Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

01/10/2010

Au plaisir du juge

Faisait-il soleil ce jour-là à Douai de telle sorte que les juges furent troublés par le rayon qui éblouissait le tribunal et altéra leurs facultés ? était-ce une vacance avant l'heure ? le repas avait-il été trop lourd ? ou bien l'ennui d'une audience judiciaire avait-il gagné les magistrats qui n'écoutèrent qu'inattentivement les plaignants ? toujours est-il que la décision avait de quoi surprendre. Une salarié licenciée demandait à bénéficier de son droit à DIF pour suivre une formation de 3 930 euros. L'entreprise ne donne pas suite à sa demande car le montant de l'allocation formation à laquelle elle a droit, et qui avant la loi du 24 novembre 2009 marquait la limite de l'obligation de l'employeur en cas de licenciement, ne représente que 950 euros. La Cour d'appel de Douai condamne pourtant l'entreprise. La Cour de cassation invalide ce jugement : en cas de licenciement, l'entreprise n'a l'obligation de payer que dans la limite prévue par la loi. La réponse était pourtant évidente.

image-work-magritte_l_evidence_eternelle_1930-5256-450-450.jpg

Magritte - L'évidence éternelle - 1930

Plusieurs remarques toutefois :

- si la loi limite l'engagement de l'entreprise en cas de licenciement, c'est parce qu'il s'agit d'un cas dans lequel le DIF est de droit. Mais comme il n'est pas question de reconnaître un droit de créance illimité au salarié, l'engagement est plafonné ;

- la loi du 24 novembre 2009 a fixé le plafond non plus à hauteur de l'allocation formation mais forfaitairement à 9,15 euros. En l'occurence, cela aurait réduit le droit de la salarié de 950 euros à 713 euros. Preuve que la salariée avait un salaire important puisque pour atteindre 9,15 euros sous forme d'allocation formation, le salarié doit avoir un salaire supérieur à 2700 euros nets ;

- il peut arriver aux juges de commettre des erreurs grossières. Particulièrement en matière de formation pour la simple raison que les contentieux sont rares. De ce fait, les juges sont peu professionnalisés sur ces questions et prennent parfois des décisions surprenantes. D'où la nécessité de ne pas surinterpréter trop rapidement toute jurisprudence en la matière mais de laisser le temps faire son oeuvre. Si la Cour de cassation a créé des chambres spécialisées (licenciement économique, durée du travail, etc.), aucune ne traite de formation professionnelle et le contentieux est éclaté en différentes chambres selon le contexte de l'affaire. Voilà qui ne favorise pas la construction d'une doctrine, mais après tout le DIF en tant que dispositif relevant à titre principal de la négociation n'a pas à attendre du juge que ce dernier en fixe le mode d'emploi. Si tel devait être le cas d'ailleurs, nous ne serions sans doute pas au bout de nos surprises.

Commentaires

Bonjour,

La décision de la Cour d'appel de Douai était effectivement surprenante...

J'avais déjà rédigé un petit commentaire sur cet arrêt hier que j'ai déjà eu l'occasion d'envoyer sur Viadeo...

Je le redonne in extenso (il n'est pas trop long)

"Une salariée est licenciée le 31 juillet 2007 pour motif économique et sollicite le bénéfice de ses 78 heures de DIF durant son préavis.
En l’espèce, elle réclamait le paiement d’une somme de 3939 euros (soit 50 euros l’heure de formation) , somme qu’elle prévoyait utiliser à diverses formations.

On ne sait si son employeur a refusé formellement mais toujours est-il qu’il n’a pas “concrétisé” le paiement ce qui lui valut d’être attrait devant la juridiction prud'homale pour finalement être condamné en appel à 2500 euros (Arrêt de la Cour d’appel de Douai en date du 20 février 2009 ) soit à une somme correspondant à approximativement 32 euros l’heure de formation.

Par un arrêt du 14 septembre 2010 ( http://bit.ly/cuQx8w ) , la Cour de Cassation sanctionne la Cour d’appel en précisant que celle-ci aurait dû rechercher “si la formation que la salariée avait sollicitée et dont elle réclamait le montant ne dépassait pas par son coût le montant de l’allocation due par l’employeur correspondant aux heures acquises au titre du droit individuel à la formation.”

D’un point de vue strictement juridique, l’arrêt ne présente en vérité guère d’intérêt particulier, la Cour de Cassation ne faisant en réalité que rectifier une erreur de droit assez flagrante.

