14/09/2011
Quand le juge fait la leçon
....le Parlement ferait bien d'en tirer profit. Le TGI d'Orléans vient de faire preuve de pédagogie en jugeant que l'article L. 2324-2 du Code du travail était contraire à la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CESDH). De quoi s'agit-il ? L'article en question, issu de la loi du 20 août 2008, prévoit qu'une organisation syndicale ne peut désigner de représentants syndicaux au comité d'entreprise, dans les entreprises de plus de 300 salariés, que si cette organisation y compte au moins deux élus. Lors du vote de la loi, cet article paraissait absurde : la capacité de désigner des représentants syndicaux au comité d'entreprise appartenait jusque-là à toute organisation syndicale, pourquoi la limiter à celles qui ont des élus, et qui disposent déjà à ce titre de toute l'information du comité, alors qu'un syndicat peut désormais être représentatif (avec 10 % des voix aux élections) sans avoir d'élu au comité ? les parlementaires ont fait valoir qu'il s'agissait de légitimer la présence des représentants syndicaux en limitant la possibilité de désignation en fonction de la représentativité. Les juges de province, contrairement à la Cour de cassation, ne se sont pas laissés abuser par le raisonnement : ils connaissent la musique et administrent une leçon au législateur dont l'objectif était manifestement uniquement de diminuer le nombre de représentants du personnel.
Matisse - La leçon de piano
La leçon est en trois temps. En premier lieu, il est rappelé que la CEDSH garantit l'égalité de traitement des organisations syndicales. En second lieu, le législateur est placé devant ses contradictions : si la finalité est de conforter la représentativité, toutes les organisations représentatives, et pas seulement celles qui ont deux élus, doivent pouvoir désigner un représentant syndical. Troisièmement, compte tenu du rôle du représentant syndical, qui participe au CE pour que son organisation soit informée et avec uniquement voix consultative, il est logique que tout syndicat représentatif puisse désigner un représentant, y compris et même surtout, s'il n'a pas d'élu. Exit donc l'article L. 2324-2 qui constitue une discrimination syndicale, l'inégalité de traitement des organisations n'étant pas justifiée.
Et voici le législateur renvoyé à ses incohérences. On souhaite que la Cour d'Appel et la Cour de cassation, si elles sont saisies, apprécient la finesse du raisonnement du juge des bords de Loire et confortent sa position o combien justifiée et légitime. Envoyez la musique !
00:31 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES, DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : comité d'entreprise, représentativité syndicale, actualité sociale, irp, jurisprudence, droit, droit du travail
03/02/2011
Un transitoire qui dure
La loi du 20 août 2008 sur la démocratie sociale rebat totalement les cartes de la représentativité syndicale. Pour résumer, la représentativité résulte désormais des résultats des élections professionnelles et non d'une reconnaissance étatique ou judiciaire. Retour à la démocratie représentative donc, et enjeux nouveaux pour les élections professionnelles, avec son cortège de tensions et de contentieux. Au fil de ce dernier, les tribunaux construisent le mode d'emploi des règles nouvelles. Dans une décision du 19 janvier 2011, rendue sous présidence toulousaine que je salue, la Cour de cassation prend une décision audacieuse au regard des textes mais soucieuse de la préservation d'une représentation des salariés. La loi du 20 août 2008 prévoit que les organisations syndicales représentatives au niveau national peuvent continuer à désigner des délégués syndicaux dans l'attente des premières élections postérieures à la loi. Ensuite, seules les organisations ayant obtenu au moins 10 % des voix peuvent désigner un délégué syndical, sous réserve qu'il ait lui même obtenu 10 % et donc, par définition, été candidat. Dans le cas d'espèce, l'entreprise avait organisé des élections sans qu'aucune organisation syndicale ne présente de candidat. Elle avait dressé constat de carence et conclu qu'aucune organisation n'était représentative. A tort lui répond la Cour de cassation rebelle. En l'absence de candidature, il est impossible de mesurer l'audience des syndicats et les règles transitoires doivent être prolongées jusqu'à la prochaine élection. Voici donc du transitoire qui dure, de même que Marc Desgranchamps est un peintre du transitoire en mouvement.
Marc Desgrandchamps - Sans titre - 2007
Le résultat pratique de la décision du 19 janvier 2011 est que des organisations syndicales représentatives à la date de publication de la loi du 20 août 2008 peuvent continuer à désigner des délégués syndicaux qui pourront négocier des accords lesquels, faute de représentativité établie par l'élection, devront être ratifiés par référendum. On comprend le souci de la Cour de cassation : en l'absence de syndicats, tous les accords devenaient caducs faute de pouvoir être renégociés (la disparition de tous les syndicats équivaut en effet à une dénonciation des accords) et aucun accord ne pouvait plus être conclu avant les nouvelles élections.
Cet objectif d'intérêt général l'a emporté sur une lecture littérale du texte qui ne prévoit pas que l'on attende la deuxième élection en cas de carence. Saluons donc cette décision ainsi que la présidente toulousaine qui la suscita.
00:00 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES, DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : négociation collective, représentativité syndicale, loi du 20 août 2008, démocratie sociale, marie-laure morin, cour de cassation, jurisprudence, marc desgrandchamps, peinture, droit du travail, droit