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16/03/2013

Oh, c'est court !

Si l'on en croit Albert Cohen, il peut s'en passer des choses, le temps d'un baiser :

"Elle s’est approchée de la glace du petit salon, car elle a la manie des glaces comme moi, manie des tristes et des solitaires, et alors, seule et ne se sachant pas vue, elle s’est approchée de la glace et elle a baisé ses lèvres sur la glace. Ô ma sœur folle, aussitôt aimée, aussitôt aimée par ce baiser à elle-même donné. Ô élancée, ô ses longs cils recourbés dans la glace, et mon âme s’est accrochée à ses longs cils recourbés. Un battement de paupières, le temps d’un baiser sur une glace, et c’était elle, elle à jamais."

Le temps court peut aussi être celui des basculements, des points d'orgue, des révélations, des pierres d'achoppement, des murs qui soudain s'élèvent ou des portes qui s'ouvrent. Un éclair, un instant, un fragment qui engage à tout jamais.

Certes.

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Mais quand il s'agit de travail, d'activité, de revenu, d'autonomie, le temps court est tout de même problématique. C'est pour cette raison que le Code du travail pose en principe que l'embauche doit s'effectuer en CDI, qui est la règle. Le CDD et l'intérim sont, par principe, interdits. Et ne peuvent être pratiqués que dans les cas d'exception prévus par la loi. Tout ceci est très bien, sauf qu'au troisième trimestre 2012, 81,7 % des embauches ont eu lieu en CDD (sans compter l'intérim donc). Voici une drôle d'exception, devenu largement majoritaire. Et une nouvelle leçon pour nos gouvernants, si préoccupés d'élaborer de nouveaux textes, qu'il faudrait peut être mettre un peu de cette énergie à simplement se contenter de faire appliquer ceux qui existent. Car au contraire du baiser, la fin du contrat marque aussi la fin de ses effets.

06/02/2013

Intérimaire permanent

Vous prenez une photo, puis une autre, puis un dessin, puis une photo, puis des dizaines d'autres, vous coupez, vous déchirez, vous morcellez, puis vous assemblez, morceau après morceau, élément par élément, et au final le résultat, pour peu que vous soyez dans un bon jour, vous paraît s'être imposé à vous. Chaque chose est à sa place, le disparate trouve sa cohérence, les éléments épars, sans lien apparent, ont recomposé une figure qui a soudain l'allure de l'évidence.

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Ainsi en va-t-il du collage, où l'hétéroclite soudain trouve sens. Ainsi en ira-t-il peut être demain du travail intérimaire, lorsque les sociétés d'intérim pourront recruter les intérimaires en CDI et les affecter à des missions successives en leur garantissant un emploi permanent. Bonne nouvelle pour tous ? Pas forcément, les intérimaires enchaînant les missions avec indemnités de précarité et de congés payés (soit 20 % du salaire) pourraient considérer qu'ils sont perdants. Mais tout de même, pour beaucoup une embauche durable, un statut social mieux établi et une situation qui se rapproche du droit commun. Si le principe est acté, reste à négocier les modalités, c'est ce qui devrait être fait à partir du 1er mars prochain. Souhaitons que les partenaires sociaux aient le souci de préserver le sens d'un emploi composé d'une juxtaposition de missions, ce qui sera le lot des futurs intérimaires permanents.

05/10/2011

Et le loup mangea le petit chaperon rouge...

Il y a deux ans, le législateur confiait au PRISME, syndicat des entreprises d'intérim, le soin de négocier les conditions et modalités de mise en oeuvre du portage salarial. A l'époque, je considérais que cela revenait à confier au loup la garde du petit chaperon rouge : c'est ici. C'est en d'autres termes ce que vient de considérer également l'IGAS qui se prononce contre l'extension de l'accord péniblement conclu après 20 mois de négociation.

Parmi les motifs retenus par l'IGAS, figure en premier lieu que l'accord réserve le portage salarial, cette formule qui permet d'exercer une activité indépendante avec un statut de salarié par le biais d'une société de portage, aux cadres. Pourquoi cette restriction ? par cet aveuglement statutaire très français  qui assimile l'expertise technique au statut, oubliant que l'histoire du travail indépendant a été plus façonnée par l'artisan que par le médecin ? ou bien parce que c'était une manière de croquer le petit chaperon rouge en faisant durer une négociation mal conclue ce qui au final empêche le portage de se développer dans un cadre stabilisé, seul objectif inavouable mais bien réel du PRISME ?

