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20/10/2014

Un artisan singulier

Vieille question : quelle différence entre un artiste et un artisan ? certainement pas le talent, l’artisan peut d’ailleurs être plus talentueux que l’artiste. Pas plus le génie, auquel ni l’un ni l’autre ne sont tenus. Alors quoi ? d’un côté une capacité à faire, une maîtrise des conditions de production d’une œuvre, de l’autre une capacité à créer, c’est à dire à ne pas reproduire ce que l’on a appris à faire mais à inventer des méthodes nouvelles, des objets nouveaux, des représentations différentes de ce que l’on connaît jusque-là. L’artisan perpétue, l’artiste commence. C’est pourquoi le peintre copiste est un artisan et le bricoleur délirant est un artiste. Reproduction contre création, là se situe la ligne de partage.

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Vermeer est un remarquable artisan. Sa virtuosité technique lui aurait permis de créer à l’infini ces tableaux que la Flandres a produit avec la même profusion que celle que l’on retrouve sur les toiles : bouquet de mille fleurs, banquets de mille mets, fêtes de mille gens ou mers de mille vagues, en ces terres austères l’abondance est une seconde nature.  Mais Vermeer est surtout un artiste, par sa capacité à rendre la lumière, à créer une atmosphère, à intégrer le spectateur à la scène, à faire redécouvrir ce que nous pensions connaître pour l’avoir vu déjà. Et à être le seul à le faire de cette manière.

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Au final, on pourrait dire que l’artiste, c’est un artisan plus une singularité. Celui qui parle de sa propre voix et non avec celle des autres qu’il se contenterait de répéter, quelle que soit la qualité de son élocution. C’est pourquoi il est possible de former des artisans, dès lors que les personnes veulent bien s’inscrire dans l’apprentissage des modes opératoires qu’elles pourront ensuite utiliser. Et c’est pourquoi il n’est pas possible de former des artistes, car c’est leur propre langage, et non celui des autres, qu’il leur faut trouver. 

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Faisons le parallèle avec la compétence : s'il s'agit d'acquérir des modes opératoires, alors référentiels et outils d'évaluations des pratiques seront pertinents. S'il s'agit de savoir quelle contribution singulière chacun peut apporter à une entreprise commune, alors il faudra travailler différemment : travailler plutôt sur le contexte et offrir un environnement propice à la créativité et accepter que toute oeuvre ne soit pas un chef-d'oeuvre, autrement dit comprendre qu'il faut beaucoup de travail et beaucoup d'esquisses pour que la singularité s'incarne dans une production de qualité. Comme les peintures de Vermeer que l'on peut détailler dans le Mauritshuis rénové. 

26/10/2011

La lettre, le mail et le sms

Nul ne percera jamais le mystère du billet que la servante remet à sa maîtresse. Toutes les conjectures n'y feront rien, tous les possibles se briseront sur la mince feuille de papier pliée. Peut être Vermeer lui-même n'en sait-il pas plus que nous. Il a sans doute tenté de déchiffrer ces visages qu'il peignait avec cette application tenace qui caractérise les flamands. Je parierai volontiers sur l'échec de sa tentative, qui consacre la réussite du tableau. Jamais la lettre remise ne livrera son secret. Ainsi, la vie privée méritait-elle son nom avant que ne surgisse la technologie.

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Johannes Vermeer - Maîtresse et servante - 1667

On ne compte plus les salariés licenciés pour avoir manqué de la plus élémentaire conscience de leur époque en oubliant que tout l'internet était traçable et que les mails, présumés professionnels, n'étaient pas des billets  relevant de la vie privée mais des écrits de la sphère professionnelle qui n'échappent pas au contrôle de l'employeur. Un salarié vient de constater à ses dépens qu'il en est de même des SMS envoyés depuis son téléphone professionnel qui, faute d'avoir été effacés sitôt qu'envoyés, ont révélé à l'employeur les intentions coupables du salarié, en l'occurence "faire couler la boîte". Les juges, dans une décision du 28 septembre 2011, voir ici, ont rappelé au salarié victime de la fracture technologique, toute la différence qu'il y avait entre un SMS envoyé à un collègue depuis un téléphone professionnel, et les billets remis en main propre sans mention de l'expéditeur. Le salarié aura ainsi appris à ses dépens que le secret d'un SMS est de bien courte durée, alors qu'il y a près de trois siècles et demi que le mystère du billet de Vermeer demeure.

09/09/2011

DRH à la perle

Sa douceur surpasse celle de la perle qui vient rehausser le diafane velouté de ce visage offrant  son geste et son regard mais dérobant ses traits. Sa beauté s'épanouit entre le tragique et le sourire, la pudeur de la coiffe et l'impudeur de la bouche. Innocente succube, la jeune fille à la perle est une fleur en jeune fille. Contrairement aux jeunes filles en fleur de Proust, elle ne passe pas, ne fâne pas, ne se situe pas dans cet éclat éphémère que le temps balaie. Immémoriale, elle persiste à vous offrir le plaisir de son mystère.

