29/05/2013
Plus vite, plus haut, plus fort
Vous faisiez quoi vous le 5 juin 1983 ? vous ne vous souvenez pas ? (si vous étiez né...). Moi j'avais planté tous mes bouquins de droit, mes polycopiés, mes notes, mes résumés, mes plans en deux parties, mes angoisses devant le nombre de cours séchés, mes exaspérations de ne devoir solliciter que ma mémoire pour répondre aux sempiternelles questions de cours, bref, j'avais fait un break pour regarder Noah en faire trois et remporter Rolland Garros. Quel pied ! Mais en revoyant la finale, rediffusée ces jours derniers pour le trentième anniversaire, grosse surprise : j'ai cru visionner un ralenti. Des balles molles, des coups qui passent trois mètres au dessus du filet, des joueurs statiques (pourtant quels athlètes Noah et Wilander) qui attendent que la balle arrive à eux, des frappes qui partent trois secondes après le rebond de la balle, bref un jeu qui ne permettrait pas de passer le premier tour aujourd'hui. Et pourtant, que c'était beau.
Aujourd'hui, le centième mondial tape trois fois plus fort, la balle va deux fois plus vite et elle décoiffe le filet à chaque échange. Bien sur, c'est vrai dans tous les sports et la comparaison d'époque, en matière sportive, n'a pas grand sens. Coppi, Merckx et Hinault ne batailleront jamais côte à côte dans un col des pyrénées et comparer leur vitesse d'ascension est absurde. Sauf à démontrer que vient le moment où la performance va un peu au-delà de l'humain, un peu au-delà des limites, et que pour aller encore plus vite, plus haut, plus fort, il faut un peu plus de potion magique, de pillule mystère, de muscle artificiel, de sang oxygéné et de corps trafiqué.
Et du coup, on peut se demander si les mêmes potions, ou leurs variantes, n'accompagnent pas ceux qui voient proliférer les informations à traiter, s'accroître sans fin la circulation de l'information, se raccourcir à l'infini les délais, monter toujours plus haut les objectifs, taper encore plus fort les managers, eux-mêmes aux abois et qui ne rêvent que d'être aux abris. Alors, tout augmente ma pov'dame ? oui, sauf les impôts bien sur !
16:25 Publié dans FRAGMENTS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : noah, rolland garros, tennis, impôts, dopage, sport, cyclisme, entreprise
30/12/2010
Transmettre n'est pas toujours la solution
Au départ, une équation simple : la passe fait courir le ballon plus vite que le joueur. Si l'on veut accélérer le jeu et prendre de vitesse l'adversaire il faut donc transmettre. Tel est le principe autour duquel s'ordonne, depuis des décennies, le jeu des toulousains. Passe avant contact, après contact, jeu debout, redoublements, soutien permanent, un collectif au service de la vie du ballon et du jeu et de la transmission donc. Laquelle ne vit pas que sur le pré. Depuis toujours, le club a des entraîneurs qui ont été joueurs au club, et souvent formés par lui. Tradition jamais remise en cause qui a permis le développement d'une culture du jeu en mouvement, de la polyvalence, de la compétence, de la performance individuelle au profit du plaisir collectif à travers les générations. Ecoutons l'ancien capitaine Jean-Pierre Rives : "Le Stade Toulousain c'est la maison de beaucoup de monde" et le plus récent capitaine Fabien Pelous : "La plus grande fierté de ma vie est d'avoir été acteur d'une histoire qui est celle de toute une région". Voilà comment, loin d'un chauvinisme aux relents de nationalisme rabougri et étriqué, s'exprime un régionalisme ouvert, partagé et qui inscrit sa volonté de gagner dans celle de donner et non de prendre.
Vive la transmission donc ? pas si sur. Car ce qui pour le Stade Toulousain s'est avéré une clé du succès, peut tourner au désastre comme nous le démontre quasi-quotidiennement le cyclisme.
