24/08/2012
Soudain, la nuit
Un jour, ils ont perdu la vue. Soudainement, par accident, maladie, opération ratée, aggression et autres moments qui constituèrent la bascule entre leur vie d'avant et leur vie d'aujourd'hui. Sophie Calle les a rencontrés en Turquie et leur a demandé de se souvenir de la dernière image qu'ils ont vu avant de devenir aveugles. Et elle a photographié cette image, associée à ces visages dont les yeux vous regardent mais ne vous voient pas.
Dans une pièce obscure, sur des grands écrans, des personnes devenues aveugles font face à la mer, vous les voyez de dos. Puis elles se retournent et vous font face. Le vieux pleure. Les larmes ne voient pas, elles sont indifférentes à la lumière. Sophie Calle nous entraîne sur bien des chemins avec ce travail, et notamment celui des moments où tout bascule alors que les choses auraient pu, auraient du, se passer autrement. C'est le terrible chemin de l'irrémédiable et de la perte infinie.
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23/08/2012
Des filles ordinaires
Les Rencontres d'Arles, cette année, semblent avoir fait une pause. Peu de grands noms de la photographie, Koudelka est une exception fulgurante et ses Gitans une étoile noire dans un monde gris, et beaucoup de travaux de photographe peu connus en dehors peut être du milieu photographique. Et dans les travaux présentés, une minorité d'artificiel, de grandiloquent, de technique sans âme. Pour la plupart des invités, un regard sur le quotidien assez nu, près du sujet ou de l'objet, avec le souci d'en préserver la vérité ou de ne rien brusquer pour la faire surgir. Ils sont nombreux à creuser ce sillon de la différenciation pour une légère inflexion du regard, qui témoigne d'une plus grande singularité que bien des recherches d'effets souvent gratuites quant elles ne sont pas prétentieuses. Parmi ces scruteurs du quotidien, ma préférence va à Géraldine Lay.
Géraldine Lay - Saint-Pétersbourg - 2011
La série intitulée "Failles ordinaires" est un recueil d'instants inscrits dans les interstices du temps qui passe. Géraldine Lay fixe les moments où le quotidien bascule dans l'inquiétant, l'étrange, le romanesque, le cinématographique, ce temps court où une faille du temps vous laisse la possibilité d'aller voir le dessous des cartes. Et, ce n'est pas une surprise, ce sont quasiment toujours des femmes qui habitent ces espaces temporaires qui nous permettent d'accéder à ces contrées que l'on connaît déjà sans jamais y avoir accédé.
Géraldine Lay - Paris - 2010
Ceux qui se prétendent réalistes, mais il est difficile de se prétendre résigné ou impuissant, vous expliquent qu'eux voient le monde tel qu'il est. Ils ne l'ont pourtant jamais vu comme le voit Géraldine Lay lorsqu'elle promène son 24x36. On ne dira jamais assez combien notre monde souffre du manque d'imagination. Heureusement qu'il y des filles ordinaires.
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22/08/2012
Les photos-pensées
Jamais autant de photos n'ont été prises. Le numérique a fait basculer la photographie dans la démocratisation absolue, puisque photographier ne coûte plus rien une fois l'appareil acquis, et les téléphones portables ont achevé de mettre dans les mains de tout un chacun un appareil photo. Jamais autant de prises de vue et donc de traces, de témoignages, d'images. Quel impact auront ces photos sur les enfants qui pourront, s'ils ne s'en lassent pas, revoir les dizaines de photos de leur première semaine et les milliers de photos de leur première année, pour ne rien dire des autres. Quelle différence entre ces enfants et ceux qui ont revu leur jeunesse à travers une poignée de photos surinterprétées qui comptent moins que les souvenirs ? quel rôle joueront ces prises de vue répétées dans la (re)construction du souvenir ? que dira ce taureau de camargue à son cavalier ?
