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10/03/2015

Et vive le père Ubu !

Dans un Etat de droit digne de ce nom, le respect de la règle ne se discute pas. Si on la partage, la conviction s'ajoute à l'obligation. Si on la conteste, la respecter est la condition de sa critique. Mais si on se moque de la règle, alors l'arbitraire l'emporte et  souffle le vent qui balaiera toute les légitimités. Bien difficile après de reconstruire. C'est pourquoi il est un peu désespérant de voir comment, après le vote de chaque loi, l'administration s'empare unilatéralement de la règle pour en faire sa chose, au mépris parfois...de la règle elle-même. La nouvelle version du Questions/Réponses de l'administration relatif aux OPCA, qui est tout de même la troisième, ne peut donc que désoler ceux qui estiment qu'en ignorant délibérément la règle, quelles que soient les motivations, on traite, mal, des questions de court terme au détriment du moyen terme, et au final de ce que l'on est censé défendre. Ubu est donc de retour, si tant est qu'il ait un jour disparu. 

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Prenons quelques exemples : 

1) 12 OPCA envoient un argumentaire détaillé pour souligner l'illégalité, en l'état du droit, d'une collecte des contributions volontaires tous azimuts par les OPCA interprofessionnels. La DGEFP ne répond à aucun argument et ne change pas une virgule à son texte antérieur, qui tient de l'argumentaire de cour d'école. Au mépris de la règle s'ajoute celui des acteurs. 

2) Le Code du travail prévoit que les administrateurs peuvent voir leurs frais pris en charge. En version 1 il s'agit du Conseil d'administration. En version 2, les délégations régionales viennent s'ajouter. En version 3, toutes les instances paritaires fonctionnant au sein de l'OPCA sont concernées. La loi n'a pas changé, mais la manière de la lire a fluctué.

3) La loi prévoit que les entreprises peuvent conclure des accords de financement direct du CPF. Le propre d'un accord collectif est de créer des obligations pour les entreprises qui ont du sens dans le cadre de l'intérêt collectif. Le Q/R nous explique pourtant que cet article interdit (ce qu'il ne fait pas) à un accord de branche d'imposer un versement à l'OPCA dès lors que la branche considère que la gestion mutualisée du CPF est plus efficace. Au nom de quel principe cette possibilité dérogatoire aurait un caractère d'ordre public interdisant à un accord collectif de préférer l'intérêt général à l'intérêt particulier ? le Q/R n'en dit rien, se contentant de procéder par affirmation. 

Dans tous les cas, l'arbitraire prévaut, comme pour les réformes précédentes et comme, il est à craindre, pour les réformes à venir tant la partition est rejouée à chaque fois à l'identique. Ubu Rex Imperator !

16/12/2014

Arbitraire et fait du prince

On pourra me rétorquer que lorsque l'on vient du Sud, on est pas toujours au garde à vous devant les règles (d'une manière générale d'ailleurs, on est pas très porté sur le garde à vous...). On pourra me dire que dans ces chroniques même, l'orthodoxie n'est pas toujours au rendez-vous. Oui, on pourra toujours le dire. Mais en même temps, on peut également trouver que les positions que l'administration vient de prendre dans sa deuxième version du Question/Réponse consacré aux OPCA, c'est un peu fort de café. Et que, comme en des temps plus impériaux mais non moins impérieux, force reste à l'Etat mais pas forcément à l'Etat de droit. Entre l'empire et la world company, le doigt divin tient lieu de parole sacrée.

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De quoi s'agit-il ? de trois questions qui n'étaient pas tranchées dans le premier Questions/Réponses et qui le sont dans le second avec le plus parfait arbitraire :

- En premier lieu s'agissant de la possibilité pour une entreprise de faire un versement volontaire à un OPCA. Toute la loi du 5 mars 2014 et les décrets vont dans le sens de l'OPCA unique (pour les arguments détaillés, voir l'article sur les OPCA publié dans Droit Social de Décembre 2014 et sur ce blog). La DGEFP devait produire un argumentaire sur ce point, elle se contente d'une affirmation : le versement peut être fait à l'OPCA de branche ou à un OPCA interprofessionnel. Pourquoi ce privilège sauf considération politique ? nous n'en saurons rien ;

- Ensuite sur la possibilité pour un OPCA de financer les frais de déplacement des administrateurs, prévue par la loi. Tout d'abord la DGEFP annonce que seuls sont visés les membres des Conseils d'administration. Puis elle indique aujourd'hui que les conseils d'administration régionaux, à qui elle dénie par ailleurs toute capacité de décision, sont également concernés alors que les sections paritaires professionnelles, qui figurent elles dans la loi et sont donc des instances paritaires "légales" de l'OPCA n'y ouvriront pas droit. Pourquoi une telle distinction ? sur quelle base juridique ? mystère, mais ainsi le veut-on et ainsi en sera-t-il ;

- Enfin sur la possibilité pour les OPCA de financer la rémunération des salariés dans les entreprises de moins de 10 salariés. La loi ne le prévoit pas, un projet de décret l'envisageait mais le décret final ne l'a pas repris et voilà que l'on nous annonce que puisque c'était prévu dans l'ANI du 14 décembre 2013 (texte non étendu, qui ne le sera jamais et qui n'a aucune valeur normative et surtout pas celle d'imposer une solution que la loi écarte) et bien il suffit qu'un accord ou le conseil d'administration de l'OPCA le prévoit et ce sera possible. 