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Vermeer - La jeune fille à la perle

Les DRH que les Echos ont interrogé cette semaine sur le climat de la rentrée ont-ils visité cet été le petit musée Mauritshuis de La Haye ? toujours est-il qu'ils ont tenu, eux aussi, à accrocher des perles à leur discours, qui du coup s'en trouve plus pâle que la belle porteuse de perle. Et tout d'abord  ceux qui nous refont le coup du velcro : je devrai arrêter de tancer les étudiants qui me disent qu'ils vont communiquer pour faire adhérer les salariés en leur expliquant qu'un salarié c'est pas du velcro. Car on peut devenir DRH de grands groupes et persister en ce sens : "Notre priorité première est d'expliquer sans relâche à nos collaborateurs en France notre stratégie pour qu'ils y adhèrent" nous dit celui-ci, et un des ses homologues de renchérir "La communication envers nos collaborateurs est donc plus que jamais essentielle. Nous devons continuer de leur expliquer le business, les conséquences de l'engagement des équipes...".

En d'autres termes : noyons les salariés qui ne comprennent rien sous un flot de communication descendente et ils se tiendront tranquille et partageront les projets des dirigeants. A ce stade, est-ce toujours une perle ou plus simplement une coupure profonde, totale et irrémédiable avec la réalité ?

Pour finir, cette fine analyse autoréalisatrice d'un DRH clairvoyant : "Nous ne pouvons exclure que des clients diffèrent certains investissements. Nous avons donc, par précaution, différé certaines dépenses". Voyant ces dépenses différées, on ne doute pas que les fournisseurs concernés diffèreront eux-mêmes. Et voilà comment la prudence produit un bel effet domino dépressif, qui contentera tout de même le DRH car lorsque tout le monde aura différé et que la situation aura empiré, il sera plutôt content d'avoir été prudent.

Je crois que je vais refaire un tour à La Haye.

01/12/2010

Des dialogues vertueux

Ecrire c'est d'abord lire, peindre c'est d'abord regarder. Comme les écrivains empruntent à ceux qu'ils ont aimé lire, les peintres dialoguent dans leur peinture avec leurs prédécesseurs. Et, précision que je sens nécessaire bien qu'elle ne devrait pas l'être, il n'y a strictement aucune antinomie entre ces emprunts et la réalisation d'une oeuvre toute personnelle. Car l'oeuvre va dire la manière de voir, de traduire et de comprendre, au sens le plus global. En ce sens, tout dialogue est singulier.

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Martial Raysse           -               J.D.A Ingres

 

On peut considérer que le dialogue social est vertueux et que la confrontation est un aiguillon de la créativité, même si chacun ne se situe pas sur le même terrain, comme le peintre et le photographe.

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Tom Hunter        -          Vermeer

La négociation d'entreprise sur la formation professionnelle s'est peu développée depuis 40 ans. Les causes en sont multiples : faiblesse globale de la négociation collective dans les entreprises françaises (moins de 20 % des entreprises de plus de dix salariés signent un accord collectif chaque année), défiance des négociateurs de branche,  compétence des négociateurs d'entreprise, intérêt pour le sujet, etc. La chronique réalisée avec Jean-Marie Luttringer pour l'AEF explore les conditions d'une relance de la négociation d'entreprise sur la formation professionnelle. Elle expose notamment le parallèle entre le DIF, moyen négocié d'accès à la formation, et la négociation collective et la place qu'occupe la formation dans les négociations obligatoires. Et pourquoi l'on peut espérer un dialogue un peu plus fourni et fructueux dans les années à venir.

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27/05/2010

Quand le DIF balance

La balance est ambivalente. Etre une balance n'est guère flatteur. Pourtant la balançoire est légère et le mouvement de balancier plutôt doux. La balance opère la pesée, la juste mesure. Mais balancer c'est aussi ne pas savoir choisir, s'arrêter au milieu du gué au risque de n'aller nulle part sinon à sa perte. Si comme Barbara j'me balance on concluera que j'men balance. Que nous dit la femme portant balance de Johannes Vermeer ? son regard est doux et bienveillant. Devant elle des perles et de l'or. Mais dans la balance rien. Derrière elle le jugement dernier. Pesée des âmes ? ou peser de l'âme à venir qui gonfle le ventre de la dame ? comme tous les tableaux de Vermeer, le raffinement le dispute au mystère et l'on balance devant le sens à donner au tableau.

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Johannes Vermeer - Femme portant balance - 1662

Devant le DIF les partenaires sociaux balancent : faut-il en faire un droit de créance, opposable aux OPCA avant de l'être aux entreprises dans le cadre d'un futur compte épargne, ou bien faut-il l'ancrer dans la négociation et en faire un support de la modification des relations individuelles de travail ? le choix à ce jour n'est pas fait. Avant de plus longs développements sur ce sujet qui feront l'objet d'une chronique pour l'AEF, un avant goût avec l'interview réalisée par Valérie Grasset-Morel pour Débat Formation, la revue de l'AFPA.