Dans son très beau livre "La fille aux neuf doigts", Laia Fabregas nous enseigne la méthode, inculquée par des parents autonomistes catalans qui affrontaient le régime franquiste, pour réaliser des photos-pensées. Dans les moments de forte émotion, pour conserver ce ressenti en vous, il est possible de prendre une photo-pensée. Vous commencez par délimiter un cadre, puis vous observez tous ce qui entre dans le cadre et vous le détaillez. Lorsque tout est fixé, vous développez la photo en fermant les yeux et en recomposant minutieusement le cadre et ce qu'il entoure. Ensuite vous pouvez archiver la photo-pensée dans votre mémoire et la reconvoquer à loisir. Le mérite de la photo-pensée est qu'elle vous oblige à observer, ce qui n'est pas vrai par nature avec l'appareil photo. Peut être le taureau et le cavalier auraient-ils mérité une photo-pensée, mais est-il vraiment exclu qu'elle ait été prise ? et qui dit qu'elle ne sera pas transmise avec la photo du téléphone portable ? car le propre des photos-pensées, c'est de vous raconter des histoires.
01:16 Publié dans EN PHOTOS | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : photo, photographie, photo-pensée, laia fabregas, littérature, camargue, taureau
21/08/2012
Mais où est le mélangeur ?
Cette année, les Rencontres photographiques d'Arles invitent...les étudiants, ou anciens étudiants de l'Ecole Nationale Supérieure de Photographie (ENSP), installée à Arles. Pour fêter les 30 ans de sa création, l'Ecole a pris quelques nouvelles des 640 étudiants qu'elle a diplômé. Et présente les travaux de quelques uns d'entre eux. Les commentaires accompagnant les photos sont assortis d'une petite fiche biographique. L'occasion de jeter un coup d'oeil sur les parcours des diplômés de l'ENSP. Majoritairement des jeunes gens qui ont fait des études artistiques (Beaux-Arts, sociologie de l'art, sciences de l'art, écoles de cinéma, d'arts plastiques, etc.) ou des sciences humaines (histoire, socio, lettres, philo,...) et il faut chercher longtemps pour trouver une ingénieure et un infirmier. Dorothée Smith, pour sa part, a fait des études de philosophie à la Sorbonne avant d'intégrer l'ENSP.
Dorothée Smith
Je pense justement aux étudiants du Master Développement des Ressources Humaines de la Sorbonne, dont les CV sont posés sur mon bureau. Je regarde également leur parcours : droit, gestion, gestion, droit. Et Ressources Humaines au final. Pas un juriste à l'ENSP, pas un historien, philologue ou sociologue de l'art en Ressources Humaines. Pas de doute, les cloisons sont bien montées et ceux qui ont fait le boulot ont en plus planqué le mélangeur. Il serait pourtant urgent de le retrouver et que ceux qui sont chargés de recruter tous ces jeunes gens osent s'en servir.
02:05 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES, EN PHOTOS | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : arles, ensp, photo, photographie, recrutement, formation, éducation, filières, orientation
20/08/2012
L'éventail des possibles
La rentrée c'est maintenant paraît-il. La chaleur continue pourtant à mollement étirer ses tendres bras pour mieux enlacer votre envie de prendre le temps, d'aller au rythme du pas qui va, de glisser entre les arbres et les ombres, de se nourrir de visions passantes et de regards légers ; car l'air chaud allège tout. Il faut ne pas connaître le Sud pour penser que la chaleur écrase. C'est tout l'inverse, elle libère. Ce qui vous rappelle que la rentrée ce peut être l'occasion de prendre de nouveaux trains, de nouveaux chemins, d'avoir la surprise de découvrir ce qui se trouve au bout du quai, lequel est toujours un point de départ, jamais d'arrivée.
C'est alors que s'ouvre l'éventail des possibles qui, comme tout éventail, ne vise pas à rafraîchir mais à créer des courants d'air dans lesquels vous disposerez au choix des gestes, des mots, des regards, des silences ou des invitations que l'éventail délivrera à votre entourage.C'est la rentrée et Eve entaille les possibles, elle les mord, Eve en taille de guèpe, que guapa, et le vent taille la route des possibles.