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Francis Moreeuw - La véritable histoire du petit chaperon rouge - 2000

Reste donc à remettre l'ouvrage sur le métier, en oubliant cette fois-ci le loup. Le dossier doit revenir devant le législateur après consultation, comme le prévoit l'article 1er du Code du travail, des partenaires sociaux au niveau interprofessionnel. Non qu'ils soient des agneaux, mais au moins peut-on supposer qu'ils n'auront pas comme seul objectif d'entraver une voie de développement de l'activité indépendante dont l'intérim considérait qu'il pourrait lui faire de l'ombre. Mais après tout, la faute tient peut être moins au comportement du loup, prévisible, qu'à celui qui a décidé de lui confier la garde du petit chaperon rouge.

10/03/2011

Si proche étranger

L'histoire se passe dans un village d'une vallée ariègeoise. Un habitant du cru me parle d'un de ses concitoyens qui a mal tourné en se mariant avec une étrangère. Diable ! et de quel continent ? du village voisin qui est à cinq kilomètres. Il est vrai que quelques années plus tard, dans un autre village au coeur d'une plaine ouverte, il fut débattu en Conseil municipal de l'accueil d'enfants étrangers à la cantine de l'école. D'où venaient donc ces enfants sans cantine ? du village d'à côté. L'avocat des salariés licenciés dans l'affaire jugée le 2 mars dernier par la Cour de cassation venait peut être d'un des villages, car il contesta le licenciement de ses clients au motif que la lettre de licenciement avait été signée par un intérimaire recruté pour assister le DRH. Pour l'avocat, cet assistant était un étranger à l'entreprise et ne pouvait décider des licenciements. L'étranger a beau être proche, il n'en reste pas moins étranger.

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La Cour de cassation balaie l'argument et l'affirme clairement : un intérimaire n'est pas étranger à l'entreprise dans laquelle il effectue sa mission. On peut donc être différent sans être étranger, merci au Tribunal de cette précision. Et la Cour écarte avec la même autorité le second argument de l'avocat : l'intérimaire n'avait pas de délégation de pouvoir écrite. Elle rappelle que son contrat de mission portant sur l'assistance du DRH, sa qualification incluait le pouvoir de licencier. Voilà qui invite les entreprises à se souvenir que la qualification contractuelle est la première manière de définir le périmètre de la mission d'un salarié, ou d'un intérimaire donc, et son champ de responsabilité. Et pour ces deux rappels, on félicitera le Juge de n'être pas étranger à ce qui se passe dans un monde qui n'est pas le sien.

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05/09/2008

Le portage salarial mal porté ?

Le portage salarial est une forme d'activité salariée dont la légalité est plus que douteuse, comme l'ont démontré les travaux de Lise Casaux, professeure de droit à l'Université de Toulouse. Le porté agit comme un travailleur indépendant qui démarche ses clients et utilise la société de portage pour facturer ses prestations et lui ristourner les recettes sous forme de salaire. Le hic est qu'il n'existe nulle subordination entre la société de portage et le porté et que le statut salarial peut être considéré comme juridiquement fictif. Cette fragilité juridique n'a pas empêché que le portage salarial se développe depuis une quinzaine d'années. Conscients de l'importance de cette forme d'emploi, les partenaires sociaux, puis le législateur, ont acté qu'une négociation devait s'ouvrir pour fixer un cadre juridique au portage salarial et définir les règles de base du statut du porté et des conditions d'exercice de l'activité de porteur.

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Jérome Bosch - Saint-Christophe portant l'enfant Jésus - Fin XVème, début XVIème

La négociation sur le portage salarial vient de s'engager entre le PRISME, fédération patronale de l'intérim, et les organisations syndicales. Le législateur a fait le choix de confier aux représentants de l'intérim, directement concurrencés par les sociétés de portage salarial, la négociation sur le portage salarial. Autant confier au loup la garde du chaperon rouge. Déjà lors du débat à l'Assemblée nationale, les représentants de l'intérim avaient tenté de faire voter une disposition réservant aux sociétés intérimaires le droit de faire du portage salarial. Sans surprise, le PRISME annonce que la négociation limitera dans un premier temps le portage aux cadres, avant d'envisager une extension à d'autres catégories. Or le portage salarial fonctionne déjà sur d'autres métiers que ceux de cadres. Il constitue une expérience originale pour tracer les frontières d'un nouveau droit du travail, ou plutôt de l'activité, qui laisserait place à de l'autonomie pour le salarié et distinguerait le statut de salarié du contrat de travail subordonné. On peut craindre qu'innovation et expérimentation ne soient pas à l'ordre du jour de la négociation si l'objectif premier demeure de défendre son pré carré.