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22/05/2016

Regarder vers le Sud

La France est-elle un pays du Sud ? un pays latin assurément, mais soumis à tellement d'influences qu'il en devient un hybride rétif à la généralisation. En complément de la chronique précédente consacrée à l'emploi non salarié, un petit schéma illisible mais que vous pourrez retrouver ICI. Cela vous permettra de constater que le travail indépendant, ce n'est pas un modèle anglo-saxon (les Etats-Unis sont un des pays où il est le moins développé, le Royaume-Uni a un taux inférieur à la moyenne européenne...) mais plutôt un modèle...sudiste : l'Espagne, le Portugal, l'Italie, la Grèce, la Turquie sont les pays qui connaissent les plus forts taux de travailleurs non salariés. Pourquoi ? pour des raisons économiques et culturelles. Economiques : c'est la révolution industrielle qui a généralisé le salariat, et elle a eu lieu dans les pays anglo-saxons, s'exportant peu dans le Sud qui n'a pas, on le sait, une main d'oeuvre très industrieuse. 

 

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Culturelle : si tout le Sud n'est pas proudhonien et ne considère pas unanimement que le salariat c'est l'esclavage, la logique de  l'honneur, comme dirait d'Iribarne, conduit plus directement qu'ailleurs à refuser les ordres sauf ceux que l'on se donne à soi-même. En ce sens, militer contre la conception dogmatique de l'URSSAF selon laquelle il ne saurait y avoir de modèle social autre que basé sur le salariat, ce n'est pas se livrer pieds et poings liés au modèle anglo-saxon, c'est au contraire retrouver le caractère du Sud. 

17/05/2016

Le bon droit, vraiment ?

Après l'offensive du droit économique corporatiste (celui qui créé et garantit des monopoles), voici donc UBER confronté à l'offensive du droit social. Accusée de travail dissimulé et de fraude aux cotisations sociales, la plateforme se voit réclamer plusieurs millions d'euros de redressement par l'URSSAF. Comme toujours en ces affaires médiatisées, il faut essayer d'aller y voir de plus près et faire un peu de technique en passant en revue les arguments des contrôleurs. Ils sont assez classiques : la plateforme encadre les modalités du travail et donc les chauffeurs interviennent au sein "d'un service organisé".  On chercherait en vain, dans le code du travail, la notion de "service organisé". Pure création de l'URSSAF et des tribunaux, la notion de service organisé a été utilisée pour ramener vers le statut de salarié tous ceux qui choisissaient un autre cadre de travail que le salariat. Et c'est ici que les choses se compliquent : détournement, fraude, absence de choix,...l'URSSAF chausse ses bottes de chevalier blanc et de défenseur de la veuve et de l'orphelin. Dans l'affaire d'UBER, l'intention est d'ailleurs clairement affirmé : il s'agit de lutter contre les fraudes pour garantir le financement de notre système social. 

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Taxi indépendant ? 

Au nom du sauvetage de "notre modèle social", rien de moins, voici donc des participants à un jeu télé, des artisans, des démarcheurs ou des formateurs requalifiés en salariés. Il n'est manifestement pas venu à l'esprit des contrôleurs que notre modèle social connaît aussi le travail indépendant et son régime social, que le salariat n'est pas l'horizon indépassable de l'activité et que ce n'est pas en étendant indéfiniment la notion de "service organisé" que l'on garantira un modèle social mais en faisant en sorte qu'il soit capable de concerner de la même manière tous les statuts. Alors bien sur on pourra toujours se référer à quelques tricheurs avérés, à des fraudes caractérisées et monter sur les grands chevaux de l'indignation pour justifier ses pratiques. C'est ainsi que 5 % des comportements avérés conduisent à 100 % d'emmerdements garantis. Il serait peut être temps d'avoir un peu d'intelligence et de discernement et de considérer que la société du salariat qui s'est construite tout au long du 20ème siècle mérite non pas des combats d'arrière garde mais de mettre l'imagination au service de l'individu et de ses libertés. 

12/11/2015

Salariat sparadrap

Plus collant que le sparadrap du capitaine Haddock, tel apparaît le statut de salarié dans la décision du 5 novembre 2015 prise par la chambre civile de la Cour de cassation. L'affaire concerne un salarié qui a accepté de faire figurer sur son véhicule, comme des tiers à l'entreprise à qui le même contrat a été proposé, des publicités pour son employeur et a été rémunéré à ce titre dans le cadre d'une prestation de services. Redressement de l'URSSAF qui ne voit ici qu'un salaire. Contrat distinct du contrat de travail plaide le salarié. Peine perdue, la Cour de cassation, sans prendre la peine d'argumenter, considère que quasiment par nature, toute somme versée à un salarié a un caractère de salaire. L'affaire ne nous dit pas si tous les propriétaires de véhicule habillés de publicité ont également été requalifiés en salariés. Toujours est-il que la décision laisse penser que le contrat de travail est exclusif de tout autre contrat entre un employeur et un salarié. Comme si le statut de salarié ne pouvait qu'englober tous les autres. 

