05/12/2012
Jésus et les Y
Pour moi, c'est une réunion qui sent la fin d'année. Le genre de réunion dans laquelle on est physiquement présent, mentalement déconnecté et professionnellement attentif autant qu'il le faut. On passe en revue avec quelques responsables RH et managers les projets de formation pour l'année suivante. Du classique que l'on concluera par l'intégration de tous les projets dans une matrice dont l'intelligente conception laissera penser qu'un très gros travail amont a été réalisé et non une simple discussion collective à bâtons rompus. Bref, le quotidien bat son plein ce matin là. Mais quel que soit l'état de somnolence active, certains mots ont des capacités de gratouillements garanties. J'entends soudain un participant proposer une conférence avec un sociologue spécialiste de la Génération Y, à l'attention de tous ces managers qui n'en peuvent plus de gérer ces jeunes zappeurs permanents, oublieux des hiérarchies, statuts et fonctions, travaillant sur le mode relationnel du copain de toujours, investis à fond jusqu'au désinvestissement total dès que "ça les saoule", etc. Bien m'en a pris de tendre l'oreille car elle perçoit que l'on me demande mon avis. Mon état d'esprit se prêtant à la plaisanterie potache, je propose tout de go de contacter Jésus, qui n'est pas un maçon portugais spécialisé dans la gestion des apprentis, mais celui qui le premier, sur la croix, fit le fameux signe Y. Le bref silence qui s'ensuivit me convainquit d'avoir fait chou blanc, et j'enchainai en retournant la question et demandant si l'on était bien certain qu'elle existe cette génération Y.
Rubens - Crucifixion
S'en suivit un débat plus vif que les échanges précédents, qui me permit de retrouver le calme de l'observation et de constater qu'une participante était en train de téléphoner discrètement, que deux autres consultaient leurs mails, qu'un quatrième envoyait un texto et que deux autres encore pianotaient sur leur tablette numérique. J'en était là de l'observation quand le boomerang de la question initiale me revint sous la forme d'une brusque interpellation : "Et le fait qu'ils soient vissés depuis leur adolescence à des consoles de jeux, ce n'est pas une caractéristique de la génération Y ? nous on jouait aux cartes". La rêverie étant propice à l'imagination, mon esprit n'emprunta pas l'escalier et je pus répondre : "Ils ne sont pas plus vissés à leur console de jeu que vous ne l'êtes avec vos tweets, mails et textos à votre console du Je". Je vis à quelques hagards regards que certains avaient écouté mais pas entendu, à un sourire qu'il y avait eu une écoute compréhensive et à des mines soudain renfrognées que certains avaient décidé d'oublier aussi tôt ce qu'ils avaient entendu. Du coup, on ne me demanda pas de préciser ma pensée, qui était que les comportements de la présupposée génération Y n'étaient jamais que des comportements contemporains qui touchaient tout le monde, avec la seule différence qu'il s'agit pour les plus jeunes de l'environnement de toujours alors que pour les plus anciens ils se mêlent à d'autres références. Bref, pas de quoi en faire des généralités générationnelles. Mais les catégorisations ayant pour principale vertu de rassurer ceux qui les bâtissent, il fut décidé que Conférence l'on ferait. Mobilisant mon énergie, je notai sur le jour envisagé que je pourrai disposer de ma journée. Vivement la fin de l'année !
02:05 Publié dans HISTOIRES DE CONSULTANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : génération y, mails, tweets, technologie, formation, réunion, ressources humaine, sociologie
02/12/2010
Les sociomanes de la Génération Y
La sociologie est fondamentale pour comprendre le fonctionnement des organisations, les jeux de pouvoir, les cultures, les évolutions d’une société, au sens large. Mais peut-elle saisir l’individu ? Dans un ouvrage paru en 2009 intitulé « Les sociologies de l’individu », François de Singly et Danilo Martuccelli invitent à prendre en compte l’inscription de l’individu dans plusieurs réalités sociales et à considérer l’irréductible singularité individuelle pour ne pas procéder à des généralisations trop hâtives, y compris lorsqu’elles procèdent d’enquêtes de terrain.
De cette exigence méthodologique, certains font peu de cas, notamment ceux qui ont construit un petit fond de commerce sur la génération Y. Cette génération regrouperait les 24-34 ans, soit en France près de 8 millions de personnes. Qui partageraient comme caractéristiques communes d’être : nés avec une souris, sans peluches, dans la main droite, un écran d’ordinateur en guise de portique à jouet, une zapette dans la main gauche, une frénésie de changement, une quête éperdue de sens, une inscription dans le court terme, un besoin de reconnaissance et d’épanouissement personnel, etc. Si vous voulez la suite prenez n’importe quel horoscope ou lisez l’interview de Frank Bournois dans Entreprise et Carrières n° 1026 et vous découvrirez enfin comment manager ces hordes de barbares technologiques qui n’ont pas les codes des organisations mais ont tous soif d’apprendre (sic).
Philippe de Champaigne - Crucifixion
A ce degré de généralité, les soucis méthodologiques sont bien loin. Pourtant si l’on y regarde d’un peu plus près, avec quelques travaux sérieux dont ceux de Bernard Lahire, on s’aperçoit que l’on peut être inculte en matière de nouvelles technologies et manipuler sans problème un portable, une PS3 ou sa page Facebook, que jamais la fragmentation sociale n’a été aussi importante, que toute classe d’âge est constituée d’appartenances sociales diversifiées, que jamais les trajectoires individuelles n’ont été autant diversifiés et que si le changement est si rapide que le rapportent les tenants de la génération Y, alors il est absurde de considérer qu’un même phénomène générationnel impacte de la manière identique des générations nées avec dix ans d’écart.
Bref, tout ceci flaire la supercherie. Et s’il s’agit simplement d’obtenir un succès médiatique ou de librairie, conseillons aux sociomanes de nous refaire le coup du Da Vinci Code et de proclamer avec sérieux et sans sourire, ils en sont capables, que Jésus était le fondateur de la Génération Y, et que cette vérité est non seulement dépourvue de tout ambigüité mais qu'en plus elle peut se constater de visu. C'est pas une preuve ça ?