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19/06/2013

Un siècle, et toujours modernes

Débat hier soir à l'initiative d'Education Permanente et de l'Université Ouverte sur la réforme de la formation professionnelle. La moyenne d'âge fleure bon la deuxième partie de carrière, mais si la valeur n'attend pas le nombre des années, Raymond Vatier, à plus de 90 ans, démontre que la vivacité de l'esprit n'est pas toujours celle du corps, quand bien même ferait-on de l'aquagym. Entendre un acteur de la loi de 1970 rappeler les concepts fondateurs et leur déclinaison opérationnelle suscitait en tous les cas une légère nostalgie, surtout lorsqu'on rapportait ce discours à celui, beaucoup plus confus, de ceux qui ont en charge l'aujourd'hui. Et ce sentiment s'accentua lorsque parut s'installer chez les intervenants un consensus sur le fait que l'intérêt général et l'intérêt de l'entreprise devaient être distingués au titre d'une utile clarification. Il fût alors nécessaire de faire appel aux toulousains.

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Vu ainsi, Maurice Hauriou bustifié dans les jardins de la fac de droit toulousaine, ce n'est pas le fun absolu. Il n'empêche que la théorie institutionnelle de Haurioux, sera utilisée par Paul Durand pour fonder sa théorie de l'entreprise, définie non pas comme la chose du dirigeant (et il fût hier soir nécessaire de rappeler à Alain Meignant que l'intérêt du chef d'entreprise et l'intérêt de l'entreprise sont deux choses distinctes) mais comme une collectivité dotée d'intérêts propres. Une collectivité qui n'est pas hors-sol mais ancrée dans un territoire et dont l'activité participe de l'intérêt général. Michel Despax, héritier d'Hauriou et de Durand, ne dirigea pas pour rien à la fois un Master de Gestion du Personnel et un Institut d'études sur l'urbanisme : toute activité humaine se déploie sur un territoire et dans un environnement avec lequel elle interagit. Si cette artificielle distinction entre l'entreprise renvoyée à ses intérêts privés et l'intérêt général cantonné à la sphère publique, ou à la contribution forcée des agents privés, pouvait ne pas prospérer dans le cadre de la réforme, cela rendrait sans doute le sourire à Maurice Hauriou.

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Commentaires

Bonjour,

Il est toujours plaisant d'entendre un privatiste évoquer Maurice Hauriou ! (sans x !).

Maurice Hauriou a surtout montré que s'atteler à identifier les critères du service public (notion qui donne des maux de tête à nos chers étudiants de seconde année) était un exercice un peu vain...

Dans une note sous l'arrêt Astruc de 1916 il estimait que le théâtre présentait l'inconvénient (je cite le texte exact : cela en vaut la peine) "d'exalter l'imagination, d'habituer les esprits à une vie factice et fictive, au grand détriment de la vie sérieuse et d'exciter les passions de l'amour, lesquelles sont aussi dangereuses que celle du jeu et de l'intempérance" (Donc il estimait que le théâtre ne constituait pas un service public)

A l'inverse, en organisant le monopole des tabacs "qui lui apporte de gros revenus", l'Etat encourage une "distraction ou un amusement (...) L'usage du tabac, bien que présentant certains inconvénients n'est pas très dangereux pour la santé publique et surtout il n'a pas d'influence sur la moralité".

Après cela, aucun doute. La gestion d'une crêche relève bien du service public, n'en déplaise aux magistrats de la Cour de Cassation...Mais l'affaire à laquelle je fais allusion n'est pas terminée. A suivre donc...

Écrit par : bcallens | 19/06/2013

Bonjour,

J'ai zigouillé aussi sec l'x intempestif et je révise ma liste des noms propres. Merci.

Je suis toujours surpris de me faire traiter de privatiste, car c'est un qualificatif qui m'est assez étranger et que je trouve très réducteur. Je n'ai jamais adhéré à la summa divisio qui ravit les juristes, mais peut être que je ne me définis pas non plus comme tel. Sinon, il est dommage d'enfermer les idées dans des catégories, je vous rappelle qu'Hauriou faisait du droit avec de la sociologie et qu'il fut aussi un promoteur de l'interdisciplinarité. Je vois donc un contresens dans le fait de la cantonner à la sphère publique.

Et pour l'affaire Baby Loup, qualifier une crèche de service public permettrait d'échapper à la question à laquelle personne ne répond et que l'on élude soigneusement, et sur laquelle s'est centrée la Cour de cassation : en quoi le fait de porter un voile empêche de remplir correctement la fonction d'éducateur de jeunes enfants. La réponse intéressera pas mal de nounous et de baby sitters.

Cordialement

jpw

Écrit par : jpw | 19/06/2013

Bonjour,


Il y a, dans l'affaire Baby-loup un grave problème de « cohérence juridique ».

Et qu'on le veuille ou non le droit public est impliqué. On ne peut pas considérer cette affaire sous le seul angle du droit du travail comme vous semblez le faire...

