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24/04/2016

L'air du temps

Sous la verrière du Grand Palais, des livres, des estampes, un atelier de gravure, des dessins, quelques photographies qui font ici figure d'avant-garde technologique. Pas de numérique, pas d'ordinateur, pas de pixels, pas de performance. Du texte, de l'écrit, de la trace, de la plume, de l'encre et des idées. Beaucoup d'idées. Est-ce que le temps où tout était plus lent n'était pas mieux adapté à la pensée ? et à l'engagement ? émouvante écriture d'Oscar Wilde, de Proust, magnifique lettre de René Fallet, à peine dix-huit ans, à André Breton. Et pour ce dernier, une photo. Datant de décembre 1948, sur la place de l'Opéra, pour appeler à participer à une conférence de Gary Davis, autoproclamé premier citoyen du monde. Cet ancien pilote de l'armée US avait remis son passeport à son ambassade après avoir découvert les ravages de ses bombardements. Il réclamait ainsi la fin des Etats nations par une démarche volontaire pour devenir apatride. Citoyen du monde par volonté d'une communauté ouverte. Près de 70 ans plus tard, dans le rythme fou de l'actualité, nous prenons plusieurs mois pour débattre inutilement de la déchéance de nationalité, tandis que l'Angleterre se demande si elle ne doit pas revenir à son insulaire isolement. Chacun appréciera le chemin parcouru. 

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03/08/2015

Les miroirs de Rothko

A droite de la grande allée d'un quartier résidentiel de Houston, on ne peut parler de banlieue pour les villes qui n'ont pas de centre, apparaît la maigre pancarte de béton posée à même la pelouse. Nous sommes bien à la Rothko Chapel, objet de cette venue dans le Sud extrême des Etats-Unis. Ces oeuvres qui paraissaient si lointaines, et si inaccessibles, sont maintenant toutes proches. La chaleur est sèche, enveloppante, bienveillante et toute en retenue. A l'unisson. 

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En janvier 2009, l'exposition Rothko à la Tate Modern de Londres avait été un choc phénoménal. Jamais je n'avais senti à ce point la peinture m'envahir physiquement, émotionnellement, corporellement, esthétiquement qu'au moment où je suis entré dans la grande salle contenant les peintures destinées au Seagram Restaurant, que Rothko avait finalement refusé de vendre et dont il a fait don à la Tate Gallery. Cette année encore, revoir ces toiles a provoqué un bouleversement profond. Comme l'exposition présentée l'année dernière à La Haye et comme ces quatre toiles composant la Rothko room, découvertes cette semaine à Washington. Les toiles de Rothko ont cette faculté de vous faire vibrer avec elles et de vous saisir intégralement. C'est dire si devant la porte de la chapelle, spécialement conçue pour accueillir 14 toiles du peintre, l'excitation est présente. 

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Et à l'intérieur, surprise. Pas de couleurs rouges, jaunes, ocres, bleues ou oranges. Sur les murs, 7 grandes toiles noires encadrées d'un pourpre profond et 7 violets mats aux variations infinies. Mais surtout, pas de vibrations, éteintes par le noir, totalement plat, totalement opaque et qui ne s'ouvre pas sur des horizons infinis, comme le font si souvent les toiles de Rothko. Un noir radical, fini, arrêté, brut, définitif. Et puis les 7 violets sur lesquels le regard se concentre. Au centre d'un triptyque, la toile monochrome à des reflets qui racontent toute l'histoire de la peinture italienne : dans la monochromie verticale se dessinent la création du monde de Michel-Ange, l'Annonciation de Fra Angelico, les madones de Giotto et toutes les peintures religieuses de toute l'Italie. Alors que la Chapelle est sans doute le seul endroit où la majorité des visiteurs ferme les yeux pour mieux ressentir les peintures (les caustiques pourraient en conclure que fermer les yeux devant les peintures est bien la preuve qu'il n'y a rien à voir), c'est en les fixant que l'on voit défiler les maîtres italiens. 

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Alors on se tourne vers les autres grands violets et l'on découvre les maîtres chinois, les paysagistes japonais, les encres de Victor Hugo et toute la clique de ceux qui ont décidé un jour que leur vie se jouerait devant la toile. Et puis l'on revient vers les noirs. Et cette lumière venue du toit ajouré qui se pose durement sur le haut des toiles, les éclaircissant d'une manière surprenante lorsque l'on se souvient que pour Rothko le sombre doit être en haut. Et comme Rothko a tout contrôlé dans la création de la Chapelle, venant à bout de la patience de l'architecte, on se demande pourquoi il a laissé filtrer une lumière si forte, alors qu'il n'avait de cesse de baigner ses toiles dans la quasi-pénombre. Et ressurgissent les annonciations, élévations, résurrections et autres échanges entre le divin et le terrestre. La lumière éclaircit le noir qui devient lumière et l'on se demande si Rothko n'a pas réussi à atteindre ce point surréaliste livré par André Breton dans le second manifeste : "Tout porte à croire qu’il existe un certain point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement.". Dans la chapelle Rothko, on peut voir ce point. 

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En ressortant, devant le Broken Obelisk de Barnett Newman, on se dit que le Dalaï-Lama, Desmond Tutu et tous les visiteurs religieux de la Chapelle, se foutent le doigt dans l'oeil. Et pourtant, il n'est pas question de discuter la sincérité de ceux qui vivent une expérience mystique dans la Chapelle, qui sont émus aux larmes ou qui en ressortent transfigurés. Et pour ma part, il est certain qu'il y aura un avant et après Chapelle dans la manière de regarder la peinture. Mais ce que l'on peut voir ici c'est l'extraordinaire récit de la condition de l'homme dans l'histoire, telle que les peintres ont tenté d'en rendre compte au fil des siècles. Et ce combat là, il est autant physique qu'intellectuel. Mais vous l'aurez compris, dans la Chapelle de Rothko, comme ceux qui lèvent le voile d'Isis ne voient que leur propre image, on peut faire l'expérience de se trouver pleinement face à soi-même. Chacun à sa manière. 

