Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

12/01/2017

MAINTENANT, ON NE CONFOND PLUS SE FORMER ET ALLER EN FORMATION

On connaît la phrase de Bertrand Schwartz : « On ne forme pas les individus. Eux seuls se forment, s’ils y trouvent intérêt ». Obnubilés par l’action de formation, nous mesurons sans cesse l’accès en formation et nous intéressons peu aux situations de formation. On tient pour vérité l’équation : a été en formation = a été formé. Schwartz en rigole encore. La formation n’est pas une action transitive.

On se forme en faisant ce que l’on a jamais fait, on se forme en portant un regard ouvert, et non un regard d’habitude, sur notre quotidien, on se forme en restant disponible à ce que l’on ne connaît pas, on se forme par le questionnement et la curiosité, on se forme en pensant contre soi-même et en dépassant ses contradictions…et de dix mille autres manières. Cela peut survenir en formation, évidemment, mais aussi partout ailleurs. Pour peu qu’on le veuille bien.

Epo.jpg

10/01/2017

MAINTENANT, ON AVANCE DANS LA JUNGLE DU SAVOIR

Terminé le temps des verticalités disciplinaires. Des thèses de spécialité par lesquelles on sait presque tout sur presque rien. Dans la jungle chacun jour plus dense du savoir constitué, de l’information jaillissant en flots toujours plus puissants de sources multiples et parfois improbables, impossible de se repérer par la stricte approche disciplinaire. Les rhizomes de Deleuze forment un enchevêtrement dans lequel il n’est plus possible d’ouvrir des boulevards Hausmanniens à grands coups de pelleteuses. Plus le savoir est riche, et il l’est davantage chaque jour, plus j’ai besoin des autres, du réseau, de la multitude pour l’appréhender. Plus on est nombreux à s’en saisir, et plus j’ai besoin d’associer, de tester, de rapprocher, d’expérimenter, des connaissances diverses et non reliées entre elles, pour ouvrir des voies nouvelles. Les chapelles disciplinaires deviennent des impasses étroites, des voies de garage pour mandarins confits. Pour affronter la complexité, le pagne et le couteau de Tarzan ne suffisent plus. Autrement dit, la bonne volonté et le courage n’y peuvent pas grand chose. J’ai besoin de me relier pour avancer. En rugby, on appelle ça un groupé pénétrant et c’est diablement efficace.

Main.jpg

01/03/2016

S comme....SAVOIR

Le savoir sans le savoir, c’est ce qu’on appelle l’instinct (Louis Hamelin – La Rage)

On ne redira jamais assez la faiblesse, ou plutôt n’ayons pas peur des mots, l’ineptie, de la fameuse trilogie : savoir, savoir-faire savoir-être.  Pourquoi ? Pas simplement pour le jargon mais plus fondamentalement pour un défaut originel rédhibitoire : la compétence c’est de l’action, de l’activité et cela suppose donc toujours du faire.

Oublions le jargon : on parlera plutôt de connaissances, de capacités et de comportements.  Les connaissances renvoient aux ressources (qu’elles proviennent de l’expérience ou de la formation), les capacités à ce que l’on est capable de réaliser et les comportements à la manière dont on le réalise. 

SAVOIR.jpg

Evacuons ainsi l’être qui ne relève pas du champ de la formation professionnelle mais, au moins depuis Parménide, d’une philosophie de l’existence qui peine toujours à en tracer les contours.

Et concluons sur un petit exercice : essayez le baiser de cinéma avec le savoir-être. Il risque de manquer de saveur, sauf pour les adeptes du tantrisme. Mieux vaut savoir y faire.