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Jeune conducteur rebelle au salariat qui a pris soin d'ôter toute publicité de son véhicule (arrghh : il a oublié la casquette !!!!)

On peut régulièrement constater que le salariat est devenu l'horizon indépassable de l'activité et que les gouvernants comme les juges oublient régulièrement qu'il existe en France des travailleurs non salariés. Tous nos systèmes sociaux ont tellement été organisés autour d'une société du salariat que l'on en vient à oublier qu'il fût un temps où le salariat était considéré comme une déchéance et le travail indépendant comme une fierté. Manifestement ce temps est sorti des mémoires et l'URSSAF qui ne voit que salariat partout, et cotisations subséquentes à redresser, y contribue plus qu'à son tour. Et voilà tout artisan faisant appel à un confrère, tout organisme de formation employant des auto-entrepreneurs comme formateurs et donc employeur louant le véhicule, et non le travail, d'un salarié, sommés de rentrer dans le cadre totalisant du salariat. Et curieusement, le tout salariat n'est jamais avancé parmi l'une des causes possibles du chômage, ni le fait que trouver un emploi soit synonyme de trouver un contrat mais pas d'exercer une activité. Il serait peut être temps, et ceci vaut pour les juges comme pour les élus, de faire évoluer les représentations et les pratiques...et peut être aussi les textes qui avaient pour objectif d'asseoir la sécurité sociale au temps de leur adoption mais qui paraissent aujourd'hui à la fois source d'insécurité et bien inutiles sparadraps. 

CassCiv 5 novembre 2015.pdf

27/09/2012

Droit d'expression (1)

La méthode utilisée par la CPAM de Moselle pour traiter la question des risques psychosociaux, dans un contexte de fusion de caisses, de réorganisation, d'évolution des métiers et des comportements des assurés, n'est pas la plus fréquente. Des salariés volontaires ont été formés à la méthode d'identification des risques mise au point par l'ANACT et ce sont eux qui ont été interviewer leurs collègues, avant que les résultats de ce travail d'enquête ne soit traduit en plan d'action par des groupes de travail. Cette démarche participative est rare : le plus souvent, l'analyse des risques est un travail d'expert auxquels les salariés sont associés, ou pas, mais remettre ainsi le coeur du travail d'enquête dans les mains des salariés demeure peu usité. Sans doute en partie par crainte de perdre la maîtrise du processus, nouvelle vérification que le salarié est souvent managé à la manière dont Yves Montand transportait les flacons de nitroglycérine dans le Salaire de la Peur : en serrant les fesses pour qu'il ne se passe rien.

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Pour originale qu'elle soit, la méthode ne fait que redécouvrir ce que la loi Auroux du 4 août 1982, dont nous venons de fêter les 30 ans, avait souhaité promouvoir. Le droit d'expression directe et collective des salariés. Toujours présent dans le code du travail (articles L. 2281-1 et suivants), il l'est beaucoup moins dans les pratiques. Qui met en place des groupes de travail régulièrement dans l'année pour que les salariés puissent s'exprimer sur leurs conditions de travail ? qui organise des modalités spécifiques de ce droit pour que l'encadrement n'en soit pas privé ? qui se préoccupe de recueillir les avis et propositions des salariés sur les conditions et l'organisation du travail ? C'est pourtant une obligation depuis 30 ans. Nouvelle preuve que plutôt que de voter des textes nouveaux sur les risques psychosociaux, la pénibilité ou le harcèlement, si l'on appliquait les textes existant on arriverait sans doute à un meilleur résutat.

10/08/2010

Bénévolat

Il arrive fréquemment que le mot "travail" soit utilisé en lieu et place de l'expression "travail salarié" tant le salariat est devenu la représentation dominante de l'activité professionnelle tout au long du XXème siècle. Mais pendant une période bien plus longue il en fut autrement : ne pas travailler était la moindre des choses, tant chez les athéniens que dans l'aristocratie ante-révolutionnaire, et s'il fallait s'y résoudre le travail indépendant était un moindre mal. Il y aurait matière à faire sans aucun doute des liens entre cette mutation, que Robert Castel a mis en évidence, et les caractéristiques de la société française. Mais il demeure, fort heureusement, une place à côté des activités professionnelles pour les activités bénévoles.

