du temps de travail effectif ;
- lorsque le temps de trajet du salarié pour se rendre sur son lieu de travail est supérieur à son temps de trajet habituel, le salarié doit bénéficier d'une contrepartie en temps ou en argent (C. trav., art. L. 212-4).
 
L'application de ce texte au formateur de l'AFPA conduit à une première conclusion : le temps de trajet en question ne peut constituer un temps de travail effectif. La question est de savoir s'il doit donner lieu à des contreparties ou non, au motif qu'il excède le  temps de trajet habituel.
 
Sur ce deuxième point, la Cour de cassation répond que la Cour d'appel doit rechercher si le temps passé à se rendre sur les différents lieux de travail constitue un temps de trajet supérieur au temps de trajet habituel. Ce faisant, la Cour invite les juges du fond à considérer que le trajet habituel n'est pas celui qui va du domicile au lieu de rattachement administratif mais celui qui va du domicile....au lieu, ou aux lieux, habituels de travail. La notion de lieu habituel doit donc s'entendre des lieux dans lesquels s'exercent régulièrement les fonctions. Et pour un formateur itinérant (qualification du salarié) il ne saurait s'agir d'un lieu fixe mais plutôt d'une zone géographique.  Le salarié est donc toujours dans son périmètre habituel de travail lorsqu'il se déplace pour réaliser les formations.
 
En généralisant cette solution, on peut conclure que lorsque les fonctions du salarié impliquent des déplacements fréquent sur une zone géographique, il n'a pas droit à une indemnisation particulière pour le temps passé à ces déplacements (du moins pour les départs et retours domicile). En effet, le déplacement faisant partie des fonctions, il est déjà pris en compte dans la rémunération.
 
Ce n'est donc que lors de trajets exceptionnels, non impliqués directement par les fonctions, que le droit à indemnisation est ouvert. Il en est ainsi, par exemple, d'un salarié qui travaille en un lieu unique et que l'entreprise envoie exceptionnellement en formation à 500 kms. Le temps passé à ce déplacement inhabituel doit faire l'objet d'une contrepartie en temps ou en argent. A l'évidence, tel n'est pas toujours le cas. 

 

 

07/04/2008

Le forfait, c'est la liberté

La décision est lapidaire et vient après quelques autres de même nature : "un régime de forfaits en jours ne peut être appliqué qu'aux cadres dont la durée du travail ne peut pas être prédéterminée et qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps ; dans ce cas, le cadre doit bénéficier d'une grande liberté dans l'organisation de son travail à l'intérieur du forfait en jours" (Cass. soc., 31 octobre 2007, SARL Blue Green Villenne c/Loustaud).

Difficile de faire plus direct : soit l'on choisit le forfait et sa souplesse et la contrepartie est l'autonomie du salarié, soit on choisit la prescription et le contrôle du temps et on respecte la rigidité des horaires de travail. Mais on ne peut cumuler forfait et prescription.

 

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Profitons en pour rappeler les trois conditions principales du forfait, que la Cour de cassation non seulement s'autorise mais se fait un plaisir de vérifier :
- les salariés concernés par la possibilité de conclure des conventions de forfait en jours doivent être identifiés dans un accord collectif ;
- le forfait en jours n'est possible que si le salarié est effectivement autonome dans l'organisation de son activité ;
- le forfait en jours doit faire l'objet d'un avenant au contrat de travail signé entre le salarié et l'entreprise.
 
Si l'une de ces conditions vient à manquer, le forfait en jours peut être remis en cause. Si tel est le cas, le salarié est considéré comme travaillant 35 heures par semaine. On voit le résultat : tout salarié au forfait travaillant 8 à 10 heures par jour pourrait se voir octroyer quelques 400 à 500 heures supplémentaires par an, sur cinq ans. L'intérêt financier risquant de susciter quelques appétits, on ne saurait trop conseiller aux entreprises de sécuriser le recours au forfait et d'en respecter le régime une fois qu'il est instauré. L'autonomie, joli mot non ?
 