19/11/2015

Aux portes de la lecture

Comme un enfant qui a commencé à dérouler le tapis du 21ème siècle, tu as appris l’alphabet sur un Ipad. Tu l’as retrouvé dans les livres, puis dans les chansons, comme dirait Jérôme Leroy qui a déjà pris l’habitude de te dédicacer ses livres. Tu as découvert qu’en espagnol le « v » se prononce « b » et que cela rend les livres plus libres. Tu as découvert le jeu des synonymes, trouver des mots différents pour nommer une même chose. Avec le début de l’écriture, tu as découvert le temps : le temps qu’il faut pour réécrire un mot dont on a le modèle, le temps qu’il faut pour le déchiffrer, le temps qu’il faut pour l’apprendre et tu as compris que viendrait le temps où tu saurais lire. Tu es impatient, pas vraiment comme un enfant, mais plutôt comme un impatient qui sait que son temps viendra. Cela t’a appris à te réjouir de ce qui adviendra.

IMG_7884.jpg

Cette chronique anniversaire est la dernière que je te lirai avant que tu ne puisses la lire toi-même et viendra le jour où, peut-être, tu l’écriras avant moi. Mais de cela, je ne suis pas impatient. Pour tes 5 ans, bon anniversaire Ioannes.

10/11/2015

Savoir y faire

Comme la langue de l'ami Denimal a fourché pendant son intervention, une petite précision s'impose. Redisons-le donc une nouvelle fois, peut être pas la dernière : le savoir-être est un concept inepte et la trilogie savoir, savoir-faire, savoir-être une impasse opérationnelle. Autrement dit, il n'y a pas plus de savoir-être que d'intelligence situationnelle dans la dernière réforme de la formation. 

Reprenons : 

1) La compétence est définie comme la capacité à réaliser certaines activités. Elle se traduit donc toujours par du faire. Pas d'activité, pas de compétence. L'existence même de la compétence suppose donc toujours  une action de faire. 

2) Pour exercer une activité, tout individu mobilise des ressources : elles peuvent être "incorporées", c'est-à-dire internes à l'individu, ou bien "externes"c'est à dire obtenues de l'environnement au moment où on doit les utiliser.

3) La formation n'apporte pas des compétences. Elle apporte des ressources, qui sont autant de promesses de compétence. Elle peut aussi permettre de s'entraîner à combiner des ressources par la mise en situation, la résolution de problèmes, etc. 

IMG_6307.jpg

4) L'être ne relève pas du champ de la formation professionnelle mais au moins depuis Parménide, d'une philosophie de l'existence qui peine encore à en tracer les contours.

5) Et si l'on utilise plus simplement connaissances, capacités et comportements, on a une trilogie plus efficiente. Les connaissances renvoient aux ressources (qu'elles proviennent de la formation, de l'expérience ou de l'environnement), les capacités à ce que l'on est capable de faire et les comportements à la manière dont on s'y prend pour mettre en oeuvre ses capacités. Et ici j'ose penser que l'expert en classifications Denimal appréciera la distinction entre ce que l'on sait faire et la manière dont on le fait. La première partie peut être collective (et donc relever de la définition de l'emploi) alors que la deuxième partie est nécessairement individuelle et relèvera d'un système d'appréciation.

Pour les sceptiques, petite épreuve : essayez le baiser de cinéma avec le savoir-être. Il risque de manquer de saveur sauf à être un adepte du tantrisme. Mieux vaut savoir y faire. 

02/01/2015

Ascétisme foisonnant

Pour produire une oeuvre éruptive, baroque, foisonnante, éclatante, fourmillante, explosive, hypnotique, onirique, il faut se mettre longtemps à sa table de travail, lentement, méticuleusement, rigoureusement, en solitaire, pendant de longues heures, absorbé tout entier par ce vous êtes en train de créer qui déjà vous échappe. Comme l'écrivain se retire du monde aux heures d'écriture pour mieux s'en saisir, le peintre s'offre un corps à corps avec la toile qui l'épuise et l'enthousiasme. 

Aux ordres de la nuit.jpg

Marc Janson - Aux ordres de la nuit

L'harmonie des contraires, la nécessité de leur union, leur imbrication profonde ne peut être une surprise pour qui tient la dialectique pour le moteur de toutes les découvertes. Alors commettez le pêché d'orgueil avec le désir prométhéen d'accéder à la connaissance en vous mettant aux ordres de la nuit. Beau programme pour l'année à venir. 