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Malgré la double journée des femmes, malgré la montée de l'individualisme, malgré la perte du sens civique, malgré tous les maux dont la société est accablée et dont on nous rebat les oreilles quotidiennement pour nous rappeler de prendre notre camomille et nos pilules, en silence si possible, malgré tout cela le bénévolat trouve toujours à s'exercer en tout temps et en tout lieu : animation sportive, culturelle, locale, régionale, de quartier, pour les langues, la fête, les traditions, la bienveillance envers autrui, l'éducation, le soin, l'amitié, la musique, la danse, les boules, les maquettes de petits trains,...dans le domaine associatif le français est souvent pluriactif. Que cette richesse là ait été nourrie par la réduction du temps de travail ne figure dans aucun bilan, pas plus que la valeur ajoutée du bénévolat n'a droit à un pourcentage de PIB. Et comme chacun sait, ce qui n'est pas mesurable n'existe pas. Heureusement que de temps en temps, le bénévolat s'affiche.

02/06/2008

Le salariat c'est l'esclavage ?

Avant la Révolution de 1789, bien que Marx ne soit pas encore né, le salariat était considéré comme l'esclavage. Etait salarié celui qui ne pouvait faire autre chose. Le noble ne travaillait pas, le bourgeois était propriétaire rentier, commerçant ou patron, l'homme honorable exerçait son activité indépendante au sein de corporations, une grande partie de la population travaillait la terre, et une faible partie de la population louait ses services.

Plus de deux siècles plus tard et après bien des métamorphoses (voir, Robert Castel : "Métamorphoses de la question sociale : une chronique du salariat"), le travail salarié est devenu la référence indépasable de l'activité. En France, sur 27,5 millions d'actifs, on compte 18 millions de salariés du secteur privé, 5 millions de fonctionnaires, 2 millions de demandeurs d'emploi et 2,5 millions de travailleurs non salariés, soit environ 9 % de la population active.

Ecoutons sur ce sujet, Mohammad Yunus, Prix Nobel de la paix en 2006 :

"Aujourd'hui, dans les pays du Nord, chaque enfant travaille dur à l'école pour obtenir un bon travail. C'est-à-dire un bon salaire. Adulte, il travaillera pour quelqu'un, deviendra dépendant de lui. L'être humain n'est pas né pour servir un autre être humain. Un travailleur indépendant, qui tient une échoppe par exemple, travaille quand il en a besoin. Si certains jours il ne veut pas travailler, il le peut. Il a fait sa journée, il profite un peu de la vie. Il n'a personne à prévenir s'il a une heure de retard. Il ne s'inquiète pas de perdre une partie de son salaire. Quand nous étions des chasseurs-cueilleurs, nous n'étions pas des esclaves, nous dirigions nos existences. Des millions d'années plus tard, nous avons perdu cette liberté. Nous menons des vies rigides, calées sur les mêmes rythmes de travail tous les jours. Nous courons pour nous rendre au travail, nous courons pour rentrer à la maison. Cette vie robotique ne me semble pas un progrès. Avec le salariat, nous avons glissé de la liberté d'entreprendre et d'une certaine souplesse de vie vers plus de rigidité. J'ai un salaire, un patron, je dois faire mon job que cela me plaise ou non, car je suis une machine à sous. C'est là le danger global des structures économiques actuelles, de la théorie dominante. L'homme est considéré comme un seul agent économique, un employé, un salarié, une machine. C'est une vision unidimensionnelle de l'humain. Le salariat devrait rester un choix, une option parmi d'autres possibilités."

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Jacques Villeglé - Fabulous Trobadors à Agen - 1997
 
Pour dire les choses autrement, car en ce lundi matin pluvieux trop de gravité pourrait nuire, on peut citer les Fabulous Trobadors, groupe toulousain pour ceux qui n'auraient pas eu le plaisir d'écouter leur musique. Un extrait, sans le son, de"ça c'est oui" :
 
Inventer son emploi
Ah oui ça ça nous séduit
Travailler dans la joie
Ah oui ça, ça aussi
 
Inventer son emploi ?  oui bien sur dès lors qu'il ne s'agit pas  d'une contrainte par exclusion du statut de salarié mais d'un choix qui permet de développer son indépendance et son autonomie. Et pour terminer, une anecdote : un client   me dit : "J'aimerai bien travailler en free lance mais j'ai un peu peur de la précarité, cela ne vous inquiète pas vous ?". Ce qui l'a inquiété, c'est ma réponse : "J'ai environ une soixantaine de clients, vous vous avez un employeur, qui est le plus précaire ?"