Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

19/06/2013

Un siècle, et toujours modernes

Débat hier soir à l'initiative d'Education Permanente et de l'Université Ouverte sur la réforme de la formation professionnelle. La moyenne d'âge fleure bon la deuxième partie de carrière, mais si la valeur n'attend pas le nombre des années, Raymond Vatier, à plus de 90 ans, démontre que la vivacité de l'esprit n'est pas toujours celle du corps, quand bien même ferait-on de l'aquagym. Entendre un acteur de la loi de 1970 rappeler les concepts fondateurs et leur déclinaison opérationnelle suscitait en tous les cas une légère nostalgie, surtout lorsqu'on rapportait ce discours à celui, beaucoup plus confus, de ceux qui ont en charge l'aujourd'hui. Et ce sentiment s'accentua lorsque parut s'installer chez les intervenants un consensus sur le fait que l'intérêt général et l'intérêt de l'entreprise devaient être distingués au titre d'une utile clarification. Il fût alors nécessaire de faire appel aux toulousains.

BUSTE MAURICE HAURIOUX.jpg

Vu ainsi, Maurice Hauriou bustifié dans les jardins de la fac de droit toulousaine, ce n'est pas le fun absolu. Il n'empêche que la théorie institutionnelle de Haurioux, sera utilisée par Paul Durand pour fonder sa théorie de l'entreprise, définie non pas comme la chose du dirigeant (et il fût hier soir nécessaire de rappeler à Alain Meignant que l'intérêt du chef d'entreprise et l'intérêt de l'entreprise sont deux choses distinctes) mais comme une collectivité dotée d'intérêts propres. Une collectivité qui n'est pas hors-sol mais ancrée dans un territoire et dont l'activité participe de l'intérêt général. Michel Despax, héritier d'Hauriou et de Durand, ne dirigea pas pour rien à la fois un Master de Gestion du Personnel et un Institut d'études sur l'urbanisme : toute activité humaine se déploie sur un territoire et dans un environnement avec lequel elle interagit. Si cette artificielle distinction entre l'entreprise renvoyée à ses intérêts privés et l'intérêt général cantonné à la sphère publique, ou à la contribution forcée des agents privés, pouvait ne pas prospérer dans le cadre de la réforme, cela rendrait sans doute le sourire à Maurice Hauriou.

249185_543116559063216_45334837_n.jpg

18/06/2013

C'est arrivé près de chez vous

Un travailleur payé 132 euros pour 60 heures de travail mensuel, soit 2,20 euros de l'heure, est chargé de faire de la prospection commerciale par téléphone. Il passe un coup de fil personnel. L'entreprise qui le fait travailler met fin à la prestation, sans licenciement. Le travailleur obtient gain de cause, le 8 février dernier devant le Conseil des Prud'hommes de Paris. Depuis le 14 juin dernier, il sait qu'il va perdre en appel et qu'il ne percevra jamais l'indemnité de 6 500 euros que le juge lui avait allouée. Pourquoi ? parce qu'il s'agit d'une personne incarcérée et que le Conseil Constitutionnel vient de juger qu'il n'est pas contraire à la Constitution d'exclure les prisonniers du droit du travail.

IMG_3725.JPG

Cette décision permet donc de continuer à rémunérer à hauteur de 20 % du SMIC des personnes qui effectuent un véritable travail. Il y a bien des années, lorsqu'a débuté la valse des contrats aidés (TUC, SIVP, CES...), j'avais à de multiples reprises produits quelques travaux et publications reposant sur le constat que le meilleur garant de l'insertion c'est certes la rémunération mais surtout la reconnaissance et la qualification. Rien n'insère mieux que l'accès au droit commun qui par définition est le seul qui permet d'appartenir vraiment à la communauté. Bien sur le Conseil tente d'y mettre les formes. Il invite le législateur à mieux garantir le statut des travailleurs en prison, mais il affirme parallèlement qu'aucun principe Constitutionnel, aucun droit fondamental n'est mis en cause par le fait que la relation de travail du prisonnier soit exclusive de tout contrat de travail. Cette affirmation, que rien ne vient étayer dans le raisonnement, vient d'envoyer la confirmation aux prisonniers qu'ils ne sont plus tout à fait des citoyens, que leur travail ne vaut pas bien cher et par là même eux non plus. Pour réinsérer, il doit y avoir mieux.

