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29/10/2014

Le savoir-faire du rat

Pourquoi parle-t-on de rat de bibliothèque ? parce que le rat dévore tout ce qu'il trouve, sans discernement, comme le bibliomane lit tout ce qui lui tombe sous l'oeil ? aimant les bibliothèques et lisant absolument tout ce qui passe à ma portée, j'ai  toutefois tendance à prendre l'appellation pour un compliment. Au demeurant, l'avantage du comportement ratier, à savoir de tout dévorer, c'est que l'on fait parfois de belles surprises. Ainsi aujourd'hui, cherchant quelques définitions terminologiques, je compulse la norme AFNOR X50-150 (cela pourrait être le nom d'un robot de la guerre des étoiles) et tombe soudain sur la définition du Savoir-être ! persuadé depuis toujours que le savoir-être n'existe pas, qu'il est une supercherie conceptuelle et que la compétence n'est jamais que du faire, je salive d'avance (mon côté rat...) à la lecture de la définition. 

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Exemple de savoir-faire relationnel

Et voici ce que les normalisateurs osent écrire : "Savoir-être : savoir-faire relationnel". Redevenons un instant cartésien (le rat est impulsif de nature et calculateur par culture) : si le savoir-être est un savoir-faire, pourquoi avoir créé le savoir-être si le savoir-faire suffisait ? et pourquoi démontrer par l'absurde l'incapacité qu'il y a à définir en tant que tel le savoir-être si on ne le ramène pas au savoir-faire ? Conforté dans l'idée que l'être relève de la métaphysique et non de la gestion des ressources humaines et que le faire est le royaume de la compétence, je peux retourner à ma bibliothèque, tel un bon rat alléché par tout ce qu'il reste à découvrir.  

28/10/2014

Manqué !

On y a cru l'espace d'un instant, le temps de l'été, celui des amours enfantines. Les conditions paraissaient réunies et il y avait des indices encourageants. Un décret avait bien assoupli, à la fin du mois d'août, les formalités liées à la mise en oeuvre des formations à distance. La notion d'assiduité était apparue, plus pédagogique que celle de présence. La logique poussait en ce sens : tous les financements des OPCA étant orientés vers les coûts pédagogiques et les frais annexes, l'imputabilité ayant disparu, il n'y avait plus beaucoup d'intérêt, du moins du point de vue du droit de la formation, à tracer à l'heure près la présence des participants. Même l'administration en convenait, qui prévoyait dans un décret la fin des feuilles d'émargement. Et puis le Conseil d'Etat est passé par là. Et sans doute cet air du temps un peu poisseux dont n'arrive pas à se défaire le champ de la formation professionnelle, de suspicion permanente. Et du coup, voilà maintenues dans le code du travail, par le décret du 24 octobre 2014 relatif aux OPCA, des dispositions qui n'ont plus de sens qui imposent aux OPCA de ne payer les prestations que sur production des feuilles d'émargement. 

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Sont ainsi confirmées les conditions de la bureaucratisation des OPCA, à qui l'on demande par ailleurs de développer la qualité des formations et leur gamme de services. Tout en maintenant la limitation de leurs frais de gestion (plutôt que d'en laisser la responsabilité aux Conseils d'administration avec une obligation de transparence) et en les obligeant à exposer des coûts, donc, pour une activité inutile. Le même raisonnement peut d'ailleurs s'appliquer aux organismes de formation qui continueront à gérer de la paperasse pour répondre à la défiance que l'on fait peser sur eux et qui perdront une partie de leur capacité à investir. Vous avez dit choc de simplification ? 

27/10/2014

Real robots

Il paraît que ce n'est pas une bonne idée de fabriquer des robots à la pelle. Dans un de ces rapports d'anticipation qui encombrent une actualité dont ils ne traitent pas, s'appuyant sur la veille recette selon laquelle l'annonce de l'Apocalypse ne restera jamais sans succès (génie des rédacteurs de la Bible...), on nous annonce que les robots détruiront trois millions d'emploi à moyen terme se substituant peu à peu aux travailleurs salariés. On avait déjà vu ça avec Real humans, mais avec quelques graphiques et statistiques prolongés à la règle, cela donne un fond scientifique pour finir de paniquer ceux qui aiment bien ça. 

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Bref, le tissu habituel de balivernes, qui pourrait toutefois éventuellement nous faire réfléchir à ces emplois pour lesquels  on est prêt à se battre pour ne pas les livrer aux robots. S'agit-il d'activités que seule l'intelligence artificielle sera capable de réaliser compte tenu de leur complexité ou de la masse d'informations à utiliser ? Celles-là, l'informatisation s'en est déjà occupé. S'agit-il alors de ces tâches répétitives qui ont déjà transformé les individus en robots, leur remplacement n'étant somme toute que le bout de la logique de l'organisation du travail existante ? Car plutôt que de s'effrayer pour un avenir fait de réal humans, il est bien plus inquiétant de constater qu'il existe déjà, et depuis bien longtemps, des real robots. 

24/10/2014

C'est pas les bronzés...