00:05 Publié dans TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : rentrée, chaleur, été, photo, voyage, train, éventail, photographie, départ
19/08/2012
Appropriation
Contrairement à l'idée reçue selon laquelle le travail serait une valeur, il sera ici soutenu que le travail n'est ni une valeur, ni un bien, ni un mal. Il sera également soutenu qu'il y a des sots métiers, des métiers aliénants et dépersonnalisant ; et qu'évidemment le travail peut être source de tous les plaisirs. A condition toutefois de se l'approprier et de le personnaliser. A chacun de trouver la bonne manière d'y parvenir.
00:27 Publié dans EN PHOTOS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photo, photographie, travail, valeur, aliénation, littérature
17/08/2012
Nadejda
Aujourd'hui jugement des Pussy Riot, pour avoir chanté une prière anti-Poutine dans une église orthodoxe. Détenues depuis 5 mois elles risquent trois ans de camp, selon les réquisitions du procureur.
L'occasion d'avoir une illustration de ce que peut signifier l'engagement en certains lieux de la planète.
Nadejda Tolokonnikova
L'occasion aussi de se souvenir que Georges Moustaki chantait : "Nadejda, Nadejda, en russe ça veut dire espérance'.
12:49 Publié dans DES IDEES COMME CA | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pussy riot, poutine, russie, engagement, nadejda, moustaki, liberté
16/08/2012
Le bar est ouvert !
Il faut bien avouer que fixer la date de réouverture un 16 août laisse percer l'intention de reprise en douceur. Mais quelques vieux souvenirs sportifs me rappellent que c'est moins l'effort qui est difficile que les changements de rythmes brutaux. Et la journée du 15 août est sans aucun doute la plus lente de l'année parisienne, celle où les canards et les bateaux sur l'eau vont plus vite que les humains.
Aussi, en cette journée de transition, est adopté le principe de ne pas revenir trop vite au commentaire de l'actualité. Il sera donc juste indiqué que la seule loi votée à l'unanimité dans le courant de l'été est celle portant sur la pénalisation du harcèlement sexuel. Loi demandée par les associations et les victimes et donc sans doute nécessaire. Toutefois, on peut se demander si la voie civile, à la fois plus rapide et plus simple, n'aurait pas été préférable et si ce n'est pas rendre un mauvais service aux plaignants que de s'engager dans une procédure accusatoire toujours périlleuse alors que le civil permet une administration plus simple de la preuve. Même si l'on oublie pas la dimension symbolique de la sanction pénale, il n'est pas certain qu'une société ait le bon réflexe en pénalisant systématiquement tous les comportements fautifs en oubliant les autres voies de réparation.
Et me voilà presque au rythme des canards et des bateaux.
11:17 Publié dans DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : harcèlement, harcèlement sexuel, droit du travail, été, vacances, travail, bateaux, canards, jardins, droit
14/08/2012
Classique
Entendu lors d'une visite à l'exposition consacrée à Eva Besnyo, au Jeu de Paume :
Elle : C'est très beau...
Lui : C'est classique
Elle : En 1930, ce n'était pas classique mais novateur...
Lui : C'est pour cela qu'aujourd'hui c'est classique.
Eva Besnyo - Nu - 1932
Certes, le terme "classique" renvoie à de multiples définitions qui désignent soit des époques (au choix l'Antiquité ou le 18ème), soit le conventionnel, soit une esthétique alliant qualité technique, rationnalité et harmonie, soit l'habituel ou encore ce qui relève de la tradition.
Si vous partagez son point de vue à lui, vous resituez l'oeuvre d'Eva Besnyo dans l'histoire de la photo, des photos vous en avez beaucoup vues et dans votre tête ces courbes, ces ombres, ces lignes, vous renvoient à tant d'oeuvres que tout cela vous paraît bien classique. Si vous partagez son point de vue à elle, l'histoire de la photo n'est pas venue importuner votre regard, vous êtes pris par l'instant que l'on vous offre, vous l'appréciez comme une prune sauvage dérobée à la nature et vous en goûtez malicieusement la beauté. Dans le premier cas, vous êtes classique, dans le second plus inclassable. Et comme souvent, le jugement porté en apprend davantage sur son auteur que sur l'oeuvre elle-même.
Les superbes photos d'Eva Besnyo sont visibles au Jeu de Paume jusqu'au 23 septembre.