08/02/2015

Quelle entreprise ?

A l'occasion de rencontres nouvelles, il arrive que l'on me demande mon parcours. Classique. Qui êtes vous, d'où venez vous, que faites-vous. Je fais un effort alors pour ne pas me laisser distraire par la vision de Gauguin aux Marquises...

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Gauguin - D'où venons nous, qui sommes nous, où allons nous

...et je réponds souvent en résumant que j'ai créé le cabinet en sortant de l'Université et que mes activités ont évolué au fil des expériences, du temps qui passe, de l'actualité et de mes centres d'intérêt. J'ai alors droit assez souvent, pour ne pas dire très souvent, à ce commentaire : 

"Ah vous n'avez donc jamais travaillé en entreprise" avec sa variante "Vous n'êtes pas passé par l'entreprise alors ?". 

J'ai beau être habitué, la surprise demeure. Selon la bienveillance que je souhaite accorder à mon interlocuteur, je peux répondre : 

"Vous voulez dire dans une autre entreprise que la mienne ?" ou bien "Vous voulez connaître mes jobs d'étudiant ?" ou encore "Vous pensez aux grandes entreprises ?" et parfois "Je n'ai jamais été salarié non" ce qui n'est pas sans provoquer quelque incompréhension. 

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Site de production

Le modèle du salariat a tellement formaté notre société et nos modes de pensée que la représentation de l'entreprise s'est totalement confondue avec celle de l'organisation sociale d'une forme d'activité, oubliant toutes les autres. J'y pensai ce matin en discutant avec mon voisin qui est à la fois retraité, jardinier, boucher, charcutier, chauffeur, fermier, éleveur et exerce occasionnellement quelques autres activités, soit plusieurs entreprises à lui tout seul. Mais je ne sais pas s'il est passé par l'entreprise. 

12/11/2014

Le soldat inventé

C'est la route du week-end : la rue de Rivoli, les Champs-Elysées, la Défense, la Normandie. Le petit bonhomme connaît bien et commente toujours. La Tour Eiffel qui scintille le vendredi soir, l'Obélisque de la Concorde, les statues équestres qui ouvrent les Champs, la grande avenue, l'Arc de Triomphe. Et puis ce grand pavois balayé par les courants d'air de l'arche, que l'on ressort  pour les cérémonies. Alors je lui parle du soldat inconnu et de plus inconnu encore, sa femme. Le petit écoute. Et puis on passe à autre chose. Et lors d'un trajet suivant, tout d'un coup la question : "On va le voir le soldat inventé ?". 

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Moi qui aime les formules courtes, précises et singulières, me voilà servi. Ce soldat inventé débusque la supercherie du soldat inconnu, réduit à un symbole, désincarné, sans corps, sans histoire, sans boue, sans crasse, sans peur, sans courage, démuni de tout puisque ramené à une fonction symbolique plus facile à manipuler que les êtres de chair. Ce soldat inventé, il surgit chaque fois que l'on convoque des mots pour remplacer des êtres, chaque fois que l'on réduit les histoires singulières à une histoire officielle, chaque fois que l'on généralise en niant les individus, chaque fois que la sensibilité particulière doit laisser la place à l'émotion collective. Chaque fois donc que la vérité recule derrière la fiction, surgit le soldat inventé qui occupe toute la place du soldat inconnu. 

09/11/2014

A l'Est

A l'époque, on avait pas un hamster (je veux dire un journaliste avec un bonnet en fourrure sur la tête pour montrer qu'il fait froid) en direct sur BFM TV, I-télé, LCI pour hurler : "Restez avec nous, ici il y a beaucoup d'émotion, les gens s'embrassent dans la rue, c'est extraordinaire...monsieur, monsieur, pourquoi ce moment est si important pour vous ?" et pour passer à un autre car le quidam choisi regardait fixement la caméra, sans même pleurer ce qui aurait été un minimum. Ce soir là,  toutes les fissures et lézardes du mur de Berlin craquaient et laissaient passer des mains, des bras, des jambes, des têtes, des cris, des chants qui ouvraient une nouvelle page d'histoire. 

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La Spree se préparait à redevenir un lieu de promenade amoureuse, où peu à peu les amants allaient oublier les noyés, les pourchassés, les tirés à vue. 

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L'Ouest allait découvrir qu'à l'Est le temps s'était figé. Que les traces de la guerre étaient soigneusement préservées pour maintenir le moral des troupes et persuader les plus récalcitrants que les nazis étaient à l'Ouest, lequel reconstruisait à tout va pour démontrer exactement le contraire. 

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Encore un peu plus à l'Est, à Dresde, il avait bien fallu reconstruire, puisqu'il ne restait plus rien à montrer ou presque. Et la manière dont on avait reconstruit ne laissait aucun espoir de retrouver un jour le paradis perdu. 

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Des voitures minuscules et la grande tour de télévision de Berlin Est, comment mieux faire sentir aux individus leur petitesse face à la grandeur de l'Etat ? 

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L'Alexanderplatz d'Alfred Döblin a laissé place à une agora sur laquelle quelques ambulants vendent d'ignobles saucisses aux égarés qui ont franchi Check Point Charly et cherchent en vain un bistro au coeur de la ville. 

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Celui qui marche sait-il que dans quelques mois, la reconstruction allait commencer ? c'était il y a 25 ans, c'était le monde d'avant. 

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15/10/2014

Faites vos choix...

