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23/08/2016

Juliane vs Eleanor

A première vue, si l'on s'en tient uniquement à la solution préconisée, Juliane et Eleanor sont en désaccord. Dans deux affaires qui portaient sur le licenciement d'une femme en raison du refus d'ôter son voile dans le cadre d'un travail impliquant des relations de clientèle, l'une en Belgique et l'autre en France, les deux avocates à la CJUE ont conclu l'une à l'absence de discrimination et l'autre à une discrimination directe. Dans le détail, les analyses juridiques ne sont pourtant pas si éloignées, et la divergence se situe plutôt au niveau de leur appréciation. Résumons : la directive européenne du 27 novembre 2000 protège les salariés contre toute discrimination directe ou indirecte. Et prévoit quelques exceptions : la protection des libertés individuelles, les entreprises de "tendance" ou de "convictions" et l'exigence professionnelle essentielle, déterminante à condition que la restriction soit proportionnée. C'est cette dernière exception que la Cour de cassation, en Assemblée plénière, avait retenu pour valider le règlement intérieur de la crèche Baby Loup imposant la neutralité religieuse, la légitimité et proportionnalité étant en l'espèce fondée sur le fait que la salariée travaillait avec des enfants. 

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Ces règles, les fines juristes à la CJUE, les manient sans problème. Mais leur appréciation n'en est pas identique. Pour la britannique Eleanor, il n'existe pas d'exigence professionnelle légitime et proportionnelle à imposer à une consultante en informatique de retirer son voile lorsqu'elle va en clientèle. Car cela n'a aucun impact sur son activité. Ce qui est objectivement constaté en l'espèce puisque le motif du licenciement était "le trouble ressenti par les salariés du clients à la vue du voile". Pour l'allemande Juliane, un règlement d'entreprise imposant la neutralité vestimentaire peut au  contraire être justifié non seulement par la nature de l'activité ou les exigences professionnelles mais également par la culture et le système juridique de l'Etat, et l'avocate rappelle que la laïcité est en France un principe constitutionnel qui peut justifier des restrictions plus importantes y compris dans l'espace privé. C'est d'ailleurs cet argument qui a été parfois retenu, plus subtilement que le trouble à l'ordre public dans le contexte d'attentats, pour justifier les arrêtés d'interdiction du burkini sur les plages. 

Juliane Kokott ajoutait un argument dans ses conclusions : si la couleur de peau, l'origine, le sexe, l'âge, le handicap...sont des états de fait que l'individu ne peut laisser au vestiaire, la pratique religieuse est une pratique culturelle qui peut avoir des modulations selon les situations. 

On ne sera pas surpris qu'une avocate imprégnée de culture toute britannique ait une appréciation différente d'une allemande au parcours plus international. Et l'on constatera que l'on peut avoir sur le sujet une réflexion qui va un peu au-delà du simple épiderme. 

18/10/2013

Le loup sort du bois

La décision n'est pas encore rendue, mais elle attire déjà tous les commentaires. La Cour d'appel de Paris s'apprêterait à rendre une décision de rébellion, diable, dans l'affaire Baby-Loup. On ne revient pas sur toute l'affaire, plusieurs fois évoquée ici, de la directrice de crèche licenciée parce qu'elle portait le voile, licenciement validé par les juges du fond mais annulé par la Cour de cassation, pour des motifs de pur droit : impossible de licencier sans dire en quoi le voile est incompatible avec la fonction exercée. Manifestement la Cour d'appel a retenu la leçon et s'apprête par sa décision à faire sortir le loup du bois.