CC-2013-320-321.pdf

17/06/2013

Pas classique

Vous êtes une star, et même deux. Vous avez travaillé beaucoup pour développer votre talent. Avec beaucoup de plaisir, mais aussi de volonté, d'abnégation, d'humilité. Vous êtes reconnu par vos pairs, par votre environnement, par les connaisseurs, par des inconnus. Chacune de vos sorties est un nouveau triomphe. Le temps  est venu des récompenses, de l'admiration, du sommet de votre art. Que faire ? surfer sur le succès, jouir enfin des efforts accomplis, s'épanouir dans la maturité qui ne fera que confirmer votre exceptionnelle maîtrise du sujet ? mais non, ce serait trop classique.

IMG_4292.JPG

Alors vous repartez dans les bibliothèques, dans les partitions, dans les textes oubliés, à la recherche de musiques presque disparues. Et plutôt que de vous demander quel compositeur mettra le mieux en valeur vos atouts, vous mettez votre art au service de sonorités nouvelles dont vous ne savez comment elles seront accueillies. Quand on s'appelle Cécilia Bartoli et Diego Fasolis, la meilleure manière de faire du classique, c'est de ne pas l'être. Et vous vous mettez à deux, en écho, la voix de la cantatrice qui guide l'orchestre et le corps du chef qui chante avec elle,  pour démontrer une nouvelle fois que l'on ne se sécurise qu'en se mettant en danger.

16/06/2013

Trouple

Les voilà. Ils sont là. Les beaux-jours. Les bodegas germent comme des herbes folles sur le pavé. Face à Bercy, dont le froid rectangle unijambiste rappelle que les occupants ont la religion de la raison mais guère celle du corps, on a installé les transats, les planches de charcuterie et de fromage et les rythmes du Sud. Pas de choc de compétivitité, de simplification, de confiance, juste un choc de cultures. Qui ramène vers le Sud et ce bel ouvrage de Claude Llabres "Toulouse mon amour" dans lequel on peut découvrir ce beau trouple.

mai007.jpg

La photo date du début des années 90, signe que le mariage pour tous est finalement encore en retard. Il suffit de se souvenir de Max Ernst, Paul Eluard et Gala, ou pour une autre configuration, de Sartre Beauvoir et Olga.  Michel Serres le rappelle régulièrement : les politiques, contrairement à ce qu'ils pensent, sont toujours en retard sur la société. Il est loin le temps de Jules et Jim. Aux temps troubles, préférons le temps qui laisse venir le trouple.

13/06/2013

173 nuances de gris

Tout praticien des ressources humaines, et sans doute de quelques autres métiers, sait que la condition de l'efficacité est souvent, pour ne pas dire toujours, la simplicité. Et que si l'on veut "que cela marche", la technique doit s'effacer, se faire discrète, ne pas s'étaler et si possible se faire oublier. Dès qu'elle reprend le dessus, en général c'est foutu. Les artistes le savent bien, après les périodes de virtuosité, d'exploration de toutes les techniques, d'acrobaties expérimentales et autres prouesses talentueuses, vient le temps de l'art maîtrisé, de la sobriété élégante et du condensé sublime. L'art de la synthèse en quelque sorte.

Nicolas-de-Stael-ParisLaNuit-1954.jpg

Paris la nuit - Nicolas de Staël - 1954

En matière sociale, on citait souvent la deuxième loi Aubry (la première, limitée à 18 articles, cela allait), ses 50 décrets d'application et sa circulaire de 120 pages, comme le parfait exemple de ce qu'il ne fallait pas faire. On ne parle pas de la réduction du temps de travail, mais de la technocratisation des textes qui contribuent à éloigner chaque jour un peu plus du droit ceux qui sont censés s'en servir. On pourra dorénavant préférer un exemple plus récent, puisque la circulaire consacrée au contrat de génération compte 173 pages, rédigées dans ce style inimitable du techno qui fait de la pédagogie pour ceux qui seraient incapables de saisir immédiatement la quintessence de l'admirable dispositif conçu pour eux. Personnellement, lorsqu'il faut 173 pages pour m'expliquer pourquoi je dois être heureux, j'ai comme un doute et je préfère la lumineuse grisaille du Paris de Nicolas de Staêl à la sombre clarté du texte trop appliqué. Sinon, c'est censé relancer l'emploi.

Circulaire 15.05.13 Contrat de Génération.pdf

12/06/2013

Aligné

C'est plus une confirmation qu'une nouveauté, mais elle est formulée en des termes si fermement énoncés que l'on comprend qu'un cap est définitivement franchi. Et en plus, la décision sera publiée au bulletin. Il s'agit d'un jugement rendu par la Cour de cassation le 5 juin dernier au profit d'un opérateur de lignes qui reprochait à son employeur de ne l'avoir jamais inscrit à une formation du plan de formation en 16 ans. L'entreprise avançait pour sa défense que le salarié avait été recruté sans compétences, qu'il avait été formé au poste, qu'il pouvait désormais prétendre à un emploi de même nature dans tout entreprise industrielle, que le poste n'avait guère évolué en 16 ans ne nécessitant pas de formation et que le salarié, pour finir, n'avait jamais demandé ni DIF ni CIF. Tous ces arguments, qui avaient convaincu les juges d'appel, ont été balayés par la Cour de cassation qui donne raison à l'opérateur de lignes.

