27/09/2012
Droit d'expression (1)
La méthode utilisée par la CPAM de Moselle pour traiter la question des risques psychosociaux, dans un contexte de fusion de caisses, de réorganisation, d'évolution des métiers et des comportements des assurés, n'est pas la plus fréquente. Des salariés volontaires ont été formés à la méthode d'identification des risques mise au point par l'ANACT et ce sont eux qui ont été interviewer leurs collègues, avant que les résultats de ce travail d'enquête ne soit traduit en plan d'action par des groupes de travail. Cette démarche participative est rare : le plus souvent, l'analyse des risques est un travail d'expert auxquels les salariés sont associés, ou pas, mais remettre ainsi le coeur du travail d'enquête dans les mains des salariés demeure peu usité. Sans doute en partie par crainte de perdre la maîtrise du processus, nouvelle vérification que le salarié est souvent managé à la manière dont Yves Montand transportait les flacons de nitroglycérine dans le Salaire de la Peur : en serrant les fesses pour qu'il ne se passe rien.
Pour originale qu'elle soit, la méthode ne fait que redécouvrir ce que la loi Auroux du 4 août 1982, dont nous venons de fêter les 30 ans, avait souhaité promouvoir. Le droit d'expression directe et collective des salariés. Toujours présent dans le code du travail (articles L. 2281-1 et suivants), il l'est beaucoup moins dans les pratiques. Qui met en place des groupes de travail régulièrement dans l'année pour que les salariés puissent s'exprimer sur leurs conditions de travail ? qui organise des modalités spécifiques de ce droit pour que l'encadrement n'en soit pas privé ? qui se préoccupe de recueillir les avis et propositions des salariés sur les conditions et l'organisation du travail ? C'est pourtant une obligation depuis 30 ans. Nouvelle preuve que plutôt que de voter des textes nouveaux sur les risques psychosociaux, la pénibilité ou le harcèlement, si l'on appliquait les textes existant on arriverait sans doute à un meilleur résutat.
11:19 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES, DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : risques psychosociaux, lois auroux, droit d'expression, liberté d'expression, salariat, travail, ressources humaines
25/09/2012
Il s'est passé quelque chose
Le premier juge avait considéré qu'il existait un chaînon manquant. Que si sur le papier on avait pu théoriquement reconstituer un scénario, matériellement il n'était pas prouvé. Et que faute d'établir scrupuleusement le lien entre la cause et l'effet, il n'était pas possible de condamner. Ce fut la relaxe. Le second juge n'eût pas ces scrupules et pris un autre parti. En premier lieu, il écarta toutes les autres hypothèses : ailleurs, c'était plus que les chaînons qui manquaient. Une fois éliminées les autres causes, il en vint à considérer la plus probable comme celle qu'il fallait retenir, car les autres l'étaient moins qu'elle. Difficile de condamner pénalement sur cette approche statistique. Fallait-il donc encore acquitter ? le juge se souvint peut être des trente et un morts, des dix mille blessés, des traumatisés à vie. Ce jour-là il s'était passé quelque chose de jamais vu et la justice ne pouvait se borner à dire son incapacité à rapporter les preuves formelles de la vérité. Pour tous ces gens, il fallait une décision.
Alors le juge, la tête emplie du dossier mais aussi d'images, décida que peu importait le chaînon manquant. En dernière considération, l'état de l'usine, les manquements à la sécurité, l'absence de mobilisation des moyens à hauteur de ceux que le groupe aurait pu dégager, tout cela faisait du directeur un coupable. Pas d'avoir craqué lui-même l'allumette, mais d'avoir créé un environnement dans lequel la moindre allumette pouvait déclencher une catastrophe. La décision du premier juge était fondée en droit, il n'est pas certain que celle du second juge ne la soit pas également. La Cour de cassation nous le dira. En attendant, personne ne peut oublier qu'il y a onze ans, il s'est passé quelque chose, comme dirait Juliette qui débuta à Toulouse.
02:01 Publié dans DES IDEES COMME CA | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : azf, toulouse, jugement, procès, pénal, droit, condamnation, total
24/09/2012
Promeneur d'exception
On le regarde passer avec retenue. On irait volontiers lui serrer la main, et le remercier. Mais la discrétion de l'homme impose la réciproque sans que cela ne fasse vraiment débat. Alors on le regarde passer. La silhouette est voutée, le pas un peu traînant. Une poche bleue ballote dans le dos. En haut des marches, l'homme redresse sa stature. En face de lui le Panthéon, il était en première ligne en 1981, à sa gauche le Sénat qui fût son dernier mandat d'élu, devant lui les fleurs de l'été qui rechignent à s'effacer et profitent des dernières douceurs. On a connu des passages à l'automne moins verdoyants aux frondaisons. Le crépuscule attendra, pour l'heure on peut s'abandonner aux charmes de l'instant. Très court instant car sans que la vivacité du regard n'en soit entamée, dans les yeux du passant le passé est très présent.
Il y a de l'émotion à voir Robert Badinter traverser lentement le jardin du Luxembourg. Sourire aux enfants, rester anonyme aux adultes. Qui aime le droit aime, en principe, les principes. Et plus que d'autres, que beaucoup d'autres, Robert Badinter connait la valeur des principes et d'un particulièrement. Celui que la communauté a besoin de droit commun. Et pas de droits d'exception. Que le droit est fait pour rassembler et qu'il faut toujours privilégier la volonté de conserver à la règle son caractère général et ne pas cèder à la tentation du particulier, de la règle d'opportunité, de circonstance ou de reconnaissance des particularismes. La dignité de chacun est d'être traité comme les autres. Ce promeneur du soir là le sait bien qui n'a eu de cesse lorsqu'il était au pouvoir de faire abolir les lois spéciales et supprimer les tribunaux d'exception. On aurait bien besoin, encore, de Robert Badinter. Car un homme attaché à ce point aux principes, de nos jours, c'est vraiment une exception.