Raymond Moretti - Rugby à Toulouse
Le cyclisme est en effet géré par d'anciens cyclistes. Les dirigeants d'équipes, les entraîneurs, les organisateurs aussi le plus souvent, sont d'anciens professionnels voire d'anciens champions. Le maintien d’un circuit fermé a cultivé et développé la culture du dopage, de l’excuse toute prête et les comportements paranoïaques. Aucun grand champion ne s'est jamais totalement et véritablement exprimé sur les pratiques en vigueur dans le milieu et sur tout ce que les coureurs, amateurs compris, savent. L'omerta est totale car maintenue sans faille par l'ensemble de la famille cycliste qui, comme beaucoup de familles, croit à tort que pour rester soudée il faut taire les secrets, souvent de polichinelles.
Faute d’apport extérieur, de rupture historique, la même culture a pu prospérer et imprégner l’ensemble du milieu.
Pour le Stade Toulousain, le bon choix aura été, et reste, de privilégier une continuité faite d’ambition et d’humilité, pour le cyclisme, le bon choix eût été, et reste, une radicale rupture et une table rase que chaque jour qui passe rend plus difficile.
Une même pratique pour deux aboutissements radicalement opposés. Voilà qui met un peu de plomb dans l’aile aux recettes manageriales prêtes à l’emploi : la bonne méthode, c’est celle qui a un moment donné correspond à une situation, un contexte et un objectif. L’entreprise n’existe pas, il y a des entreprises et des femmes et des hommes qui la font vivre.
00:05 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES, TABLEAU NOIR | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : management, ressources humaines, stade toulousain, cyclisme, dopage, transmission, seniors, emploi, culture
23/04/2009
Tous dopés
« Je me dopais légèrement aux amphétamines, un comprimé de Corydrane installait, selon la formule de Sartre, « un soleil dans ma tête », À lui un comprimé ne suffisait pas, il voulait un très grand soleil et mâchait par poignées la Corydrane qu’il réduisait en une bouillie acide, se détruisant la santé en toute conscience au nom de ce qu’il appelait le « plein emploi » de son cerveau. La Corydrane m’a aidé quand j’écrivais de nombreux articles, mais il fallait savoir la doser, son effet était bref et on ne pouvait éviter ni la tétanisation de la mâchoire inférieure ni l’état dépressif qui survenait lorsqu’elle cessait d’agir. J’y ai renoncé il y a bien longtemps, avant même que les amphétamines, sous toutes leurs formes et appellations (les pilotes de bombardiers de la Royal Air Force, qui avaient une longue route à parcourir pour atteindre leur cible sur la terre allemande et en revenir, se tenaient éveillés grâce à la Benzédrine), ne soient interdites. » Ce passage des mémoires de Claude Lanzmann ("Le lièvre de Patagonie"), qui est un document extraordinaire, nous renvoie aux difficiles et multiples questions posées par les stimulants de la performance : faut-il voir dans l’indulgence du public pour les cyclistes dopés, au-delà du désir que le rêve ne se brise pas, une tolérance pour une pratique banalisée dans un pays qui figure en tête de la consommation de médicaments ?
Faut-il remettre en cause la beauté des encres de Michaux pour ce qu’elles doivent à la mescaline ? que l’on sache, la potion magique ne disqualifie en rien Astérix. Considérons plutôt, comme le suggère Lanzmann, que l’usage de stimulants porte des potentialités inverses : la création et la destruction, l’inhibition et la libération, la stimulation et l’apathie, l’autonomie et la dépendance. Sade nous avait déjà appris que la quête d’absolu réduit à rien la frontière entre le vice et la vertu. Alors libre à vous, mais restez libres.
Et pour que ne subsiste aucune ambiguÏté, affirmons qu’en sport c’est moins l’usage de drogues que la tricherie qui est insupportable.
00:30 Publié dans DES IDEES COMME CA | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lanzmann, dopage, drogues, sade, michaux, performance