Toutefois il a malgré tout le mérite d’attirer l’attention sur l’un des “pièges” du DIF.

II est clair que les salariés ont tout intérêt, en l’état actuel du droit, à “consommer” régulièrement leurs heures de DIF et en tout état de cause d’éviter à le faire dans le cadre d’une rupture du contrat de travail ou même plus tard dans le cadre de la désormais célèbre “portabilité” prévue par la loi du 24 novembre 2009 (article L6323-18 du nouveau code du travail).

En effet, durant toute la période d’exécution du contrat de travail, l’employeur assume intégralement le coût des formations à hauteur du crédit d’heures consommé (en y ajoutant les frais éventuels d’hébergement et de transport) auquel s’ajoute la rémunération si la formation a lieu pendant le temps de travail ou une allocation de formation si elle a lieu hors temps de travail.

En cas de licenciement, le DIF qui s’exprimait jusque là en “temps-formation” (x heures ) est alors converti en “budget-formation” (x euros).
Le problème est que la somme obtenue (qui doit être obligatoirement affectée à une formation ) est trop faible pour permettre au salarié de bénéficier dans la plupart des cas d’une formation à hauteur du crédit d’heures acquis.

Pour prendre un exemple simple, un salarié disposant d’un crédit de 120 heures (maximum légal pour les salariés bénéficiant de 20 heures par an), n’obtiendra aujourd’hui en tout et pour tout que...1098 euros ( Depuis 2009, l’heure de formation vaut 9,15 euros ; à l’époque des faits concernés par l’arrêt, l’heure de formation était variable car elle était le résultat d’une moyenne).

Il est important de souligner que cette constatation vaut également en cas de “portabilité” , possibilité que l’on présente souvent comme un important progrès alors que ce n’est en réalité vrai qu’en partie.

En effet, qu’il s’agisse de la mobilisation du DIF “porté” durant la période de chômage (pour simplifier) ou chez un second employeur, seule l’heure de formation “valorisée” à 9,15 euros pourra être affectée à une formation, cette somme étant “regardée comme” l’équivalent en valeur de ces heures accumulées, ce qui ne correspond bien évidemment pas à la réalité dans la plupart des cas.

Par contre, s’agissant du DIF “non porté” qui lui sera acquis chez le nouvel employeur, il s’exprimera de nouveau quant lui en “temps-formation” ; de ce fait il se consommera en “temps-formation” ce qui permettra un financement intégral.

Écrit par : Bruno Callens | 01/10/2010

Bonjour,

Ceci me remet en mémoire une discussion que nous avons eu sur Viadeo sur les pièges du DIF...il ya quelque temps déjà !

Je me permets de reprendre vos mots :
"II est clair que les salariés ont tout intérêt, en l’état actuel du droit, à “consommer” régulièrement leurs heures de DIF et en tout état de cause d’éviter à le faire dans le cadre d’une rupture du contrat de travail ou même plus tard dans le cadre de la désormais célèbre “portabilité” prévue par la loi du 24 novembre 2009 (article L6323-18 du nouveau code du travail).

En effet, durant toute la période d’exécution du contrat de travail, l’employeur assume intégralement le coût des formations à hauteur du crédit d’heures consommé (en y ajoutant les frais éventuels d’hébergement et de transport) auquel s’ajoute la rémunération si la formation a lieu pendant le temps de travail ou une allocation de formation si elle a lieu hors temps de travail. "


Sauf que....
Certes, durant l'exercice du contrat du travail, l'employeur finance l'intégralité du DIF... mais si et seulement si il accorde au salarié la mise en oeuvre du DIF. L'employeur dispose d'un droit de veto en la matière, le DIF méritant alors davantage le sigle de PIF (potentiel individuel de formation).
Le DIF est bien un dispositif relevant de la discussion, négociation, compréhension des interets réciproques entre employeur et salarié et n'est pas, à ce titre, un droit automatique à partir en formation pour son bénéficiaire.

A contrario, durant le préavis, si les conditions de portabilité en cas de licenciement ou démission sont remplies, l'employeur doit financer à hauteur de seulement 9,15 € de l'heure sans doute, mais au moins de façon obligatoire (avis n° 2004-F du 13.10.04 relatif à la comptabilisation du DIF rendu par le comité d’urgence du Conseil national de la comptabilité reconnaissant le DIF comme provisionnable dans ce cas).

Pour la portabilité post-préavis, je vous rejoins : le DIF redevient alors un PIF soumis à l'avis de Pôle emploi, du nouvel employeur, de l'Opca....
Une portabilité d'un individu dont l'autonomie reste encore bien peu reconnue et valorisée !