00:33 Publié dans CHRONIQUE DE WEEK-END | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : badinter, droit, droit commun, gauche, 1981, paris, luxembourg
22/09/2012
La corrida, ce sous-ensemble
Comme on sait qu'il n'y a pas de vide juridique, on en conclu que le droit dispose toujours d'une réponse pour toutes les questions qui lui sont posées. Tel est bien le cas. Ainsi le Conseil constitutionnel a du trancher la question de la légalité de la corrida, notamment en ce qu'elle échappe à la qualification pénale d'actes de barbarie sur les animaux. Au-delà de considérations sur la possibilité pour le législateur de moduler les règles en fonction des situations, le Conseil constitutionnel valide le raisonnement des aficionados, lequel est souvent mal compris. Les juges font valoir que la corrida peut être pratiquée dans les régions où existe une tradition locale et une culture taurine. Ce qui scandalise ceux qui traduisent cette position par le fait que la pratique pourrait justifier le droit et au final que le droit coutumier l'emporterait sur le droit construit. La pratique, même la plus contestable, dicterait ainsi sa loi interdisant tout progrès. Ce n'est évidemment pas de cela qu'il s'agit. La référence à la culture taurine a une dimension beaucoup plus large, que l'on peut illustrer par les peintures de Catherine Huppey qui n'a pourtant jamais assisté à une corrida.
Catherine Huppey - Combat 2
Par leur décision, les magistrats (que l'on renonce à désigner par le terme de "Sages" que les jounalistes emploient par facilité et que rien ne justifie) rappellent que pour pouvoir exister, la corrida ne doit être qu'une partie d'un ensemble bien plus vaste. La culture taurine c'est la présence du taureau dans l'histoire, dans les traditions, dans l'économie, dans les moeurs et au final dans la vie des populations. C'est l'élevage, les manifestations autres que la corrida (abrivados, courses, encierros...), une littérature, une gastronomie car l'on mange du taureau, un mode de vie, une imprégnation des fêtes et traditions populaires, les ferias, et au final un élément de l'identité locale. En ce sens, il n'est pas contradictoire, au contraire, de défendre la présence de l'Ours dans les Pyrénées et le maintien des corridas dans les terres du Sud. C'est ce message que délivre le juge, dans le langage qui est le sien. C'est dire si le Président du Crac (Comité radicalement anti-corrida) est loin du sujet lorsqu'il estime que cette décision consacre la dictature tauromachique puisqu'un petite nombre impose sa loi au plus grand nombre. Le juge lui a exactement expliqué le contraire, encore faut-il prendre la peine d'entendre ce qu'il dit.
12:41 Publié dans DES IDEES COMME CA | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : corrida, conseil constitutionnel, sud, taureau, culture, droit
21/09/2012
Du bon usage du droit
Le CEDEFOP vient de publier une étude sur les clauses de dédit formation dans les 27 pays de l'Union Européenne, les 3 candidats à l'adhésion (Turquie, Croatie, Macédoine) et les 3 pays de l'AELE (Islande, Liechtenstein, Norvège). Premier constat, les clauses de dédit formation existent dans 27 des 33 pays, avec des régulations légales ou conventionnelles, preuve que la question de la charge finale de l'investissement formation a été posée quasiment partout. Deuxième constat, l'auteur du rapport adopte comme présupposé non discutable, en tout cas très peu discuté, que les clauses de dédit formation c'est bon pour tout le monde. Pour l'entreprise qui sécurise son investissement et pour le salarié qui se trouve ainsi responsabilisé et prend conscience de l'effort de l'entreprise. Après la CNIL, voici donc de nouveau un expert qui suppute l'absence de conscience du salarié, cet irresponsable qu'il convient de discipliner un peu en le menaçant d'avoir à payer lui-même sa formation pour qu'il prenne enfin en considération l'effort que fait l'entreprise. Mais surtout, le rapport répète ad nauseam que la contrainte juridique résultant de la clause de dédit formation, que l'auteur encourage à appliquer pour toutes les formations y compris de courte durée, est une excellente manière de développer la formation professionnelle et d'impliquer plus fortement le salarié. Voici donc le droit dans sa version punitive promu outil pertinent de management. Ajoutée à une clause d'exclusivité, de mobilité, de confidentialité, de non-concurrence et de rémunération largement variable, la clause de dédit-formation achèvera de corseter le salarié qui dès lors n'aura plus qu'à filer droit. Pas de doute qu'ainsi entravé, sa motivation s'en trouvera renforcée.
Nobuyoshi Araki - 2012
Il n'est pas exclu que le droit puisse être un outil de management pertinent. Encore faudrait-il l'utiliser dans sa version positive : donner des repères clairs pour l'action, fixer des cadres, identifier les marges de manoeuvre de chacun, donner de la légitimité à ses pratiques, s'ouvrir des espaces de liberté, identifier des solutions possibles. Mais force est de constater que c'est quasi-exlusivement pour sa capacité à sanctionner que l'on recours au droit, transformant les juristes en gestionnaires de risques et non en producteurs de valeur ajoutée. Nos gouvernants ne sont d'ailleurs pas en reste qui ont multiplié les obligations de négocier sous peine de sanctions : seniors, égalité professionnelle, pénibilité et bientôt contrats de génération, ce qui témoigne d'une certaine continuité culturelle en dépit des alternances politiques. Pour les mesures qui récompensent les comportements vertueux, on est prié d'attendre encore un peu. On terminera sur un paradoxe à propos de la clause de dédit formation : la formation est censée apporter de l'autonomie au salarié, donc de la liberté et de la responsabilité. N'est-il pas contradictoire de vouloir ficeler ceux que l'on tente de rendre plus autonomes ?