23:38 Publié dans FRAGMENTS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : exposition, paris, jeu de paume, eva besnyo, photo, photographie, nu
13/08/2012
Victor Hugo (2)
N'imitez rien, ni personne.
Un lion qui copie un lion devient un singe
Victor Hugo
Le lion amoureux - Jean Barral
21:44 Publié dans FRAGMENTS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : victor hugo, citation, peinture, art, littérature
12/08/2012
Noir arc-en-ciel
Pour Johnny, pas de doute, noir c'est noir. Ben ouais quoi puisque c'est noir. Invitée par la Maison Victor Hugo à puiser dans les collections du musée, Annie Le Brun nous offre les Arcs-en-ciel du noir, au pluriel car un seul ne suffirait pas à présenter l'infini des nuances du noir dans lequel Victor Hugo a vécu, pensé, dessiné, peint, écrit. Si le noir romantique n'est pas absent, les encres et les écrits de Victor Hugo vont bien au-delà. Comme la lumière décompose la couleur, Annie Le Brun déploie l'éventail des noirs, nuancier sidérant qui saisit le visiteur. A s'approcher ainsi de Victor Hugo, on le découvre sous un jour nouveau, assez loin de l'auteur officiel engoncé dans son siècle, sa barbe et l'institution qu'il est devenue.
Et surtout Victor Hugo apparaît comme l'Encyclopédiste du XIXème siècle ou le savant du Moyen-Age et de l'Antiquité dont le savoir s'étendait sur de vastes disciplines. Pour Hugo, le théâtre, la littérature, la politique, la poésie, le dessin et les superbes encres qui semblent synthétiser le tout. Lorsque l'on embrasse tant, il se peut que certaines étreintes soient de second ordre ; c'est ce qui fera dire à André Breton : "Victor Hugo est surréaliste lorsqu'il n'est pas bête". Le compliment n'aurait peut être pas choqué son destinataire qui savait combien les potentialités inverses habitent l'homme. Pour l'heure, retenons "Nos chimères sont ce qui nous ressemble le plus" ou encore, plus approprié à la semaine qui s'ouvre "La pensée est le labeur de l'intelligence, la rêverie en est la volupté".
Cette semaine est la dernière pour aller voir le noir de plus près, clôture le 19 août.
23:54 Publié dans CHRONIQUE DE WEEK-END | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : victor hugo, littérature, arc-en-ciel, poésie, exposition, rêverie, volupté
11/08/2012
Willy Ronis
Pour le week-end ensoleillé, et avant les Rencontres photographiques d'Arles, petit clin d'oeil à Willy Ronis.
00:12 Publié dans CHRONIQUE DE WEEK-END | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photo, photographie, willy ronis, arles
08/08/2012
Empathie
Dans les romans de Philip K. Dick, le blade runner distingue les humains des androïdes par leur capacité d'empathie. La capacité à comprendre les émotions ou états mentaux d'autrui, sans pour autant les partager, serait donc un des propres de l'homme. Rien d'étonnant si l'on se souvient que le terme d'empathie a initialement été utilisé en esthétique pour définir la relation que l'on entretient avec une oeuvre d'art pour accéder à son sens. Pour ma part, j'ai toujours considéré, qu'en peinture comme en littérature, il était impossible d'accéder à la volonté de l'auteur, à supposer d'ailleurs que lui-même ait conscience d'une telle volonté. Jugez pourtant des efforts d'empathie pour apprécier cette peinture de Gerhardt Richter, actuellement exposée à Beaucourg.
L'empathie a quitté le monde de l'art pour intégrer celui du commerce et du management. Pas un référentiel de compétences de vendeur ou de manager dans lequel ne figure le fameux "Etre empathique". Mais ici, comprendre les émotions ou comportements d'autrui ne vise qu'à mieux identifier les leviers de manipulation, pardon, de management.
Et nous vérifions une fois de plus que ce n'est guère la compétence qui donne le sens, mais l'usage que l'on en fait.