04/11/2013

Encyclopédique

C'est le visage de cire  d'André Breton qui vous accueille à l'entrée du Pavillon central de la Biennale de Venise placée cette année sous le thème du Palais Encyclopédique. Les yeux fermés car pour Breton le rêve, l'onirisme, constituent des chemins d'accès à la connaissance que ne fréquente guère la conscience.

IMG_1752.JPG

Ce qui frappe dans les oeuvres présentées lors de la biennale, c'est l'omniprésence de trois thèmes : l'accumulation, l'enfermement et l'éros. L'accumulation car le savoir, la connaissance est un empilement, une profusion, une curiosité incessante qui avait conduit Cendrars à regretter qu'une vie entière de lecture ne suffirait pas à épuiser la plus grande des bibliothèques.

IMG_1757.JPG

Mais cette accumulation débridée de savoir peut finir par perdre son sens, à saturer l'espace et à provoquer l'étouffement par l'encombrement, tout comme le cancer conduit à la mort par excès de vie et prolifération des cellules. 

IMG_1856.JPG

C'est pourquoi le souci de classer, d'ordonner, de hiérarchiser, de compiler méthodiquement le savoir a toujours existé. Ce souci d'ordonnancement est d'ailleurs le propre de l'Encyclopédie qui permet de remettre de manière intelligible la connaissance à disposition. Mais en choisissant une manière de structurer le savoir, on l'enferme dans un cadre d'analyse, on le réduit à un projet particulier, on l'oriente idéologiquement et finalement on enferme également l'individu dans ce quadrillage de la connaissance.

IMG_1785.JPG

C'est ici qu'intervient l'éros, car l'éros c'est la vie comme le proclamait Marcel Duchamp, alias Rrose Sélavy. Il n'aura échappé à personne, depuis Adam et Eve, que la soif de connaissance est une curiosité qui relève de l'érotique et que la pulsion de vie ne saurait se réduire aux pulsions sexuelles. Qui en doute pourra consulter longuement les innombrables cahiers du bien nommé Othake qui associent photos, couleurs, passions, érotisme, politique, science, arts, passé, présent et tout ceci à la manière d'un enfant coloriant les livres comme il peint le monde aux couleurs nouvelles de sa singularité.

IMG_1768.JPG

Au sortir de ce tourbillon d'images, de créations, de collections, de déferlements anarchiques, on peut se demander comment sortir de ce dilemme : l'appétit sans limite de tout et la folie qui inévitablement en résultera. Une solution possible est de s'en remettre aux muses qui allègeront l'envie, satisferont l'éros et éloigneront les prisons. Comme il se doit, celles qui se présentent pour ce faire sont japonaises.

IMG_1806.JPG

26/08/2013

Etre de savoir

Marronnier de l’été, le thème de la connexion maintenue pendant les vacances fait le tour des journaux et télés. Chronique d’une psychanalyste, il faut au moins ça, sur une radio expliquant que l’incapacité à rompre totalement avec son job tenait à la fois à des facteurs psychologiques, la peur du vide, du face à face avec soi-même et avec ses désirs, et à des facteurs sociaux, la pression au travail et la crise. Soit la peur et l’angoisse, les deux mamelles du psychologue. Rien sur le rapport à la technologie, la rupture des  frontières traditionnelles dans la vie postmoderne et encore moins sur le plaisir, puisque pour certains c’est au travail que cela se passe. Mais passons. Ce qui retenait l’attention, c’est que la chronique s’appelait « savoir-être ». Il faut déjà subir le jargon pseudo-pédagogique dans le milieu, si en plus il se banalise…

formation,éducation,savoir,être,pédagogie,radio,chronique,journaliste,jargon,management,science

Savoir être deux

Savoir être n’est finalement que la reprise d’une vieille formule, lorsqu’il s’agissait « d’apprendre à vivre », avec les mêmes présupposés du savoir qui précède l’être et du comportement qu’il importe de normer. Pas besoin d’y réfléchir très longtemps pour juger de la prétention de celui qui voudrait  apprendre à être à autrui. Il est vrai qu’il est plus facile de tenter de manager les savoir être que les êtres de savoir que nous sommes.  Quant à admettre que la plupart des savoirs sont inconscients et incorporés, autant vouloir nier deux siècles de scientisme. Et voilà pourquoi, hélas, on en a certainement pas fini avec la tarte à la crème frelatée du savoir être.