Clauses de dédit formation - CEDEFOP.pdf
A l'attention toute particulière de l'expert du CEDEFOP, une deuxième photographie d'Araki pour lui permettre de méditer sur le rapport que l'entrave peut entretenir avec le plaisir.
12:13 Publié dans DROIT DE LA FORMATION | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : araki, bondage, formation, cedefop, clause de dédit, droit, éducation, europe
20/09/2012
Le salarié, cet incapable
Le directeur de l'établissement n'avait jamais envisagé que la pratique d'afficher chaque année la liste des salariés ayant fait l'objet d'une promotion aurait pu poser problème. De bienveillants collègues lui ont quand même conseillé de consulter la CNIL. La réponse ne s'est pas faite attendre : la pratique est illégitime et elle ne peut être validée par le consentement des salariés. Le courrier reçu par l'entreprise est un véritable collector :
- la CNIL affirme que toute information individuelle est une information personnelle et donc confidentielle ;
- la CNIL s'érige en juge de la légitimité d'une pratique alors qu'on attendait qu'elle se prononce sur sa légalité ;
- et cerise sur le n'importe quoi, le courrier dénie au salarié toute capacité de négocier avec son employeur. Ici, la citation s'impose : "A toutes fins utiles, je vous indique que notre Commission n’admet pas, en principe, le recours au consentement dans le domaine des ressources humaines. En effet, compte tenu du lien de subordination existant entre un salarié et son employeur, le consentement ne peut être libre et éclairé.". On ne saurait mieux dire que le salarié est un incapable majeur dont la volonté ne compte guère, un individu dépourvu de la moindre autonomie voire de la plus petite parcelle de conscience, bref un pantin que les doigts de l'employeur agitent.
Man Ray - Coast Stand - 1920
Chacune de ces affirmations est excessive sinon grotesque. Si toute information individuelle est personnelle et donc confidentielle, alors il faudra renoncer à des organigrammes personnalisés, à des notes de bienvenue pour les nouveaux recrutés (avec, horreur absolue, une notice biographique), à des informations de nomination, à la diffusion du plan de formation et l'on ne parle même pas de la photo de l'employé du mois ou des résultats du challenge des commerciaux. Une seule solution : anonymiser toute l'information et l'on proposera que cela soit fait en attribuant aux salariés un numéro, aléatoire pour éviter toute identification. Toute ressemblance avec la série LE PRISONNIER sera fortuite et ne pourra être imputée à la CNIL.
Si la CNIL s'érige en gardienne de la légitimité des pratiques, alors il ne faut plus s'étonner de l'arbitraire que revêtent certaines décisions. Car la légitimité est une notion qui renvoie certes au droit mais également à l'éthique, la morale, la justice ou encore la raison. Soit des terrains moins stables que celui de la légalité que l'on a déjà parfois du mal à clairement délimiter.
Mais le meilleur, si l'on peut dire, est pour la fin. Tout salarié, de part sa qualité de salarié, serait incapable de conserver le degré de conscience minimal qui lui permettrait de donner un consentement éclairé. Les fins juristes de la CNIL ne parviennent donc pas à faire la différence entre la subordination juridique et la soumission. Si l'on s'en tenait à leur raisonnement, il faudrait annuler pour vice du consentement tout avenant au contrat de travail puisque le salarié ne peut librement consentir.
Le plus inquiétant, c'est que tout cela est décidé avec la conviction profonde, et sans doute sincère, de contribuer à la protection des salariés, ou plutôt des pantins qui en tiennent lieu. Il vaudrait mieux se demander qui, dans cette affaire, est véritablement incapable.
00:00 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES, DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cnil, salariés, information, ressources humaines, liberté, droit, droit du travail
18/09/2012
Solitude du manager
Je ne me souviens plus pourquoi j'avais été invité à participer à ce comité de direction. Ni de son objet. Je me souviens juste qu'après avoir bouclé l'ordre du jour, la conversation avait porté sur divers sujets, jusqu'à cet échange, dont j'ai gardé un souvenir très précis :
"- il y a quand même une population dont il va falloir s'occuper...
- (silence des autres)....
- ah bon, laquelle ? les seniors, les femmes...
- non, notre middle management. Pour l'encadrement supérieur on a fait ce qu'il fallait. Mais pour l'encadrement intermédiaire, on leur demande beaucoup, de plus en plus, ce sont eux qui font tourner la boutique et on ne peut pas dire qu'ils aient été particulièrement bien traités...
- oui, tu as raison, il va falloir s'en occuper...
- c'est vrai, ça tiendra pas toujours dans ces conditions...
- bon, sur ces bonnes paroles messieurs il est temps d'aller dîner."
Sans grande surprise, de cette population dont il fallait s'occuper, on ne s'occupa guère.
