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11/05/2013

Pas si Clot !

Je ne serai plus en Bretagne lundi 13 mai, et c'est bien dommage car je me serai rendu avec plaisir à la Conférence donnée par Yves Clot à Quimper sur le thème du travail. Yves Clot, c'est ce psychologue qui veut en finir avec les risques psychosociaux, ce qui ne peut évidemment qu'attirer mon attention, moi qui conseille à mes clients de ne pas traiter les risques psychosociaux. Et puis, c'est un psychologue qui a des réflexes de sociologue : celui de toujours repartir du terrain et, en l'occurence, du travail. Enfin, j'aime bien la manière dont Yves Clot critique la définition du stress, en la trouvant un peu courte. Pour mémoire, l'ANI du 2 juillet 2008 définit le stress comme le sentiment qu'a le salarié de ne pas disposer des ressources suffisantes pour réaliser ses activités. En considérant que cette définition ne renvoie qu'à la fragilité du salarié, Clot commet sans doute une erreur. Le manque peut être le fait de l'organisation qui ne fait pas correspondre les moyens et les résultats attendus. La définition ne met donc pas la pression que sur l'individu.

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Mais là où Clot apporte un plus, c'est en complétant la définition par les situations dans lesquelles ce que l'on demande au salarié entre en contradiction avec ce qu'il considère être comme le comportement du bon professionnel. Les risques pour la santé du salarié deviennent d'autant plus importants que la prescription perd son sens ou que les comportements prescrits sont monovalents (vendre !). En d'autres termes, plus directs, les boulots de cons ou qui sont faits à la con, sont plus dangereux que toute autre situation. Et Clot ajouterait sans doute, d'autant plus si on prend les gens concernés pour des cons, ce qui dans son langage devient le déni de tout conflit sur le sens ou les modalités du travail.  Car la clé de la santé au travail, c'est la capacité reconnue à chacun de pouvoir faire valoir son propre professionnalisme. Qu'il travaille sur l'individu ou le collectif, Clot a manifestement le souci de la liberté de chacun et la crainte de l'enfermement dans une prescription déprofessionnalisante. En cela, il n'est pas si Clot.

27/09/2012

Droit d'expression (1)

La méthode utilisée par la CPAM de Moselle pour traiter la question des risques psychosociaux, dans un contexte de fusion de caisses, de réorganisation, d'évolution des métiers et des comportements des assurés, n'est pas la plus fréquente. Des salariés volontaires ont été formés à la méthode d'identification des risques mise au point par l'ANACT et ce sont eux qui ont été interviewer leurs collègues, avant que les résultats de ce travail d'enquête ne soit traduit en plan d'action par des groupes de travail. Cette démarche participative est rare : le plus souvent, l'analyse des risques est un travail d'expert auxquels les salariés sont associés, ou pas, mais remettre ainsi le coeur du travail d'enquête dans les mains des salariés demeure peu usité. Sans doute en partie par crainte de perdre la maîtrise du processus, nouvelle vérification que le salarié est souvent managé à la manière dont Yves Montand transportait les flacons de nitroglycérine dans le Salaire de la Peur : en serrant les fesses pour qu'il ne se passe rien.

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Pour originale qu'elle soit, la méthode ne fait que redécouvrir ce que la loi Auroux du 4 août 1982, dont nous venons de fêter les 30 ans, avait souhaité promouvoir. Le droit d'expression directe et collective des salariés. Toujours présent dans le code du travail (articles L. 2281-1 et suivants), il l'est beaucoup moins dans les pratiques. Qui met en place des groupes de travail régulièrement dans l'année pour que les salariés puissent s'exprimer sur leurs conditions de travail ? qui organise des modalités spécifiques de ce droit pour que l'encadrement n'en soit pas privé ? qui se préoccupe de recueillir les avis et propositions des salariés sur les conditions et l'organisation du travail ? C'est pourtant une obligation depuis 30 ans. Nouvelle preuve que plutôt que de voter des textes nouveaux sur les risques psychosociaux, la pénibilité ou le harcèlement, si l'on appliquait les textes existant on arriverait sans doute à un meilleur résutat.