Au final, trois positions dont on pourrait dire courtoisement qu'elles ont une base juridique fragile, et de manière plus directe qu'elles font litière des règles au profit d'une position politico-administrative. Le problème n'est même pas sur les solutions retenues : la loi aurait pu le prévoir. Le problème est que justement elle ne l'a pas prévu et que l'on nous administre une nouvelle fois la preuve qu'il vaut mieux être influent que respecter les règles pour préserver ses intérêts. Pas forcément le meilleur message à transmettre dans une société qui cherche des repères. Mais quand arbitraire et fait du prince sont dans un bateau et comptent bien y rester, ce sont ceux qui s'en tiennent à la règle qui tombent à l'eau. 

QR DGEFP OPCA v2.pdf

28/04/2014

Simplicité

On peut à la fois aimer le baroque du Sud, sa flamboyance et son hystérie, et le dépouillement du Nord, plus retenu, comme un tableau de Mondrian ou de Vermeer. Avec ce détachement qui, paradoxalement, donne quasiment vie aux choses. Il paraît d'ailleurs que l'épure, l'économie de moyens, le strict nécessaire, sont à la fois signe d'expertise et d'esthétisme. Du coup, j'ai naïvement pensé que la loi du 5 mars 2014 était une bonne occasion de faire table rase d'un certain nombre de contraintes formelles sans intérêt. Terminé les feuilles de présence signées matin et soir, oubliées les conventions de formation, remisées les paperasseries en tous genre qui sclérosaient la formation. Je m'en ouvre à des responsables formation mais je vois bien qu'ils ne partagent pas mon enthousiasme. Je leur demande pourquoi si peu d'entrain :

" C'est que mon service qualité exige toutes les pièces et que pour moi la loi ne va pas changer grand-chose...

_ Explique à ton service qualité que la loi a changé...

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- C'est surtout qu'il faudrait changer le process qualité, mais c'est très lourd et cela prendra des mois...

_ Tu peux au moins supprimer les conventions....

_ Ah non ! le service comptable exige d'avoir une pièce avant d'engager la dépense.....

_ Bref, tu ne veux rien changer....

- Ce n'est pas moi, tu penses bien que si c'était si simple, je le ferai...

_ C'est çà, c'est ça...mais tu es justement en train de m'expliquer que tu ne le feras pas...

- Oui mais ce n'est pas de mon fait...

- Il ne manquait que l'irresponsabilité dans le paysage...".

Dans un pays où l'on se plaint constamment d'être sous contrôle et ensevelis sous la règlementation, il se pourrait bien que celle-ci ait bon dos et que ce soit moins la règle que les esprits qui nous corsètent. 

12/11/2010

Droit braconnier

Le braconnier a rarement bonne image. Il faut dire que le chasseur d'ivoire qui décime les éléphants, le traqueur de fourrures rares, le marchand d'espèces protégées ne sont guère plus fréquentables que recommandables. Foin du braconnage organisé donc. Mais il est d'autres types de braconniers. Historiquement, le braconnier  chasse illégalement sur les terres du seigneur. Il est donc celui qui n'accepte pas l'ordre établi. Rappelons que le privilège de chasse fut aboli le 4 août 1789 avant d'être rétabli en 1844. Le braconnier chasse sans titre et à ce titre il connaît la forêt, la nature, les espèces, les animaux, mieux que personne. Mais surtout, il s'écarte des chemins forestiers, des routes de campagne, il défriche de nouveaux espaces, ouvre de nouvelles voies, emprunte des passages détournés dans lesquels nul n'ose s'aventurer et créé une nouvelle géométrie des forêts qui ne sont pas sa propriété mais qui constituent son domaine et son terrain de jeu. Comme le rêve est une fenêtre ouverte sur l'inconscient, le braconnage est un rêve à l'invisible réalité.

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Marie-Laure Messir - Bulle nocturne

Mais si le braconnier est celui qui s'affranchit des règles, que peut signifier l'oxymore droit braconnnier ? tout simplement que l'innovation, en droit comme en d'autres domaines, peut passer par la transgression et qu'il est parfois nécessaire d'aller aux limites de la règle pour la faire évoluer. Qui ne s'autorise à sortir des allées forestières ne connaîtra jamais la forêt. Qui s'applique à appliquer le droit en devient au mieux le serviteur, au pire l'esclave. Penser la règle, c'est souvent penser contre la règle, c'est à dire confronter le droit aux autres sources de décision, de pouvoir, de régulation, de légitimité. La règle de droit réduite à elle même, c'est le chemin des promeneurs du dimanche qui tiennent leur chien en laisse et considèrent avec méfiance tout champignon. Le braconnier c'est celui qui s'autorise à entrer dans le bois, à vivre avec les arbres et tous les habitants de la forêt et à apprendre à connaître animaux et champignons plutôt que de s'en défier. Bref, une autre manière d'exprimer le très juste "Que juriste, pas juriste". Mais à quoi reconnaîtra-t-on les bons braconniers et ceux qui ne sont toujours pas fréquentables ? car si chacun s'institue braconnier n'est-ce pas la fin de l'Etat de droit ? proposons quelques critères : le braconnier fréquentable ne nie pas la loi, il la connaît très bien, il ne la conteste pas globalement mais seulement en certains de ses effets, il est soucieux des conséquences de ses actes, et il agit artisanalement. Et peut être un dernier critère : le braconnier indéfendable est celui qui méprise ou menace le garde-chasse, le  plus fréquentable braconnier n'est pas l'ennemi du garde-chasse, car il sait ce qu'il a en commun avec lui. Car on peut à la fois aimer le garde-chasse et le braconnage, n'est-ce pas Constance ?