DSCF7981 (2).JPG

En effet, la seule adaptation au poste de travail est insuffisante. L'employeur doit maintenir la capacité du salarié à occuper un emploi compte tenu de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations. Ce n'est donc pas uniquement une employabilité interne que l'entreprise doit maintenir, mais également une employabilité externe. Et le fait qu'il existe des dispositifs d'accès à la formation qui font place à l'initiative du salarié ne peut avoir pour effet d'exonérer l'employeur de ses responsabilités. Si certains, en créant le DIF, pensaient transférer la responsabilité de l'employabilité sur le salarié, c'est raté. C'est peut être d'ailleurs en partie pour cela que les mêmes soutiennent aujourd'hui la disparition du DIF et la création du compte personnel de formation. Il faut les comprendre, ce n'est pas  toujours drôle de se faire aligner.

Cass. Soc 5 juin 2013 Obligation de formation.pdf

11/06/2013

De la motivation

Il paraît que la première campagne a été un succès. Alors c'est reparti. Et sur les murs du métro refleurissent  ces affiches judéo-chrétiennes qui érigent la pédagogie de la culpabilisation en parangon de la motivation inconsciente. Et reprennent au final cette antienne que partagent nos gouvernants et pas mal de managers : la motivation négative, il n'y a que cela de vrai. Ainsi, on promet à cette grenouille sautant les portillons la sanction qui menace au bout du quai.

1000-grenouille.jpg

C'est oublier un peu vite que dans la France d'Astérix et des petits malins "on a le droit de ne pas respecter les règles, mais pas de se faire prendre". Mais l'imagination ne paraît pas être le fort des concepteurs de la campagne, qui rassurera sans doute les opposants au mariage pour tous. Représenter les hommes en cochons et les femmes en poules  témoigne en effet que ceux qui craignent la théorie du genre peuvent dormir tranquilles, alors que le sommeil des tenants de l'égalité professionnelle s'en trouvera perturbé.

ob_2b9c51_phacochere-format-largeur-haute-def-pdf-0.png.jpg

campagne_ratp_poule.jpg

Mais le pire, c'est sans doute l'image des perruches roucouleuse qui, par la faute d'un instant d'amour dans ce monde de brutes, empêchent les quidams de courir vainement après le temps perdu. Mais cessez donc de vous aimer, que diable, vous encombrez le passage.

actu-inseparables.jpg

Qu'on se le dise, le passager du métro doit pouvoir courir sans entrave et refouler dans la foulée tout regard sur la foule, où il ne verrait que poules. On voudrait nous expliquer que dans le métro il vaut mieux ne pas traîner et qu'en ces lieux il ne fait pas bon vivre,  on ne s'y prendrait pas autrement. Il faudra peut être, soyons fous, attendre la troisième campagne pour que l'on nous explique qu'il est doux de prendre le métro, ce lieu de rencontres improbables où l'amour vous guette au coin des voies. Pour une entreprise de transports en commun, ce serait bien le moins.

10/06/2013

Dedans dehors

Presque toute la surface du tableau est consacrée à l'intérieur et le titre même de la toile "Intérieur au violon" vous ferait croire qu'il n'est question que d'intérieur. Que le sujet du tableau, c'est cette pièce, ce violon, qu'il s'agit d'une invitation à rêver la musique, à imaginer le musicien dans la pénombre  se saisir  de l'instrument et faire vibrer les sons.Une atmosphère beaudelairienne faite de luxe, calme et volupté, comme le bleu de velours qui abrite le violon. Mais ce bleu est trop bleu pour être honnête. Il n'est là que pour signaler l'autre bleu, plus discret, qui perce le travers des claires-voies. Car là est le vrai sujet du tableau : l'extérieur, la lumière éclatante du Sud qui seule permet de tamiser l'espace intérieur, la chaleur étouffante qui rêve d'entrer en tous lieux, l'air chaud frémissant qui éveille les sens et guidera le musicien. Le violon n'est qu'un écho de la musique extérieure.