23:30 Publié dans FRAGMENTS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : richter, esthétique, art, peinture, littérature, empathie, management, beaubourg
07/08/2012
Welcome in Vienna (3)
Comme le chantait Bijou dans les années 80, à la guerre il y a parfois des vainqueurs mais jamais de gagnant. Les après guerre ont souvent un goût amer. Pour tout le monde. Lorsqu'il y a eu occupation, comme ce fut le cas en Autriche même si elle fût largement consentie, le noir et blanc devient l'exception. Le gris devient la norme : entre ceux qui tardent à choisir leur camp, ceux qui ne choisiront jamais, ceux qui changent de camp, dans le bon ou le mauvais sens, les trajectoires se croisent et finissent par rendre illisible le monde gris dans lequel certains pensaient se battre pour le bien et contre le mal.
Comme en France, les américains enrôlèrent très rapidement d'anciens nazis pour entamer la nouvelle guerre qui se préparait et durerait plus de quarante ans. La guerre froide a débuté bien avant le 8 mai 1945. Et les recyclages furent aussi rapides que les exécutions qui donnent l'impression d'avoir soldé des comptes qui seront en fait bien difficile à clôturer. Que reste-t-il à Freddy dans ce champ de ruines sur lequel même l'amour a du mal à trouver sa place ? qu'espérer rebâtir sur un tel carnage ? la fragilité du monde, et plus encore de sa beauté, n'est plus à démontrer. Les russes, la realpolitik, les pogroms qui reprennent dans les villages où l'on ne souhaitait pas voir revenir ceux qui pourraient rappeler un passé que l'on veut oublier ou tout simplément à qui on ne souhaitait guère remettre ce qu'ils avaient abandonné. Pour beaucoup, le monde est devenu incompréhensible.
Toyen - L'heure dangereuse - 1942
Vivre bien sur, pour les mêmes raisons que celles pour lesquelles on a combattu, mais avec en soi un sentiment de défaite que rien ne pourra effacer. L'écriture ou la vie écrira Jorge Semprun qui n'oubliera pas de vivre. Primo Levi y parviendra longtemps et puis plus. L'enfer c'est là où il n'y a pas de pourquoi. La force de Welcome in Vienna est de montrer à quel point, en Europe, le pourquoi a disparu pendant de longues années.
Note: le coffret DVD avec les trois parties sera mis en vente le 5 septembre prochain.
00:15 Publié dans CHRONIQUE DE WEEK-END | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : welcome in vienna, cinéma, guerre, peinture, toyen, littérature, semprun, primo lévi, retour
06/08/2012
Welcome in Vienna (2)
Pendant que l'Europe se suicide, comme Stefan Sweig et Walter Benjamin, les bateaux de migrants accostent devant la statue de la Liberté à New-York. Frerry, le protagoniste principal de la première partie, perd la vie en tentant de porter secours à une rescapée de Berger-Belsen qui, muette, se noyait sans que quiconque ne lui vienne en aide. C'est que lorsqu'on a vu le diable, tout comme Moïse après avoir vu Dieu sur le Mont Sinaï, on ne peut plus parler.
Dès lors nous suivons Freddy, juif viennois lui aussi, qui débarque sur ce qui n'est guère une terre promise mais un lieu d'exil et de passage. Pour la plupart des migrants, ce sera Ellis Island, la quarantaine, l'accueil suspicieux et la difficile immersion dans le nouveau monde. Pour le migrant, tout est à rebâtir et les repères anciens constituent des handicaps plus que des points d'appuis. Dans un monde différent, avec un statut différent et des codes inconnus, ce que l'on était n'est qu'un fardeau dont il faut se défaire pour pouvoir être de nouveau.
Si vous n'avez pas vu le film, procurez-vous le livre d'Alain Garrigue "Le Cirque de Dieu" où les humains, comme les plantes, reçoivent leur part d'eau et de fumier pour grandir. Vous y verrez New-York, les juifs errants, la vie et la survie et le golem qui certains jours revêt le visage du destin. Vous y verrez aussi, utile contribution au débat actuel sur les conditions de naturalisation, des juifs allemands qui récitent Walt Whitman et sont traités comme des métèques pouilleux par les américains.