09/12/2012

Transmission versus acquisition

En 1907, Picasso a 26 ans, il a déjà peint un des tableaux les plus importants de l'art moderne et de toute sa production, qui sera encore longue. En 1862, Ingres a 82 ans, il peint  5 ans avant sa mort un chef d'oeuvre qui est une synthèse de tout son art et dont la modernité est époustouflante. Si les deux hommes s'étaient rencontrés, qui aurait été le tuteur de l'autre ? aucun bien évidemment, mais ils auraient échangé ou plus surement encore, ils se seraient montré leurs productions et auraient bu des coups ensemble. Peut être auraient-ils commentés cette phrase de Picasso : "A dix ans, je peignais comme Raphaël, mais cela m'a pris toute ma vie de dessiner comme un enfant".

les demoiselles d'avignon.jpg

Picasso - Les demoiselles d'Avignon - 1907

Les partenaires sociaux ont signé le 19 octobre 2012 un accord sur les contrats de génération. Dans ce texte, est abordée la question de la transmission des compétences. La modernité est ici présente dans le refus de la figure traditionnelle de l'ancien qui initie le plus jeune. Le texte invite à mettre en place des actions organisant la transmission des compétences, qui concerne sans hiérarchie préétablie les deux acteurs principaux du dispositif. Encore mieux, le texte invite à créer des situations de travail qualifiantes, car c'est bien là que se situe la véritable question : plutôt que de transmission linéaire, il s'agit de créer les conditions de nouvelles acquisitions, le plus souvent partagées. Apprendre ensemble plutôt qu'apprendre de l'autre. Faciliter l'acquisition sans transmission, c'est sans doute la condition d'une véritable qualification de tous. Pour en savoir plus, vous pouvez lire ci-dessous la chronique écrite avec Jean-Marie Luttringer pour l'AEF qui commente plus en détail l'ANI du 19 octobre 2012. Mais n'oubliez pas auparavant de passer par le bain turc. Bon lundi à tous.

le_bain-turc_ingres.jpg

Le Bain Turc - Ingres - 1862

LA_TRANSMISSION_DES_SAVOIRS_ET_DES_COMPETENCES.pdf

14/05/2012

Innocence de l'autruche

La remarque est assez fréquente à la fin des formations et séminaires. Elle emprunte souvent la forme ironique dans sa formulation pour mieux dissimuler le sérieux embarras. Elle revient schématiquement à ceci : "Maintenant que je sais à quoi m'en tenir, que je dispose à la fois des clés de compréhension et des outils pour construire des solutions, je suis en fait plus embêté qu'avant car il me faut agir et choisir". Autrement dit, sorti de mon état d'innocence et plongé dans la conscience des situations, me voici chassé du paradis et condamné à vivre pleinement ma condition humaine. Habile manière de tenter la culpabilisation du formateur qui persiste à vouloir faire gagner en autonomie au risque de placer chacun devant ses responsabilités. Bien essayé mais c'est raté.

JulienSpiedler-Les Innocents - 2011.jpg

Julien Spiedler - Innocence - 2011

Car en ce domaine comme tant d'autres, l'âge d'or de l'innocence n'est souvent qu'un mythe. Et d'ailleurs, si vous êtes venus c'est que le confort n'était sans doute pas si grand, non ? Bon lundi à tous.

maurizio-cattelan-sans titre 1997.jpg

Maurizio Cattelan - Sans titre - 1997

27/10/2010

Savoir d'expérience

« Moi je sais de quoi je parle, j’ai l’expérience ». Les sources de la légitimité personnelle sont nombreuses : dans notre pays la légitimité par le diplôme, ou plus encore par l’école fréquentée, est un peu envahissante. Il n’en reste pas moins qu’elle ne cède pas totalement à la légitimité par l’expérience. Bien plus ancienne, elle possède son icône : Saint-Thomas qui y met les doigts pour  constater que le Christ mort est bien ressuscité.

