30/12/2011
L'art de la synthèse
On fait souvent le constat que Platon, en distinguant le monde des idées du monde matériel, a ouvert la porte au dualisme dans lequel s'engouffreront d'abord le christianisme, qui distingue l'âme et le corps (et parfois rajoute l'esprit dans une tentation trinitaire) puis du rationnalisme de Descartes qui institue l'esprit, distinct du corps, comme la seule réalité dont il n'est possible de douter (le fameux : "je pense donc je suis", qui constitue la négation d'un improbable : "je corpore donc je suis"). Ce dualisme imprègne nombre de nos pratiques : ainsi la médecine du corps n'est pas celle de l'esprit (chirurgiens et psys n'ont que peu en commun), le Quotient intellectuel a vu surgir un Quotient émotionnel, la théorie est encore et toujours opposée à la pratique, et nos catégories de pensées avancent souvent par opposition duale. Ces oppositions sont pourtant souvent réductrices et stériles et devraient laisser place à la recherche de la synthèse. En voici une, fournie par un moine dominicain du 15ème siècle, Fra Angelico.
Dans le couvent San Marco, à Florence, un escalier conduit au premier étage aux cellules des moines. Lorsque vous gravissez les dernières marches, vous êtes happé par l'Annonciation peinte sur le mur extérieur d'une cellule. L'Annonciation, c'est le début de l'incarnation, le Verbe fait chair. L'esprit pénétrant dans un corps pour y incarner l'esprit. Difficile de faire plus entrelacé. Le tableau en rend compte : les éléments matériels, le jardin, la loggia, le tabouret, sont très présents mais ne s'opposent pas à ce que la fresque rende compte du mystère fondamental du christianisme. Le monde matériel et spirituel sont tout entier fusionnés.
Dans la cellule n°3, une seconde Annonciation. Plus dépouillée, plus hiératique, plus mystique encore que la première. C'est que la cellule est à la fois lieu de sommeil et de prière, donc de rêve. Le monde matériel est toujours présent, mais de manière plus discrète. Nous ne sommes plus dans le couloir mais au coeur de l'intimité. Les pigments prennent des teintes pastels pour s'accorder avec douceur aux murs blancs et à la robe blanche du frère qui séjourne en ce lieu. Le corps incarné est un peu plus esprit que celui du couloir d'accueil.
Et voilà comment des peintures qui ont plus de 5 siècles viennent nous rappeler que la pensée duale d'opposition est une impasse dans laquelle on s'engouffre par facilité. L'Annonciation est une invitation à penser les liens entre les opposés et à considérer que s'il doit y avoir vérité, elle est à rechercher du côté des articulations et non des oppositions. C'est à la connaissance par l'art de la synthèse que nous invite l'art de Fra Angelico.
NB : Vous pouvez retrouver la lumière de Toscane dans les peintures de Fra Angelico à Paris, au Musée Jacquemart André jusqu'au 16 janvier 2012.
00:29 Publié dans FRAGMENTS, TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fra angelico, peinture, toscane, florence, jacquemart-andré, exposition, dualisme, philosophie, platon, descartes
26/10/2010
Un monde inhabité
La Foire international d'art contemporain (FIAC) de Paris s'est tenue pendant quatre jours au Grand-Palais et divers autres lieux parisiens. Il y avait cette année six foires off, dont ChicArtFair qui se tenait dans les superbes locaux de la cité du design et de la mode, en bords de Seine. L'occasion de belles découvertes, dont celle de José Manuel Ballester, artiste madrilène qui vide les toiles de maître de ses habitants.
Sandro Botticelli - Histoire de Nastagio degli Onesti - 1487
José Manuel Ballester - Bosquet italien III - 2008
La scène pourrait préfigurer la chanson de Charlélie Couture : "Y'avait une fête ici". Elle fait apparaître en personnage principal le paysage qui n'était qu'un décor dans le tableau original. Elle montre peut être aussi le travail du peintre qui, comme Ingres, peignait le fonds ou le faisait réaliser par ses élèves avant de poser délicatement chaque personnage à sa place.
Fra Angelico - Annonciation - 1430 - Ballester - Lieu pour une annonciation - 2007
Difficile de dire que la toile est inhabitée. Le lieu pour une annonciation préfigure la scène qui s'y déroulera. Ainsi est on bien persuadé qu'il est des lieux dans lesquels la magie ne peut qu'opérer. Qui s'installe sous ces arches sera nécessairement touché par la grâce.
Bosch - Le jardin des délices - 1490 - Ballester - Le jardin inhabité 2008
Le jardin inhabité est plus inquiétant. La nature de Bosch privée de ses habitants ne comporte plus guère de délices. On dirait une machine qui tourne à vide et qui ne produit que peu de plaisirs. Elle ressemble à ce monde déshumanisé que certains n'envisagent que comme un grand lego économique dans lequel l'homme n'a sa place qu'en tant que producteur/consommateur. Le jardin des délices ce n'est pas l'après-fête, c'est l'après fermeture d'activité, c'est la friche industrielle qui restera en l'état de longues années. En supprimant les habitants du paradisiaque jardin, Ballester prend le contrepied de Sartre, l'enfer ce n'est pas les autres, c'est quand les autres ne sont plus là, parce qu'il y a de fortes chances pour que l'on n'y soit pas non plus.
10:10 Publié dans TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fiac, chicartfair, bosch, botticelli, fra angelico, peinture, art, ballester, jardin, économie, politique
28/12/2009
Question de perspective
La perspective est cet art qui permet de figurer trois dimensions sur un espace bidimensionnel. Trois dimensions en deux : autant dire du faux pour faire du vrai. Pour rendre une perspective réaliste, il est nécessaire de fausser la représentation sur la toile et de figurer une profondeur qui n'existe matériellement pas. Par cet artifice, le tableau devient réaliste. Passer par le faux pour aboutir au vrai, cela pourrait être une définition de l'art. Pour illustrer, autant choisir les maîtres et parmi eux celui qui associe technique, grace, idéalisme et poésie, j'ai nommé Fra Angelico.
02:29 Publié dans TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fra angelico, convoyeurs, prévention, risques, santé au travail, risques psychosociaux, perception