 

01/04/2008

Qu'est-ce qu'être compétent ?

Le droit du travail sait évaluer de manière très précise la compétence professionnelle du salarié. L'approche juridique de la compétence part du princpe que la compétence ne peut s'observer directement, postulat partagé par de nombreux non-juristes qui travaillent sur la question des compétences, et qu'elle doit être appréhendée à travers les résultats de l'activité. Pour évaluer la compétence du salarié, il faut procéder à un quadruple contrôle : la performance, les moyens, le contexte et les ressources.

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La performance
 
L'employeur disposer du pouvoir de direction qui lui permet de prescrire les résultats attendus et les manière de faire (processus à respecter, modalités d'exercice de l'activité). La prescription de l'entreprise doit être possible au regard de la qualification du salarié. Elle doit être réaliste. L'entreprise est d'autant plus fondée à avoir des exigences qu'elle a effectivement prescrit clairement.
 
Les moyens
 
L'entreprise ne doit pas placer le salarié en position de ne pas pouvoir exécuter ce qui lui est demandé. Elle doit donc veiller à ce que les moyens en temps, en pouvoir de décision, en moyens financiers et humains, etc. soient cohérents avec la performance attendue.
 
L'environnement
 
Toute entreprise vit en milieu ouvert. La fluctuation des marchés, les évènements politiques, une nouvelle règlementation peuvent modifier considérablement le contexte entre le moment où la prescription a été passée et le moment où l'on évalue la performance. Difficile de reprocher à un voyagiste de moins vendre de voyages en Egypte dans la semaine qui suit des attentats contre des touristes.
 
Les ressources
 
Le droit distingue entre les capacités à priori, qui correspondent au capital de compétences du salarié tel qu'il résulte de ses expériences et formations, et la compétence effective qui se traduit par la capacité à agir dans un contexte donné en vue d'un résultat.  L'employeur a une obligation de gérer les compétences du salarié de manière anticipée. Il doit, notamment dans l'entretien professionnel, réaliser un diagnostic des compéteces du salarié au regard des missions qui lui sont confiées. En cas de besoin, le salarié doit être accompagné par des actions de formation ou de professionnalisation (tutorat, mise à disposition de ressources, modulation d'objectifs, prise progressive de fonction, temps d'adaptation laissé au salarié pour une nouvelle tâche, etc.). 
 
 
Avant de pouvoir reprocher une insuffisance professionnelle à un salarié, un défaut de performance ou un défaut de compétence, l'entreprise doit donc procéder à un quadruple contrôle :
- la performance attendue était-elle légitime et réaliste ? 
- l'entreprise a-t-elle fourni des moyens appropriés ?
- le contexte n'était-il pas empêchant ?
- le diagnostic sur les capacités du salarié a-t-il été fait et, le cas échéant, le salarié a-t-il été formé ou accompagné ?
 
Ce n'est qu'après avoir fait ces quatre contrôles que l'entreprise peut véritablement se prononcer sur la compétence du salarié. A défaut, sa décision, qu'il s'agisse d'un licenciement, d'un refus de bonus, d'une baisse de la rémunération variable, d'un refus d'évolution, etc. pourra être contestée juridiquement.
 
Ce que le droit nous apprend ici, c'est qu'il ne peut y avoir d'évaluation du salarié sans une évaluation de l'organisation. 

31/03/2008

Le droit frein aux licenciements ?

La négociation sur la modernisation du marché du travail repose en grande partie sur le rôle du droit du travail dans la gestion de l’emploi. Trop de droit tuerait l’emploi selon les confédérations patronales, pas assez de droit affaiblirait le salarié et l’emploi selon les organisations syndicales. D’où le donnant-donnant : plus de facilités pour rompre le contrat de travail contre plus de droits pendant et après le contrat. C’est en partie sur cet équilibre qu’a été construit l’accord du 11 janvier 2008.