Le_Caravage_-_L'incrédulité_de_Saint_Thomas1601_1602.jpg

Le Caravage - L'incrédulité de Saint-Thomas - 1602

Ainsi, seule la vérification « de visu » (« de manu » en l’occurrence pour Saint-Thomas), permettrait d’établir la vérité. L’expérience directe comme seule source valide du savoir. Cette légitimité admise est pourtant discutable car elle fait fi de la transmission et des limites de l’expérience directe, sans parler des autres manières d’accéder au savoir.

 De la transmission il convient d’ailleurs de se moquer : n’est-il pas ridicule l’homme qui a vu l’homme, qui a vu l’homme, qui a vu l’ours, et qui n’a pas eu peur. Coupé de l’expérience sensible immédiate, le savoir s’étiole. L’idée de l’ours n’est pas plus l’ours que la représentation de la pipe par Magritte ne se fume. 

Magritte_pipe1.jpg

Magritte - La trahison des images - 1929

Pourtant, la transmission loin d’être une déperdition du savoir peut contribuer à son enrichissement dès lors que l’enseignant n’abreuve pas l’enseigné mais construit un dialogue avec lui. Et à partir de ce cadre, il est possible de s’ouvrir à d’autres formes de savoir (la lecture, l’enquête, la recherche, l’échange, la réflexion, la méditation y compris la méditation poétique qui sont autant de sources de connaissance). C’est pour cette raison que les rugbymen font du tableau noir et des séances vidéos : parce que l’expérience du match est insuffisante à elle seule pour parfaire leur savoir. Merci à eux de nous apprendre que l'expérience est indispensable mais insuffisante. Et qu'un grand entraîneur n'a pas forcément été un grand joueur.

mattahy5.jpg

Matta - O tableau noir - 1991

La seconde limite est dans le credo de nos sens. Ce que nous voyons, ce que nous percevons, ce que nous entendons, ce que nous touchons, ce que nous goutons passe à l’inévitable tamis de notre personnalité : tel palais éduqué au goût n’aura pas la même sensation que celui qui ne prend guère le temps d’apprécier les aliments rapidement engloutis. Et l’on comprend que l’expérience directe condamne au relativisme à l’infini et qu’il faut dépasser la perception individuelle pour parvenir à une quelconque vérité. En d’autres termes, la vérité de chacun  est le meilleur ennemi non seulement de l’établissement de quelques certitudes mais également de la production du savoir. La connaissance, en effet, ne peut croître et se développer que si chacun accepte d’amener son expérience personnelle dans le débat pour mieux apprendre à la dépasser. Jésus l’avait d’ailleurs compris qui répondit à Saint-Thomas l’incrédule : “Parce que tu m’as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru !” ».

28/05/2010

Adapter c'est développer

Le secrétaire général de l'association nationale de lutte contre l'illettrisme (ANLCI) a déclaré, à l'occasion d'une présentation des actions de l'association : "Nous sommes passés d'une logique de remise à niveau à une logique de formation professionnelle". Autrement dit, au lieu de lutter contre l'illettrisme en effectuant de la formation générale, on met en place des actions qui permettent la maîtrise de l'écrit à partir de situations professionnelles. Plutôt qu'un savoir général, un savoir articulé au métier. Ne plus partir du général pour aller vers le particulier mais faire l'inverse en s'appuyant sur la compétence pour développer les compétences. L'autonomie étant un lent apprentissage, il convient de favoriser l'autonomie sur un premier périmètre pour qu'il serve d'appui à la construction d'une autonomie sur un périmètre plus large.