La Cour de cassation a établi une distinction qu'elle s'attache à faire respecter entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Elle reconnaît, et même protège, le droit à la schizophrénie du salarié : si dans le cadre de son activité professionnelle il est soumis au contrôle de l'employeur, il a toute liberté dans le champ de sa vie personnelle, sous réserve de ne pas commettre des actes incompatibles avec l'exécution de son contrat de travail. Si tel était le cas, l'employeur ne pourrait sanctionner disciplinairement le salarié, puisqu'il n'est pas sous l'autorité de l'employeur pour ce qui relève de sa vie personnelle, mais il pourrait toutefois en tirer des conséquences sur le contrat de travail si le comportement du salarié a un lien avec l'activité. Ainsi, il a déjà été jugé qu'il était possible de licencier une salarié d'une CAF, chargée du contrôle des prestations, qui dépose des faux dossiers dans une autre CAF, ou un chauffeur sanctionné pour conduite en état d'ébriété au volant de son véhicule personnel. Pas de sanction disciplinaire donc mais une cause réelle et sérieuse de licenciement. Les juges suprêmes viennent, au-delà de ces deux catégories, de préciser le régime des périodes pendant lesquelles le salarié participe à des activités organisées par l'employeur, en dehors de son temps de travail. Et leur conclusion est que l'entreprise, c'est pas les bronzés !

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Dans la décision rendue le 8 octobre 2014, les juges examinaient le licenciement d'un salarié qui, au cours d'un voyage organisé par l'employeur pour récompenser les commerciaux vainqueurs d'un concours interne, avait manifestement tutoyé la bouteille puis insulté, menacé et agressé ses collègues. Licencié pour faute grave, il contestait la sanction, survenue selon lui en dehors du travail. Mais pour la Cour de cassation, le temps passé à des manifestations organisées par l'employeur, serait-ce en dehors du temps de travail, ne relève pas de la vie personnelle mais de la vie de l'entreprise. Dès lors, le pouvoir disciplinaire pouvait s'exercer. Le licenciement s'en trouve justifié et le salarié débouté. 

Avis donc mesdames et messieurs, les repas de fin d'année, les voyages d'entreprise et les diverses sauteries qui sont organisées par votre employeur, ce n'est pas les bronzés : que cela ne vous empêche pas de vous servir un dernier verre (en atlantide comme il se doit). 

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(Note : Un dernier verre en Atlantide est un recueil de poèmes de Jérome Leroy que nous recommandons vivement à nos aimables lecteurs)

22/10/2014

Les nouveaux amis

Sandrine travaille depuis 20 ans comme assistante commerciale. Elle connaît tout le monde ou presque dans l'entreprise. Elle y a des amis, des connaissances et elle croise aussi des gens qui ne lui parlent jamais. La vie normale. Elle a plus que fait le tour de sa fonction et décide de postuler sur un emploi d'assistante ressources humaines. Elle est retenue et prend ses fonctions. Elle travaille sur tous le périmètre des ressources humaines, elle a accès à toutes les informations, y compris les plus confidentielles comme les salaires, elle participe à tous les projets. Elle se régale. Prise par ses nouvelles activités, un peu stressée par le changement, désireuse d'être à la hauteur, elle qui n'a pas toujours confiance en ses capacités, elle s'investit pleinement. Du coup, elle ne remarque pas au début les petits changements, les attitudes, les comportements. Certains lui parlent moins, d'autres ne l'évitent pas, pas encore, mais sont plus distants, et le mot ami ne lui vient plus aussi spontanément. 

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Ah par contre, elle en a des nouveaux amis. Des personnes qui ne lui parlaient jamais et qui la tutoient, des aussi anciens qu'elles qui la découvrent, des plus récents qui viennent lui demander conseil. Bref, en quelques semaines quasiment toutes les relations ont été revisitées. Quelques exceptions bien sur, mais pas tant que ça. Et un persistant sentiment un peu étrange : celui de tout redécouvrir de cette entreprise qu'elle a l'impression de connaître depuis toujours. Un nouveau monde en quelque sorte, avec de nouveaux amis. Jusqu'au prochain changement de fonction ? 

21/10/2014

Hollande

Le samedi, les rues sont animées dans l'après-midi. Ensuite les magasins ferment tôt. Faudra que j'en parle à Emmanuel Macron. 

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Le dimanche, les magasins sont fermés, pour l'essentiel. Au centre, certains ouvrent de 12h à 17h. Ce qui laisse le temps des relations qui ne sont pas comptabilisées dans le PIB. 

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Dans ce pays où le ciel et la mer s'accordent dans le gris, les couleurs sont partout. Affaire de volonté. 

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Les jeunes filles sont rêveuses. D'ailleurs leur regard se perd dans les nuages. 

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Mais non, elles ne sont pas désincarnées. Etre rêveur n'a jamais empêché de pédaler avec joie dans un décor d'automne qui parsème le sol de feuilles roussies qui accompagnent les joues rosies des jeunes filles. 

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Le batave comme le flamand est industrieux. Et cela n'enlève en rien le goût et la douceur de vivre. Il faut vraiment que j'en parle à Emmanuel Macron. 