Matisse-Interieur-au-violon.jpeg

Matisse - Intérieur au violon

Qui prend le temps de lire les dispositions relatives à la formation dans la loi de sécurisation de l'emploi, y trouvera un même exercice d'intérieur-extérieur. Si l'ANI du 11 janvier 2013 constitue bien l'étape II de la réforme de la formation et s'inscrit dans la logique de l'ANI de 2003 (DIF/Compte personnel de formation - Entretien individuel/Conseil en évolution professionnelle - Obligation d'adaptation/Gestion prévisionnelle négociée des emplois et compétences), il est tout autant tourné vers l'extérieur que son prédécesseur l'était vers l'interne. En 2003, le DIF, l'entretien professionnel et l'obligation d'adaptation au poste visent à responsabiliser employeurs et salariés sur le développement des compétences dans l'entreprise. En 2013, le compte personnel aux priorités centrées sur l'employabilité externe, le conseil en évolution professionnelle fait pour accompagner les mobilités externes et la GPNEC qui vise à anticiper les évolutions de l'emploi, sont résolument inscrits dans des logiques externes. Si l'on ne peut en conclure hâtivement que l'objectif est de faire passer les salariés par la fenêtre, on peut tout de même s'interroger sur la manière dont les entreprises se saisiront de dispositifs construits sur des logiques qui ne sont pas nécessairement les leurs.

08/06/2013

Dans l'histoire

 A l’heure du temps réel, autrement dit du présent et de l’instant comme horizon indépassable, ceux qui savent inscrire leurs actes dans l’histoire et dans le temps se font rares, et depuis hier se comptent un de moins avec la disparition de Pierre Mauroy. Fondateur du mouvement d’Education Populaire Léo-Lagrange, du nom du Ministre des Loisirs sous le Front Populaire, Pierre Mauroy se souvenait que l’ambition des congés payés ce n’était pas simplement le vélo, la 4 CV et tous les ouvriers parisiens sur les plages de Deauville (au Sud on se débrouillait déjà, merci), c’était aussi, comme le rappelle l’exposé des motifs de l’ordonnance promulgant les congés payés, un moyen d’accéder à la culture et à l’éducation et de se libérer du travail lorsque celui-ci prend une forme non émancipatrice mais aliénante. Pour Pierre Mauroy, le travail ne devait pas être sacralisé en lui-même, mais uniquement lorsqu’il permet d’avoir la fierté de la belle ouvrage, l’accès à l’autonomie professionnelle et la reconnaissance des compétences.

img-pierre-mauroy-guy-mollet-et-le-socialisme-par-le-foot-1370638437_x466_blogposts-149654.jpg

 C’est en souvenir de Léo Lagrange et de l’éducation populaire que Pierre Mauroy décida de créer au sein du 1er Gouvernement socialiste de la Vème République, un Ministère du temps libre qui s’attira, par son intitulé, les railleries des imbéciles qui de l’histoire n’avaient rien retenu. Et sa suppression en 1983, sans que jamais une telle ambition ne réapparaisse ensuite, marque sans doute davantage la perte de la gauche que le tournant de la rigueur. Car c’est moins lorsqu’elle doit tenir compte des réalités économiques, comme on dit abusivement, que lorsqu’elle perd sa volonté d’éducation émancipatrice que la gauche cesse d’être elle-même. C’est peut être pour cela que, ces dernières années, Pierre Mauroy passait beaucoup de son temps à la Fondation Jean-Jaurès, lieu d’histoire, de temps et d’éducation.

06/06/2013

On dirait le Sud

TGV du matin pour voir un client à Marseille. Soleil matinal, lumières pâles de la Provence, sols secs, on en oublie même que le compartiment bruisse  des inévitables cadres qui paufinent fièvreusement leurs présentations Powerpoint et vérifient leurs tableaux croisés dynamiques avant leur réunion du jour. Dès que la mienne est terminée, de réunion, je retarde mon retour pour un tour de ville dans laquelle il y a longtemps que je n’ai plus traîné. Avec pour débuter un détour par la Belle de Mai.

IMG_3764.JPG

Une déambulation marseillaise est l’occasion de constater que le Sud ne manque pas d’imagination pour favoriser l’emploi. Tout d’abord, pour lutter contre les idées reçues, à Marseille c’est celui qui travaille qui est assisté et non l’inverse.

marseille,sud,travail,emploi,photo,photographie,chomage,tgv

IMG_3867.JPG

Ensuite, on ne lésine pas sur la sécurité au travail, ça créé de l’emploi.

IMG_3891.JPG

Enfin, on privilégie le travail collectif parce que dans le Sud, la convivialité et l’esprit d’équipe, c’est fondamental.

marseille,sud,travail,emploi,photo,photographie,chomage,tgv

Y a pas à dire, dans le Sud, on a du génie. Et comme on est autonome, Marseille c’est déjà un peu la Corse, hé bien le génie, en cas de coup de mou, il se répare lui-même. Pas de doute, on est bien dans le Sud.