toyen003.jpg
Toyen - Le Développement - 1945

Voilà pourquoi l'action d'adaptation a de multiples vertus : elle renforce le confort au travail, elle autonomise, elle habitue à la formation, elle permet d'articuler formation et travail et elle donne des fondements à des apprentissages futurs. Ainsi, des actions d'adaptation au poste, souvent vilipendées comme strictement utilitaires voire utilitaristes, ne prenant pas en compte l'individu, etc. permettent d'acquérir des savoirs de base. Il ne faut jamais oublier la leçon de Maurice Hauriou (Juriste toulousain) : un peu de sociologie éloigne du droit, beaucoup de sociologie y ramène. Le juriste part des faits, le sociologue du terrain. Et c'est sur ce matériau qu'il raisonne. Les principes, aussi généraux soient-ils, ne sont généreux que lorsqu'ils ne perdent pas de vue l'efficacité de la norme. Cela fait trop longtemps qu'au nom de principes on fait du droit formel. Ce que démontre l'action de l'ANLCI c'est qu'enrichir le travail permet d'enrichir les individus. L'inverse n'est pas forcément vrai.

14/05/2010

Apprendre c'est faire

Peut être faut-il attribuer à un certain scientisme ou positivisme propres au 19ème siècle, cette phrase de Paul Valéry  : "Tu ne m'apprends rien si tu ne m'apprends à faire quelque chose". Mais si cette phrase avait été dite par Tchouang-Tseu on y aurait  vu l'illustration  de ce que l'homme n'est qu'activité et que celle-ci associe indissolublement corps et esprit. Ailleurs, en Afrique par exemple, on pourrait y voir la traduction que tout savoir a une traduction directe, de la même manière qu'une amulette de mauvaise augure peut véritablement provoquer la mort de celui qui la reçoit. La résistance est peut être plus forte pour qui a été nourri, directement ou non, de Platon et/ou de religion et qui est habitué à distinguer le monde des idées et la vie matérielle ou encore la vie terrestre et la vie céleste. Pourtant, qu'est-ce qu'une connaissance qui jamais ne se traduit en acte ? quid du rêve que l'on tient pour une simple rêverie sans lendemain (heureusement, l'inconscient veille !).

Redon, Le rêve.jpg
Odile Redon - Le rêve

La fameuse trilogie savoir, savoir-faire, savoir-être a peu de sens au regard de l'affirmation de Valéry. Le savoir sans le faire n'existe pas et le savoir être est une tautologie puisque être c'est déjà faire. Bref, rien à tirer de ce trio et on défie quiconque de démontrer l'intérêt pratique de cette distinction.
Pour élargir un peu le propos, à quoi bon la vie sociale, la vie culturelle, les voyages si toute expérience n'agit pas sur le cours de votre vie ? Paul Valéry encore : "Mon âme a plus de soif d'être étonnée que de toute autre chose. L'attente, le risque, un peu de doute, la vivifient bien plus que ne le fait la possession du certain". Pouvez-vous lire ce quatrain de Mallarmé sans que votre manière d'aimer ne s'en trouve modifiée ?
Nous promenions notre visage,
(Nous fumes deux, je le maintiens)
Sur maints charmes de paysages,
O soeur, y comparant les tiens.

(Mallarmé - Prose pour Des Esseintes)
DSC05565.JPG

29/12/2009

VOYAGES A VENIR

A près de 80 ans, Michel Serres, que les honneurs multiples n'ont pas alourdi, garde la vivacité, le plaisir, la malice et la pétillance qui l'ont toujours caractérisé. Il conserve également cette plus rare foi dans la jeunesse avec la conviction que chaque génération a ses propres combats à mener et qu'elles ne sont pas concurrentes entre elles. Pas de conflit de générations avec Michel Serres, mais des témoins qui se transmettent sous forme de "voilà ce que je peux vous léguer, et je le fais avec plaisir non pour que vous y soyez fidèle en le statufiant, mais pour l'usage que vous jugerez bon". Mais plutôt que de le faire parler, donnons lui la parole :

"L'intelligence n'est pas de savoir axiomatiquement comment on déduit... Pour Montaigne, ce n'était plus "tête bien pleine", la diffusion de l'imprimerie détrônait cette mémorisation des voyages d'Ulysse, des contes..., qui servaient de supports aux connaissances de l'époque. Déjà Montaigne ne trouvait plus de sens à mémoriser une bibliothèque potentiellement illimitée. Mais sur Internet, faut-il encore une "tête bien faite"? Peut-être "surfera" mieux "pied bien démerdard". Voilà la définition de l'intelligence d'aujourd'hui. Celui qui courra le mieux avec ses deux pieds ne sera pas forcément polytechnicien agrégé de philosophie; ceux-là auront la tête trop lourde pour se débrouiller là-dedans... Par conséquent, il y aura des chances nouvelles pour des gens que l'ancien monde traitait de débiles. C'est un nouveau départ avec des chances également réparties.