Je rencontre parfois des managers qui n'y vont plus. Ils ont donné, ils sont soit épuisés, soit lassés, soit blasés, soit devenu cyniques, soit désinvestis. Mais je rencontre encore plus souvent des managers qui ont de l'énergie, qui sont prêt à faire face aux conflits d'intérêts, aux conflits de personnes, aux situations inexticables ou même à l'inconnu. Des managers qui veulent bien traverser la jungle avec le pagne pour tout vêtement et un canif pour la survie. Des managers qui aiment ce qu'ils font, qui prennent sur eux-même et qui sont prêt à faire bouger quelques montagnes. Et tout cela bute sur une condition, celle qui est la clé de tout : le fait que le DG, le Codir, sortent de leur logique propre et de leur niveau d'action pour venir appuyer, conforter et soutenir leur encadrement. Des managers qui ont porté si loin la loyauté qu'ils n'en attendent pas moins de leurs dirigegants. Des managers qui font fi des différences de statut et n'aspirent qu'à une reconnaissance de leur action et d'eux-même à travers elle. Des managers très sensibles, sous le détachement feint, aux marques d'attention et de personnalisation. Et des managers qui souvent attendent le geste qui jamais ne viendra, comme ne pas les désavouer lorsqu'ils tiennent des positions de principe, même si du coup le dialogue social à leur niveau s'en trouvera tendu. Mais on est plus souvent paralysé par la peur que par l'ennemi. Et ça, les managers ils ont quand même bien du mal à l'accepter. C'est pourquoi il leur arrive d'éprouver pleinement un lourd sentiment de solitude. Pour l'alléger, ils peuvent, et nous aussi, se plonger dans les aventures du détective gastronome Pépé Carvalho écrites par le catalan Manuel Vasquez Montalban.
00:41 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : management, manager, vasquez montalban, littérature, formation, encadrement, équipe
16/09/2012
Enigme du week-end
Mais que font donc ces gallinacés dans un cimetière ?
Je leur demanderai bien, mais ils sont déjà partis...
En fait, ils font comme tout le monde.
09:28 Publié dans CHRONIQUE DE WEEK-END | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poulet, cimetière, énigme, week-end
14/09/2012
Annoncer la couleur
Quelle idée de recruter les magistrats par concours ! du coup les filles réussissent mieux que les garçons, la magistrature se féminise et les décisions aussi. Il faut dire que Florence, Céline et Sandrine n'y ont pas été de main morte. En interdisant à la Caisse d'Epargne de Rhônes-Alpes Sud de continuer à pratiquer le système de gestion de la performance mis en place quelques années plus tôt, elles s'autorisent à passer les pratiques manageriales au crible de la protection de la santé des salariés. Certes, ce n'est pas la première fois qu'un juge considère que l'organisation du travail, par elle-même, peut être attentoire à la santé. La mise en examen de l'ex-PDG de France Télécom est là pour nous le rappeler. Mais ici, c'est la motivation retenue par les trois magistrates qui retient l'attention. Si le système mis en place est illicite c'est parce qu'il est bâti sur le principe que le seul objectif fixé aux salariés c'est de faire mieux que les autres, ce qui est particulièrement générateur de stress. Selon les juges, si l'entreprise met en place un système de gestion de la performance, cela signifie qu'elle doit fixer des objectifs, lesquels sont susceptibles d'être soumis à contrôle. En d'autres termes il faut annoncer la couleur. A ce sujet, si le Rouge et Noir sont les couleurs de Toulouse et de Chicago, il semblerait qu'elles soient également celle de Saint-Denis.
La gestion de la performance à la Caisse d'Epargne est assurée par un système de Benchmark : les performances des agences et des salariés font l'objet d'une évaluation continue qui agrège les résultats et positionne chaque agence et chaque salarié en fonction de sa performance relative. Cette mise en concurrence interne permanente (proche de la fameuse concurrence interne compétitive, voir ici) est censée tirer les performances vers le haut. Elle traduit surtout le choix de privilégier la compétition sur la coopération pour améliorer le résultat. On ne s'en étonnera pas lorsque l'on constate que l'entreprise affirme dans ses conclusions qu'il n'y a pas de lien entre le système de benchmark et les risques psychosociaux "qui font partie du monde actuel du travail". Comme si ce monde actuel n'était pas un construit mais une donnée intangible. Et au passage, les magistrates n'oublient pas de tordre le cou aux accords sur les risques qui ne visent pas à prévenir les risques à la source, donc à les minorer, mais à les traiter lorsqu'ils surviennent par des numéros verts d'écoute, des reclassements ou mobilités ou encore des mesures qui renvoient le problème à des solutions exclusivement individuelles (formation, aménagement du poste de travail...). Or, le Code du travail est formel : les mesures préventives et collectives doivent primer sur les mesures curatives et individuelles. C'est ça le problème avec les filles qui lisent et qui travaillent : contrairement au Poker vous ne pouvez plus les bluffer et il faut annoncer la couleur.
00:05 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES, DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : droit, travail, performance, banque, management, caisse d'épargne, réunion, rouge et noir, couleur, photo
13/09/2012
Créativité juridique
Pour les adultes, comme pour les jeunes élèves, lorsque l'on fait un travail technique, parfois ingrat, le meilleur moyen de le valider est de le faire fonctionner à la fois sur les sujets qui s'y rapportent, mais également sur d'autres, sans rapport apparent, pris au fil de l'actualité. Et dans le fil en ce moment il y a le mariage, ou plutôt l'union civile à trois qui a été reconnue au Brésil. Pour travailler sur le fait qu'il n'y a pas de vide juridique et que le droit a eu une réponse pour chaque situation, c'est un bon point de départ. Car il se trouve, ce n'est pas grave bien évidemment, que les journalistes ne lisent pas ce blog. Où alors ils se contentent de regarder les photos. Du coup on peut entendre et lire que cette union a été possible grâce à un vide juridique : la loi ne précisant pas que le mariage est réservé à deux personnes, il est donc possible pour trois. Un quatuor aurait d'ailleurs déjà saisi la notaire qui a enregistré la première union.