IMG_3731.JPG

05/06/2013

Deux films à voir

La rediffusion du film Journal de France, réalisé par Raymond Depardon et son épouse, Claudine Nougaret, est l'occasion de refaire une ballade en France mais aussi dans les films précédents de Depardon. Et notamment de revoir les scènes stupéfiantes de Délits Flagrants, qui permet d'assister au travail des juges du tribunal correctionnel de Paris. On est saisi en entendant la manière dont la justice s'adresse aux petits délinquants, aux voleurs, aux agresseurs, de constater combien le discours est loin du droit et emprunte tour à tour à la morale, au paternalisme ou au mépris, à l'évidence non intentionnel mais c'est peut être pire. Et en retour, on est frappé de voir que ce discours semble venir d'un autre monde que celui dans lequel vivent ceux qui sont jugés. Au final, un total dialogue de sourds et d'immenses doutes à la fois sur la manière dont la justice est rendue et sur ses effets.

2952.jpg

Raymond Depardon - La France

Alors que Depardon réalise un film  qui laisse la parole à ceux qui sont filmés, très loin des pesants commentaires off qui accompagnent bien des documentaires, ni les juges ni les avocats ne font grand cas des personnes qu'ils ont la charge de juger ou de défendre. Leur parole est systématiquement niée, lorsqu'encore elle est entendue. Heureusement, les prises de vue choisies par Depardon permettent de se dégager de  cette atmosphère pesante. Peut être faudrait-il de temps en temps mettre les juges dans une camionnette et leur faire faire le tour de France, dormir sur des places incertaines, errer sur des routes de montagne entre chien et loup, être surpris à tout moment par ce que va révéler le prochain virage. Après un tel périple, les juges prendraient peut être le temps d'écouter ceux qui sont en face d'eux.

IMG_3687.JPG

04/06/2013

Vision globale

Le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) lance un travail d'analyse des pratiques de formation dans les TPE, en liaison avec le Conseil national d'évaluation de la formation professionnelle. Les pratiques de formation de 40 TPE représentatives seront examinées. L'objectif est d'établir une typologie des pratiques et des modalités de formation. C'est très bien, mais avec un petit risque toutefois, celui de manquer de vision globale en mettant la focale uniquement sur l'usage de la formation sans s'interroger sur les processus de professionnalisation.

Image1.jpg

Dans une TPE, en effet, la formation ne joue que de manière marginale un rôle dans la professionnalisation des salariés. C'est essentiellement par l'activité, souvent polyvalente, souvent obligée d'être créative, souvent faite d'expérimentation plus que de process, que se construisent à titre principal les compétences des salariés. Plutôt que de chercher à développer l'accès à la formation dans les TPE, ce qui peut rester un objectif louable, il serait tout de même plus intéressant d'identifier comment les processus de professionnalisation opèrent sans recourir à la formation. Et de cesser de considérer que les TPE ne forment pas, en reconnaissant au contraire qu'elles professionnalisent. Autorisons nous cet amicale recommandation au FPSPP : qu'il n'oublie pas qu'il est le Fonds de sécurisation des parcours professionnel et non le Fonds de sécurisation des parcours de formation.

02/06/2013

Liberté mais aussi égalité et fraternité ?

Le Gouvernement annonce son intention de réformer le régime des auto-entrepreneurs, et aussitôt, la machine médiatique s'emballe. La droite, c'est le jeu, hurle au découragement total de toute initiative d'entreprendre. Les auto-entrepreneurs auto-proclamés "poussins" s'égosillent devant leur liberté entamée et leur statut dégradé. Et la Ministre benjamine et tarn et garonnaise, Sylvia Pinel, se voit obligée de reprendre le Premier Ministre lui-même. Il faudrait tout de même rappeler, dans cette affaire, que les premiers demandeurs d'une réforme du statut d'auto-entrepreneur ce sont...les entrepreneurs. Dès la création du statut, les artisans se sont élevés contre cette possibilité de les concurrencer déloyalement, du fait d'un taux de charge forfaitaire avantageux par rapport au droit commun et d'un non assujettissement aux mêmes obligations règlementaires.

PIOUPIOU2.jpg

Gil - www.gilblog.org

J'ai salué, sur ce blog, la liberté d'activité que représente le statut d'auto-entrepreneur. Il serait désolant de réduire à peau de chagrin cette liberté. Mais pour autant, cela ne doit pas éluder la question de l'égalité (pourquoi des statuts différents pour exercer une même activité) ni celle de la fraternité (pourquoi des contributions différentes aux régimes sociaux). Le mieux à faire, en ce domaine, est peut être de se demander de quel droit commun nous avons besoin pour l'exercice d'activités indépendantes principales et pour les activités indépendantes accessoires et d'arrêter de créer des statuts dérogatoires qui apportent moins de réponses immédiates qu'ils ne créent de problèmes à venir.