Je n'ai jamais très bien compris en quoi consistait la réalité. Ou plus exactement LA réalité que vous présentent avec le confort de leur bon droit ceux qui sont persuadés qu'il n'y en a qu'une. A ceux là, une seule recommandation : se plonger d'urgence dans le Quatuor d'Alexandrie de Lawrence Durell pour se coltiner d'un peu plus près avec le principe de réalité. Pour ceux qui seraient effrayés par les 4 tomes, proposons un petit exercice (presque) équivalent. Voici les faits : 

Je suis employeur (cet exercice sur la réalité est donc une fiction) et je propose à mes salariés une prime de 100 euros chaque fois qu'ils utilisent leur compte personnel de formation pour une formation que je leur propose. 

Vous pouvez choisir entre 5 réalités : 

1) Je suis un salaud d'employeur qui achète l'utilisation de leur compte personnel de formation à des salariés démunis devant le chantage à l'argent. 

2) Je suis, au pays des Prix Nobels d'Economie, un champion de la rationalité économique : pour un coût de 150 euros (chargé), je viens d'économiser entre 500 et 1 000 euros constituant le coût de la formation. En bon économiste, je sais que le salaire est la première source de motivation des salariés. 

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Test complémentaire. Il pense : 

1) Elle touche toujours les paumes, c'est extraordinaire...

2) Merde, elle s'est pas noyée...

3) Elle la retrouvera jamais sa bague...

4) Le mètre cube parfait...

5) Je l'aime...

3) Je suis un employeur sans volonté honni par ses pairs parce qu'il vient de céder aux organisations syndicales qui me demandent depuis des années de verser systématiquement une prime pour reconnaître le développement de compétences liées à la formation.

4) Je suis un petit mariole toulousain qui vient d'inventer un bricolage à deux balles qui n'a aucune chance de fonctionner au delà de la Loire et qui va scandaliser les Alsaciens, mais je suis malgré tout fier de moi. 

5) Je suis un employeur qui a trouvé le moyen d'encourager ses salariés à se former, qui s'inscrit pleinement dans les politiques de développement des compétences et qui a su s'appuyer sur des éléments périphériques pour déclencher la motivation de ses salariés. J'ai également contribué à relancer l'économie en distribuant du pouvoir d'achat. Je ne sais pas si je ne vais pas postuler pour le titre de DRH de l'année. 

Les choix sont faits ?....

12/10/2014

Juste une histoire : les miroirs

La pièce est aveugle et octogonale. Un lit a été placé face à la porte, un fauteuil à son pied. Une cheminée habille l’une des parois. L’âtre est foyer de lumière et de chaleur. Quelques chandeliers, posés à même le sol, maintiennent à distance l’obscurité. Il n’y a rien d’autre. Du moins, si l’on s’en tient à l’espace entre les murs, celui que l’on habite. Car sur les murs, ils sont disposés par dizaines. Le plus petit est semblable à un médaillon. Le plus imposant occupe la partie  haute d’une des huit surfaces murales.  Toutes les formes sont présentes, sphère, carré, rectangle, losange, hexagone et autres figures géométriques encadrant les surfaces le plus souvent planes, quelque fois convexes et exceptionnellement concaves des miroirs qui  recouvrent les murs du lieu. En de rares interstices, apparaît la tenture rouge sur laquelle ont été posées les froides surfaces polies. Les cadres sont en bois de toutes sortes et toutes couleurs, des plus ornementés aux plus sobres. Leurs courbes, droites et arabesques parcourent les miroirs dans un infini jeu de renvoi, donnant à la pièce l’allure d’un kaléidoscope qui, tel une plante carnivore de taille monstrueuse, avale sans cesse et sans répit ce qui s’offre à lui.

 Le feu de la cheminée par exemple, qui danse en mille éclats dans le reflet des verres et embrase le lieu sombre et clos. Ou le sol de tomettes bordeaux, semblable à celui de la Tour de Montaigne, qui s’incline puis se redresse selon l’endroit où le regard se porte.  Car  chaque mouvement, du corps ou des yeux, transfigure la pièce dans son ensemble, chaque image se dissolvant en d’innombrables facettes qui se répercutent en tous points de la pièce et font retour vers d’autres images qui elles mêmes en génèrent de nouvelles.

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Sommes nous ici au cœur de l’espace et du temps, au point d’abolition de la matérialité au profit d’une projection infinie, symbole de l’éternel retour ? ou alors en un lieu de torture, toute personne prenant place dans le fauteuil au centre de la pièce voyant son image se fragmenter jusqu’à lui faire perdre tout contact avec elle-même au point de douter de la réalité de son existence ?  ou dans une nouvelle caverne platonicienne pour ceux qui penseraient que les images d’eux-mêmes, complaisamment renvoyées par les miroirs, constituent bien la réalité ? ou dans un éternel jeu de dupe entre la perception, les apparences et l’existence matérielle de toute chose ? à moins qu’il ne s’agisse d’une illustration du poème de François Villon : « Je reconnais tout sauf moi-même » ?

 Le plus souvent, la pièce est vide. Une ombre, régulièrement, se glisse vers la cheminée et ravive les flammes qui dansent dans la profondeur des miroirs. Puis elle s’éclipse. La chambre aux mille et trois miroirs se referme alors sur elle-même et ses images. Jusqu’à ce que soudain, après un lent cheminement à travers couloirs, passages, portes dérobées et diverses antichambres, un homme aux gestes lents et précis ne surgisse. Son regard n’embrasse jamais la pièce dans son ensemble. Il est fixé sur quelque point particulier : l’arête du bois de lit, le manteau de la cheminée, un pied du fauteuil, une tommette disjointe. L’homme se dirige invariablement vers le fauteuil et s’y assied. Alors il relève la tête et projette son regard au plus lointain écho des miroirs. Cet après-midi encore, Léonard de Vinci est au travail.