La Cour de Cassation pose d'abord un principe :

« Attendu que le principe de laïcité instauré par l'article 1er de la Constitution n'est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public ; qu'il ne peut dès lors être invoqué pour les priver de la protection que leur assurent les dispositions du code du travail ; qu'il résulte des articles L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail que les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché ; « 

Donc :

1) Si la gestion d'une crèche relève d'une mission de service public, le principe de laîcité s'applique. Le problème est que la Cour de Cassation a dénié la qualité de service public en l'espèce.

2) Que dans ce cas, les restrictions à la liberté  religieuse s'expliquent précisément parce qu'il s'agit d'un service public (en l'espèce il apparaît qu'il s'agissait d'un voile islamique « intégral »). Elles sont donc motivées par « la nature de la tâche à accomplir ».

Il se trouve que beaucoup de crèches en France (y compris dans le groupe « baby loup) sont gérées sous le régime de la délégation de service public.

Que ce serait-il passé si la crèche en question avait été gérée de cette manière ? Que se passera-t-il dans l'avenir si elle se met dans cette situation (ce qui est assez problable) ?

La gestion d'une crèche relève de l'intérêt général. Ce point ne saurait être discuté sérieusement et la conclusion d'une délégation de service public pour une crèche de cette nature relève de la simple formalité d'autant qu'il faut prendre en considération certaines particularités qui apparaissent dans les statuts de l'association gestionnaire ((...)celle-ci a pour but de développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d'oeuvrer pour l'insertion sociale et professionnelle des femmes du quartier, qu'elle s'efforce de répondre à l'ensemble des besoins collectifs émanant des familles, avec comme objectif la revalorisation de la vie locale, sur le plan professionnel, social et culturel sans distinction d'opinion politique ou confessionnelle « ).

L'existence d'une telle crèche pourrait donc être considérée comme « doublement » d'intérêt général...

Et j'imagine que de toute façon les crèches font l'objet d'un agrément et sont particulièrement surveillées par l'Administration...fussent-elles non parties à une DSP...

Si l'histoire se répète, dans un cas comme celui-là, la salariée licenciée pour avoir porté un voile sera obligée de contester la délégation de service public car pour qu'il puisse y voir délégation de service public , il faut, bien évidemment qu'il y ait service public...(logique imparable!)

S'agissant d'un contrat admistratif, cette question doit faire l'objet d'une question préjudicielle et elle relève de la compétence du juge admistratif ((TC 23 février 2004, Préfet de la Haute-garonne) dont la position est connue (un arrêt du Conseil d'Etat de 1989 déjà cité...).

Le juge admistratif aurait donc répondu : nous sommes bien en présence d'un service public...Et par conséquent nous sommes bien en présence d'une salariée d'une association, employeur gérant un service public.

La juridiction prudhomale saisie ne pourra pas dire le contraire...

Et en application du principe même de Cour de Cassation formulé a contrario : « le principe de laicité est applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui gèrent un service public..la salariée concernée aurait été déboutée.

Deux poids deux mesures selon la présence ou non d'une délégation de service public alors qu'il s'agit d'un service public par nature ?

Maintenant, dans cette affaire, il y a eu cassation avec renvoi. Or, à mon avis, la cour n'était pas obligée de le faire, les conditions de l'article L 411-3 du code de l'organisation judiciaire étant à mon avis réunies. C'est une circonstance qui mérite d'être soulignée.

A ce stade de la procédure, la juridiction de renvoi peut encore résister à la Cour de Cassation. Et il n'est pas exclu qu'elle remette en cause la position de la Cour sur le point de savoir si, par nature (en faisant abstraction de la présence ou non d'une délégation) les crèches assurent ou non une mission de service public.

Quant à l'opportunité d'interdire le voile dans cette circonstance, les raisons sont les mêmes que celles qui sont invoquées s'agissant des écoles. On pourrait même le faire pour les Universités. La a Cour européenne des Droits de l'homme n'y trouverait rien à redire (voir l'affaire leyla Sahin c/ Turquie).

Écrit par : bcallens | 20/06/2013

Bonjour,

1) L'intérêt général et le service public sont deux notions très différentes

2) Le fait qu'une crèche soit par nature un service public qu'elle que soit sa forme d'organisation est une affirmation gratuite

3) Effectivement la jurisprudence de la Cour de cassation aboutit à deux règles de droit différentes selon que l'on appartient ou nom au service public, quand bien même l'activité serait identique. C'est le cas pour nombre d'activités associatives non intégrées à un service public, il n'y a rien d'étonnant à cela (l'enseignement par exemple : le soutien scolaire n'est pas un service public mais une activité privée d'intérêt général, que du coup on subventionne par l'impôt). Au nom de quoi un organisme de soutien scolaire interdira-t-il le voile à une enseignante ?

4) Et vous ne répondez toujours pas à la question : en quoi le voile est-il incompatible avec la fonction, seule règle applicable dans le privé.

Cordialement

jpw

4)

Écrit par : jpw | 20/06/2013

Bonjour,

Une crèche, c'est davantage qu'une garderie.

Nous sommes déjà en présence d'une mission éducative ne serait-ce que l'apprentissage de la sociabilité. Et ce qui vaut dans les écoles vaut a fortiori dans une crèche s'agissant de très jeunes enfants qui n'ont pas à subir l'action d'une propagande qui est, quoiqu'on dise, de nature politique.

Écrit par : bcallens | 26/06/2013

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