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20/10/2014

Un artisan singulier

Vieille question : quelle différence entre un artiste et un artisan ? certainement pas le talent, l’artisan peut d’ailleurs être plus talentueux que l’artiste. Pas plus le génie, auquel ni l’un ni l’autre ne sont tenus. Alors quoi ? d’un côté une capacité à faire, une maîtrise des conditions de production d’une œuvre, de l’autre une capacité à créer, c’est à dire à ne pas reproduire ce que l’on a appris à faire mais à inventer des méthodes nouvelles, des objets nouveaux, des représentations différentes de ce que l’on connaît jusque-là. L’artisan perpétue, l’artiste commence. C’est pourquoi le peintre copiste est un artisan et le bricoleur délirant est un artiste. Reproduction contre création, là se situe la ligne de partage.

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Vermeer est un remarquable artisan. Sa virtuosité technique lui aurait permis de créer à l’infini ces tableaux que la Flandres a produit avec la même profusion que celle que l’on retrouve sur les toiles : bouquet de mille fleurs, banquets de mille mets, fêtes de mille gens ou mers de mille vagues, en ces terres austères l’abondance est une seconde nature.  Mais Vermeer est surtout un artiste, par sa capacité à rendre la lumière, à créer une atmosphère, à intégrer le spectateur à la scène, à faire redécouvrir ce que nous pensions connaître pour l’avoir vu déjà. Et à être le seul à le faire de cette manière.

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Au final, on pourrait dire que l’artiste, c’est un artisan plus une singularité. Celui qui parle de sa propre voix et non avec celle des autres qu’il se contenterait de répéter, quelle que soit la qualité de son élocution. C’est pourquoi il est possible de former des artisans, dès lors que les personnes veulent bien s’inscrire dans l’apprentissage des modes opératoires qu’elles pourront ensuite utiliser. Et c’est pourquoi il n’est pas possible de former des artistes, car c’est leur propre langage, et non celui des autres, qu’il leur faut trouver. 

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Faisons le parallèle avec la compétence : s'il s'agit d'acquérir des modes opératoires, alors référentiels et outils d'évaluations des pratiques seront pertinents. S'il s'agit de savoir quelle contribution singulière chacun peut apporter à une entreprise commune, alors il faudra travailler différemment : travailler plutôt sur le contexte et offrir un environnement propice à la créativité et accepter que toute oeuvre ne soit pas un chef-d'oeuvre, autrement dit comprendre qu'il faut beaucoup de travail et beaucoup d'esquisses pour que la singularité s'incarne dans une production de qualité. Comme les peintures de Vermeer que l'on peut détailler dans le Mauritshuis rénové. 

19/10/2014

Chant vibratoire

L'expérience fondamentale a été vécue en 2009, à la Tate Gallery, dans les grands espaces des salles hautes où étaient présentées les toiles conçues pour habiller les murs de l'immeuble Seagram. Dans l'espace immense, les ondes émises par les peintures de Rothko pouvaient se déployer sans mesure, et pour la première fois à ce point, on pouvait avoir l'impression d'être traversé par ces champs vibratoires qui devenaient un chant intérieur. Cette expérience initiale se répète à chaque confrontation avec les oeuvres de Mark Rothko. 

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Le musée municipal de La Haye, le Gemeentemuseum, présente jusqu'au 25 janvier une splendide exposition de toiles mises à disposition par le musée de Washington. L'occasion de vérifier que Rothko est un chaman. Mais pour cela, il faut se confronter à la toile même. Les peintures de Rothko, pourtant largement diffusées sous forme de reproductions, affiches ou cartes postales et même sur ce blog, sont sans doute celles qui perdent le plus de leur pouvoir à être ainsi dupliquées. Car le changement de support détruit définitivement les ondes qui habitent les couleurs. Ne restent que de jolis ensembles, car Rothko est un excellent coloriste, décoratifs dont on peut orner ses murs sans danger. Tel n'est pas le cas de ces grands formats qui vous attirent, vous absorbent et constituent, pour qui veut bien s'y abandonner, des passages vers des mondes intérieurs dont Rothko a manifestement trouvé la clé. 

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Les peintures de Rothko, c'est la redécouverte sans fin du conseil de Léonard de Vinci aux peintres : "Regardez un mur jusqu'à ce que vous y voyez surgir la scène". Quelles scènes surgissent de ces à plats de couleurs qui ont une profondeur sans fin ? Lorsque l'on regarde ces toiles, on perd l'oreille interne et il faut prendre garde à ne pas tituber. Si vous êtes mystique disait Rothko, voir mes peintures sera une expérience mystique, si vous ne l'êtes pas, ce sera une expérience profane. Regarder vraiment ces toiles, c'est prendre le risque, comme sous hypnose, de voir sa conscience se modifier et faire ainsi l'expérience du dédoublement. Qui est tenté à jusqu'au 25 janvier 2015. 

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15/10/2014

Faites vos choix...

Je n'ai jamais très bien compris en quoi consistait la réalité. Ou plus exactement LA réalité que vous présentent avec le confort de leur bon droit ceux qui sont persuadés qu'il n'y en a qu'une. A ceux là, une seule recommandation : se plonger d'urgence dans le Quatuor d'Alexandrie de Lawrence Durell pour se coltiner d'un peu plus près avec le principe de réalité. Pour ceux qui seraient effrayés par les 4 tomes, proposons un petit exercice (presque) équivalent. Voici les faits : 

Je suis employeur (cet exercice sur la réalité est donc une fiction) et je propose à mes salariés une prime de 100 euros chaque fois qu'ils utilisent leur compte personnel de formation pour une formation que je leur propose. 