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Lou Dubois - Man Raie

Pour ce que l'on peut en savoir, la Cour d'appel devrait indiquer que le port du voile est incompatible avec la nature de la fonction en considération du public concerné, des enfants de trois mois à trois ans. Selon le juge, le caractère influençable  des enfants exclu que l'on puisse faire place à un modèle religieux dans leur éducation. Or le voile renvoie à une religion. La liberté de conscience pourrait donc trouver sa limite dans celle des enfants, jugée prioritaire par rapport à celle de l'adulte. Une telle décision conduirait à formuler trois remarques : la première est que, loin d'être un arrêt de rébellion, il s'agit au contraire d'un arrêt qui dit exactement ce que la Cour de cassation exigeait d'entendre à savoir une motivation par rapport au travail, la seconde est qu'il appartiendra de nouveau à la Cour de cassation d'apprécier si la motivation est suffisante, et enfin on remarquera que si le juge d'appel fait ce qu'aurait du faire la crèche lors du licenciement, expliquer l'incompatibilité avec le travail, il n'en reste pas moins que tels ne sont pas les termes de la lettre de licenciement, et que normalement celle-ci fixe les limites du litige. Le juge d'appel pourrait donc avoir raison sur le fond, et tort en droit. Ce qui pourrait permettre au loup, de regagner le bois.                                                            

28/03/2013

Trop plein de vide

Que des approximatifs ou des incompétents répètent à tout va que le droit n'est qu'un immense gruyère plein de vides, on commence à s'y habituer. Mais voilà que la petite musique s'étend et gagne les plus hauts sommets de l'Etat. Manuel Valls, tout d'abord, qui déclare mardi à l'Assemblée à propos de l'affaire Baby Loup que s'il y a un vide juridique, il faudra une initiative législative. François Fillon ensuite, qui dans une tribune publiée dans Le Monde mercredi (voir ici) appelle à combler le vide législatif et juridique. Il est curieux d'avoir à rappeler la loi à ceux qui ont, ou ont eu, en charge de l'élaborer ou de la faire respecter. Dans le meilleur des cas, il s'agit d'une méconnaissance. Sinon, il s'agirait soit de mauvaise foi soit de calcul politicien.

Rappelons donc la règle à nos gouvernants et à ceux qui aspirent à l'être : elle figure à l'article L. 1121-1 du Code du travail et postule que l'on ne peut apporter aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnée au but recherché. En application de ce texte, il ne peut être édicté un principe général de neutralité par rapport à la religion, mais uniquement si c'est incompatible avec l'activité exercée. Faute d'avoir dit en quoi porter un foulard empêche de travailler dans une crèche, la décision de la Cour d'appel ne pouvait être que censurée par la Cour de cassation (pour un rappel plus complet du droit existant, voir ici).

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Cet épisode m'a rappelé deux bons souvenirs. Le premier est la naissance du fiston à la maternité Sainte-Félicité. Il y avait des soeurs infirmières dans cette clinique privée qui gère ce qui peut être assimilé sinon à un service public du moins à un service de santé d'intérêt général. Faudra-t-il imposer le retrait du voile aux religieuses qui participent à des activités privées ou leur demander de cesser d'y participer ? Le second bon souvenir est celui d'un déplacement à la Réunion à la demande d'une banque. Devra-t-elle interdire à ses guichetiers et conseillers de s'habiller comme leurs clients ? Dans une société largement multiconfessionnelle et où la diversité n'est pas qu'un mot ou un étendard, la question pourra paraître saugrenue.

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Et tant que l'on est à la Réunion, anecdote de voyage. Comme c'était la journée du Patrimoine, je me suis rendu à la Grande Mosquée qui est au centre de Saint-Denis. Il y avait des panneaux d'interdiction de photographier partout. Passant outre, je pris quelques photos, quand je vis deux barbus accourir vers moi. Je m'attendais à un rappel à l'ordre, quand le plus petit me dit : "Viens avec moi, je vais te montrer le meilleur endroit pour prendre une photo du minaret". Du coup, il fût photographié lui aussi, presque aussi raide que le minaret mais avec plus de rondeurs, ce qui le fît rigoler.