Nouvelles unions, nouveaux bébés ?
En réalité, la Constitution brésilienne reconnaît comme famille "une union stable entre un homme et une femme". Avec une définition semblable, la Cour de cassation en France a estimé que le mariage était réservé aux couples hétérosexuels, respectant la lettre du texte. L'esprit du carnaval a du souffler sur la Cour suprême brésilienne car les magistrats cariocas ont estimé eux que cette définition de la famille avait valeur d'exemple mais n'était pas exhaustive. Ce n'est donc pas un vide juridique, dont on répète qu'il n'existe pas (voir ici ou là) qui a permis l'union du trio mais la créativité des juges. Car voilà la seconde démonstration que nous fournit cet exemple : à partir des mêmes textes, les juges français et brésiliens ont pu prendre des décisions totalement opposées. Preuve, s'il en fallait, que le juge peut décider ce qu'il veut et construire le raisonnement adéquat ensuite. Apparemment les managers ont apprécié, à l'exception du juriste de l'entreprise qui se montra plus réservé. Un petit tour au Brésil peut être ?
00:05 Publié dans HISTOIRES DE CONSULTANT | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : juriste, réunion, droit, droit du travail, manager, formation, union civile, mariage, brésil
12/09/2012
En rythme
Lorsque l'on travaille avec une nouvelle entreprise, de nouveaux interlocuteurs, il faut prendre le temps de la sensation. Sentir le pouls de l'organisation, de ceux qui la font vivre. Respirer les ambiances, les atmosphères, parler peu, regarder beaucoup, écouter, sentir de quoi sont faits les silences, observer vers où dérivent les conversations. Ne surtout pas travailler par comparaison, par réduction à des situations connues, ne pas se rassurer par la recherche d'analogies, de repères. S'immerger lentement et ressentir l'effet de l'eau sur chacune de vos cellules. Trouver le rythme qui convient.
Il ne s'agit pas de forcer l'empathie ou de tracer la carte des démagogies qui vous permettront de rejouer le théâtre du "je vous ai compris". Il s'agit de trouver l'endroit juste qui servira de point de départ, et le tempo qui vous permettra d'emmener vos interlocuteurs sur d'autres terrains, à la condition qu'ils n'aient jamais l'impression de quitter le leur. Finalement quelque chose comme une activité musicale. Ici, c'est à la fois électrique et rétro. L'assemblage a son charme, surtout pour qui est convaincu que ce sont les associations improbables qui ouvrent des voies nouvelles.
00:05 Publié dans HISTOIRES DE CONSULTANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique, ressources humaines, formation, consultant
11/09/2012
Consultants autistes
Il n'était pas 20 heures. Les rideaux tirés, les rues vides, la nuit tombée, le silence, je me demandai, en parcourant les rues de Saint-Denis, si le moustique n'était pas de retour conduisant chacun à s'enfermer chez soi ou si j'avais raté l'alerte à une prochaine entrée en activité du volcan. Rien de tout cela apparemment, juste la vie d'ici. La recherche d'un restaurant ouvert fut un peu laborieuse mais un café avec quelques tables dans une cour tenant lieu de terrasse apparut enfin. Attablé, je parcourus la carte sur laquelle je dénichai un plat malgache aux herbes frétillantes, celles qui vous donnent l'impression d'avoir trempé votre langue dans de l'eau pétillante épicée, puis j'ouvris le monde. Enfin Le Monde, le journal. Car si Hegel disait que la lecture du journal doit être la prière du matin, pour moi ce serait plutôt celle du soir. J'en étais là de ma monomanie quand, après avoir parcouru rapidement l'article consacré à Bernard Arnault que j'avais cru reconnaître le matin même, un titre attira mon attention : les consultants autistes.
Bernard Arnault déguisé pour échapper au fisc,
mais démasqué par sa valise Vuitton bourrée de billets
Comme les marquises ne peuvent résister à se raconter des histoires de marquises, un article sur les consultants m'interdit de tourner la page en feignant l'indifférence. Abandonnant les herbes et les épices, je me consacrai donc à l'article en espérant comprendre pourquoi le journaliste considérait que les consultants étaient autistes. Tout simplement parce qu'il s'agit d'autistes. Une société suédoise de conseil embauche en effet des consultants autistes pour faire de l'audit en informatique. Les extraordinaires capacités de certains autistes en matière d'activités répétitives et de manipulation des chiffres en fait apparemment des consultants redoutables capables de déceler des micro-erreurs qui échapperaient aux plus brillants diplômés des grandes écoles, pourtant peu enclins à douter d'eux-mêmes et qui douteraient beaucoup plus spontanément des autistes. Et voilà un handicap qui devient une qualité. Je ne pouvai que constater, en me réattaquant aux feuilles frétillantes, que les consultants autistes n'avaient pas encore approché le conseil en ressources humaines. Je ne savais donc toujours pas s'il me fallait envisager de guérir ou non de mes monomanies. Sans répondre à la question, je me remis à lire Le Monde (le journal).
00:31 Publié dans HISTOIRES DE CONSULTANT | Lien permanent | Commentaires (0)
10/09/2012
Sur le volcan
Comme toujours, il faut partir tôt. Ces matins là, le réveil est inutile car c’est l’inconnu qui vous attend.
Dans les montagnes, mais là plus encore, il faut s’attendre à voir apparaître des trognes qui surgissent pour vous délivrer un improbable message. Celle-ci, pour avoir choisi de s’incruster dans la lave, est peut être une gueule cassée des tranchées de 14 qui a aussi connu le feu et l’enfer. Comme il aimait voyager, pas exclu que ce soit Blaise Cendrars.