 Juste une histoire.

06/10/2014

Portrait

Un peu surpris par la demande, je me suis prêté au jeu bien volontiers. Avec un peu d'appréhension tout de même, car à raconter un peu, autant dire ce qui compte. Et qu'est-ce qui compte, 27 ans après avoir créé le Cabinet de consultant comme une blague de potache, car en choisissant le nom de Willems Consultant, je venais incognito de créer le Cabinet WC ! Ce qui compte vraiment ? le souci de préserver ma  liberté, l'inaptitude au salariat tout autant que l'inaptitude à manager, les rencontres surtout de ceux qui voyaient mon avenir mieux que je ne pouvait l'imaginer, la continuation du sport dans le travail, l'incroyable plaisir de se demander, tous les jours, quelle rencontre nouvelle on va faire, des tours de France et des embardées dans quelques autres pays, au Nord, au Sud, à l'Est, mais surtout au Sud, les avions de 6h du matin, longtemps, le plaisir de l'épuisement physique, le désir de frénésie et de lenteur, les chemins de traverse, et la rencontre un jour, qui change tout et justifie tout. Epouser une cliente n'est certes pas un grand moment de déontologie, mais c'est un grand moment de bonheur. 

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Mais je ne vais pas redoubler le portrait écrit par Nicolas Deguerry, que je remercie de son écoute et de la bienveillance de sa plume. C'est paru dans Inffo-Flash et pour la peine, il va falloir que je recommence à m'abonner !

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05/10/2014

Juste une histoire: Bien venus

Les corps blancs et nus s’allongent un à un sur la roche noire. Les jambes, torses, bras, nuques, pieds, fesses, têtes, se tordent , se ploient, se segmentent pour occuper les irréguliers hexagones de basalte qui forment la Giant’s Causeway. La mer d’Irlande offre un décor gris, vert, noir et marron. Les nuages  défilent si bas qu’on pourrait les toucher, bousculés par un glacial vent du Nord, laissant à l’occasion apparaître des pièces de ciel bleuté. La lumière est satinée, comme avant une éclipse. Devant moi, plusieurs centaines de corps, debout, avancent lentement vers la place assignée. Le froid rétracte les chairs et les peaux.  Dans les espaces laissés par la mer et le vent, se glissent quelques rires, de joyeuses paroles, du moins peut-on le supposer au ton des voix, car ici on parle toutes les langues. Se parler semble plus important que se comprendre.

J’avise un groupe hilare qui fait bloc contre les rafales :

« Excusez moi, vous pourriez  m’indiquer pourquoi vous êtes venus ?

-       Ah oui, bien sur…c’est le hasard….on a participé à la photo prise à Aurillac il y a quelques années. On ne se connaissait pas, et depuis on guette les annonces de Spencer Tunick et on se retrouve…»

Un grand blond, qui a gardé ses lunettes et ses bras serrés sur sa poitrine, me regarde un instant. Je saisis l’occasion :

« Et vous, pourquoi êtes vous là ?

-       je suis photographe à Bruges, je suis sur toutes les photos, même si on ne me voit jamais… »

Derrière moi, de jeunes potaches gloussent un peut trop fort. J’interromps leur prépubère excitation :

« Pourquoi êtes vous là ?  

- t’es ouf ou quoi mon pote…on a fait les JMJ, c’est super, y a plein de filles mais elles prennent leur kiff à discuter. Ici on a pensé que ce serait plus direct… ».

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Je suis passé de groupe en groupe, remontant la foule compacte qui avait déjà oublié sa nudité et se pliait bien volontiers aux demandes jaillies du portevoix que brandissait un assistant monté sur son échelle de spectacle.

Inlassablement, je questionnai et l’on me répondait. Les locaux, qui défiaient avec ostentation le froid, car c’était le leur, et qui ne pouvaient pas ne pas être là, les collègues de travail qui avaient fait un pari avec ceux qui n’étaient pas venu, les militants du naturisme qui venaient promouvoir leur mode de vie pour le bonheur de tous, les touristes venus pour la Chaussée et qui se retrouvaient dénudés, les fidèles qui étaient de tous les évènements, ceux qui étaient là parce qu’ils trouvaient que dans leur vie il n’y en avait guère, d’évènements, ceux qui étaient venus pour pouvoir dire qu’ils étaient venus, ceux qui, déçus, étaient là pour être sur la photo et avaient compris qu’on ne les y verrai pas, les familles venues des quatre coins de la planète ronde se retrouver un temps, les solitaires rassurés par l’anonymat du nombre que renforçait la nudité, les bandes festives, pressées d’en finir avec la photo, le froid et l’attente, dont la patience s’alimentait de promesses de pubs irlandais, les accros aux réseaux sociaux qui guettaient tous les rendez-vous et se résignaient à être des milliers d’happy few, la génération 68 qui continuait à faire acte politique, les amoureux des métros bondés qui vivaient comme dans un rêve leur immersion dans la foule, les altermondistes qui, après de longs débats, avaient conclu que l’esthétique ne devait pas être abandonnée aux bourgeois, les naturophiles, les urbanophobes, les sociologues émus par la concrétisation charnelle de leurs recherches sur les mouvements sociaux, les journalistes infiltrés, les fascinés de la diversité humaine, et ceux qui  venaient au contraire vérifier « qu’on est tous faits pareil »,…

Une jeune femme aux seins impertinents et à la voix qui ne l’était pas moins interrompit mon recensement d’un questionnement brutal :

« Je m’appelle Szasza, je vous regarde questionner tout le monde, mais vous, vous êtes là pour quoi exactement ?

- je suis venu pour savoir pourquoi les gens sont venus».

 Juste une histoire. 