11/01/2011

Entre deux mondes

Les sondages contradictoires se succédant frénétiquement, on ne sait si le travail est un plaisir ou une souffrance, ou si dans une subtile dérive masochiste il parvient à cumuler les deux au plus grand profit des intéressés consentants et pour le plus grand malheur de ceux qui ne sont ni intéressés ni consentants.

Mais ce qui retient l’attention dans l’analyse des risques psycho-sociaux, c’est l’approche exclusivement endogène du problème. Soit avec l’œil du psychologue qui voit des pervers narcissiques derrière chaque manager qui a quelque goût au pouvoir (il y prend plaisir : c’est pas une preuve ça ?), soit avec l’œil du sociologue qui s’alarme des réorganisations perpétuelles (et des organisations matricielles, fonctionnelles, par projets, par objectifs, par business unit, par centre de profit, de coût, de production,…n’en jetez plus vous avez déjà jeté les salariés lessivés avec l'eau de vaisselle), soit encore avec l’œil du technophile qui mesure l’accroissement exponentiel de la vitesse de circulation de l’information et en déduit très froidement et rationnellement que l’homme évoluant moins vite que la technologie, il ne devrait pas tarder à imploser.

Oui bien sur, et au-delà commence la vie privée. Mais dans cette perspective, n’oublie-t-on pas l’individu, entre le monde de lumières de l’entreprise et les zones d’ombres de la vie privée ?

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Ellen Kooi - Velsen-Lampes - 2008

Donner le travail comme cause exclusive du mal être au travail supposerait que chacun vive heureux et épanoui dans sa vie personnelle avant d’être frappé par le marteau du travail sur l’enclume de sa vie professionnelle. Or, le mal être est parfois un produit d’importation que l’on trouve dans la sacoche du salarié et qu’il mastique au travail avec l’entrain du ruminant qui a découvert une usine à sandwiches. Et à propos de nourriture, gageons que le succès des émissions TV culinaires de tout poil, s'il  a un sens, témoigne peut être d’un besoin de convivialité que le salarié ne trouve pas, ou moins, au travail, mais qui génère d’autant plus de frustrations que ce besoin n’est pas satisfait par ailleurs.

On ne demande certes pas, mais vraiment pas, aux entreprises de gérer la vie privée des salariés. Simplement de se souvenir que l’entreprise n’est pas un monde coupé du monde.

12/02/2010

Poor lonesome salarié

Le cabinet est toulousain, mais en l'occurence cette qualité est insuffisante pour défendre le projet. Le cabinet Merlane va proposer aux entreprises un outil britannique d'évaluation permettant de tester la "force mentale" du salarié. L'objectif est de mesurer la capacité de challenge, considérer tout défi comme une opportunité et non un danger, la capacité de contrôle, volonté d'agir et non de subir, la capacité d'engagement, concentration sur des objectifs, et la capacité de confiance, détermination à vaincre les difficultés. Le cabinet précise sans rire que ce test doit être accompagné d'autres évaluations "car il ne tient aucun compte des compétences professionnelles". Et de vanter l'utilité d'un tel test, tous les individus n'étant pas égaux dans la gestion des contraintes et des situations de crise. Et voilà, dans le droit fil des positions défendues par le MEDEF lors de la négociation sur le stress et la violence au travail, le salarié renvoyé à sa solitude et appréhendé en dehors de tout contexte et de toute organisation, tel un être immuable dont la personnalité est fixée une fois pour toute et qu'il s'agit de dévoiler. Grandeur et décadence du salarié en cow-boy solitaire.