31/05/2013

Vive l'inertie !

Il ne fait pas bon être bon élève dans le champ social. Et on ne compte plus les enthousiastes de la première heure qui doivent affronter les sarcasmes et sourires goguenards des désabusés professionnels qui, n'ayant jamais été nulle part, sont revenus de tout. Cela avait commencé avec les 35 heures. Ceux qui s'étaient inscrits dans la loi de 1998, avaient réduit le temps de travail et maintenu les salaires, cherchaient encore comment regagner les surcoûts de 11,4 % générés par leur décision, quant la deuxième loi votée en 2000 leur fit comprendre qu'en ne faisant rien, et en restant à 39 heures, le surcoût était de 2,5 % de salaire et pouvait se rattraper en un an, deux maximum. Et l'on nous refait le coup avec le DIF. Ceux qui ont été proactifs et ont développé des politiques innovantes vont devoir soit replier les gaules, soit trouver les ressources en interne lorsque l'on obligera les OPCA à réorienter leurs financements vers les demandeurs d'emploi et le compte personnel de formation.

DSCF9526.JPG

Tout se passe comme si le législateur prenait un malin plaisir à décourager les initiatives, à favoriser l'inertie et finalement à donner raison à tous les pisse-froids qui ont toujours d'excellentes raisons de manquer d'imagination. Peut être que le jour où l'on se préoccupera de faire des textes pour accompagner les proactifs, pour encourager l'innovation, pour récompenser la créativité et non pour contraindre, imposer, sanctionner les récalcitrants et finalement tomber dans un jeu de dupe où chacun tient la barbichette de l'autre (je t'impose mais pas trop, je fais ce que tu m'imposes mais en faisant semblant), peut être alors que cela ira un peu mieux. On ira toujours plus vite en essayant d'accélérer le mouvement qu'en tentant de faire bouger l'inertie.

30/05/2013

Innovation classique

Ingres est répertorié parmi les peintres classiques : excellente maîtrise du dessin, application minutieuse dans la préparation des fonds, positionnement précis des détails, disparition de toute trace de la brosse après qu'elle soit passée sur la toile, le digne héritier de son maître David. Oui mais voilà, sous ce classicisme d'apparence apparaît l'innattendue et incongrue innovation : les corps s'allongent, les os s'assouplissent, les positions défient les lois physiques, les représentations débordent leurs personnages. Picasso ne s'y était pas trompé qui construisit un dialogue avec Ingres à travers le temps.

169634.jpg

Ingres - La source

Si l'on peut innover dans le classicisme, il arrive également que l'on fasse l'inverse. Lors de sa visite à l'usine Bosch de Rodez, François Hollande a salué un accord entre la direction et les syndicats qu'il a qualifié de "bel exemple" du dialogue social et qu'il a placé dans la ligne des objectifs poursuivis par le contrat de génération. Sans doute sa lecture de l'accord, ou du résumé que lui en ont fourni ses conseillers, a-t-elle été rapide. L'accord de compétitivité est surtout marqué par 116 départs en préretraite, soit l'inverse du maintien dans l'emploi des seniors voulu par le contrat de génération, qui sera de ce fait classé au rang des mesures qui persistent à vouloir le bonheur d'autrui malgré lui, et l'exacte politique de ressources humaines conduite depuis plus de 40 ans : maintenir la situation de ceux qui restent en diminuant  les coûts par des mesures d'âge. Pour le coup, très classique mais bien peu innovant.

29/05/2013

Plus vite, plus haut, plus fort

Vous faisiez quoi vous le 5 juin 1983 ? vous ne vous souvenez pas ? (si vous étiez né...). Moi j'avais planté tous mes bouquins de droit, mes polycopiés, mes notes, mes résumés, mes plans en deux parties, mes angoisses devant le nombre de cours séchés, mes exaspérations de ne devoir solliciter que ma mémoire pour répondre aux sempiternelles questions de cours, bref, j'avais fait un break pour regarder Noah en faire trois et remporter Rolland Garros. Quel pied ! Mais en revoyant la finale, rediffusée ces jours derniers pour le trentième anniversaire, grosse surprise : j'ai cru visionner un ralenti. Des balles molles, des coups qui passent trois mètres au dessus du filet, des joueurs statiques (pourtant quels athlètes Noah et Wilander) qui attendent que la balle arrive à eux, des frappes qui partent trois secondes après le rebond de la balle, bref un jeu qui ne permettrait pas de passer le premier tour aujourd'hui. Et pourtant, que c'était beau.