Interview-RevueAFPA.pdf

09/01/2010

Ordre et des ordres

Il y a quelques années, lors d'un colloque organisé à Toulouse et consacré à l'insertion professionnelle, un prestigieux intervenant, directeur de la prestigieuse école d'ingénieurs de Purpan, avait doctement énoncé qu'il était vain que des africains viennent faire des études longues et des thèses en France alors que leur pays manquait de techniciens. Et à ceux qui étaient ébahis de tels propos, il avança cet argument scientifique : il avait lui-même pris, en Afrique, un taxi conduit par un thésard qui n'avait pas trouvé d'autre emploi. Quelques années plus tard, le prestigieux personnage occupe un poste encore plus prestigieux puisqu'il est président de la Conférence des Grandes Ecoles (CGE) et qu'il se bat mordicus pour maintenir les concours, ne pas galvauder le niveau en accueillant plus de boursiers et, filant la métaphore et démontrant sa vision fine de la société française il déclare : "Imaginerait-on un quota de CSP++ dans l'équipe de France de foot ?  Ou un quota de boursiers dans l'équipe équestre de sauts d'obstacle ?". Voilà quelqu'un qui a manifestement intégré la notion de classe sociale. Pierre Tapie, puisque c'est de lui qu'il s'agit, aurait sans doute apprécié l'exposition qui se tient à la Pinacothèque de Paris consacré à l'âge d'or de la peinture hollandaise.

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Johannes Vermeer - La lettre d'amour - 1669-1670

Ce n'est pas tant les peintures qui portent à croire que Pierre Tapie trouverait son plaisir chez les peintres hollandais, mais les textes empesés et pompeux qui accompagnent l'exposition et veulent voir dans toute trace de lumière présente sur la toile une manifestation divine, et non de la lumière, tout en proclamant de manière absurde que Rembrandt est le plus grand peintre de l'histoire. Ce goût de la hiérarchie plaira à Pierre Tapie et à ses correligionaires, et il me revient en mémoire cette DRH d'HEC expliquant que dans une grande école la VAE n'avait aucun sens. Et c'est chez ces humanistes proclamés que sont formées les élites de demain. Pour terminer, on peut estimer que Pierre Tapie n'aimerait pas la peinture de Clovis Trouille et le mélange des genres, raison suffisante pour vous offrir cette illustration. Une dernière chose : ne dites pas à Pierre Tapie qu'Albert Camus aimait le football, ni que Villepreux est un intellectuel, cela ferait désordre pour quelqu'un qui préfère les ordres.

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Clovis Trouille - Chez la princesse - 1962

07/12/2009

Le bon rythme

Les deux musées sont contigüs dans le parc des musées d'Amsterdam.  Dans le premier, le Rijksmuseum, seuls quelques chefs d'oeuvre sont visibles, du fait de la rénovation en cours. Parmi ceux-ci, La laitière rentrée de New-York, que l'on peut contempler  en doutant qu'il s'agisse d'une peinture, sans savoir de quoi il pourrait bien s'agir d'autre. Les couleurs, la patine, le dessin, la précision du trait, tout semble impossible à la réalisation. Et l'impossible peut être observé à loisir et à plaisir.

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Vermeer - La laitière - 1658/1661

Vermeer a peint une petite quarantaine de tableaux en vingt ans. 

De l'autre côté de la rue se trouve le musée Van Gogh qui présente le plus grand rassemblement existant des oeuvres du peintre. Pourtant, il ne s'agit que d'une petite partie des 840 tableaux, mille dessins et autres aquaralles sans compter les centaines de lettres envoyées à ses proches, pleines de subtilité, de goût et de vie. Van Gogh n'était pas pressé, ni fou : il était rapide. Bien trop rapide pour son époque, mais il l'aurait sans doute été encore trop pour la notre. Question de rythme.
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Van Gogh - Les champs labourés - Arles - 1888

Imaginons que l'on ait demandé à Vermeer de peindre au rythme de Van Gogh, ou à ce dernier d'adopter le rythme de Vermeer.  La folie et l'impuissance aurait  à coup sur frappé les deux. Pourtant, les deux étaient des travailleurs acharnés. Chacun à leur rythme. Ni la lenteur ni la rapidité ne sont souhaitables pour elles-mêmes. Il suffit de savoir laquelle convient sans les hiérarchiser.
Les marcheurs savent qu'en montagne le faux-pas, c'est-à-dire celui qui n'est pas le sien, ne pardonne pas et réduit singulièrement la performance. En ce lundi, Vermeeer et Van Gogh nous posent deux questions : comment les organisations prennent-elles en compte le rythme propre à leurs collaborateurs, sachant que sur un rythme qui n'est pas le sien il est peu probable que l'on soit performant. La seconde question est plus directe : et vous, quel est votre rythme ?