Vous pouvez choisir entre 5 réalités : 

1) Je suis un salaud d'employeur qui achète l'utilisation de leur compte personnel de formation à des salariés démunis devant le chantage à l'argent. 

2) Je suis, au pays des Prix Nobels d'Economie, un champion de la rationalité économique : pour un coût de 150 euros (chargé), je viens d'économiser entre 500 et 1 000 euros constituant le coût de la formation. En bon économiste, je sais que le salaire est la première source de motivation des salariés. 

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Test complémentaire. Il pense : 

1) Elle touche toujours les paumes, c'est extraordinaire...

2) Merde, elle s'est pas noyée...

3) Elle la retrouvera jamais sa bague...

4) Le mètre cube parfait...

5) Je l'aime...

3) Je suis un employeur sans volonté honni par ses pairs parce qu'il vient de céder aux organisations syndicales qui me demandent depuis des années de verser systématiquement une prime pour reconnaître le développement de compétences liées à la formation.

4) Je suis un petit mariole toulousain qui vient d'inventer un bricolage à deux balles qui n'a aucune chance de fonctionner au delà de la Loire et qui va scandaliser les Alsaciens, mais je suis malgré tout fier de moi. 

5) Je suis un employeur qui a trouvé le moyen d'encourager ses salariés à se former, qui s'inscrit pleinement dans les politiques de développement des compétences et qui a su s'appuyer sur des éléments périphériques pour déclencher la motivation de ses salariés. J'ai également contribué à relancer l'économie en distribuant du pouvoir d'achat. Je ne sais pas si je ne vais pas postuler pour le titre de DRH de l'année. 

Les choix sont faits ?....

14/10/2014

Verni (pas) sage

L'actualité étant ce qu'elle est, les temps passés au bureau sont rares, pour ne pas dire inexistants. Et les soirées relativement studieuses. Et le retard dans les productions quasi-permanent. Bref, la vie normale du consultant qui s'obstine à travailler seul. Mais malgré les urgences, les affaires en cours, les engagements à tenir, il était impossible ce soir de résister. Impossible de ne pas accompagner l'ami qui me fit le cadeau de partager l'invitation au vernissage de l'exposition Sade, Attaquer le Soleil, présenté à Orsay. Impossible de ne pas aller voir le stupéfiant travail d'Annie Le Brun, commissaire générale de l'exposition, qui a sélectionné les 350 oeuvres présentées. Impossible de ne pas, dès la première salle, être saisi par les toiles de Franz von Stuck, qui fournit l'affiche de l'exposition. 

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Voilà une Judith inhabituelle. En principe vêtue pour laisser entendre que l'honneur est sauf  et qu'elle va tuer sans avoir cédé à Holopherne qu'elle va décapiter (ce qui importe moins que le fait d'avoir succombé), elle est ici nue et Holopherne semble moins ivre que repu. Trois salles plus loin, une gravure ira encore plus loin, Judith profitant de l'extase d'Holopherne pour l'occire en pleins ébats. C'est qu'ici, les versions officielles le cèdent à la liberté qui surgit avec toute la force dont sont capables Masson, Picasso, Moreau, Molinier, Bellmer, Jean Benoît, Jean-Jacques Lequeue, Fragonard, Ingres, Delacroix, Cézanne, Degas, Bacon et quelques autres dans une présentation qui ne connaît aucune faiblesse. La cruauté, la violence, les passions, le désir, la luxure se mêlent et vous transportent. On sort lessivé, mais plus libre qu'avant. Avec une spéciale dédicace pour Michel Onfray, qui ne goûte guère Sade : sur le livre d'Or, une jeune femme a laissé ce mot "La main droite me brûle, je suis pourtant gauchère, merci". Messieurs, laissez vos femmes ou compagnes aller voir seules l'exposition Sade : elles le méritent. 

13/10/2014

L'étau financier

Il y a les spécialistes du refroidissement qui viennent systématiquement gâcher l'enthousiasme. Ceux qui guettent la nouveauté comme on attend l'hiver : en maugréant et en tremblant, frigorifiés avant même que les frimas ne les saisissent. Tous les oiseaux de mauvaise augure, bien mal nommés car tout tient du plomb en eux et bien peu de l'aérien. Et bien il y a des chances pour que tous ceux-là se rengorgent de nouveau à propos du Compte Personnel de Formation puisque chaque annonce de difficultés éventuelles est accueillie le sourire aux lèvres sur l'air du : "Je vous l'avais bien dit". Sur ce blog, la tendance est plutôt de se lancer à l'aventure le coeur léger et l'appétit ouvert, sans se soucier au moment de prendre l'élan de savoir ce que sera la chute. 