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Conseillons donc à Valls et Fillon un petit détour par les provinces françaises, ils s'apercevront que les vides qui les effraient tant sont comblés depuis longtemps. Et s'ils trouvent le temps, ils pourront réfléchir à la seule question qui se pose en droit aujourd'hui : en quoi porter un foulard est un problème pour s'occuper des enfants ou exercer d'autres activités.

20/03/2013

Le loup n'y était pas

On le voyait venir de loin (voir ici) : lorsque l'on mélange le droit, la morale, la religion, la laïcité et divers autres ingrédients, dont les fantasmes ou obsessions pour ceux qui n'ont de vision que raciale ou ethnique de la société, on va droit dans le mur. C'est ce que la Cour de cassation vient de rappeler en tranchant le conflit de la crèche Baby-Loup. Pour les magistrats, une entreprise privée ne peut imposer de manière générale à ses salariés un principe général de laïcité. Elle doit s'en tenir aux dispositions du Code du travail qui permettent de restreindre les libertés individuelles, dont la liberté religieuse fait partie, uniquement pour des raisons liées à la nature de l'activité. Soulignons que le juge ne répond pas à la question de savoir si le travail avec des enfants justifie ou non une telle interdiction. Il  constate que la clause du règlement intérieur en vertu de laquelle la salariée a été licenciée était formulée de manière générale et imprécise et donc nulle, d'où la nullité corrélative du licenciement.

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Jean-Louis Forain - Femme au loup

Et déjà l'on voit Manuel Valls regretter la décision de la Cour de cassation au nom de la laïcité et l'extrême droite vilipender ces juges de gauche qui se couchent devant l'islamisme symbolisé par le voile. Si jamais les uns et les autres venaient à retrouver un peu de sérénité, ils pourraient peut être constater que le jugement rendu par la Cour de cassation a propos du voile est de même nature que ceux déjà rendus à propos de piercings, de moustaches ou de boucles d'oreille. Mais pour cela, il faudrait juste faire du droit.

Cass. Soc. 19 mars 2013.pdf

Communiqué Cour de cassation.pdf

09/11/2010

Au Loup !

L'affaire Baby Loup revient à la une des medias avec, hier, l'audience devant le Conseil des Prud'hommes de Mantes-La-Jolie. Rappelons l'affaire : au retour d'un congé parental, une salariée d'une crèche se présente voilée. La directrice lui rappelle le principe de neutralité religieuse inscrit dans le règlement intérieur et lui demande de travailler sans voile. La salariée refuse, elle est licenciée. La Halde est saisie, les prud'hommes également et l'affaire s'emballe. Et cet emballement, comme souvent, nous plonge dans l'idéologie et nous éloigne du droit. S'indignent à l'unission des tenants de la laïcité, des féministes, des xénophobes qui n'acceptent les voiles que pour les femmes dans les Eglises ou devant le Pape, des racistes de tout poil, etc. Curieux assemblage a priori, mais devant la confusion des arguments il ne faut pas s'étonner de la confusion des genres. Et la nouvelle présidente de la Halde, loin de remettre de la rationnalité dans le débat, ce qui est après tout sa fonction,  d'encourager le délire argumentaire en invoquant pour justifier son avis sa propre histoire personnelle. A force de crier au loup, on finit par ne plus s'entendre et par ne plus rien y  comprendre.

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Annabelle Guetatra - Sans titre - 2009