14/09/2014

Juste une histoire : capsule

Il était arrivé depuis peu au collège. Pour la majorité des élèves, cette arrivée était tout d'abord passée inaperçue. Habillé d'un costume verdâtre passe-muraille trop grand pour lui, pourvu d'une mèche capot qu'il rabattait sur son haut de crâne d'oeuf déjà dégarni, doté d'une proéminence stomacale qui n'apparaît d'ordinaire qu'à des âges plus avancés, le nouveau pion ne payait pas de mine et aurait pu passer pour un prof hésitant et un peu falot qui voyait en chacun de ses élèves un artisan potentiel de ses nuits blanches. Il remplissait assez bien toutes les conditions pour que personne ne se souvienne jamais qu'il était un jour passé par le collège. Sauf que c'était une peau de vache, un petit tyran de service qui jouait au dictateur, un jubilant du petit pouvoir qui avait été remis entre ses mains molles et moites et qu'il pétrissait avec la joie perverse de ce qu'il fallait bien appeler un salopard. Il s'était mis en tête de faire respecter toutes les règles les plus absurdes : ne pas s'asseoir sur le bord d'un trottoir, rester derrière la ligne blanche marquant la limite de la cour sans pouvoir récupérer le ballon qui s'était égaré, se voir confisqué le moindre objet jugé par lui intempestif, tels ces nunchakus qui sortaient parfois des cartables parce que si l'époque n'était plus à la fureur de vivre c'est que Bruce Lee l'avait transformée en fureur du dragon. Mais sa grande ambition, au despote adipeux, c'était que plus personne ne se livre à cette débauche folle qui consistait à appliquer ses lèvres sur celles d'un(e) autre, geste totalement libidineux et dépravé connu sous le nom de baiser. Bref, le bien nommé pion, ou petite pièce ronde, était une boule de pathologie qui passait son temps à emmerder le monde. 

Aussi, le voir débouler un matin la mine pâle, la jambe traînante et la grimace vissée sur le visage enchanta tout le monde. Apprendre par la suite qu'il s'était salement déboîté le genou et qu'il allait sûrement devoir être opéré, gage d'une absence prolongée puis d'une grande difficulté à parcourir tous les recoins du collège, suscita l'enthousiasme et valût à quelques collégiens qui sortaient d'un cours de sciences naturelles sur le corps humain d'imaginer qu'il s'était pété la capsule du genou, et au pion d'y gagner illico ce surnom de capsule, répété à l'envie devant lui sans qu'il n'y comprenne rien, ni aux rires qui allaient avec. 

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Des années plus tard, l'un des collégiens ayant affublé l'épouvantail des bacs à sable du sobriquet capsulien, discutait avec quelques amis dont l'un avait fréquenté, bien après lui, les mêmes chaises raides sur lesquelles il était demandé de se tenir droit et d'écouter en silence parfois pendant 8 heures par jour, ce qui demanderait à vérifier si cela n'entre pas dans la définition moderne de la torture. Comme à l'accoutumée, la conversation porta vite sur les personnes : avait-on eu les mêmes profs, le gros dégueulasse aux tâches de transpiration sur le costard qui enseignait la physique, la merveilleuse eurasienne qui donnait du charme aux graphiques économiques dans lesquels les garçons voyaient des courbes engageantes, la prof de maths qui n'eût qu'un fou rire dans sa vie professionnelle lorsqu'un élève dit "la combinaison de qui ?" parce qu'il en avait oublié l'auteur, et quelques autres :

"Et chez les pions, il restait qui lorsque tu es arrivé ? 

- Je ne me souviens plus que d'un seul, un sacré salaud, on l'appelait capsule...

- Mais pourquoi capsule ?

- on l'avait appelé comme ça parce qu'il avait une tête de capsule appolo...

- Tu en es sûr ? 

- Certain, c'est nous qui avons trouvé le surnom". 

Juste une histoire. 

06/09/2014

Juste une histoire

Une chenille hilare et un rien hystérique, beuglant à pleins poumons un de ces tubes que toute oreille sensée n’aurait pas osé concevoir, ce qui confirme au passage que la raison et les affaires ont à peu près le même rapport que les groseilles et la mousse au chocolat,  la chenille ondulante donc composée d’un assemblage hétéroclite quoi que remarquablement homogène d’adultes consentants, passait pour la cinquante-huitième fois devant Antoine qui n’y prêtait plus aucune attention, préoccupé qu’il était des auréoles blanches qui venaient d’apparaître simultanément au niveau des aisselles, des plis ventraux et des biceps de sa chemise noire. Antoine aurait pu, s’il avait eu les quelques secondes nécessaires, se demander s’il fallait se résigner à ne plus taper dans les piles de « slim » et opter pour des formats plus amples lors des achats groupés de liquettes tous les trois ans, ou s’il était plus judicieux de reprendre cette hygiène de vie qui réduisait assez vite la masse graisseuse et permettait de gagner du temps avant que la transpiration n’imbibe le coton. S’il avait disposé de ces quelques secondes, et d’une poignée d’autres en bonus, il aurait également pu se persuader qu’il ne fallait jamais oublier d’enfiler  un maillot de corps, même avec une chemise noire. Mais toutes ces remarques judicieuses et totalement opérationnelles ne trouvèrent jamais le chemin des pensées d’Antoine, car un des anneaux de la chenille, monté sur talons de dix-huit mètres avec un chapeau sur la tête venait de lui éclater un tympan en lui hurlant sous les cheveux :

« Antoine avec nous, Antoine avec nous…. »

Dans un réflexe tellement animalier qu’il en tira quelque fierté lorsqu’il repensa plus tard à la scène, Antoine porta ses mains à ses oreilles ce qui évita au second tympan d’exploser comme une vulgaire centrale de Fukushima lorsque la chenille entière reprit :

« Antoine avec nous, Antoine avec nous… ».