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Prenons toutefois le risque de nourrir les sceptiques de goût et de profession en revenant sur le compte personnel de formation. Au vu des travaux conduits dans les branches qui ont oeuvré sur la question, et des choix déjà effectués par le COPANEF en la matière, on sait que les premières listes devraient être plutôt larges. Mais on constate également que, saisissant la possibilité qui leur est offerte de fixer des plafonds de financement, certains OPCA s'orientent vers le plafonnement très bas des formations n'entrant pas dans les priorités de la branche,  les formations qui y trouvent place bénéficiant de financements plus élevés. Ce faisant, le droit du salarié sera donc très différent selon son secteur d'activité et la mobilité interbranches ne s'en trouvera pas renforcée. Or, on sait que la mobilité professionnelle est bien plus importante que la mobilité géographique et qu'en matière d'employabilité, c'est la première qu'il faut soutenir. Ce phénomène n'ira qu'en s'accentuant lorsque les demandes de CPF s'avèreront plus importantes que les financements et que la régulation financière assurera le pilotage du dispositif. On s'apercevra alors que tout le fastidieux travail sur les listes ne sert pas à grand chose si au final les OPCA décident que les formations de leurs branches seront financées au coût réel, tandis que les autres auront un plafond à moins de 10 euros, ce qui de fait cessera d'être un plafond pour devenir un barème. Et l'on découvrira après coup, la belle surprise, que la régulation financière sera le véritable outil de pilotage du dispositif et que les listes de formation éligibles auront bien moins orienté que les taux financiers. Faut-il vraiment s'en étonner ? 

12/10/2014

Juste une histoire : les miroirs

La pièce est aveugle et octogonale. Un lit a été placé face à la porte, un fauteuil à son pied. Une cheminée habille l’une des parois. L’âtre est foyer de lumière et de chaleur. Quelques chandeliers, posés à même le sol, maintiennent à distance l’obscurité. Il n’y a rien d’autre. Du moins, si l’on s’en tient à l’espace entre les murs, celui que l’on habite. Car sur les murs, ils sont disposés par dizaines. Le plus petit est semblable à un médaillon. Le plus imposant occupe la partie  haute d’une des huit surfaces murales.  Toutes les formes sont présentes, sphère, carré, rectangle, losange, hexagone et autres figures géométriques encadrant les surfaces le plus souvent planes, quelque fois convexes et exceptionnellement concaves des miroirs qui  recouvrent les murs du lieu. En de rares interstices, apparaît la tenture rouge sur laquelle ont été posées les froides surfaces polies. Les cadres sont en bois de toutes sortes et toutes couleurs, des plus ornementés aux plus sobres. Leurs courbes, droites et arabesques parcourent les miroirs dans un infini jeu de renvoi, donnant à la pièce l’allure d’un kaléidoscope qui, tel une plante carnivore de taille monstrueuse, avale sans cesse et sans répit ce qui s’offre à lui.

 Le feu de la cheminée par exemple, qui danse en mille éclats dans le reflet des verres et embrase le lieu sombre et clos. Ou le sol de tomettes bordeaux, semblable à celui de la Tour de Montaigne, qui s’incline puis se redresse selon l’endroit où le regard se porte.  Car  chaque mouvement, du corps ou des yeux, transfigure la pièce dans son ensemble, chaque image se dissolvant en d’innombrables facettes qui se répercutent en tous points de la pièce et font retour vers d’autres images qui elles mêmes en génèrent de nouvelles.

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Sommes nous ici au cœur de l’espace et du temps, au point d’abolition de la matérialité au profit d’une projection infinie, symbole de l’éternel retour ? ou alors en un lieu de torture, toute personne prenant place dans le fauteuil au centre de la pièce voyant son image se fragmenter jusqu’à lui faire perdre tout contact avec elle-même au point de douter de la réalité de son existence ?  ou dans une nouvelle caverne platonicienne pour ceux qui penseraient que les images d’eux-mêmes, complaisamment renvoyées par les miroirs, constituent bien la réalité ? ou dans un éternel jeu de dupe entre la perception, les apparences et l’existence matérielle de toute chose ? à moins qu’il ne s’agisse d’une illustration du poème de François Villon : « Je reconnais tout sauf moi-même » ?

 Le plus souvent, la pièce est vide. Une ombre, régulièrement, se glisse vers la cheminée et ravive les flammes qui dansent dans la profondeur des miroirs. Puis elle s’éclipse. La chambre aux mille et trois miroirs se referme alors sur elle-même et ses images. Jusqu’à ce que soudain, après un lent cheminement à travers couloirs, passages, portes dérobées et diverses antichambres, un homme aux gestes lents et précis ne surgisse. Son regard n’embrasse jamais la pièce dans son ensemble. Il est fixé sur quelque point particulier : l’arête du bois de lit, le manteau de la cheminée, un pied du fauteuil, une tommette disjointe. L’homme se dirige invariablement vers le fauteuil et s’y assied. Alors il relève la tête et projette son regard au plus lointain écho des miroirs. Cet après-midi encore, Léonard de Vinci est au travail.

 Juste une histoire.

11/10/2014

Osez la couleur !