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Edward Steichen - Solitude

Centré sur l'individu, ce type de test, comme beaucoup de tests de personnalités, constitue une négation de principe de l'environnement et de l'interaction entre le contexte et la personne. Dans le débat entre nature et culture nous sommes ici proche d'une nature implacable et immuable. Et très loin de l'idée que tout individu est porteur de capacités et potentiels qui peuvent se développer de manière très différentes en fonction des situations dans lesquelles il se trouve placé. Comme si l'organisation n'était pour rien dans les comportements de chacun. Comme si nous vivions indépendamment de tout. Comme si notre code génétique constituait une programmation mécanique et persistante de nos attitudes et comportements. Toujours ce souci de mettre l'individu en équation. Au final, tout simplement un refus de l'humain dans sa complexité et la négation à la fois de la sociologie et de la philosophie, notamment celle d'Hannah Arendt lorsqu'elle démontre par la banalité du mal que tout individu est capable du meilleur ou du pire en fonction des circonstances (à ce sujet on rappelera que même le droit pénal tient compte du contexte et des circonstances pour apprécier les actes criminels). Même pour un cabinet toulousain,  cela fait beaucoup.

 

28/12/2009

Question de perspective

La perspective est cet art qui permet de figurer trois dimensions sur un espace bidimensionnel. Trois dimensions en deux : autant dire du faux pour faire du vrai. Pour rendre une perspective réaliste, il est nécessaire de fausser la représentation sur la toile et de figurer une profondeur qui n'existe matériellement pas. Par cet artifice, le tableau devient réaliste. Passer par le faux pour aboutir au vrai, cela pourrait être une définition de l'art. Pour illustrer, autant choisir les maîtres et parmi eux celui qui associe technique, grace, idéalisme et poésie, j'ai nommé Fra Angelico.

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Fra Angelico - Annonciation - 1430
Modifier la représentation pour mieux cerner la réalité, tel est également le travail d'analyse de tout responsable des ressources humaines. A cet égard, me revient le travail de cet étudiant en ressources humaines sur les convoyeurs de fond. Comment favoriser la prévention des risques chez les convoyeurs de fonds ? tout d'abord en analysant leur perception du risque, en mettant en perspective en quelque sorte ce que veut dire risque pour eux. Et en faisant un travail de terrain et de fond l'on s'aperçoit que pour d'anciens militaires ou policiers, voire mercenaires, le travail de convoyeur de fonds est davantage assimilé à une maison de retraite confortable qu'à un métier dangereux. Ce qui, on en conviendra, est susceptible de modifier les actions que l'on souhaite mettre en place pour prévenir les risques. La politique de la peur, en ce domaine comme tant d'autres, s'avère un piètre argument : peu de convoyeurs ayant l'impression d'avoir négocié une préretraite seront sensibles à la diffusion de la peur de l'aggression comme motivation pour appliquer les consignes de sécurité.
Avant de conduire une action en ressources humaines, peut être faut-il, à l'instar de Fra Angelico, prendre le temps de se pencher sur les lois de la perspective.

27/11/2008

Corps et âme

La santé physique et mentale du salarié a fait son entrée dans le Code du travail en 2002. Par cette formule duale, le législateur entérine la division dont l’occident ne peut se départir entre corps et esprit ou matériel et spirituel. Les médecins du corps, en France, ne sont pas les médecins de l’âme. Cette dichotomie binaire nous vient de Platon et a ensuite été généralisée par la doctrine chrétienne. Elle imprègne durablement nos modes de pensées et représentations.

Pourtant les médecins savent aujourd’hui que la remise en état du corps après un accident ou une maladie ne met pas fin aux séquelles et qu’un état dépressif a des répercussions physiques majeures. La distinction entre santé physique et santé mentale au mieux a peu de sens et au pire nous conduit sur des fausses voies en matière d’appréhension des risques professionnels.

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Le Bernin - Transverbération de Sainte-Thérèse - 1652

Lorsque le Bernin représente le visage transfigurée de Sainte-Thérèse, soumis à la fois à la douleur lorsque l’angelot lui arrache du cœur la flèche et à l’extase mystique générée par l’amour de Dieu, il nous offre l’image d’une fusion totale des sens, du corps et de l’esprit. On pourra disserter entre ceux qui voient la douleur ou le plaisir sur le visage de Thérèse, mais nous pourrons nous accorder sur le fait que l’émotion ressentie ne différencie guère le corps et l’esprit. Catholique Le Bernin ? oui, bien sur…et plus moderne au XVIIème siècle que le législateur du XXIème.