Noah-reussit-son-entree.jpgnoah.jpeg

Aujourd'hui, le centième mondial tape trois fois plus fort, la balle va deux fois plus vite et elle décoiffe le filet à chaque échange. Bien sur, c'est vrai dans tous les sports et la comparaison d'époque, en matière sportive, n'a pas grand sens. Coppi, Merckx et Hinault ne batailleront jamais côte à côte dans un col des pyrénées et comparer leur vitesse d'ascension est absurde. Sauf à démontrer que vient le moment où la performance va un peu au-delà de l'humain, un peu au-delà des limites, et que pour aller encore plus vite, plus haut, plus fort, il faut un peu plus de potion magique, de pillule mystère, de muscle artificiel, de sang oxygéné et de corps trafiqué.

Et du coup, on peut se demander si les mêmes potions, ou leurs variantes, n'accompagnent pas ceux qui voient proliférer les informations à traiter, s'accroître sans fin la circulation de l'information, se raccourcir à l'infini les délais, monter toujours plus haut les objectifs, taper encore plus fort les managers, eux-mêmes aux abois et qui ne rêvent que d'être aux abris. Alors, tout augmente ma pov'dame ? oui, sauf les impôts bien sur !

5-juin-1983-La-France-derriere-Noah_pics_500.jpg

28/05/2013

Auberge allemande

Je ne sais pas si Jean-Emmanuel Ray a été voir l'auberge espagnole, le film de Cédric Kaplish. Mais je sais qu'il interdit aux étudiants du Master en Développement RH, à la Sorbonne, de faire leur voyage d'étude annuel au Sud de la Loire. Il faut quand même rester sérieux : un voyage de travail cela s'organise en Suède, en Autriche, aux Pays-Bas, au Danemark, même pas en Grande-Bretagne (les pubs !) et surtout pas en Italie, en Espagne, en Grève -pardon en Grèce- ou au Portugal, il y a suffisamment d'acquis sociaux (congés payés, RTT) pour aller faire un tour dans ces pays là. Et les statistiques lui donnent raison : l'Allemagne a accueilli en 2012 un million d'immigrés alors que l'Espagne et les autres perdent leur jeunesse. Car là se trouve le phénomène nouveau. Si les immigrants des pays d'Europe centrale demeurent majoritaires, les espagnols, les italiens, les grecs ont rejoint l'Allemagne par dizaines de milliers. Attention le Nord, le Sud arrive !

IMG_3430.JPG

Jeune européen se préparant à entrer dans une bodega

Je ne sais pas si le fait de priver les pays du Sud d'une main d'oeuvre qualifiée pour l'utiliser à produire des biens de consommation qui seront revendus à ces mêmes pays au risque d'aggraver leur déficit constitue un cercle économique vertueux. Par contre, cet appel d'air allemand, qui  devrait  s'amplifier ces prochaines années pour des raisons démographiques, aura au moins le mérite de contribuer à développer les bodegas en terres anglo-saxonne, ce qui changera un peu de la fête de la bière (mais non c'est pas pareil). Du coup, on peut continuer à apprendre l'espagnol, on pourra bientôt s'en servir en Allemagne. Olé !

27/05/2013

Jeunes et démissionnaires

La DARES vient de publier une analyse des cas de rupture de CDI (les fins de CDD et de missions d’intérim sont exclues) en fonction de l’âge. Une occasion de vérifier que la démission demeure, de très loin, le premier motif de départ de l’entreprise…sauf pour les salariés de 55 ans et plus, pour lesquels les licenciements sont plus nombreux que les démissions et les ruptures conventionnelles bien plus importantes que dans les autres catégories d’âge. Ce qui nous permet deux confirmations : la première c’est que l’assurance-chômage finance bien des préretraites puisque les licenciements de salariés post 55 ans reflètent moins un acharnement soudain des employeurs que la persistance de pratiques de préretraites qui ont la vie dure depuis 40 ans, soit deux générations. La deuxième confirmation c’est que plus on avance en âge et moins on démissionne, d’où des taux de licenciement plus élevés. Ce qui démontre que lorsqu’il y a une rotation rapide du personnel, il y a moins de licenciements. Par contre, dès lors que les départs volontaires sont plus rares, le taux de licenciement augmente.