Le début de l'automne vous attaque le moral ? les premiers pulls, rallumer le chauffage, se poser la question de l'écharpe, ne plus se poser celle du parapluie vous dépriment ? le premier courant d'air glacial a eu raison de vos bronches et de votre gorge ? vous ne comprenez pas pourquoi on va vers l'hiver alors qu'il n'y a pas eu d'été ? vous avez déjà commencé à compter les jours jusqu'à votre prochain congé ? ne vous laissez pas aller ! une seule solution : osez la couleur ! stabilisez votre humeur au stabilo, repoussez la noirceur, haut les coeurs, vive la couleur !

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10/10/2014

Binaire

Ce n'est pas parce que le droit est binaire qu'il manque de subtilité. La cour de cassation vient d'en faire la démonstration en requalifiant en CDI des CDD successifs conclus sans délai de carence.

Le Code du travail prévoit en effet deux règles : la première est que le délai de carence ne s'applique pas entre des contrats conclus pour remplacer un salarié absent. La seconde est qu'un délai de carence s'applique entre deux contrats conclus pour accroissement d'activité. D'où l'angoissante question : oui mais entre un CDD de remplacement et un CDD pour surcroît, faut-il appliquer une carence ? le juriste prudent (ce n'est pas un pléonasme, n'en déplaise aux juristes prudents...) dans le doute appliquait le délai de carence. Mais nombre de revues juridiques avaient retenu que le délai de carence n'étant pas expressément prévu, il suffisait de respecter "un certain délai" avant de conclure un autre contrat. D'autres estimaient que faute d'interdit, il n'y avait pas matière à imposer un quelconque délai.

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La décision de la Cour de cassation du 29 septembre 2014 tranche l'affaire. Se basant sur le fait que les CDD sont interdits (principe qu'il est bon de rappeler lorsque 80 % des embauches se font sous ce régime) sauf dans les cas autorisés par la loi, elle en conclut que l'interdiction est le principe et que l'autorisation doit être expresse. Et constatant que l'absence de délai de carence n'est prévue que pour une succession de CDD de remplacement, elle juge qu'entre un surcroit d'activité et un remplacement le délai de carence s'impose, même si le code du travail n'en parle guère. Nouvelle preuve qu'il n'y a pas de vide juridique pour la raison que dès qu'un vide se profile à l"horizon, il est aussitôt rempli par un principe. Reste à prendre des paris pour savoir si l'on utilisera le même que le juge.

09/10/2014

La zone !

Comment se fier aux juges, comme dirait un homme politique ? pas facile lorsque le juge varie plus souvent que le vent ne tourne. Car non content de jouer les démiurges et de créer de toute pièce des règles nouvelles, le juge a la fantaisie d'appliquer ces règles au cas d'espèce, ce qui lui permet donc de les interpréter au gré des circonstances. La surprise et la créativité y gagnent ce que le justiciable perd en sécurité juridique car bien malin qui pourra dire ce que le juge va décider. 

En matière sociale, il en est ainsi notamment à propos des mutations géographiques. Les juges ont, en la matière, commencé par innover en jugeant que tout salarié n'était pas recruté pour un lieu exclusif mais pour une "zone géographique" dans laquelle l'employeur peut le muter sans que cela ne constitue une modification de son contrat de travail. La solution a l'avantage du pragmatisme en imposant à un salarié de suivre une modification d'adresse sans grande conséquence sur ses contraintes de transport, tout en fixant une limite à ce pouvoir de l'employeur, je veux parler de la "zone". 

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Derniers mots de la "Zone" d'Apollinaire

Reste à définir ladite "zone". Est-ce un bassin d'emploi ? un bassin de vie ? une frontière administrative (commune, agglomération, pays, département, région....) ? une zone à géométrie qu'il convient de mesurer en temps plus qu'en kilomètres ? on avoue la difficulté car suivant les entreprises, les caractéristiques de la zone peuvent largement varier. Chez les juges aussi  donc qui avaient décidé, en 2009, que deux villes distantes de 50 kms étaient dans la même zone, et qui  a  au contraire jugé le 12 juin 2014 (Cass. soc., 12 juin 2014, n° 13-15.139 F-D) qu'une mutation entre deux villes distantes de 30 kms ne peut être imposée car, du fait de difficultés de circulation constatées l'hiver sur la route qui les relie, le temps de trajet s'en trouve rallongé, ce qui conduit, par le constat de l'aggravement des conditions de travail, à refuser à l'employeur de pouvoir appliquer la mutation d'office. Reste que tous ces changements de jurisprudence, c'est tout de même un peu "la zone". 

08/10/2014

Un forfait dans le vent

Le décret du 2 octobre 2014 fixe les modalités d'alimentation du compte personnel de formation. Il rappelle le principe de la proportionnalité entre l'acquisition des heures et le temps de travail. Les salariés à temps plein bénéficieront de 24 heures par an, les salariés à temps partiel d'un crédit proratisé. Pour le droit attaché à la personne on repassera, il reste donc pour l'instant strictement attaché au contrat de travail puisqu'au lieu de décréter que toute personne en activité reçoit 24 heures par an, on lie le droit au contrat de travail. Paradoxal alors que l'on poursuit l'objectif d'augmenter le droit à la formation des demandeurs d'emploi. Mais comme dans tout grand principe se niche une exception : elle concerne les salariés en forfait en jours qui, quelle que soit la durée du forfait, seront considérés comme travaillant à temps plein et bénéficieront systématiquement de 24 heures par an, auraient-ils un forfait à 100 ou 150 jours par an et non 218. Voilà un forfait qui a le vent en poupe !