Nous étions au mois de septembre, et Antoine en était à son cent soixante deuxième service en soirée depuis la nouvelle année, le quatrième consécutif cette semaine, et il n’avait qu’une idée en tête : est-ce que son pantalon tiendrait jusqu’à la fin de la semaine ou est-ce qu’il allait falloir en repasser un autre.

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Mais cette question là non plus ne serait pas tranchée ce soir puisqu’avant qu’elle soit totalement formulée par des synapses qui se faisaient un plan vintage et s’efforçaient de ressembler à du bubblegum mode yankee, à savoir de la pâte élastique malaxée par de puissantes et viriles machoîres totalement concentrées sur leur fonction destructrices, un éméché à la cravate oblique et au reste qui ne l’était pas moins, fonça sur lui et s’adressant à son nez, point le plus proche de la bouche carnivore qui dévorait les mots qu’elle tentait d’expulser de son gosier dans un paradoxe qu’Antoine n’eût guère le temps d’apprécier, lança comme on boit cul sec :

« Antoine, décoince ! viens avec nous,  faut jamais perdre une occasion de s’éclater… »

L’attention d’Antoine resta concentrée sur ce dernier mot : éclaté.

La bouche pleine de dents qu’Antoine pouvait maintenant détailler vociférait toujours :

« Antoine, tu fais un métier formidable, tu peux faire la fête avec tes clients, te prives pas, soit pas con Antoine… »

Antoine eût le flash soudain d’une petite main grassouillette s’emparant de la dernière part d’omelette norvégienne et prenant soin de racler au passage les restes de glace fondue et de chantilly qui maculaient les bords d’un plat qu’Antoine agrippa comme s’il s’agissait de la dernière bouée du Titanic, mais qui n’était plus banalement qu’un commode alibi pour filer en cuisine. Il serait bien temps ensuite de savoir comment en ressortir.

Juste une histoire. 

21/08/2013

J'y pense et puis j'oublie

Les deux évènements majeurs du XXème siècle se sont produits à l'occasion de la seconde guerre mondiale : la Shoah et l'utilisation de bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki. Deux évènements totalement nouveaux dans l'histoire de l'humanité. La volonté délibérée de faire disparaître, industriellement, une partie de la population de la planète, et l'utilisation d'une puissance technique dont l'homme ne maîtrise que le déchaînement mais pas les effets. Les générations qui ont été confrontées à ces évènements étaient unanimes pour considérer qu'il y avait un avant et un après, que le monde ne pouvait plus être pensé de la même manière et qu'il avait irrémédiablement basculé.

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Electricité nucléaire pour les enseignes d'Hiroshima

Près de 70 ans plus tard, la Shoah demeure présente dans les débats, comme en témoignent, notamment, les lois dites mémorielles ou le fameux point Godwin, atteint lorsqu'il est fait référence à l'holocauste dans un sujet n'ayant aucun rapport à l'occasion d'un débat sur internet.

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Manifestation antinucléaire à Hiroshima

Mais d'Hiroshima que reste-t-il aujourd'hui ? quelles conséquences concrètes tirons nous de l'utilisation de l'arme atomique et de ses ravages ? quand évoquons nous encore Hiroshima ? pas de point Godwin en la matière, puisque le débat sur le nucléaire, en France mais aussi au Japon, semble se résumer en : "Le nucléaire ou la bougie".

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Il est vrai que pour l'instant, tout va bien. Certes il y a  Fukushima où rien n'est réglé depuis deux ans et où l'information s'écoule moins rapidement que les eaux radioactives, mais enfin, le Japon c'est loin, les tremblements de terre encore plus et les tsunamis n'en parlons pas. C'était pas de bol, voilà tout. Mais foi de polytechnicien, la probabilité d'un accident en France est nulle.

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Et puis de toute façon, tout ça est sous surveillance, dormez tranquille. Hiroshima, j'y pense et puis j'oublie, il paraît que c'est la vie.

19/06/2013

Un siècle, et toujours modernes

Débat hier soir à l'initiative d'Education Permanente et de l'Université Ouverte sur la réforme de la formation professionnelle. La moyenne d'âge fleure bon la deuxième partie de carrière, mais si la valeur n'attend pas le nombre des années, Raymond Vatier, à plus de 90 ans, démontre que la vivacité de l'esprit n'est pas toujours celle du corps, quand bien même ferait-on de l'aquagym. Entendre un acteur de la loi de 1970 rappeler les concepts fondateurs et leur déclinaison opérationnelle suscitait en tous les cas une légère nostalgie, surtout lorsqu'on rapportait ce discours à celui, beaucoup plus confus, de ceux qui ont en charge l'aujourd'hui. Et ce sentiment s'accentua lorsque parut s'installer chez les intervenants un consensus sur le fait que l'intérêt général et l'intérêt de l'entreprise devaient être distingués au titre d'une utile clarification. Il fût alors nécessaire de faire appel aux toulousains.

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Vu ainsi, Maurice Hauriou bustifié dans les jardins de la fac de droit toulousaine, ce n'est pas le fun absolu. Il n'empêche que la théorie institutionnelle de Haurioux, sera utilisée par Paul Durand pour fonder sa théorie de l'entreprise, définie non pas comme la chose du dirigeant (et il fût hier soir nécessaire de rappeler à Alain Meignant que l'intérêt du chef d'entreprise et l'intérêt de l'entreprise sont deux choses distinctes) mais comme une collectivité dotée d'intérêts propres. Une collectivité qui n'est pas hors-sol mais ancrée dans un territoire et dont l'activité participe de l'intérêt général. Michel Despax, héritier d'Hauriou et de Durand, ne dirigea pas pour rien à la fois un Master de Gestion du Personnel et un Institut d'études sur l'urbanisme : toute activité humaine se déploie sur un territoire et dans un environnement avec lequel elle interagit. Si cette artificielle distinction entre l'entreprise renvoyée à ses intérêts privés et l'intérêt général cantonné à la sphère publique, ou à la contribution forcée des agents privés, pouvait ne pas prospérer dans le cadre de la réforme, cela rendrait sans doute le sourire à Maurice Hauriou.