Et pour savoir ce qui s'est achevé là, ce qui s'est perdu à jamais, il suffit de lire "Le monde d'hier, souvenir d'un européen" de Stefan Sweig. On y côtoie les derniers représentants de cette mittleuropa qui fut liquidée par le terreau dans lequel elle avait grandi. L'eau et le fumier. Demain troisième partie.
Ah qui apaisera ces enfants fébriles ?
Qui justifiera ces explorations sans repos ?
Qui dira le secret de la terre impassible ?
00:05 Publié dans CHRONIQUE DE WEEK-END | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : welcome in vienna, amérique, garrigue, zweig, cinema, littérature, immigration, europe
05/08/2012
Welcome in Vienna (1)
Qu'est-ce qui vous a marqué dans votre vie ? quelles rencontres ? quelles personnes ? quel voyage ? quels livres ? quels tableaux ? quels évènements ? quelles phrases ? quelles situations ? quels films ? si l'on faisait totalement confiance à la mémoire et ne se préoccupait pas trop de l'inconscient, on pourrait dessiner un portrait chinois à partir de l'identification de ce qui a véritablement compté dans notre vie. Welcome in Vienna fait partie des rares films à la persistante présente tant il est impossible de se détacher de ces images en noir et blanc. Le film, en 3 parties, est reprojeté au Reflet Médicis. Aujourd'hui, première partie : "Dieu ne croit plus en nous". Devant vous ce n'est pas une histoire que vous raconte le film mais l'Histoire à travers des histoires. Celles de tous ceux qui furent jetés brutalement en pâture à la violence et à la folie nazie mais surtout à leur cortège de lâchetés, de collaborations et de compromissions qui au final les rendirent possibles.
Si lel film est en noir et blanc, le propos ne l'est guère. Dans les nombreux personnages qui traversent cette fuite depuis l'Autriche à travers l'Europe pour l'obtention d'un improbable visa qui permettra de partir aux Etats-Unis, en Amérique du Sud ou plus loin encore, les portraits sont contrastés, moins ambigües que chargés de toutes les ambivalences qui font l'humanité. Et tout au long des deux heures de film, à travers les situations les plus banales qui sont également les plus dramatiques, l'on sent la peur permanente du traqué qui ne se soigne guère mais s'oublie par l'action, par l'humour désenchanté des juifs de la mittleuropa, par le chacun pour soi et parfois par la solidarité.
A ceux qui ont trouvé à redire aux discours de Chirac et Hollande sur le Vel d'Hiv on conseillera de consacrer un peu de leur précieux temps à la vision du film, et de se souvenir que l'armée et la police française ont préféré livrer aux allemands non seulement des juifs mais également des allemands antinazis ou des républicains espagnols, soit une immense majorité d'hommes et de femmes qui ne souhaitaient que prendre les armes contre ceux auxquels ont les remis. On leur conseillera d'ailleurs tout particulièrement le passage ou des policiers français raflent des juifs parce qu'ils doivent atteindre leur quota mensuel.
La force du film se trouve partout : l'esthétique des images, le jeu extraordinaire des acteurs, le montage, le contenu minutieux de chaque scène, les dialogues écrits par Georg Stefan Troller dont la vie inspira largement le scénario du film. Elle se trouve également dans l'absence de toute grandiloquence ou de surcroît d'émotion qui serait mobilisée pour défendre une cause. Le plus terrible est qu'Axel Corti ne fait que montrer dans le détail et sans pathos ce que Hannah Arendt nommait la banalité du mal. Deuxième partie demain.
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04/08/2012
Ce jour-là, cette année-là
Il y a tout juste cinquante ans, le 4 août était un samedi. Ce jour-là Norma Jeane Baker cessa d'être et Marilyn Monroe disparut avec elle. Restent les films, les photos, les écrits, les dessins, les témoignages et tout un fatras. Reste cette photo.
Si vous pensez qu'il est impossible de s'installer sur une planche étroite pour lire Ulysse de Joyce et que tout cela sent le posé, vous pouvez revoir Les hommes préfèrent les blondes, vous ne serez pas déçu. Vous pouvez aussi imaginer qu'elle vient de lire ceci :
"Il est peut-être moins douloureux d'être tiré du ventre maternel que d'être tiré d'un rêve. Tout objet considéré avec intensité est une porte d'accès possible à l'incorruptible éon des dieux."