Écrit par : CB | 03/10/2010

Si l'on veut faire quelque chose du DIF :

1) Les organisation syndicales militent pour un DIF portant prioritairement sur les compétences clés pour le métier exercé et pour un droit d'initiative encadré par la négociation collective ;
2) Le refus de l'employeur étant d'autant plus complexe que l'on est proche du poste de travail, le DIF se développe et la négociation devient incontournable ;
3) Faute de moyens pour tout financer, ce droit revendiqué et négocié inscrit dans un objectif de compétence utilisable, et valorisable, prend progressivement la place du plan
4) Ensuite il sera toujours temps d'élargir sur d'autres types de formation

Le problème du grand soir (tout salarié utilise son DIF comme il le souhaite payé par l'employeur) c'est qu'il revient moins souvent que les petits matins et que c'est ceux-là dont il faut prioritairement s'occuper. Autrement dit, plutôt que d'attendre que tout nous soit livré, efforçons nous de construire le chemin qui y conduit. Et contrairement à ce que l'on peut entendre parfois, c'est la première attitude qui est un renoncement, pas la seconde.

Écrit par : jpw | 03/10/2010

Bonjour,

@cb (je pense savoir qui vous êtes...mais bon, on garde les pseudos - en l'occurrence les initiales).

Vous dites :

"Certes, durant l'exercice du contrat du travail, l'employeur finance l'intégralité du DIF... mais si et seulement si il accorde au salarié la mise en oeuvre du DIF. L'employeur dispose d'un droit de veto en la matière, le DIF méritant alors davantage le sigle de PIF (potentiel individuel de formation)".

Sauf que...

Le droit en lui-même n'est pas négociable...D'ailleurs, il est certain (même s'il n'y a pas de jurisprudence sur la question ) que le refus éventuel de l'employeur ne peut être l'expression que d'un désaccord sur le choix de l'action de formation ce qui réduit déjà les possibilités de refus (voir 2ème alinéa de l'article L6323-10 : "L'absence de réponse de l'employeur vaut acceptation du choix de l'action de formation" et surtout L 6323-12 : "Lorsque, durant deux exercices civils consécutifs, le salarié et l'employeur sont en désaccord sur le choix de l'action de formation (...)")

En ce qui me concerne, je pense que le DIF peut se définir comme un droit sur un volume d'heures assorti d'un droit de proposition du salarié (droit dont on essaie d'ailleurs de le priver...). De toute façon, en cours de contrat, un ou des refus ne remettent pas en cause le droit lui-même (un salarié disposant de 100 heures aura toujours 100 heures "à prendre"...).

Et il y a de fortes chances que le DIF sera relié à l'obligation de "veiller à l'employabilité" du salarié au titre de l'article L6321-1...(2ème alinéa si je ne m'abuse). Et derrière cette obligation générale, on peut désormais fixer un chiffre...(au moins minimum)

Alors, bien sûr, on pourra toujours dire qu'il n'y a pas "d'obligation d'accepter" mais comment va faire un employeur refusant systématiquement et pour des motifs étrangers au choix de l'action de formation pour démontrer qu'il a bien satisfait à l'obligation de "veiller" à l'employabilité du salarié ?

Je pense qu'il est dangereux de faire croire que le DIF relève plus de la faveur que du droit...

Cela étant, à mon sens, deux réformes auraient été nécessaires...

D'abord, on pourrait éventuellement garder le principe de la codécision s'agissant du choix de l'action de formation.

Mais :

1) Avec la suppression de la procédure de l'article L6323-12 pour la remplacer par une procédure de médiation ou d'arbitrage (peu importe les modalités mais faisant intervenir un tiers).

2) La modification de la formulation de l'article L6313-7 (définition des actions d'acquisition, d'entretien ou de perfectionnement des connaissances particulièrement concernées par le DIF) pour la recentrer vers des formations à vocation strictement professionnelle (ce qui n'est pas le cas puisqu'il s'agit "d'offrir aux travailleurs les moyens d'accéder à la culture", de "maintenir ou de parfaire leur niveau culturel ainsi que d'assumer des responsabilités accrues dans la vie associative".

La définition actuelle est trop panoramique et va au-delà de la notion de formation professionnelle au sens le plus commun du terme. On éviterait ainsi les formations farfelues (le "macramé" !)

Écrit par : Bruno Callens | 04/10/2010

Les commentaires sont fermés.