Parmi toutes les surprises, celle de l’arc-en-ciel caché dans le cratère n’est pas la moindre.
Mais il faut l’écarter pour aller contempler, pour la première fois de visu, le bouchon qui dissimule le formidable travail souterrain. C’est une des règles de l’art : on ne doit jamais voir le travail lorsque l’œuvre s’accomplit.
Après le retour au point de départ, une dernière photo qui ressemble à une photo de synthèse. Il n’y pourtant rien de plus réel que le volcan. Il est temps d’aller boire un coup à la santé de Malcolm Lowry et du Consul !
00:33 Publié dans HISTOIRES DE CONSULTANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : réunion, volcan, marche, photo, photographies, week-end, blaise cendrars
09/09/2012
Sous le volcan
Une mission me procure l’occasion de découvrir la Réunion que je ne connais pas. Je choisis d’anticiper un peu le déplacement pour aller marcher sur le volcan. Première surprise en arrivant, la mer est noire et grise dans la lumière du matin. Elle se colorera au fil de la journée mais cette première vision m’enchante. Car la couleur est la même que celle des coulées de lave dont l’apparition me saisit. Pas une coulée identique à une autre. De la matière venue du cœur de la terre et de la fusion qui prend des formes de hasard qui inscrivent le mouvement et le rythme de l’éruption dans des plissements, ondulations, failles, magmas et autres sculptures de la nature. Mieux que le test de Rorsach, mesdames et messieurs les recruteurs, présentez à vos candidats le magma originel et ses torsions méphistophéliques et vous verrez qu’il n’est guère possible de ne pas aller au fond de soi-même lorsque l’on est confronté à la matière qui surgit aujourd’hui comme elle a surgi il y a des millions d’années.
Ici, c’est l’hiver. Le soleil a des rayons discrets, le vent envoie les vagues affronter les côtes découpées.
Et comme dans les Antilles, la religion a ses adaptations locales. Ici, la Vierge Parasol, qui apparaît entre lave et forêt, veille sur vous.
Mais finalement la plus grande surprise c’est peut être qu’après 11 heures d’avion, avoir survolé l’Europe puis l’Afrique pour aller découvrir l’Océan Indien, tout le monde s’adresse à moi…en Français !
16:24 Publié dans HISTOIRES DE CONSULTANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : réunion, voyage, travail, mission, volcan, lave
06/09/2012
My Generation
C'est parti ! après les contrats d'avenir qui ressemblent furieusement aux contrats du passé (désolé, pas résisté) sans toutefois arriver à innover comme le faisait le dispositif des nouvelles qualifications au début des années 80, voici les contrats de génération qui vont associer un jeune et un senior dans un bel élan paternaliste ou le papa senior sera tuteur du fiston junior pour lui mettre le pied à l'étrier et lui apprendre les bons vieux trucs des anciens. C'est pas touchant ça ? pour le coup, l'imagination a encore oublié de s'inviter au pouvoir et l'on nous ressert la transmission des compétences, comme l'horizon indépassable du senior. Ce faisant, on continue à reproduire le modèle de l'ancienneté des trente glorieuses comme si quelques révolutions culturelles et technologiques n'étaient pas passées par là. Avec le retour de la morale à l'école, antienne de nos gouvernements successifs, on a tout de même l'impression que le passé ne passe pas et qu'inventer des solutions nouvelles adaptées à un contexte qui évolue plus vite que les individus qui tentent d'y survivre est hors de portée de nos gouvernants successifs. Pas très excitant tout ça. Mais enfin, tout le monde à l'air content. Plus ou moins, mais content, du MEDEF à la CGT. Pour ma part, quitte à retourner dans le passé, au contrat de génération je préfère mille fois My Generation, c'est carrément plus Rock'n Roll et surtout c'est pas démodé.
00:39 Publié dans ACTUALITE DE LA FORMATION | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : génération, contrat, emploi, travail, activité, politique, économique, who, rock'n roll
05/09/2012
Responsable mais pas coupable
Rarement formule aura rencontré un tel écho et provoqué tant de débats. Le fameux "responsable mais pas coupable" de Georgina Dufoix a fait scandale en son temps. Il est pourtant rigoureusement juste en droit. La culpabilité s'exerce exclusivement au plan pénal, alors que la responsabilité, notion beaucoup plus large, peut concerner d'autres domaines du droit et notamment le droit civil.
C'est ce qu'a rappelé au printemps dernier la Cour de cassation en estimant que si une tentative de suicide d'un salarié sur son lieu de travail après un entretien avec le DRH et un Directeur technique peut être qualifiée d'accident du travail,elle ne saurait en elle-même et en l'absence de circonstances particulières imputables à l'entreprise, constituer une faute inexcusable de l'employeur et encore moins un délit pénal (Cass. soc., 31 mai 2012, n° 11-18.614).
Soluto - Le regard coupable
Lorsqu'un accident du travail se produit, ou qu'une maladie professionnelle survient, l'entreprise est toujours responsable, mais rarement coupable. En effet, elle est responsable en tant qu'employeur de la couverture du risque accident du travail et maladie professionnelle. Cette responsabilité s'exerce dans le cadre de la sécurité sociale et comme pour toute assurance, plus le nombre de sinistres augmente, plus les cotisations seront élevées. Le deuxième niveau de responsabilité est celui de la faute inexcusable : l'employeur n'ayant pas rempli ses obligations de prévention, il est considéré comme responsable de l'accident. L'indemnisation du salarié s'en trouve améliorée soit sous forme de rente, si une incapacité subiste, soit sous forme de capital. Enfin, l'entreprise peut être coupable si l'action est menée au pénal, sachant que quasiment tous les manquements à la sécurité peuvent fonder une action justifiée pénalement. Les deux premiers risques sont exclusivement financiers. Le dernier associe la sanction pénale (prison, amende) à la sanction civile. Mais il est rarement mis en jeu, les salariés (et leurs assureurs) préférant souvent un procès civil dans lequel le régime de la preuve est libre, que le régime pénal qui est un procès accusatoire dans lequel la preuve doit être administrée par le demandeur. Et il est clairement plus simple d'obtenir l'engagement de la responsabilité de l'employeur plutôt que celui de sa culpabilité. Car si l'entreprise est toujours responsable elle est très rarement coupable.
