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19/12/2010

Exception culturelle

La France est le pays de Descartes, donc celui de la raison. Cette affirmation se vérifie devant les tribunaux chez qui la colère a mauvaise presse et l'insulte plus encore. Lorsqu'un salarié insulte son responsable ou un collègue, le juge considère systématiquement que le licenciement est justifié. Pas la peine d'argumenter que ce type d'insulte est courant dans le milieu, que l'on est en France et qu'un peu de gauloiserie n'est pas grave, ni même d'invoquer Nougaro ("on se traite de con à peine qu'on se traite..."), l'insulte est un comportement grave qui doit être sanctionné comme tel. L'insulte est d'ailleurs un comportement qui, si elle est répétée, constitue un fait de harcèlement. Rappelons nous que devant Salomon, ce n'est pas la mère qui crie sa colère à qui l'on donne raison mais celle qui garde son calme et propose de donner l'enfant pour qu'il soit sauvé. La colère est mauvaise conseillère, on connaît le proverbe ou, comme le dit Montaigne : "Il n'est passion qui ébranle tant la sincérité des jugements comme la colère".

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Nicolas Poussin - Le jugement de Salomon - 1649

Et puisqu'il est question de Montaigne, remarquons que 50 ans avant le "Vérité en deça des Pyrénées, erreur au-delà" de Pascal, il avait déjà fait le constat que les lois s'accordaient aux moeurs et aux lieux : "Quelle vérité est-ce que ces montagnes bordent, mensonge au monde qui se tient au-delà ?". Le tribunal supérieur de Madrid, après celui de Catalogne en 2009 qui avait pris une position similaire, considère qu'en ce contexte de crise et de tension sur l'emploi, le fait de traiter son chef de "Hijo de puta" est certes répréhensible, mais pas au point de justifier un licenciement. De même, le tribunal supérieur d'Andalousie n'a pas validé le licenciement d'un salarié qui bouscule son patron car il craignait d'être licencié. Comportement à replacer dans le contexte économique dont les excès pourraient en justifier d'autres ? exception culturelle dans un pays latin où les relations humaines peuvent aussi rapidement monter en température qu'elles redeviendront cordiales par la suite ?

Ayons dans tous les cas une pensée pour le difficile métier de juger qui consiste à tracer des frontières stables entre les situations, ce qui ne peut qu'aboutir au final à une perception d'injustice. L'insulté pourra s'étonner de devoir continuer à travailler avec l'insulteur, le licencié pourra s'offusquer que l'on mette sur le même plan un emploi et un revenu et un échauffement sans lendemain et compréhensible. Notre perception serait-elle la même suivant que nous serions l'un ou l'autre, juge en deçà des Pyrénées ou juge au-delà ?

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