Et que le désir de ne pas quitter le rêve fût peut être plus fort que tout autre le 4 août 1962. Le lendemain matin, et les autres jours, personne ne l'a tirée du rêve.
00:20 Publié dans CHRONIQUE DE WEEK-END | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : marilyn monroe, littérature, cinéma, ulysse, joyce, 1962
02/08/2012
Voler, atterrir
Toujours aussi beau les avions d'American Airlines, des cylindres d'argent que le soleil arrose comme dirait Nougaro qui aurait noté que les couleurs de Chicago sont le rouge et le noir.
Pour cet été partagé entre le Pays Basque et les bord du Lac Michigan, l'ouvrage de Kirmen Uribe paraissait s'imposer. Il accompagna le passage du jour à la nuit. Des ports de la Biscaye aux rues de New-york, le voyage d'un fils qui voudrait se mettre dans les pas de son père. Si le livre contient de belles pages sur les pêcheurs basques qui partent pêcher au large de l'Irlande, jusqu'au Nord de l'Ecosse, le parallèle avec le voyage en avion de l'auteur est pauvre et manque de saveur.
Kirmen Uribe n'a manifestement pas trouvé la manière de construire le récit de l'histoire familiale et la structuration de la narration autour d'un vol Bilbao-NewYork est trop artificielle pour tenir le choc face aux marins. Cela permit de se souvenir qu'il est un autre espagnol,Antonio Altarriba, qui a trouvé lui l'art de voler et de conter l'histoire de son père et à travers lui à la fois celle de l'Espagne et celle de ces moments où il faut faire des choix qui engagent définitivement et font que la vie prend une orientation et des chemins inattendus et, forcément, sans retour.
Heureusement, pour repasser du jour à la nuit, avant d'atterrir, il y eût Laia Fabregas, qui prend elle des avions entre la Catalogne et les Pays-Bas. Et c'est dans un avion que débute Atterrir, lorsque s'entremêlent les destins d'une jeune hollandaise qui a fait l'expérience de la rencontre d'un ange et ne parvient à s'en détacher, et d'un vieil andalou qui émigra longtemps auparavant aux Pays-Bas où il fit lui aussi l'expérience de la rencontre de la grâce.
De ce livre là on ne sort pas vraiment, même après avoir atterri.
23:40 Publié dans CHRONIQUE DE WEEK-END | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : uribe, fabregas, altarribe, littérature, voyage, etats-unis, espagne, pays-bas, art
01/08/2012
Back to Paris
Pas un jour sans qu'il ne se trouve un chicagolais pour poser la question : "Vous venez d'où ?" et lorsque l'on annonce "Paris, France" immanquablement, et quel que soit l'interlocuteur, la réaction a toujours été :"Mais en ayant la chance d'habiter à Paris, qu'est-ce que vous venez faire à Chicago ?".
Se plonger dans la ville, en faire le tour, la mettre à distance, puis s'y replonger. S'étonner que dans la troisième plus grande ville des Etats-Unis la campagne soit si proche, la nature si présente et que l'atmosphère soit si provinciale avec ses quartiers si différents.
Chicago où la forte ségrégation raciale n'a pas géographiquement disparue. Au nord, les quartiers bourgeois et les villas cossues.
La classe bourgeoise blanche qui le week-end équipe de sonos les bateaux pour transformer la marina en gigantesque discothèque upper-class mais pas vraiment upper-goût.
Plus on va vers le Sud, plus la population est noire. Et les barbecues dans les parks remplacent les partys sur les bateaux.
En déambulant sur les bords du lac Michigan, la lumière peut vous donnner l'illusion l'espace d'un instant, un court instant, d'avoir les yeux de Saul Leiter pour prendre quelques photos.
Il faut dire que Chicago est une ville d'art, où même les buildings font écho aux tableaux de Magritte, très présents à l'Institute of Art.