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04/09/2012
Anniversaire (2)
En 1988, le FONGECIF Midi-Pyrénées organise une conférence pour fêter ses 5 ans. A cette occasion qui réunit plusieurs centaines de personnes de prestigieux intervenants parisiens sont invités. Tout jeune consultant dans le domaine de la formation je suis présent. Il faut bien apprendre son métier si l’on veut le développer. Dans les débats, je fais un effort surhumain pour poser une question. Ma voix part dans les aigus dès la deuxième phrase et à la cinquième et dernière je suis à bout de souffle. Je pense être ridicule mais personne ne réagit et Michèle Boumendil, alors directrice du département juridique du Centre INFFO, répond à la question. Encore empreint de confusion, je quitte la manifestation dès la fin des débats et prend la route de mon bureau. Et puis un doute me vient. Quand on est consultant, jeune, sans relations et que l’on souhaite persévérer dans la profession, peut être faut-il profiter des occasions pour parler aux gens. Un demi-tour, et une ligne blanche, plus tard, je suis de retour avec les participants qui sont passés à table. Je rejoins le directeur du CARIF qui me confie quelques missions, attablé avec Jean-François Nallet et Michèle Boumendil, laquelle m’interpelle en me disant que ma question était pertinente. Je dénie et remercie à la fois, dans un bredouillement mal maîtrisé ce qui ne l’empêche pas de me questionner sur mes activités puis de me proposer de travailler pour le Centre INFFO. Et c’est ainsi que quelques mois plus tard, je réalisai un document sur la formation des demandeurs d’emploi pour les premiers Entretiens Condorcet.
Je poursuivis mes relations avec le Centre INFFO où je rencontrai la petite-fille du créateur du concours Lépine qui me fit rapidement une honnête proposition : la remplacer pour animer des formations dans un organisme que je ne connaissais pas du nom de DEMOS. Mon principe étant de toujours dire oui en première intention j’acceptai. A l’époque, au tout début de l’année 1992, DEMOS comptait 30 salariés et réalisai un chiffre d’affaires de 30 millions de francs (aujourd’hui c’est 800 collaborateurs, 103 millions d’euros et une présence dans 17 pays). Je rencontrai Jean Wemaere qui m’accorda immédiatement une confiance qui demeure. Et comme la fidélité est un plaisir qui se partage, je me retrouve ce matin à animer avec Jean une conférence de presse à l’occasion des 40 ans de la création de DEMOS. Car maintenant, j'arrive à parler en public sans monter trop haut dans les aigus.
00:32 Publié dans HISTOIRES DE CONSULTANT | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : formation, demos, centre inffo, carif, anniversaire, toulouse
03/09/2012
Anniversaire (1)
Au début de l’année 1987, je venais de terminer mes études. J’envoyai consciencieusement des CV, puisque c’est ainsi qu’il convenait de procéder pour entrer dans ce fameux monde du travail dont on me rebattait les oreilles, et qui ne m’était pas tout à fait étranger puisque j’avais souvent mis la main à la pâte dans le restaurant familial. Je passai un entretien désastreux dans un cabinet de conseil juridique : l’univers que me présentait le patron du cabinet qui me recevait me paraissait tellement lointain que je m’exprimai quasiment par monosyllabes, avec une jambe coincée sous la chaise dans une posture qui me déclencha des fourmis et me fit m’affaler sur la porte du bureau lorsque je voulus me lever pour conclure l’entretien. Il fallut à mon interlocuteur réunir l’intégralité de sa bienveillance pour considérer que ce jeune homme hébété était celui qui s’était présenté, dans le CV rédigé avec application, mais l’application ne fait pas la conviction, comme un étudiant aux bons résultats, un sportif de bon niveau et globalement un jeune homme plein d’entrain. Il me dit que je n'étais sans doute pas en grande forme et qu'il était tenté de me prendre tout de même à l'essai, avant de me téléphoner trois jours plus tard que finalement ce n'était pas possible.
Edward Hooper - Station Essence - 1940
Ce premier entretien ne fut, heureusement, suivi que d’un seul autre dans un contexte mieux adapté, en tout cas pour ce qui me concerne. Après avoir raccompagné, à la nuit plus que tombée, une amie chez elle, je rodai lentement en voiture dans Toulouse, à la recherche, période bénie où les containers n’avaient pas encore été inventés, de livres abandonnés sur les trottoirs car il fût une époque où l’on pouvait se constituer une bibliothèque gratuitement et en se promenant au hasard des rues. Toute chose ayant sa nécessité, mes pas, ou plutôt mes roues, me conduisirent à une de ces stations service qui composent un paysage baroque au cœur des centres ville. Tandis que je remplissais le réservoir, car s’il existait encore des pompistes ils restaient déjà la nuit dans leur guérite, un individu s’escrimait à côté de moi à pomper sur la borne du mélange pour remplir le réservoir de sa mobylette orange. Lorsqu’il se tourna vers moi, j’eus la surprise de l’entendre dire : « Ah Mr Willems, comment allez-vous ? ». Malgré la nuit et le casque, je reconnus mon prof de Droit de la formation, que je n’avais pas revu depuis la fin de mon cursus. Et c’est à cette pompe à essence qu’il me proposa de travailler quelques mois avec lui au Centre de Recherche et d’Information sur le Droit à la Formation à l’Université, laquelle m'invitera ensuite à poursuivre la collaboration à condition que je facture mes prestations. C’est ainsi que le 1er septembre 1987 je créai le cabinet Willems Consultant qui fête donc en ce début de semaine ses 25 ans.