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02/01/2013

Petites histoires

"Il n'y a pas si longtemps, on allait au confessionnal pour raconter ses petites histoires...

- Je sais, j'y ai eu droit aussi...

- C'est fou ce que les gens aiment bien raconter leurs petites histoires...

- On ne peut pas dire que sur ce plan là, les choses changent beaucoup...

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Clovis Trouille - Le confessionnal - 1939

- Et puis les églises se sont vidées, moins de monde à confesse...

- Les divans par contre se sont chargés. Le psychanalyste a souvent remplacé le curé...

- La chanson pour autant ne variait pas beaucoup...

- Hé non, il s'agissait toujours de raconter ses petites histoires...

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Picasso - Femme allongée sur un divan - 1935

- Mais le divan a lui aussi perdu sa clientèle...

- Hé oui, aujourd'hui pour les petites histoires, il y a le mur...

- Le mur ? de Berlin ?

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- Non, celui-là il s'agissait de le faire tomber, le mur moderne, c'est celui de Facebook et il faut le monter pour le montrer...

- Facebook, c'est anglais non ?

- Américain plus exactement...

- C'est pareil, dans les deux cas on dit The Wall...

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- Et ça te gêne pas dans The Wall la phrase : "We don't need no education..." ?

- Cela concerne juste une forme d'éducation, pas toute éducation...

- Mais toi, avec ton blog, tu fais pas ton mur aussi ?

- Non, moi c'est pas un mur, c'est un blog...

- Ah oui, évidemment, c'est pas pareil...

- Ben non, c'est pas pareil".

13/07/2012

Qui sait ?

L'homme de gauche, qui dort les bras croisés sur sa mallette, s'est peut être levé très tôt. Il a sans doute parcouru en train puis en métro des distances longues au milieu de banlieues improbables de villes longues. Il est arrivé tôt à son travail qu'il a entrepris sur un rythme intense. Les dossiers sont complexes, les exigences multiples, l'énergie nécessaire immense. Il n'a guère pris le temps de manger. Il a fini tard. Puis il a marché jusqu'au métro et repris le chemin long qui le mène à son appartement étroit. Il est tard, c'est le dernier métro, il dort. Rentré chez lui, il saluera son épouse puis ira se coucher.

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L'homme du milieu, qui dort les mains croisées sous sa sacoche, s'est peut être levé tôt. Son bagage est lourd. A l'intérieur, des instruments de mesure du bruit. Il travaille pour la Mairie et mesure l'intensité des bruits lorsque des habitants se plaignent de pollutions sonores. Il est en jean car son travail se déroule essentiellement dehors. Aujourd'hui, il mesurait les bruits près d'un chantier puis il a déjeuné de quelques makis sur une place arborée. Il a mesurée le bruit des feuilles des grands arbres que le vent secouait. Il a été surpris par le nombre de décibels. Il a été surpris aussi par une jeune fille qui riait en le regardant faire et plus encore quand il s'est aperçu que s'était sa petite amie. Elle l'a entraîné pendant une heure dans un love hôtel. Culpabilisé d'avoir abandonné son travail pendant un temps, mais secrètement heureux de s'être offert ce luxe inouï, il est retourné à la mairie. Puis il a accompagné ses collègues de bureau dans plusieurs bars et ils ont bu du saké. Il est sorti juste à temps du dernier bar pour prendre le dernier métro. Maintenant il dort.

Le troisième homme fait semblant de lire, mais il dort aussi. A-t-il travaillé ou a-t-il fait semblant également toute la journée ? c'est lui qui a pris la photo et m'a raconté l'histoire de ses deux covoyageurs qu'il croise tous les matins. Mais au final, il m'a indiqué qu'il ne savait plus très bien si c'était celui de gauche ou celui du milieu qui mesurait les bruits, ou si ce n'était pas un troisième qui n'est pas sur la photo. Il se demande même s'il n'a pas rêvé cette histoire. Qui sait ? et vous, en regardant la photo, vous savez ?

29/12/2011

Histoire courte

La cathédrâle de Sienne est un chef d'oeuvre du gothique italien du 13ème siècle, bâti sur une première cathédrâle romane datant du siècle précédent. Mélange des genres, des architectures, des inspirations. Le Nord et sa rigueur, le Sud et son élégance, le mariage d'une Europe qui vit déjà au sein des baronnies féodales dispersées : les frontières politiques n'arrêtaient déjà pas le commerce des idées (pour se souvenir que commerce ne signifie pas que marchand et qu'il est des êtres d'un commerce agréable). Tout voyage en Europe donne des occasions de le constater : la Mosquée de Cordoue est une cathédrâle aujourd'hui, alors que la Mosquée d'Istanbul a longtemps été la cathédrâle Sainte-Sophie. Pour qui veut bien regarder, l'européanisation ne date pas d'hier et les turcs, entre autres, y ont leur place.

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Qui aurait un doute à propos des Turcs, pourrait visiter la Cathédrâle de Venise et ses somptueuses mosaïques, ou bien, toujours à Sienne, admirer la Maesta de Duccio, synthèse de l'art gothique et de l'art byzantin. L'Europe est une terre à l'intérieur de laquelle les idées, les hommes, les arts, les marchandises aussi, ont toujours circulé. Croire que cela ne daterait que de quelques années et pire encore penser que l'avenir doit se trouver dans le rétablissement des frontières, c'est vraiment avoir l'histoire courte.