Il est tentant de confronter ces postulats à quelques réalités chiffrées. La dernière note sur le marché de l’emploi publiée par la DARES le 25 mars dernier, nous indique que le nombre d’inscriptions à l’ANPE suite à un licenciement pour motif économique est d’environ 14 500 par mois, alors que 50 000 inscriptions font suite à un licenciement pour motif personnel. Soit une moyenne annuelle de 200 000 licenciements économiques et 600 000 licenciements pour motif personnel. Sur une population active de 16 millions de salariés dans le secteur privé, on arrive à 5 % de salariés licenciés chaque année.

Encore faudrait-il pondérer ces chiffres bruts : nombre de licenciements ne donnent pas lieu à inscription à l’ANPE (préretraites, emploi retrouvé sans délai, dispense de recherche d’emploi par l’ANPE pour les salariés âgés qui sont exclus des statistiques, etc.). Mais même en s’en tenant aux chiffres bruts la thèse selon laquelle le droit empêcherait le licenciement ne correspond pas à la réalité observée.

Pour mieux comprendre les enjeux réels de la négociation, il faut se reporter au rapport  du Ministère de la Justice publié en octobre 2005 sur les conflits du travail. Basé sur une analyse exhaustive de l’activité des conseils de prud’homme,  il nous apprend que 2,5 % des licenciements économiques donnent lieu à contentieux contre 22,5 % des licenciements pour motif personnel. Soit environ 200 000 conflits du travail nouveau chaque année.

On comprend mieux au regard de ces chiffres, l’objectif poursuivi par l’accord du 11 janvier 2008 lorsqu’il créé la rupture conventionnelle homologuée : il s’agit non pas de rendre la séparation plus facile mais d’en sécuriser les conséquences juridiques. Sont visés à titre principal : les licenciements demandés par les salariés qui souhaitent quitter l’entreprise tout en bénéficiant de leurs droits sociaux et les séparations négociées transformées en licenciement avec transaction pour « désocialiser et défiscaliser » les sommes versées aux salariés.

Si l’accord du 11 janvier 2008, sur ce point doit être défendu, on aurait pu souhaiter que les vrais objectifs soient clairement annoncés en lieu et place de vieilles lunes qui ne résistent pas à l’examen de la réalité.

24/03/2008

Une évaluation qui laisse des traces

La généralisation des entretiens d'évaluation et/ou des entretiens professionnels introduit une traçabilité sur l'appréciation et plus globalement sur la gestion des compétences des salariés. Cette traçabilité est opposable à l'entreprise lorsqu'elle met en cause les capacités professionnelles du salarié.

Dans une décision récente, la Cour de cassation (Cass. soc., 20 févr. 2008, n° 06-40.085) relève qu'un entretien d'évaluation contenant des appréciations positives a été réalisé avec un salarié moins bien payé que ses collègues. Le salarié ayant présenté des demandes de réajustement de salaire à l'entreprise puis saisi les prud'hommes sur la base du principe à travail égal, salaire égal, l'entreprise a été sommée de justifier l'écart de rémunération avec les autres salariés. Elle a avancé que le salarié avait des difficultés à travailler en équipe et qu'il était d'une susceptibilité excessive. Argument irrecevable selon la Cour de cassation dans la mesure où aucune évaluation n'était intervenue postérieurement à l'évaluation élogieuse. L'écart de salaire n'étant justifié par aucun élément objectif, il devait être rattrapé.

Cette décision illustre la difficulté que peut avoir une entreprise en cas de contentieux lorsque le contenu des entretiens d'évaluation soit ne correspond pas à la réalité, soit n'a pas consigné précisément toute la réalité. La traçabilité générée par les processus d'entretiens individuels ne tolère donc aucune approximation, ce qui n'a rien d'évident si l'on se réfère aux modalités selon lesquelles ces entretiens sont parfois réalisés.