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04/10/2010

Quand le juge dérape

Soucieux sans doute de conforter la dernière chronique de ce blog (un peu de mégalonie le lundi matin est vite pardonné) qui mettait en évidence le peu de professionnalisme du juge sur les questions de formation, la Cour de cassation s'illustre dans un arrêt relatif au plan de formation. Dans un jugement daté du 12 septembre 2010, la Cour suprême pose en principe qu'un salarié inscrit au plan de formation subit un préjudice s'il ne peut finalement suivre l'action prévue. L'affaire était la suivante : une salariée est licenciée pour faute grave. Elle conteste son licenciement, obtient gain de cause et fait également juger que ce licenciement lui ouvre droit à des dommages intérêts supplémentaires pour n'avoir pu suivre deux formations prévues au plan de formation. La Cour d'appel et la Cour de cassation valident ce point. Si l'indemnisation servie est modeste, 300 euros, le principe pose question et constitue une sortie de route juridique des tribunaux.

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Alain Garrigue - Sortie de route - 2008

Pourquoi l'arrêt est-il problématique ? parce que s'il accorde des dommages et intérêts à un salarié du fait qu'une formation inscrite au plan de formation n'est pas suivie, c'est qu'il assimile le plan de formation de l'entreprise à un engagement qui confère un droit au salarié. Or, telle n'est pas la nature du plan de formation. Le plan est certes une décision unilatérale comme l'engagement mais surtout il a, comme son nom l'indique, une dimension prévisionnelle : il s'agit d'une programmation et non d'une prescription définitive. Le plan n'est qu'indicatif, il fixe des objectifs et des moyens, mais il ne peut constituer un engagement. Si tel était le cas, il faudrait lui appliquer le régime juridique des engagements unilatéraux et exiger qu'il soit dénoncé après consultation des représentants du personnel et information individuelle des salariés concernés. Par ailleurs, les engagements, comme les usages, n'ont de sens que dans une dimension collective : or le plan de formation comporte à la fois des formations collectives et individuelles. En juridicisant à ce point le plan de formation, le juge conforte les réticences des employeurs qui ne diffusent pas de plan nominatif de peur de créer du droit : voilà un argument supplémentaire pour perpétuer cette pratique de la non-transparence. Si la volonté du juge était de montrer que la formation a une valeur et que la perte d'une possibilité de se former cause un préjudice au salarié, sans doute existait-il de meilleure voie que celle de transformer en un outil juridique rigidifié ce qui devrait rester une pratique de gestion non créatrice de droit. Que le droit ait réponse à tout ne signifie pas qu'il doive se mêler de tout.

01/02/2010

Annonciation

La loi du 24 novembre 2009 cumule plusieurs défauts : rédigée à coup d'amendements visant à défendre des positions catégorielles, elle peine à conserver une cohérence générale, d'autre part la piètre qualité du travail technique de rédaction laisse subsister de nombreuses contradictions ou imprécisions, enfin la portée pratique de la loi n'a pas semblé guider les rédacteurs qui n'ont parfois trouvé que le renvoi à des textes ultérieurs pour tenter de masquer les insuffisances et approximations du texte. Mais nous voici donc au pied du mur de la mise en oeuvre de ce qui n'est certainement pas une réforme de la formation professionnelle mais plutôt une réforme du financement paritaire de la formation professionnelle. Il paraissait donc plus approprié pour la circonstance de convoquer l'ange pneumatique d'Alfred Courmes pour annoncer les difficultés à venir dans l'application de la loi, que l'Ange du Titien ou de Fra Angelico.

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Alfred Courmes - La pneumatique salutation angélique - 1968

Dans la chronique réalisée avec Jean-Marie Luttringer pour l'AEF et intitulée, en hommage à Geneviève Tabouis, "Attendez vous à savoir", vous trouverez donc ce qu'il convient de s'attendre à rencontrer comme difficulté pratique dans la mise en oeuvre du nouveau texte. Deux prochaines chroniques seront consacrées à la réforme des financements et à la modification des règles concernant les organismes de formation.


Mais pourquoi vous priver de ce que le législateur ne mérite guère pour son oeuvre, l'annonciation de Fra Angelico dans laquelle la simplicité ouvre la voie de l'union entre immanence et transcendance.
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Fra Angelico - L'Annonciation - Couvent San Marco - Florence

 

 

 

23/01/2009

Catégories de formation : nouvelle frontière

Le droit, on le sait, est une affaire de frontières : savoir où commence et s'arrête une qualification juridique, c'est savoir déterminer quels sont les faits et les situations que cette qualification permettra de traiter. L'opération de qualification est l'opération de base de tout raisonnement juridique.

Les partenaires sociaux, dans l'ANI du 7 janvier 2009, ont souhaité regrouper les catégories de formation créées par l'ANI du 5 décembre 2003. Ces trois catégories correspondaient à une logique de finalité de la formation : dans une formation d'adaptation je me forme à ce que je fais, dans une formation d'évolution ou de maintien dans l'emploi je me prépare à une évolution de ma fonction, dans une formation de développement de compétences je me prépare à une nouvelle fonction. Ce triptyque permettait de donner du sens en fonction du périmètre visé par la formation : le poste, l'emploi ou la carrière (ou le parcours).

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Mireille Forget - Frontières du réel

L'ANI du 7 janvier 2009 décide de regrouper, pour la présentation au comité d'entreprise mais également pour le régime de la formation réalisée en dehors du temps de travail dans le cadre du plan de formation, les catégories 1 et 2. La frontière devient plus juridique : toutes les formations relevant du contrat de travail et de la qualification contractuelle, qui correspondent à l'adaptation et au maintien dans l'emploi, relèveront de cette catégorie unifiée. Ce périmètre est également celui des formations que l'employeur peut imposer au salarié dont le refus serait fautif comme vient de le rappeler la Cour de cassation en jugeant que le refus d'une formation d'adaptation constitue une faute pouvant légitimer un licenciement (Cass. soc., 3 décembre 2008, n° 07-42-796). Par contre, toute formation de développement des compétences, en ce qu'elle va au-delà du contrat de travail, nécessite l'accord du salarié qu'elle soit réalisée pendant ou en dehors du temps de travail. La différenciation des catégories devrait s'en trouver facilitée et surtout ce retour à la frontière du contrat de travail devrait conduire les entreprises à s'interroger sur le périmètre exact de la fonction de chacun de ses salariés, ce qui au plan collectif revient à s'interroger sur le système de qualifications utilisé par l'entreprise.

La redéfinition des frontières des catégories est donc l'occasion de conduire un travail plus fondamental pour répondre à la question : quelles sont les activités qui correspondent aux qualifications utilisées contractuellement. Et pour donner un peu d'air à cette chronique juridique on peut en conclure que la formation est, aussi, un passeport qui permet de franchir les frontières.