Etrange impression, comme souvent aux Etats-Unis, d'être à la fois dans un lieu d'histoire mais également dans un lieu où seul importe le présent. La nostalgie est une marque de la vieille europe. N'oublions pas qu'aux JO, les deux nations trustant les médailles sont la Chine et les Etats-Unis.
Fin de l'intervalle chicagolais donc et retour au duomicile, dans un lapsus publicitaire qui n'aurait pas déplu à Lacan, preuve que rien n'est vraiment inconciliable.
17:49 Publié dans CHRONIQUE DE WEEK-END | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : chicago, journal, voyage, publicité, photo, peinture, art, vacances
31/07/2012
Faire abstraction
C'est en Angleterre, lors d'une visite à la National Gallery, qu'est véritablement né mon goût pour la peinture abstraite. Pourquoi ? parce qu'à côté d'une toile, il y avait un petit panneau qui expliquait que la peinture abstraite se regardait comme de la musique s'écoute. Grâce à cette clé, j'ai pu entrer dans quelques toiles et puis beaucoup d'autres. Du coup, lorsque j'ai découvert que les musiciens parlaient de la "couleur" d'un orchestre pour traduire sa manière de jouer, cela ne m'a qu'a moitié surpris. La musique est par nature une abstraction et il n'est guère surprenant que la vibration des couleurs lui soit familière. Et cette vibration est, au moins pour les oeuvres majeures, un chemin qui mène vers la lumière. Illustration avec quelques unes des oeuvres de la magnifique collection de l'Institute of Art de Chicago.
Dans cette peinture de la Vallée d'Aoste par Turner, le panthéisme doit sa puissance à la fusion lumineuse des trois éléments : l'air, la terre et l'eau. Sous le paysage toujours présent, l'abstraction lyrique pointe les poils de sa brosse.
Dans le chef d'oeuvre de Seurat, Un dimanche à la Grande Jatte, le pointillisme est, avant l'heure, une pixelisation de l'image ramenée à des points de lumière qui composent la scène. Si l'on s'éloigne, zoom arrière, l'image gagne en netteté et les petits points disparaissent. Si l'on se rapproche, zoom avant, la toile n'est qu'une infinité de touches, comme le corps humain se réduit à des atomes selon la distance à laquelle on l'observe.
Cette décomposition de la lumière, Cézanne, ici avec Les baigneuses, et Matisse, avec son Géranium, y travaillèrent toute leur vie. Avec joie souvent, obstination toujours, acharnement fréquemment.
Puis vint le temps de la radicalité. Celui où le mouvement devait l'emporter définitivement sur le motif et la couleur se tenir toute entière devant vous. Non pas comme une décomposition progressive mais au contraire comme un ensemble cohérent. Comment en peignant avec cette vitesse et cette énergie De Kooning parvient-il à une composition totalement cohérente, équilibrée et fascinante ? ici ce n'est plus la musique de chambre de Matisse, mais une symphonie proche de Turner. Vous avez devant vous, en musique, l'histoire du XXème siècle qui vous est présentée.
Difficile de faire mieux en matière de déconstruction/reconstruction. Ce n'est pas un hasard si c'est un hollandais passé par Paris qui y parvint à New-York, à l'image de la French Théory qui traversa l'Atlantique et marqua profondément la recherche et la pensée américaine en sciences humaines. Dès lors, il fallait repasser par la technique pour essayer d'aller au-delà. Ce que fit Gerard Richter (dont on peut apprécier le travail à Beaubourg cet été) en retravaillant la matière et la lumière, toujours.
Mais celui qui parvient sans doute à aller le plus loin, jusqu'à y laisser sa vie même, ce fût Rothko dont les oeuvres sont des sirènes : le sourd ne risque rien, mais gare à celui qui entend la musique qui l'absorbera dans la toile. Car il n'aura ensuite de cesse de retrouver cette extase et fera projet de s'installer un jour au centre de la Chapelle Rothko, à Houston, pour écouter encore et toujours les sirènes. De tout le reste, il aura fait abstraction.
06:17 Publié dans TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : peinture, musique, abstraction, chicago, institute of art, turner, matisse, de kooning, cezanne, richter, beaubourg, rothko