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La solution est identique à celle qui prévaut en matière de calcul de l'effectif : quel que soit le volume du forfait, le salarié en convention de forfait en jours compte pour 1, le temps partiel n'existant pas pour ce régime de temps. Saluons, pour une fois, la simplicité. Mais constatons aussi, une fois de plus également, que les salariés en forfait en jours sont principalement des cadres et que l'acquisition totale du crédit leur est acquise. Alors qu'un demandeur d'emploi n'acquiert rien et qu'un salarié qui enchaîne les CDD ou travaille à temps partiel acquiert proportionnellement à son temps de travail. Sans doute pas le dernier des paradoxes que l'on relèvera sur la réforme en cours. 

Décret 2014-1120 du 2 Octobre 2014.docx

07/10/2014

Machine infernale

Il y certainement quelqu'un, mais qui donc que diable ?, qui oeuvre dans l'ombre pour que le Compte Personnel de Formation soit un échec. Quelqu'un qui trouverait intérêt à ce que le dispositif se transforme en un monstre bureaucratique comme seul notre pays sait en engendrer. Dernier acte en date du saboteur, avoir rajouté dans le décret relatif aux listes de formation éligibles au compte personnel de formation, le fait que les parties de certification inscrites au RNCP doivent figurer en tant que telles sur la les listes pour être éligibles au RNCP. Décryptons. Le législateur, cohérent dans son souhait de faire du CPF un outil de consommation régulière de  formation (d'où le mode d'acquisition sous forme de droits rechargeables, d'où le plafond à 150 heures) et d'orienter malgré tout vers des formations certifiantes pour mieux garantir la valorisation des compétence acquises, prévoit que les certifications inscrites au RNCP sont éligibles au CPF, mais que l'est également chaque module de ces certifications. Ce qui permet à chacun de suivre le module ou les modules de son choix sans nécessité de s'inscrire sur l'intégralité du diplôme. Logique pour un dispositif plafonné à 150 heures. Mais voilà que dans ce bel ordonnancement, surgit la machine infernale. 

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Machine à faire fonctionner le CPF (Jean Tinguely)

Prévoir que les modules ne seront accessibles que s'ils sont inscrits en tant que tels sur les listes, c'est obliger les partenaires sociaux à faire le tri non pas parmi 8 000 certifications enregistrées au RNCP, mais entre 80 000 modules correspondant, si l'on estime qu'une certification se compose d'en moyenne 10 modules. On touche à l'absurde. Car dans ce cas, rien ne sera accessible en modulaire et seuls les salariés bénéficiant d'un abondement pourront suivre une formation diplômante. 

Le pire, c'est que l'on a du mal à comprendre ce qui justifiait l'inscription de chaque module sur la liste, tout en craignant qu'il s'agisse à nouveau de cette volonté de tout contrôler, de tout maîtriser, de tout prévoir et au final de tout flécher dans un dispositif qui est censé favoriser la prise de responsabilité des acteurs et des bénéficiaires. 

Tant que de telles logiques seront à l'oeuvre, on peut toujours imaginer tous les systèmes et toutes les réformes que l'on veut, le chemin ne mènera jamais ailleurs qu'à l'échec. 

Décret Liste CPF.docx 

06/10/2014

Portrait

Un peu surpris par la demande, je me suis prêté au jeu bien volontiers. Avec un peu d'appréhension tout de même, car à raconter un peu, autant dire ce qui compte. Et qu'est-ce qui compte, 27 ans après avoir créé le Cabinet de consultant comme une blague de potache, car en choisissant le nom de Willems Consultant, je venais incognito de créer le Cabinet WC ! Ce qui compte vraiment ? le souci de préserver ma  liberté, l'inaptitude au salariat tout autant que l'inaptitude à manager, les rencontres surtout de ceux qui voyaient mon avenir mieux que je ne pouvait l'imaginer, la continuation du sport dans le travail, l'incroyable plaisir de se demander, tous les jours, quelle rencontre nouvelle on va faire, des tours de France et des embardées dans quelques autres pays, au Nord, au Sud, à l'Est, mais surtout au Sud, les avions de 6h du matin, longtemps, le plaisir de l'épuisement physique, le désir de frénésie et de lenteur, les chemins de traverse, et la rencontre un jour, qui change tout et justifie tout. Epouser une cliente n'est certes pas un grand moment de déontologie, mais c'est un grand moment de bonheur. 

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Mais je ne vais pas redoubler le portrait écrit par Nicolas Deguerry, que je remercie de son écoute et de la bienveillance de sa plume. C'est paru dans Inffo-Flash et pour la peine, il va falloir que je recommence à m'abonner !