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Duccio - Maesta - 1311

22/10/2011

Fin de l'histoire en combat de coqs

L'histoire avait débuté par une belle dynamique : d'un conflit social, Mai 68, est sortie une négociation dont la loi a généralisé et amplifié les effets. Cette dynamique entre la négociation sociale et le législateur a longtemps constitué le moteur du système de formation professionnelle. Aux partenaires sociaux l'initiative et l'innovation, à l'Etat la légitimation et la mise en cohérence des politiques et moyens de formation. Lorsque la dynamique entre l'Etat et les partenaires s'essouffle, c'est l'ensemble du système de formation professionnelle qui ralentit sa course. Ce fut le cas dans les années 90, c'est encore le cas aujourd'hui où les relations entre l'Etat et les partenaires sociaux tiennent plus du combat de coqs que d'une action guidée par l'intérêt général.

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Edouard Pignon - Combat de coqs

La possibilité pour notre système de formation professionnelle de gagner en efficacité tient moins à une énième réforme annoncée, pour laquelle chacun y va de ses idées "que si on les écoutait ça irait mieux", qu'à la restauration d'une relation de confiance durable entre l'Etat, les partenaires sociaux et les conseils régionaux. Que chacun joue pleinement son rôle et accepte de le cantonner aux champs qui sont les siens en reconnaissant pleinement la légitimité des autres acteurs. Bref, en instaurant de la confiance et non de la défiance, en partageant le pouvoir et non en le confisquant, en recherchant la cohérence par d'autres moyens que la centralisation des décisions. Tel est le véritable enjeu pour l'année 2012 et les suivantes. Et s'il est nécessaire de réfléchir aux voies et moyens d'un meileur accès et d'une meilleure efficacité de la formation, il est plus urgent encore d'en régler enfin la gouvernance.

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18/10/2011

Un peu d'histoire

La formation tout au long de la vie ne saurait être précisément datée : l’histoire de l’apprentissage et de l’éducation se confond avec celle de l’homme. Il n’est pas une communauté qui ne se soit bâtie sans culture commune et des mécanismes éducatifs, quelles que soient leurs formes et modalités. Peu après la Révolution de 1789, Condorcet déclarait devant l’Assemblée qu’il était nécessaire que l’instruction soit délivrée aux enfants mais également aux adultes. Pour autant, il est habituel de situer au début des années 70 la création de notre système de formation professionnelle continue. C’est à cette période en effet que furent réunies les conditions pour qu’une construction dotée de fins et de moyens explicites voit le jour et se développe.

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Le système de formation professionnelle vient donc de fêter ses quarante ans. Ces années ne furent pas linéaires. Rythmées par les changements politiques, les cycles économiques et la vie des relations sociales, les 40 années de formation professionnelle peuvent être divisées en quatre décennies aux orientations très différentes. On est ainsi passé d’un projet inscrit dans la nouvelle société prônée par Jacques Chaban-Delmas 1971) à une formation professionnelle censée accompagner le changement de société (1981). La situation économique du début des années 90 a rendu le dialogue social atone et remis la formation au service des politiques d’emploi (1992), avant qu’une vaste réforme initiée par les partenaires sociaux ne modifie le point d’équilibre du dispositif et s’intéresse davantage à la compétence qu’à la formation (2003). Reste que cette réforme n’a pas réglé les problèmes de gouvernance, malgré la loi du 24 novembre 2009 qui en faisait un de ses objectifs principaux. Sans doute l’ouvrage devra-t-il être remis sur le métier après 2012.

Découvrez en 5 étapes, l'histoire de la formation professionnelle. Aujourd'hui, première étape qui va de la nouvelle société de Chaban-Delmas et de son conseiller social Jacques Delors, aux Plans Barre pour l'emploi des jeunes.

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20/06/2011

Un peu d'histoire

Il faut éclairer l'histoire par les lois et les lois par l'histoire. Ainsi s'exprimait Montesquieu. Le juriste toulousain Hauriou estimait, pour sa part, que si un peu de sociologie éloigne du droit, beaucoup de sociologie y ramène. Bref, si l'on perd de vue les conditions de production de la règle, il y a de fortes chances que l'on en perde le sens. C'est ce qui arrive à la DGEFP, dont les positions deviennent ubuesques, lorsqu'elle explique à des OPCA qu'ils ne peuvent déléguer à des structures paritaires territoriales ou sectorielles, en s'appuyant sur un texte dont l'histoire démontre qu'il signifie exactement le contraire de que l'on voudrait lui faire dire. Mais qui veut tuer son chien...

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Félix Labisse - Lucrezia - 1972 - Série "Les faiseuses d'histoire"

Le droit c'est de la technique, dans l'art de le manier, et de la politique, dans l'usage que l'on en fait. En prétendant que toute délégation de gestion doit être faite à un organisme patronal, la DGEFP commet une double erreur. La première est technique, les OPCA sont des organismes paritaires et le principe de paritarisme, légal, prévaut sur une exception fixée par décret. La seconde est politique. En utilisant, avec au choix incompétence ou mauvaise foi, un argument aussi faible pour remettre en cause le paritarisme, l'administration tente de faire prévaloir une vision autoritaire des relations sociales que l'on croyait dépassée au moins depuis l'adoption en 2004 du nouvel article premier du Code du travail. Et sur ce plan également, une approche historique du paritarisme et des dynamiques de la négociation collective aurait du conduire sur d'autres voies. En ces périodes de baccalauréat, il en est qui ont sérieusement besoin de réviser.

UN OPCA PEUT-IL AVOIR DES DELEGATIONS PARITAIRES.pdf