 

Motifs ruptures CT Travail.JPG

Les chiffres de la DARES permettent également de constater que les licenciements économiques demeurent, à tous âges, beaucoup moins nombreux que les licenciements pour motif personnel et que chez les moins de 40 ans, la démission et la rupture conventionnelle, soit les départs volontaires, représentent plus de 75 % des cas de rupture.

p127985_4.jpg

Bien sur, les tableaux présentent des moyennes et masquent toujours les cas particuliers. Car il y a au moins un actif de 76 ans qui n’est pas prêt de démissionner ni de prendre sa retraite, c’est Jean-Baptiste Thiérrée. Créateur avec son épouse Victoria Chaplin, du Cirque Invisible, qui se donne à voir au Théâtre du Rond-Point jusqu’au 15 juin prochain, il produit, dans la lignée d’Alexandre Calder qui animait encore son Cirque de bout de fils de fer à plus de soixante ans, un spectacle tout en créativité, inventivité, poésie et sans recours à l’informatique, tout en mécanique et en finesse. Si vous voulez goûter à ce que le monde d’avant produisait de meilleur, courez y vite : voir son visage, c'est rire.

26/05/2013

Jour de marché

Les hommes politiques nous expliquent régulièrement que le pays réel, les vrais gens, LES français, comme ils disent, c'est sur les marchés qu'on les rencontre. C'est d'ailleurs là que Jérôme Cahuzac est allé vérifier qu'il devait s'abstenir, au moins pour cette fois. C'est au marché, comme autrefois au comptoir des bistrots, que les véritables préoccupations, les sujets d'intérêts, inévitablement s'expriment. La voilà la vraie vie, ce pourquoi on ne fait pas le marché comme on fait ses courses au supermarché. On prend le temps, on se laisse aller, on est disponible, on écoute, on discute. Pour ma part, le plus grand plaisir est d'entendre parler espagnol. C'était fréquemment le cas à Toulouse ou Montauban, et cela arrive encore parfois, plaisir décuplé, au marché d'Aligre.

IMG_3073.JPG

Ce matin donc, à l'heure de la fin du déballage, des dernières installations, des premiers clients, lorsque la foule n'est pas encore compacte, lorsque l'on va lentement par choix et non par piétinement, un sujet revenait inlassablement de l'étal de fruits et légumes au fromager en passant par le bazar, le bouquiniste ou le marchand de fleurs. Une même information circulait plus vite que les marchandises ne s'échangeaient. La manif du jour sur le mariage pour tous ? non, pas un mot, rien, nada. La psychose du terrorrisme après les attaques de militaires ? que nib, silence radio, personne pour renchérir. Le chômage qui étreint le pays et se répand inexorablement ? à peine présent dans les commentaires. Le temps pourri qui ruine le moral, décuple les ventes de prozac et de gateaux sucrés ? même pas. Le sujet, le vrai sujet, celui qui passionnait ce matin tout un chacun, c'était la montée des marches à Cannes par DSK, tout sourire au bras de sa nouvelle compagne. Et si vous pensez que j'essaie de vous faire marcher, allez y voir vous même, il est encore temps.

24/05/2013

L'accord des pas d'accord

La décision était attendue depuis quelques mois, car elle pouvait couper court au développement de la rupture conventionnelle. La question posée à la Cour de cassation était en effet de savoir si une rupture conventionnelle homologuée pouvait être conclue entre un salarié et un employeur dans un contexte de conflit. Répondre par la négative aurait eu pour conséquence que seuls les bons amis pouvaient négocier librement les modalités de fin de leur contrat de travail : pour les autres, il ne restait que l'unilatéral, à savoir la démisssion ou le licenciement. La Cour de cassation n'a, fort heureusement, pas emprunté cette voie.

crbst_21-edvard-munch-la-bagarre-1932-1935-600x525.jpg

Edward Munch - La Bagarre - 1932-1935

Dans une décision rendue jeudi 23 mai, elle a décidé qu'une situation conflictuelle ne s'opposait pas, par principe, à la conclusion d'une rupture conventionnelle. Il est donc possible de sortir d'un conflit par la négociation, ce qui redonne vie à l'adage selon lequel un bon accord vaut mieux qu'un mauvais procès. Sont ainsi transposés au niveau individuel, les accords collectifs de fin de conflit.

Toutefois, la Cour de cassation rappelle que, s'agissant d'une rupture négociée, aucune partie ne doit imposer sa volonté à l'autre ou faire pression sur le consentement de l'autre. Par conséquent, il n'est toujours pas possible de menacer un salarié de licenciement pour l'engager ensuite dans une procédure de rupture conventionnelle : un tel acte ferait risquer la nullité à l'accord de rupture. Après l'envoi de la convocation à l'entretien préalable, il faut donc oublier la rupture conventionnelle et ne surtout pas négocier  pendant l'entretien de licenciement. Négocier en situation de conflit oui, sous pression non.

Cass.Soc 23 mai 2013 RC.pdf