Portrait Centre Inffo.pdf  

05/10/2014

Juste une histoire: Bien venus

Les corps blancs et nus s’allongent un à un sur la roche noire. Les jambes, torses, bras, nuques, pieds, fesses, têtes, se tordent , se ploient, se segmentent pour occuper les irréguliers hexagones de basalte qui forment la Giant’s Causeway. La mer d’Irlande offre un décor gris, vert, noir et marron. Les nuages  défilent si bas qu’on pourrait les toucher, bousculés par un glacial vent du Nord, laissant à l’occasion apparaître des pièces de ciel bleuté. La lumière est satinée, comme avant une éclipse. Devant moi, plusieurs centaines de corps, debout, avancent lentement vers la place assignée. Le froid rétracte les chairs et les peaux.  Dans les espaces laissés par la mer et le vent, se glissent quelques rires, de joyeuses paroles, du moins peut-on le supposer au ton des voix, car ici on parle toutes les langues. Se parler semble plus important que se comprendre.

J’avise un groupe hilare qui fait bloc contre les rafales :

« Excusez moi, vous pourriez  m’indiquer pourquoi vous êtes venus ?

-       Ah oui, bien sur…c’est le hasard….on a participé à la photo prise à Aurillac il y a quelques années. On ne se connaissait pas, et depuis on guette les annonces de Spencer Tunick et on se retrouve…»

Un grand blond, qui a gardé ses lunettes et ses bras serrés sur sa poitrine, me regarde un instant. Je saisis l’occasion :

« Et vous, pourquoi êtes vous là ?

-       je suis photographe à Bruges, je suis sur toutes les photos, même si on ne me voit jamais… »

Derrière moi, de jeunes potaches gloussent un peut trop fort. J’interromps leur prépubère excitation :

« Pourquoi êtes vous là ?  

- t’es ouf ou quoi mon pote…on a fait les JMJ, c’est super, y a plein de filles mais elles prennent leur kiff à discuter. Ici on a pensé que ce serait plus direct… ».

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Je suis passé de groupe en groupe, remontant la foule compacte qui avait déjà oublié sa nudité et se pliait bien volontiers aux demandes jaillies du portevoix que brandissait un assistant monté sur son échelle de spectacle.

Inlassablement, je questionnai et l’on me répondait. Les locaux, qui défiaient avec ostentation le froid, car c’était le leur, et qui ne pouvaient pas ne pas être là, les collègues de travail qui avaient fait un pari avec ceux qui n’étaient pas venu, les militants du naturisme qui venaient promouvoir leur mode de vie pour le bonheur de tous, les touristes venus pour la Chaussée et qui se retrouvaient dénudés, les fidèles qui étaient de tous les évènements, ceux qui étaient là parce qu’ils trouvaient que dans leur vie il n’y en avait guère, d’évènements, ceux qui étaient venus pour pouvoir dire qu’ils étaient venus, ceux qui, déçus, étaient là pour être sur la photo et avaient compris qu’on ne les y verrai pas, les familles venues des quatre coins de la planète ronde se retrouver un temps, les solitaires rassurés par l’anonymat du nombre que renforçait la nudité, les bandes festives, pressées d’en finir avec la photo, le froid et l’attente, dont la patience s’alimentait de promesses de pubs irlandais, les accros aux réseaux sociaux qui guettaient tous les rendez-vous et se résignaient à être des milliers d’happy few, la génération 68 qui continuait à faire acte politique, les amoureux des métros bondés qui vivaient comme dans un rêve leur immersion dans la foule, les altermondistes qui, après de longs débats, avaient conclu que l’esthétique ne devait pas être abandonnée aux bourgeois, les naturophiles, les urbanophobes, les sociologues émus par la concrétisation charnelle de leurs recherches sur les mouvements sociaux, les journalistes infiltrés, les fascinés de la diversité humaine, et ceux qui  venaient au contraire vérifier « qu’on est tous faits pareil »,…

Une jeune femme aux seins impertinents et à la voix qui ne l’était pas moins interrompit mon recensement d’un questionnement brutal :

« Je m’appelle Szasza, je vous regarde questionner tout le monde, mais vous, vous êtes là pour quoi exactement ?

- je suis venu pour savoir pourquoi les gens sont venus».

 Juste une histoire. 

03/10/2014

Mal armée

La décision prise par la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) le 2 octobre nous amène à nous replonger dans le Code de la Défense où l'on peut lire ceci : "Les militaires jouissent de tous les droits et libertés reconnus aux citoyens. Toutefois, l'exercice de certains d'entre eux est soit interdit, soit restreint". Magnifique enchaînement dialectique : vous jouissez de tous les droits mais pas de tous. Avouons-le, la contradiction n'était pas tenable. C'est ce qu'ont relevé les juges européens en considérant que la France ne pouvait purement et simplement interdire toute activité syndicale à un militaire. 

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Membres du syndicat créé par F.H Fajardie au sein de l'armée chinoise

La disposition censurée par les juges est la suivante : "L'existence de groupements professionnels militaires à caractère syndical ainsi que l'adhésion des militaires en activité de service à des groupements professionnels sont incompatibles avec les règles de la discipline militaire.". Cette discipline n'étant pas explicite, on aurait tout de même aimé savoir quelle règle disciplinaire imposait qu'un collectif ne puisse défendre ses intérêts, on comprend aisément que dans la grande muette, il s'agit surtout de la fermer. Et bien les juges viennent de l'ouvrir.