10:49 Publié dans HISTOIRES DE CONSULTANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cridf, embauche, recrutement, anniversaire, toulouse, nuit, emploi, activité, formation
28/08/2012
Et la liberté devra être homologuée...
La loi du 25 juin 2008 a créé la rupture conventionnelle homologuée. Ce dispositif, qui concernera plus de 250 000 salariés en 2012, n'était pas une innovation dans son principe : ce qu'une volonté a faite, une même volonté peut le défaire. La rupture conventionnelle existait déjà, elle n'est pas remise en cause par la rupture conventionnelle homologuée. Simplement la première produit les effets sociaux et fiscaux d'une démission (rupture volontaire du contrat), alors que le passage par une rupture conventionnelle homologuée permet de bénéficier d'un régime favorable pour les indemnités versées dans le cadre de la rupture et pour l'accès au régime d'assurance-chômage. Comme Jean-Emmanuel Ray le fait, on peut donc distinguer la RC1 (mode général de rupture d'un contrat) et la RC2 (rupture homologuée) qui ouvre des droits particuliers. Tel n'est pas l'avis des juges de la Cour d'appel de Riom qui considèrent que seule une rupture homologuée peut permettre à un employeur et un salarié de défaire le contrat qu'ils ont signé. Et voilà comment la liberté contractuelle se trouve assujettie à l'imprimatur de l'administration.
Philippe Hortala - Les jours heureux, liberté chérie - 1986
Dans une décision du 12 juin 2012, la Cour d'appel de Riom pose en effet en principe que toute rupture amiable du contrat de travail doit obéir aux règles de la rupture homologuée. Le dispositif particulier de la rupture homologuée vient donc supplanter le droit commun de la rupture des contrats et le principe général de la possibilité de résiliation amiable. Adopter une telle position liberticide n'a pas semblé une préoccupation majeure pour les magistrats sans que l'on sache très bien si cela résulte d'une mauvaise humeur passagère, d'un assoupissement regrettable ou des effets indésirables d'une cure thermale draconienne dans les villes d'eau des jolis monts d'Auvergne. Vite une cassation et un renvoi vers la Cour d'appel de Bordeaux afin que l'esprit de Montaigne, de Montesquieu et du Médoc fasse souffler de nouveau la liberté.
00:15 Publié dans DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : rupture conventionnelle, jurisprudence, droit, droit du travail, liberté, contrat, juges, vin, cure thermale, médoc
27/08/2012
Blanchiment
Il y avait déjà la Miviludes qui confondait les organismes sectaires qui présentent leur activité comme de la formation et les organismes de formation. C'est maintenant Tracfin qui s'y colle. Dans son rapport 2011, l'organisme de lutte contre le blanchiment cite la formation comme l'un des secteurs à surveiller particulièrement. Pourtant le rapport indique (p.14) que seules dix déclarations de soupçon portant sur ce secteur d'activité ont été enregistrées. Avec 35 000 organismes de formation le chiffre est en effet négligeable. Bien plus, Tracfin constate que malgré les alertes de la Miviludes sur les dérives sectaires, il n'y a qu'un très faible nombre d'informations sur le sujet. Signe que tout va bien. Et non. Tout ne va pas bien et le rapport de Tracfin nous éclaire : "un sondage IPSOS/SIG pour la Miviludes avait révélé qu'un français sur cinq connaissait personnellement dans son entourage familial, amical ou professionnel une ou plusieurs personnes qui ont été victimes de dérives sectaires dans des domaines aussi variés que les produits de fin du monde (...), ou les formations au développement personnel ou aux médecines parallèles". Comme dirait Coluche, avec ça on tient la lessive qui lave plus blanc que blanc.
Malevitch - Carré blanc sur fond blanc - 1918
Qu'un organisme censé être aussi sérieux que Tracfin fasse le constat que dans le secteur de la formation professionnelle il y a peu d'informations laissant penser que c'est un secteur à risque, mais que sur la base d'un sondage on arrive à la conclusion inverse, laisse tout de même rêveur. Mais cela est sans doute révélateur d'une part de l'extrême difficulté qu'ont les organismes officiels à appréhender ce secteur qu'ils connaissent mal, et d'autre part d'une suspicion durable sur l'activité de formation continue.
Quant au schéma type de blanchiment en matière de formation professionnelle qui est proposé par le rapport de Tracfin (p. 14 et 15) avec une société qui reçoit des subventions de l'Etat sans avoir aucune activité, j'avoue n'y rien comprendre. Ce qui est sans doute rassurant au regard du droit et de la morale, mais inquiétant quant à ma capacité à me procurer des ressources qui pourraient un jour venir utilement compléter le montant de ma retraite. Si l'un de mes aimables lecteurs pouvait avoir l'extrême amabilité de m'expliquer le montage, il recevrait à la fois mon entière gratitude et un cadeau de mon choix.
00:38 Publié dans ACTUALITE DE LA FORMATION | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : formation, tracfin, blanchiment, escroquerie, secte, miviludes, malevitch, pas sérieux