Mais revenons au droit. Que disait l'avis si critiqué de la Halde qui considérait le licenciement illégitime ? trois choses. La première est qu'une entreprise privée n'est soumise à aucune principe de neutralité religieuse. La deuxième est que tout salarié jouit d'une liberté religieuse à condition de ne pas faire de prosélytisme et de ne pas se soustraire à ses obligations contractuelles pour des raisons religieuses. Depuis longtemps, il est admis que le seul port d'un insigne ou vêtement religieux n'est pas en soi du prosélytisme. Et la troisième que tout employeur a la possibilité d'apporter des restrictions aux libertés individuelles pour des raisons objectives et par des décisions proportionnelles. En l'occurence, la crèche Baby Loup n'avait pas à faire figurer la neutralité religieuse dans son règlement intérieur ni à licencier au motif du non respect de cette neutralité que seule la loi pourrait consacrer. Elle devait règler la seule question qui vaille : le port du voile est-il incompatible avec la fonction de directrice adjointe d'une crèche compte tenu de la nature des fonctions correspondantes ? des questions de cette nature, les tribunaux en ont déjà tranché plusieurs : l'opératrice sur un plateau téléphonique ne peut être licenciée pour cause de port du voile, mais la salariée qui s'occupe d'enfants autistes et refuse de se déshabiller pour les surveiller pendant la baignade si. Ce que nous dit le droit, c'est que le problème ne doit pas être posé en terme de religion. Raté. Et le pire est encore peut être à venir quand on entend la présidente de la Halde dire qu'il y a un vide juridique, ce qui n'existe pas, et Manuel Valls proposer une loi pour interdire le voile dans les crèches. A mal poser les questions, il ne faut pas s'étonner que l'on donne de mauvaises réponses et qu'au final on aboutisse à exactement l'inverse que l'objectif recherché.

Pour qui préfère savoir de quoi il est question avant de s'indigner, l'avis de la Halde sur ce sujet :

AvisHalde-ReligionetTravail.pdf

Et un exemple de courrier adressé à un employeur sur une affaire similaire :

Halde-neutralitédansl'entreprise.pdf

19/11/2008

Le voile et le dévoilement

La Cour d’Appel de Douai vient d’annuler l’annulation du mariage pour cause de virginité dissimulée, remettant ainsi en  cause la décision du TGI de Lille qui a suscité tant de commentaires. Cette volte face  démontre que le juge n’est pas toujours très à l’aise avec la religion, et le juge du travail n’échappe pas à la règle. En la matière il est partagé entre deux principes : celui de permettre à chacun le libre respect de ses opinions et de veiller à ce que la religion ne soit pas source de discrimination et celui de considérer que la religion à l’inverse ne peut permettre au salarié de revendiquer des avantages particuliers ou de se soustraire à certaines obligations et surtout qu'elle n'a pas sa place sur le lieu de travail.

Sur cette voie étroite, il a par exemple été décidé récemment par un juge belge que : « La liberté de manifester sa religion n'est pas absolue ; des restrictions sont possibles lorsque les pratiques religieuses sont de nature à provoquer le désordre. L'usage interne à une société commerciale, interdisant au personnel en contact avec la clientèle le port de certaines tenues vestimentaires ne cadrant pas avec la neutralité et plus précisément le port du voile religieux, repose sur des considérations objectives propres à l'image de marque de l'entreprise commerciale. Un tel usage, qui s'applique à l'ensemble des travailleurs ou d'une catégorie de travailleurs, n'est pas discriminatoire. » (Cour du travail de Bruxelles - 15 janvier 2008).

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Gustave Moreau - Salomé et la danse des sept voiles

Les juges, en France, ont une position similaire. Le licenciement d’une salariée portant le voile a été jugé légitime lorsqu’elle est en contact avec la clientèle ou lorsqu’il s’agit d’un signe ostentatoire assimilé à du prosélytisme, interdit sur les lieux de travail. A l’inverser, le porte du voile ne pose pas de problème particulier pour une salariée qui fait du télémarketing ou lorsque le port du voile était déjà effectif et a pu être constaté lors du recrutement sans susciter de réaction particulière de la part de l’employeur.

Et pour ceux qui pensent que, comme Salomé, il serait préférable de toujours enlever le voile, rappelons cette décision qui a fait les délices de générations d’étudiants : le licenciement pour faute d’une salarié travaillant en chemiser transparent et sans soutien-gorge pour cause de perturbation de la bonne marche de l’entreprise. Fragile entreprise !