L'homme se promènera dans le volume de l'information comme il se promène dans les forêts et les montagnes, pour explorer le monde physique. Jusqu'ici, le savoir était un lieu d'apprentissage de la déduction, de l'induction, de la mémoire. Il devient aujourd'hui un lieu de promenade. Cela n'est jamais arrivé."

Watteau.JPG
Watteau - L'embarquement pour Cythère

Cette invitation au voyage, dans la joie et le plaisir des sens, est celle que Watteau peignit avec la part de mystère qui habille ses toiles. L'invitation au voyage mérite d'être renouvelée, ce que fit Michel Serres encore, lors d'un récent passage à Toulouse, en ces termes : "Je pense que les mutations sont telles que l'avenir immédiat n'appartient pas aux grandes institutions mais aux initiatives individuelles mêmes minuscules mais toujours proche des individus. Il faut que chacun prenne conscience de cette nécessaire reconfiguration et se l'approprie. C'est à ce niveau-là que la mayonnaise doit prendre. Après seulement, dans un second temps, viendra le temps des institutions. J'aimerais avoir 18 ans et la jeunesse pour avoir devant moi le temps d'entreprendre, pour participer à cette grande mutation et la voir lever. On n'est pas qu'à l'aube de la deuxième décennie du vingt et unième siècle mais à l'aube de quelque chose.".  Entre le coucher de l'année en cours et le lever de l'année nouvelle, l'heure bleue, interstice temporel, permet de mieux apprécier la parole de Michel Serres.

22/12/2008

Girondin

La crise de l'autorité dont l'on nous reparle régulièrement n'est sans doute qu'un enième avatar d'un conflit ancestral entre l'horizontal et le vertical. Quelques mots d'explication. Ceux de Jean-Marie Rausch tout d'abord déclarant devant le Sénat : "La société verticale et hiérarchique va probablement être remplacée par une société beaucoup plus transversale sous forme de réseaux : la nouvelle société va s'administrer de par la volonté, l'espoir et l'esprit des gens....or l'Etat, le gouvernement et l'état d'esprit français restent complètement ou presque basés sur le système de la société industrielle qui est pyramidal, c'est à dire hiérarchique et vertical". Peut-être ne faut-il chercher plus loin, et pas nécessairement dans la génération Y, la nature des actuels conflits de génération. Le débat n'est pas nouveau, déjà lors de la Révolution les décentralisateurs Girondins s'opposaient aux centralisateurs Montagnards qui, hélas, l'ont emporté malgré la beauté, la fougue et la détermination de Charlotte Corday.

cordayweerts.gif.jpg
Weerts - L'assassinat de Marat - 1880

Continuons par les propos de Pierre Forthomme, anthropologue, à propos de l'enseignement en Suède: "l'écolier apprend que l'instituteur n'a pas le monopole du savoir et est encouragé à s'appuyer sur ses camarades pour apprendre et progresser. Dans un tel système, le citoyen fait très tôt l'expérience qu'il est naturellement en capacité d'avoir une influence sur le cours des choses. Certes, son influence est partielle, effective seulement si elle s'agrège intelligemment avec celle des autres, mais en aucun cas elle ne dépend du bon vouloir d'une autorité qui se situerait au-dessus". Ne pas tout attendre de l'autorité tutélaire, connaître sa liberté et l'éprouver, apprendre par soi-même : autonomie, liberté et curiosité du savoir, voilà un programme girondin qui parle même à un toulousain !